Interview de M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice, à France Inter le 19 février 2025, sur François Bayrou et les violences au sein de l'établissement Notre-Dame de Bétharram, Richard Ferrand à la tête du Conseil constitutionnel, la politique migratoire, Donald Trump, les prisons et les menaces contre les magistrats.

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Média : France Inter

Texte intégral

SIMON LE BARON
C'est donc le ministre de la Justice, garde des Sceaux, qui est l'invité du grand entretien de la matinale. Bonjour, Gérald DARMANIN,

GERALD DARMANIN
Bonjour,

SIMON LE BARON
Beaucoup de sujets à aborder évidemment avec vous. La guerre que vous venez de mener contre le narcotrafic, les conditions de vie dans les prisons, les menaces contre les magistrats. Sur tous ces sujets et d'autres encore, les auditeurs d'Inter, comme d'habitude, peuvent vous poser leurs questions au 01 45 24 70 00 et sur l'application de France Inter. D'abord, sur la défense de François BAYROU, accusé d'avoir menti en affirmant qu'il n'était pas au courant des violences physiques, psychologiques, sexuelles au sein de l'établissement Notre-Dame de Bétharram, près de Pau. Il répète qu'il ne savait rien, mis à part une affaire de gifles, combien même il était ministre de l'Éducation, que ses enfants y étaient scolarisés, que son épouse y enseignait le catéchisme. Et cette fois, il charge le Gouvernement JOSPIN qui a succédé à celui auquel il appartenait. C'est la défense d'un homme acculé ?

GERALD DARMANIN
Moi. D'abord, je veux avoir une pensée extrêmement forte aux victimes de violence que sont les enfants même. Même devenu grand. Ce sont des traumatismes qui ne s'effacent jamais et je les relis depuis que je suis garde des Sceaux. Les violences faites aux enfants, les viols, les perversions qui les touchent. C'est un continent caché et on commence à découvrir ce continent caché. Voilà donc, d'abord ces victimes, il faut les écouter et les comprendre. C'est aussi ce qu'a fait le Premier ministre. C'est une affaire de société. Le Premier ministre n'a pas menti. Le Premier ministre a dit ce qu'il savait. En l'occurrence, les premières plaintes ont été déposées il y a très longtemps. Dans les années 50-60, il y a eu des premiers faits qui ont été signalés, et puis les instructions de ce que nous en savons à la chancellerie, à partir de 1998. François BAYROU n'était plus au Gouvernement à ce moment-là. Il y avait un autre Gouvernement. Et donc je pense que, tout en prenant conscience du drame qui touche toutes ces victimes, il ne faut pas tomber dans le procès politicien. Je pense que ce serait très malvenu. Et on voit bien…

SIMON LE BARON
Vous parlez de la fin des années 90, il y a eu une enquête pour viol contre l'ancien directeur de l'établissement qui, s'est par la suite, suicidé. C'était connu à l'époque. En particulier dans cette région. François BAYROU a reconnu avoir rencontré le juge d'instruction de l'époque. Vous êtes convaincu qu'il a dit la vérité ou est-ce qu'il y a eu, au minimum, une maladresse, une omission volontaire de sa part ? Vous, vous le soutenez à 100%.

GERALD DARMANIN
Mais les instructions qui ont été ouvertes par la justice française, qui a fait son travail en toute indépendance, sont à la connaissance de la chancellerie à partir de 1998. François BAYROU n'était plus au Gouvernement, c'était un autre Gouvernement. Mais on voit bien qu'à chaque fois que la France insoumise, puisque c'est elle qui a relevé cette affaire, je mets des guillemets, pose la question au Premier ministre. Elle réclame sa démission. Le vote de la censure à la fin de chaque question, à la fin de chaque réponse. On voit bien que c'est un enjeu politique et malheureusement, on le fait sur le dos des enfants.

SIMON LE BARON
Il a eu raison de dire qu'il ne savait rien ?

GERALD DARMANIN
A ma connaissance, le Premier ministre ne savait rien et il n'était pas en fonction.

SIMON LE BARON
Il n'avait pas connaissance des 112 plaintes qui datent de l'année dernière. Ce sont les derniers développements. Mais sur le reste qu'on a évoqué, qui s'est déroulé dans les deux premiers mois…

GERALD DARMANIN
Moi, je crois le Premier ministre qui ne savait rien.

SIMON LE BARON
Un autre proche d'Emmanuel MACRON, très proche même de l'ancien président de l'Assemblée nationale, Richard FERRAND, est sur la sellette, aujourd'hui, puisqu'il est auditionné dans quelques minutes par la commission des lois de l'Assemblée, puis par celle du Sénat. Il s'agit de valider ou de rejeter sa nomination à la tête du Conseil constitutionnel. Est-ce qu'il est le bon candidat ? Est-ce que le président de la République a eu raison de le choisir ?

GERALD DARMANIN
Le choix du président de la République, c'est le choix souverain du président de la République, comme Laurent FABIUS avait été proposé par François HOLLANDE et comme Jean-Louis DEBRE avait été proposé par le président CHIRAC. Il y a une réforme institutionnelle depuis 2008 grâce à Nicolas SARKOZY qui permet au Parlement, désormais, de pouvoir donner son avis. Et le choix du président de la République passera par les fourches caudines du Parlement. Il faut que 3/5 des parlementaires votent contre la nomination de Richard FERRAND. Mais je constate que les autres membres de l'exécutif, de notre organe institutionnel qui désigne des membres du Conseil constitutionnel, ont aussi nommé des politiques. Monsieur LARCHER a nommé Monsieur Philippe BAS, qui était ministre puis sénateur LR, Madame…

SIMON LE BARON
Qui a une expertise reconnue sur ces questions juridiques et constitutionnelles. Yaël BRAUN-PIVET que vous évoquez, qui EST, présidente de l'Assemblée nationale, a proposé madame VICHNIEVSKY, qui est députée MoDem, qui est une ancienne magistrate. Quelle est la légitimité de Richard FERRAND ? Laurent WAUQUIEZ et, les députés LR disent qu'ils voteront contre parce que Richard FERRAND est trop politique, pas assez impartial et pas assez compétent sur ces questions.

GERALD DARMANIN
Vous ne savez pas que Laurent FABIUS n'était pas particulièrement compétence aux Affaires constitutionnelles et juridiques, qu'il était un homme politique de première importance. Il a été un grand président du Conseil constitutionnel.

SIMON LE BARON
Vous reconnaissez qu'il n'est pas nécessaire d'être expert des questions constitutionnelles pour être président du Conseil constitutionnel.

GERALD DARMANIN
Evidemment que ce n'est pas les critères de la Constitution. Ce qu'a voulu le Président de la République que Charles DE GAULLE et Michel DEBRE quand ils ont créé le Conseil constitutionnel, nouvelle formule, c'est justement que ce ne soit pas une Cour suprême et que justement, c'est un pouvoir qui, aidé par des juristes. C'est pour ça qu'un excellent juriste, un secrétaire général du Conseil constitutionnel, que ceux qui composent le Conseil constitutionnel le font en vertu de notre constitution. Et ça peut être des hommes politiques expérimentés.

SIMON LE BARON
Donc, ça ne vous pose pas de problème ?

GERALD DARMANIN
Non, aucun. Bien sûr.

SIMON LE BARON
Vous avez rappelé que c'était le choix du président. Pas forcément le vôtre peut être.

GERALD DARMANIN
Mais je soutiens évidemment Richard FERRAND. Mais je ne suis pas parlementaire et je n'aurais pas à m'exprimer. Richard FERRAND a été un grand président de l'Assemblée nationale. C'est un homme politique et je pense qu'on a besoin d'hommes politique pour pouvoir avoir des fonctions très importantes pour notre nation. Vous savez, les hommes politiques qui ne peuvent pas, qu'ils soient disqualifiés parce qu'ils font de la politique. Il a été rapporteur de textes de loi, il a participé au mouvement législatif, Il connaît le monde politique, il connaît les Français, il a été élu. Je pense que ce sont des critères très importants aussi pour diriger le Conseil constitutionnel.

SIMON LE BARON
En tout cas, jamais sans doute, une nomination à la tête du Conseil constitutionnel n'aura été aussi disputée. Mais on aura la réponse dans la journée.

GERALD DARMANIN
Elle est disputée parce que je crois qu'il y a plus de fait majoritaire à l'Assemblée nationale.

SIMON LE BARON
Mais y compris les LR qui participent au Gouvernement avec vous vont voter contre à l'Assemblée.

GERALD DARMANIN
On verra bien à la fin ce que donnera le vote des deux assemblées, mais elle est disputée parce qu'il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale. Et le jeu démocratique parlementaire fait que le parlement contrôle l'action du président de la République et du Gouvernement, et bien nous attendrons les résultats.

SIMON LE BARON
Autre échéance à l'Assemblée cet après-midi, l'examen d'une motion de censure déposée par le Parti socialiste. A priori, il n'a aucune chance d'être adoptée puisque le RN ne la votera pas. Mais cette motion dénonce, sur le fond, l'extrême droitisation de votre Gouvernement, la trumpisation du débat public. Quand le Premier ministre valide le terme de submersion migratoire, quand vous plaidez désormais pour l'abrogation du droit du sol, est-ce que ce sont des victoires culturelles pour l'extrême droite et le Rassemblement national ?

GERALD DARMANIN
Non, ce que je dis sur le droit du sol, c'est ce qu'a dit le Gouvernement de la République dans les années 90, avec monsieur MEHAIGNERIE qui était centriste, avec monsieur PASQUA qui était au RPF. Donc, on a le droit d'avoir des positions tranchées, ça concerne 30 000 personnes par an, et ce que je dis, c'est que quelqu'un ne peut pas être français de manière automatique, il doit, à sa majorité, non seulement exprimer le désir d'être français, mais on doit pouvoir vérifier qu'il fait partie de la communauté nationale, parce qu'il parle français par exemple et qu'il respecte les règles de la République, qu'il n'a pas de casier judiciaire. C'est ce que font beaucoup de pays autour de nous. L'Italie, qui a été gouvernée pendant extrêmement longtemps par des démocrates et des socialistes, n'a pas le droit du sol, par exemple. Ça n'en fait pas un pays d'extrême-droite par principe.

SIMON LE BARON
Aujourd'hui, elle est gouvernée, de fait, par l'extrême droite.

GERALD DARMANIN
Oui, mais ça a été imaginé quand les gouvernements étaient socialistes et démocrates.

SIMON LE BARON
Mais en France, c'est la revendication majeure, l'une des revendications majeures du RN depuis 40 ans. Ce n'est pas une victoire que vous leur accordez ?

GERALD DARMANIN
La Grèce, qui a été gouvernée par l'extrême gauche, n'a pas le droit du sol, par exemple.

SIMON LE BARON
En France, c'est un principe…

GERALD DARMANIN
Non, vous avez tort monsieur, ce n'est pas dans la Constitution.

SIMON LE BARON
C'est un principe important en France.

GERALD DARMANIN
Ce n'est pas dans la Constitution.

SIMON LE BARON
Ce n'est pas ce que j'ai dit, mais c'est dans la loi.

GERALD DARMANIN
Oui, mais la loi, on peut la modifier. Les parlementaires sont là pour ça. Heureusement que le peuple puisse voter pour des parlementaires qui veulent modifier la loi. C'est la démocratie. Il n'y a pas d'un côté le camp du bien qui décide ce qui est bien, puis après, il y aurait le camp du mal qui pourrait forcément avoir que des mauvaises idées. Encore une fois, il y a un gouvernement républicain, démocratique, qui avait décidé qu'il y avait, au moment de la naissance, un moment où on devait manifester sa volonté. Voilà, c'était les lois MEHAIGNERIE-PASQUA, je pense que c'était des bonnes lois.

SIMON LE BARON
Puisque vous êtes accusé également, je l'ai dit, de Trumpisation, qu'est-ce que vous pensez des premières semaines de Donald TRUMP aux Etats-Unis ?

GERALD DARMANIN
Moi, je suis français, je suis patriote. Donc, la France, qui considère que l'Amérique est évidemment notre pays allié, ne doit pas se mettre dans les pas des Américains. Donc moi, j'espère, je souhaite et je suis très heureux de voir que le président de la République essaie de réveiller l'Europe. Il le dit depuis très longtemps et que la France a une voix française.

SIMON LE BARON
Et je vous pose la question sur le démantèlement de l'administration, de l'État fédéral, sur les coupes drastiques budgétaires, dans l'éducation, dans l'aide au développement.

GERALD DARMANIN
Mais d'abord, j'entends que c'est un réquisitoire, ce matin, et que vous avez très envie de ne pas parler des prisons et de ne pas parler du narcotrafic. Parce que vous parlez de monsieur FERRAND, de Bétharram, vous parlez de monsieur BAYROU et vous ne parlez pas ni des prisons. Oui, c'est un peu dommage qu'on ne parle pas du narcotrafic, qu'on ne parle pas de la violence qui touche la France et de la façon dont les magistrats peuvent y répondre, c'est un peu dommage. Mais pour répondre à votre question, moi je suis français et je commente les affaires françaises. Les Américains ont choisi un président démocratiquement. Et malheureusement, si j'ose dire, pour ceux qui commentent, ils ont choisi très massivement, il n'a jamais été aussi bien élu. Respectons le vote démocratique. Vous savez, il y a deux types de commentateurs ou d'hommes politiques. Il y a ceux qui veulent changer le peuple parce qu'ils considèrent qu'ils ne pensent pas bien. Manifestement, vous pensez que les Américains ne pensent pas bien et vous voulez changer le peuple.

SIMON LE BARON
Je vous pose la question, ce que fait factuellement Donald TRUMP aujourd'hui aux États-Unis ?

GERALD DARMANIN
Je vous réponds, moi je suis français et ce qui m'intéresse, c'est la France. Et ce qui m'intéresse, c'est que la France ne soit pas dépendante des États-Unis d'Amérique, qu'on puisse avoir notre propre projet.

SIMON LE BARON
Et se défendre aussi face à des ingérences. Par exemple, le discours du vice-président J.D. VANCE qui a sidéré les dirigeants européens à Munich.

GERALD DARMANIN
Moi, je suis en désaccord avec ce qu'a dit le vice-président des États-Unis, mais il a le droit de le dire. Le fait qu'il puisse le dire en Europe montre qu'il y a une liberté d'expression. C'est la preuve du pudding qui se mange. Maintenant, je suis, encore une fois, français. Moi, ce qui m'intéresse, c'est mon pays et que mon pays soit souverain, autonome, indépendant vis-à-vis de la Russie, vis-à-vis des États-Unis, vis-à-vis de la Chine. Parce que la France est un très grand pays et on doit pouvoir avoir les moyens de souveraineté.

SIMON LE BARON
Venons-en donc aux prisons. Vous avez demandé, lundi, l'arrêt des activités ludiques dans les établissements pénitentiaires après une polémique à la maison d'arrêt de Seysses près de Toulouse. Des détenus qui auraient bénéficié de soins du visage pour la Saint-Valentin. En réalité, des massages du cuir chevelu entre détenus, accompagnés par des élèves esthéticiennes. Mais voilà, c'est pour être tout à fait précis. Est-ce que vous trouvez, comme on l'entend souvent, c'est le cliché qui revient souvent, que la prison, c'est le CLUB MED ?

GERALD DARMANIN
Je pense qu'il faut comprendre que d'abord, au ministère de la Justice, et quand on conduit le ministère de la Justice et les prisons en particulier, il faut du bon sens. Est-ce que les détenus doivent avoir des soins du visage ? Notamment sur les détenus que nous évoquons, il y avait des détenus radicalisés, il y avait des détenus qui avaient de très longues peines, il y avait des détenus à la maison d'arrêt de Toulouse qui avaient des actes de violence extrêmement fortes. Est-ce qu'ils doivent bénéficier de ce genre d'activités ? La réponse est non.

SIMON LE BARON
Vous dites qu'elles ne sont pas utiles pour la réinsertion, c'est ce que dit la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté ?

GERALD DARMANIN
Ce que je dis, c'est qu'on ne doit pas faire des massages et des soins du visage à des détenus radicalisés. Mais je pense que, à peu près, 95% des Français sont d'accord avec moi. Que nous fassions des activités éducatives, d'appréhension du français, de réinsertion, lorsque les gens sont à quelques mois de leur sortie d'une prison, bien sûr, évidemment qu'il faut le faire. Mais je ne pense pas que ça passe par le maquillage. Donc, un peu de bon sens.

SIMON LE BARON
Ce n'est pas du maquillage en l'occurrence.

GERALD DARMANIN
Ça ferait du bien à tout le monde. Si, la première demande faite par l'administration pénitentiaire, c'est une demande à 10 000 euros, monsieur, pour justement faire, aux alentours de la Saint-Valentin, même si manifestement c'était tout à fait un hasard, d'après ce que je comprends, ce genre de choses. Je ne pense pas que ce soit ce qu'on doit faire dans les prisons. En revanche, ce que nous devons faire en France, c'est mieux réinsérer les détenus qui terminent leur peine de prison, puisque nous sommes très mauvais. On est à peu près à 50-55% de récidive quand on sort de prison. Donc, la question de qu'est-ce qu'on fait pour permettre aux gens qui sortent de prison de ne pas récidiver est une immense question à laquelle la France n'a pas répondu et ce n'est pas digne.

SIMON LE BARON
Avant de penser à la réinsertion, il y a la question des conditions d'incarcération. Dans cette prison de Toulouse, Seysses, par exemple, il y a plus de 200% de taux d'occupation. La moyenne en France dans les prisons, c'est 130%. La surpopulation est le mal chronique des prisons. Des matelas à même le sol, des punaises de lit, des cafards, des rats. Ça a l'air catastrophiste, mais c'est la situation telle qu'elle est. Qu'est-ce que comptez-vous faire contre cela ?

GERALD DARMANIN
Il y a deux choses en France. Il y a des prisons pour peine, c'est-à-dire les gens qui ont été définitivement condamnés, et là on n'est pas à 100% d'occupation. Il y a parfois des prisons, j'ai été à Condé-sur-Sarthe, où on est à 50-60% d'occupation. Et puis, il y a des maisons d'arrêt, où les gens attendent leur condamnation et là on est en effet à 150, 200, parfois 230% d'occupation et c'est une indignité pour la République. C'est évidemment un drame pour les agents pénitentiaires qui peuvent avoir beaucoup de difficultés de sécurité et puis c'est un drame pour les détenus eux-mêmes. Il y a l'attente de la condamnation définitive. Pourquoi ? Parce qu'il y a un délai d'audiencement en France, le moment où vous attendez d'avoir votre procès qui est très long, trop long, 15 mois, 20 mois, 25 mois. Il y a parfois 10 ans d'attente pour une réponse, pour les victimes comme pour les auteurs. Et c'est ça qu'il faut que nous changions. Et je ne pense pas que le mécanisme qui consisterait à libérer les détenus serait le bon. J'ai une vision un peu différente d'un certain nombre d'autres acteurs. En revanche, que nous puissions discriminer les détenus, c'est une très bonne chose. Aujourd'hui, on met dans les maisons d'arrêt, des trafiquants pour drogue, des auteurs d'homicides routiers, des personnes qui ont tapé leurs femmes. On les met parfois dans la même cellule. Ce n'est pas ce qu'il faut faire. Ce modèle carcéral français, il ne marche pas. Il produit de la récidive, il produit de la dignité, il produit des difficultés pour l'administration pénitentiaire et il produit parfois des évasions avec des gens qui sont tués sur le péage d'Incarville.

SIMON LE BARON
Est-ce qu'il faut développer des peines alternatives, par exemple ? C'est une question de Didier sur l'application de France Inter. Des bracelets, semi-libertés, il faut aller plus loin ?

GERALD DARMANIN
Ça existe déjà. J'ai annoncé le doublement des places de semi-libertés. Parce que vous avez raison, il y a des gens qui n'ont rien à faire dans un milieu carcéral classique et nous les enfermons dans ce milieu carcéral classique. Nous devons développer des nouveaux lieux d'incarcération qui ne sont pas des prisons avec des miradors et des barbelés parce que tout le monde ne doit pas être dans un milieu très carcéral. On doit aussi séparer une partie des personnes qui sont dans nos prisons qui n'ont rien à faire là. Il y a 25 % d'étrangers, par exemple, qui font des peines plus longues que les autres parce qu'ils n'ont pas de moyens de réinsertion. Et puis, je pense que c'est un point très important, il y a 20 à 30% de gens qui ont des maladies mentales dans nos prisons. Et le grand drame français, l'indignité française, c'est aussi que nous enfermons les fous alors que les personnes qui sont psychiatriquement atteintes doivent être dans des hôpitaux psychiatriques et pas dans les prisons. Donc, il y a beaucoup de causes…

SIMON LE BARON
Est-ce qu'il faut réguler, interdire un taux d'occupation au-delà des 100% ? Un colloque a eu lieu, il y a quelques jours, il y a une semaine à l'Assemblée Nationale et les professionnels semblaient s'accorder sur cette question de la régulation de l'occupation des prisons. En-tout-cas, les Français, ils sont très défavorables et je pense comme eux. Il ne faut pas faire un mécanisme de régulation carcérale, parce qu'on n'a pas été capable de gérer les prisons en France depuis 40 ou 50 ans. En revanche, il faut faire une prison de haute sécurité pour les plus grands narcotrafiquants et puis avoir des milieux plus ouverts, plus humains, on va dire cela comme ça, pour ceux qui ne sont pas dangereux pour la société. Et c'est ce que nous allons faire dès le mois de juillet prochain.

SIMON LE BARON
Vous allez nous parler de ces prisons de haute sécurité pour les narcotrafiquants, justement, que vous souhaitez mettre en place dès l'été prochain. Question d'Anthony au sujet du narcotrafic au standard de France Inter. Bonjour Anthony

ANTHONY
Oui, bonjour. Bonjour monsieur le Ministre.

GERALD DARMANIN
Bonjour monsieur.

ANTHONY
Bonjour à tous. Je vous appelle d'une petite ville en banlieue de Lille, Mons-en-Baroeul que vous connaissez, en l'occurrence. Vous êtes déjà venu à l'occasion des émeutes, il y a quelques années. Ville très agréable, par ailleurs, mais on a un vrai problème avec les points de ville. C'est un sujet qui reste d'actualité, on en entend parler depuis des années. On entend votre message coercitif sur pas mal d'aspects. Mais voilà, moi, je conduis ma fille au centre aéré la semaine dernière, je le passe devant des gens qui sont dans des fauteuils, aux vues, au-dessus de tout le monde. En appelle de police. Personne ne bouge, personne ne se déplace. Et les dealers sont parfaitement tranquilles. Il n'y a aucune punition et aucune action contre eux. Donc, je veux juste savoir si vous êtes conscient de cet état de fait et aussi de la perte de confiance totale de votre électorat face à cette inaction.

SIMON LE BARON
Merci beaucoup Anthony. Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Je suis très conscient pour être maire de Tourcoing, la commune d'à côté. Je ne viens pas à Mons-en-Baroeul que pour les émeutes. Je connais très bien cette commune, dont le maire Rudy ELEGEEST fait un travail très important. D'ailleurs, un maire qui soutient le Président de la République, réélu au premier tour dans sa commune. C'est bien qu'il doit avoir un petit peu de confiance dans cet électorat, pour lui et pour nous. Et je connais évidemment les grandes difficultés de la drogue, la présence des points de deal, surtout auprès des écoles. Et je les ai beaucoup combattus quand j'étais mis à l'intérieur. Est-ce que c'est suffisant ? Non. Monsieur a parfaitement raison. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il y a des consommateurs, monsieur. S'il n'y avait pas de consommateurs, s'il n'y avait pas de gens qui fumaient des joints et qui prenaient des rails de coke, il n'y aurait pas de vente. Ça c'est un point très important.

SIMON LE BARON
Il faut continuer de les culpabiliser. Une campagne a été lancée il y a deux semaines.

GERALD DARMANIN
Evidemment, bien sûr. Il y a moins de 10% de gens qui fument du cannabis ou qui prennent de la drogue en France. Toutes drogues confondues. Moins de 10%. Et ces moins de 10%, ils sont responsables des 3 à 6 milliards d'Euros d'argent liquide chaque année. À Mons-en-Baroeul, un point de deal, ça doit être entre 15 000 et 30 000 Euros d'argent liquide par jour.

SIMON LE BARON
Je vous pose la question, mais j'imagine connaître la réponse. Quand deux députés, un LFI, Antoine LEAUMONT, et un de votre camp du Parti Renaissance, Ludovic MENDES, proposent la légalisation du cannabis et la dépénalisation des principales drogues en circulation en France. Vous êtes radicalement contre ?

GERALD DARMANIN
Mais c'est un discours de défaite. C'est pour la dame qui élève seul son fils à Mons-en-Baroeul, qui va travailler à l'hôpital de Lille, et qui a un gamin de 14-15 ans qui peut faire des bêtises, parce qu'on fait des bêtises à 14-15 ans, et qui rentre dans le mécanisme de je fume des joints, et donc, c'est très mauvais pour ma santé, et donc, évidemment je deviens indépendant et addict. Eh bien, c'est une trahison de cette dame.

SIMON LE BARON
Est-ce que la répression marche ? C'est la question qui est soulevée derrière. On ne vous entend pas sur la prévention.

GERALD DARMANIN
Parce que je suis ministre de la Justice, chacun son rôle. Si le ministre de la Justice commence à faire ministre de la santé, ce n'est pas organisé. Donc quand on est ministre de la Justice, son travail, c'est de donner les moyens aux magistrats, de donner les moyens, quand les personnes sont en prison, de pouvoir arrêter les personnes. Notre difficulté aujourd'hui, c'est que notre système est fait pour que le primo délinquant, la première fois que l'on fait une bêtise, on soit indulgent. Et quand on arrive à la récidive, c'est trop tard. On voit bien un rajeunissement de la violence, on voit un durcissement de cette violence, il faut que le système judiciaire change, et qu'on soit très dur, c'est ça l'éducation, qu'on soit très dur aux premiers des faits pour empêcher la récidive. Pour terminer, pour dire à monsieur que je suis parfaitement conscient que nous devons continuer très largement la lutte contre la drogue. Ça passe par les consommateurs, mais ça passe aussi contre les grands trafics. La difficulté de Mons-en-Baroeul ou de Tourcoing, c'est qu'on est près de la Belgique et des Pays-Bas. Monsieur sait que ce sont des pays qui ont été battus par la drogue. C'est un des narco-Etats, malheureusement, c'est les dirigeants de ces pays qui le disent, où la justice n'est plus écoutée, où la police n'est plus soutenue, il faut évidemment éviter ça en France.

SIMON LE BARON
Justement, contre les grands narcotrafiquants, qui continuent, pour certains, de gérer leur trafic en prison, vous voulez mettre sur pied une, pour l'instant, prison de haute sécurité pour enfermer les 100 plus gros narcotrafiquants de France, sur le modèle de ce qui a été fait en Italie contre la mafia. Est-ce que vous avez identifié l'établissement ? Vous aviez présélectionné 4 établissements.

GERALD DARMANIN
Oui, on continue à travailler, ce sera la semaine prochaine au champ de République, l'établissement. Et donc, au 31 juillet, une prison entièrement inviolable du point de vue communication, on ne pourra plus faire entrer de téléphone, on ne pourra pas passer des messages, on ne pourra pas menacer des agents pénitentiaires ou des magistrats ou des avocats, sera connue et…

SIMON LE BARON
Condé-sur-Sarthe, Vendin-le-Vieil, Saint-Maur, Landres, ou Arles.

GERALD DARMANIN
Exactement. Et il leur faudra d'autres. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, sur 80 000 détenus, il y en a 700 qui nous posent des problèmes du point de vue de l'ordre public.

SIMON LE BARON
Comment vous les identifiez ? Quels sont les critères ?

GERALD DARMANIN
Ce sont les magistrats qui me le disent, notamment les juges d'instruction qui sont en charge des affaires de narco-banditisme, et on a aussi un service de renseignement pénitentiaire au ministère de la Justice. Et nous avons classé les 700 personnes les plus dangereuses de notre pays.

SIMON LE BARON
Puisque vous parlez du problème des portables en prison, la contrôleure générale, encore une fois, des prisons, Dominique SIMONNOT, qui était l'invité de France Inter ce matin, propose de légaliser les portables en prison, les téléphones portables, alors, pas pour les grands narcotrafiquants, mais pour les détenus plus ordinaires, si j'ose dire. Qu'est-ce que vous pensez de cette proposition ?

GERALD DARMANIN
D'abord, ce que dit madame SIMONNOT, c'est que vous savez, un détenu, il a le droit de téléphoner, et parfois, il a le droit de téléphoner 24h sur 24, parce qu'il a un téléphone fixe dans sa cellule. Et ce système est très vieillissant, et surtout, il coûte 8 centimes, quand on appelle sur un téléphone fixe, et 18 centimes quand on appelle un portable. C'est sans doute le coût de communication le plus cher de France. Donc, les détenus, elles ont raison de dire que c'est un système délirant.

SIMON LE BARON
Et qu'il y a une hypocrisie aussi. On entendait un détenu ce matin, d'ailleurs, dans le journal de 7 h 30, qui dit : " Quand monsieur DARMANIN dit qu'il veut interdire les portables, ça nous fait rire. Il y en a partout en prison, des portables. "

GERALD DARMANIN
Il rigolera moins dans quelques semaines, mais ce n'est pas la question. Ce que je veux vous dire, c'est que madame SIMONNOT pose une vraie question. Notre système carcéral est fait de façon délirante, où quand on appelle, quand on est détenu, ça, c'est une vraie question pour les détenus, c'est 8 centimes un appel fixe, et 18 centimes, un appel portable. Ça encourage de faire entrer un téléphone portable pour que ce soit gratuit de passer ses coups de fil, comme tous les Français. Donc, quand madame SIMONNOT nous invite à changer notre système, elle a parfaitement raison. Et je vais écouter ses conclusions. Mais ça ne peut pas être non plus un discours de défaite, et d'accepter les téléphones portables partout. Vous savez, les téléphones portables partout, c'est des gens qui continuent à commander des assassinats. Ça ne me fait pas rire, moi, vous voyez, que notamment sur une chaîne de radio publique, on puisse dire que quand on a un téléphone portable, c'est normal. Et on peut organiser, comme monsieur AMRA, l'assassinat, de balles de Kalachnikov, d'agent pénitentiaire au péage d'Incarville.

SIMON LE BARON
C'est un témoignage qui était remis dans son contexte.

GERALD DARMANIN
Oui, mais je vous dis, parce que c'est mon travail de vous le dire, il y a aujourd'hui des veuves, des veufs, des petits gamins qui n'ont pas de parents, parce que il y a quelqu'un, monsieur AMRA, qui, de sa cellule, a utilisé des téléphones pour pouvoir se libérer, si j'ose dire, de la prison, et d'abattre des agents pénitentiaires qui étaient des pères de famille et des bons Français, sur le péage d'Incarville. Eh bien, ça, il faut évidemment que nous l'arrêtions. C'est pour ça qu'on va discriminer les détenus. Il y a ceux qui méritent d'être réinsérés très rapidement, et dont le régime pénitentiaire doit être différent, y compris dans la communication. Et puis, il y a ceux qui sont des gens très dangereux, et eux, on doit priver absolument toute communication extérieure.

SIMON LE BARON
Un témoignage, Gérald DARMANIN, d'Alain, au Standard de France Inter. Bonjour Alain.

ALAIN
Bonjour, messieurs-dames. Bonjour, monsieur le ministre.

GERALD DARMANIN
Bonjour, monsieur.

SIMON LE BARON
On vous écoute Alain.

ALAIN
Voici ma question. Ça concerne des faits d'actes sexuels qui ont été découverts en 2017 : Juliette, et dont le procès n'ait toujours pas de date encore, c'est-à-dire 7 ans et 7 mois après, je suis l'arrière-grand-père de ces petites filles qui ont été violées ensemble. Et on ne comprend pas, on ne supporte plus maintenant. Vous vous rendez compte, la famille. ?

GERALD DARMANIN
Ça s'est passé où, monsieur ?

ALAIN
Est-ce que je dois le dire.

GERALD DARMANIN
Non, mais la commune, ou le département, si vous le souhaitez.

ALAIN
Où ça a été découvert, ça a été découvert dans la région de l'Orient.

SIMON LE BARON
Merci beaucoup Alain. Sur la lenteur de la justice, Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Oui, ce monsieur a parfaitement raison d'être choqué et ne comprend pas le fonctionnement judiciaire. Il a raison. Et je m'excuse, en tant que ministre, auprès de lui. Il a parfaitement raison, parce que la lenteur de la justice, c'est à la fois un manque de magistrats, on le répare, tout doucement, mais oui, il y a un manque de magistrats. C'est les difficultés extrêmement fortes que nous avons, à avoir des preuves. Et donc, il y a un système de police technique et scientifique et technologique qui doit être beaucoup plus efficace. On y travaille au ministère de l'Intérieur.

SIMON LE BARON
On parle de 7 ans et demi.

GERALD DARMANIN
Oui, mais il y a des procès criminels qui attendent 15 ans. Il a raison, monsieur. Il a raison d'être scandalisé, et je suis scandalisé avec lui. Et c'est ce que je vous disais tout à l'heure sur le fait qu'il y a beaucoup de monde en prison, en maison d'arrêt, en attendant les procès. Il y a des délais d'audiencement qui se sont très largement rallongés. Et donc, la cour criminelle, aujourd'hui, qui juge les viols, notamment, ou les violences conjugales pour les femmes, a été enfermée dans un délai de 6 à 8 mois, ce qui est très important, et en viole, aujourd'hui, avec une réponse pénale qui est rapide pour la plupart de ces violeurs. Mais c'est tout à fait vrai pour les autres procès criminels, qui touchent les enfants, qui touchent le narcobanditisme, les homicides, c'est très, très, lent. Et c'est ce qu'on doit, évidemment, changer. Et donc, je suis là pour ça. Monsieur, moi, je comprends votre peine, celle de, sans doute, votre famille. Et tous les jours, au ministère de la Justice, je vais essayer de réduire cette peine et essayer de réduire ce délai d'audiencement.

SIMON LE BARON
Un tout dernier mot, Gérald DARMANIN, sur les menaces, contre les magistrats, qui se propagent, notamment sur les réseaux sociaux. Il y en a eu contre les magistrats du Tribunal administratif de Melun, après l'annulation de l'OQTF, l'obligation de quitter le territoire contre un influenceur algérien. Cette décision a été critiquée par votre collègue ministre de l'Intérieur, Bruno RETAILLEAU, alors que lui-même, avait voté la loi avec ses collègues LR, qui a permis cette décision. Est-ce que les ministres doivent être plus prudent aussi, quand il y a des conséquences comme ça, quand ils commentent les décisions de justice ?

GERALD DARMANIN
On a le droit de commenter les décisions de justice, surtout quand on fait appel, ce qui a été le cas du ministre de l'Intérieur dans l'affaire du tribunal administratif de Melun. Moi-même, j'ai été, à de très nombreuses reprises, on a annulé mes actes de Ministre de l'Intérieur en première instance. On m'a donné raison en appel au Conseil d'Etat. Donc, ça, c'est la critique, elle fait partie... surtout quand il y a un appel, fait partie de l'avis démocratique. En revanche, la menace qui touche les magistrats, comme quand elle touche les greffiers, les agents pénitentiaires, les magistrats, la menace est évidemment inacceptable. J'ai écrit au président du tribunal administratif de Melun et il y a, aujourd'hui, une vingtaine de magistrats qui sont protégés par les services de police. Il y a 150 magistrats, par an, qui sont menacés. Je leur apporte évidemment tout mon soutient, et il faut surtout que les condamnations soient extrêmement fermes quand on trouve les auteurs de ces menaces.

SIMON LE BARON
Merci beaucoup.

GERALD DARMANIN
Merci à vous monsieur.

SIMON LE BARON
Gérald DARMANIN, ministre de la Justice, garde des sceaux.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 février 2025