Interview de Mme Juliette Méadel, ministre déléguée, chargée de la ville, à RMC Info le 12 mars 2025, sur les difficultés auxquelles sont confrontés les locataires des logements sociaux.

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Média : RMC Info

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Il est 7 h 40, excellente journée à l'écoute d'RMC. Ascenseur en panne, porte d'entrée cassée, partie commune sale, trop de HLM sont laissés à l'abandon. Bonjour Juliette MEADEL, vous êtes la ministre de la Ville, il y a un mois vous avez demandé au préfet de vous faire remonter les difficultés des HLM en France. Le bilan est sans appel : dans un quartier prioritaire sur deux, les bailleurs ne sont pas au rendez-vous. Quelles sont les difficultés principalement rencontrées ?

JULIETTE MEADEL
Il y a d'abord des problématiques de propreté, d'encombrants. Alors, quand je dis encombrants, dans un quartier sur deux, ce n'est pas le carton de votre téléviseur que vous allez laisser aux poubelles. Un encombrant, c'est une machine à laver qu'on envoie par la fenêtre, un encombrant c'est une voiture ventouse, c'est une carcasse de voiture désossée. Ça, c'est dans un quartier prioritaire sur deux à peu près, parce que ce sont des statistiques que nous n'avons pas faites de façon extrêmement précise.

APOLLINE DE MALHERBE
Ce sont les remontées des préfets.

JULIETTE MEADEL
Mais ce sont les remontées des préfets. Je veux quand même vous dire qu'on ne laisse pas les quartiers à l'abandon, parce que vous voyez, on a en France, il y a des préfets qui nous ont fait un travail remarquable puisque 95 % des départements m'ont fait des remontées en trois semaines.

APOLLINE DE MALHERBE
Oui, enfin, ils voient les choses, mais ça prouve que ces habitants-là, eux, au moins, ont le sentiment d'être abandonnés et depuis très longtemps.

JULIETTE MEADEL
Et heureusement que les préfets sont là pour me faire une remontée, et donc c'est en cela qu'on ne les abandonne pas. Pourquoi ? Parce que maintenant que moi je sais, grâce à ce bilan, où il y a des problèmes, où ça va et où ça ne va pas, on va pouvoir agir. Alors, disons quand même que dans un département sur deux, globalement, ça va, mais tout le problème, c'est les autres.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand vous dites, il y a ces problèmes, notamment d'encombrants, de propreté, il y a aussi les problèmes d'ascenseurs, il y a aussi les problèmes de portes cassées, de sentiments renforcés d'insécurité ?

JULIETTE MEADEL
Oui, dans un département sur cinq, on a quand même des grosses difficultés d'ascenseurs. On a aussi des problèmes de manque de gardiennage. Alors, il faut tout de suite préciser que les bailleurs font le maximum et ce n'est pas facile pour eux tous les jours. La réalité, c'est qu'il y a aussi des quartiers avec du trafic de drogue. Ce n'est pas la loi du genre, mais c'est vrai que ça ne facilite pas l'entretien. Ce que je demande, moi, maintenant aux bailleurs, c'est de travailler avec moi pour que dans les deux mois on ait des résultats. C'est-à-dire qu'il faut que sous deux mois, ils aient pris des décisions pour améliorer la situation. On travaille ensemble, on est une équipe, on est dans cette phase où on les stimule, on les met en tension. Vous savez, il y a des bailleurs qui font un très bon boulot, moi, je les ai vus, il y a des bailleurs qui sont présents, grâce à la présence desquels ça permet de faire reculer, avec les forces de l'ordre, les trafics de drogue, mais il y a des quartiers où je veux que tout change.

APOLLINE DE MALHERBE
On est à la croisée, au fond, avec ce sujet et ce point que vous montrez aujourd'hui. Juliette MEADEL, on est à la croisée de tout, vous le dites. On est à la croisée de la question du trafic, de l'insécurité, du logement, et de la très grande difficulté pour les familles qui vivent dedans. Je voudrais d'ailleurs qu'on donne la parole tout de suite à Tarak qui nous a appelés au 32 16. Bonjour Tarak.

TARAK, 42 ANS, TECHNICIEN (NORD)
Oui, bonjour, enchanté. Bonjour Madame la Ministre.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes Lillois, vous habitez en HLM dans la région de Lille depuis cinq ans, vous êtes père de famille, je crois, avec deux enfants, c'est ça ?

TARAK
Oui.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous pouvez nous raconter, Tarak, dans quel état est votre logement et le bâtiment dans lequel vous habitez ?

TARAK
En fait, c'est un logement assez récent, quand même, de 2020, et ça va faire plus d'un an qu'il y a un problème d'eau chaude constante. C'est-à-dire que l'eau est des fois froide ou trop chaude, on se brûle. Donc, le bailleur a réparé une fois, mais ensuite tout le préventif n'est pas fait parce que ça coûte trop cher. On les a reçus à plusieurs reprises. Là, j'ai contacté ma protection juridique et envoyé un recommandé de réception avec les articles qui vont bien, et le bailleur reste sans réponse depuis plus d'un mois et demi, ne répare pas l'eau chaude. On paye nos charges et rien n'est fait. Ils disent qu'ils n'ont pas d'argent, mais nous, les locataires, on paye bien nos charges. Mais nous, les locataires de tout le bâtiment, donc il y a des propriétaires et des locataires qui ne sont pas concernés par le problème d'eau chaude, parce qu'on est justes locataires de logements sociaux.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc au quotidien, vous êtes avec vos deux enfants qui ont quoi ? Onze et douze ans, c'est ça ?

TARAK
Oui, c'est ça.

APOLLINE DE MALHERBE
Et Tarak, avec vos deux enfants, dans votre HLM, depuis un an et demi, vous avez des difficultés d'eau chaude et depuis un mois et demi, vous n'avez carrément plus de réponses.

TARAK
On n'a plus de réponses, on va à la piscine pour se doucher. C'est vraiment catastrophique, en 2025, d'avoir un logement assez récent dans cet état-là et le bailleur ne veut rien comprendre.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous allez à la piscine pour vous doucher avec vos enfants ?

TARAK
Oui, ça arrive. Bien sûr, madame. Depuis moins de cinq mois, vous avez de l'eau froide à 5 h du matin, vous avez du boulot, on va à la piscine de temps en temps ensemble. Elle, elle va à l'école, ma fille, mais moi, de temps en temps, je vais à la salle de sport, me doucher carrément.

APOLLINE DE MALHERBE
Hallucinant. Merci beaucoup, Tarak. Je voudrais que vous restiez avec nous, parce que la ministre, je voudrais qu'elle puisse vous répondre.

JULIETTE MEADEL
L'exemple de Tarak avec ses enfants, ça, c'est exactement ce que je veux éviter. C'est-à-dire que ce sont des situations où les locataires n'ont pas de réponse à leurs problématiques. On a ce problème dans à peu près un département sur cinq, où il n'y a pas assez de personnel de gardiennage pour ne serait-ce que répondre aux habitants et pour qu'ils aient une indication sur la manière dont ils seront traités. Ne pas avoir de réponse quand ça fait trois semaines qu'on appelle, qu'on a un problème d'ascenseur ou d'eau chaude, on a le sentiment, comme l'ont dit les habitants…

APOLLINE DE MALHERBE
Alors une réponse, ce serait pas mal, mais une réparation, ce serait encore mieux.

JULIETTE MEADEL
Évidemment, mais vous savez, je dis pourquoi je dis réponse, parce qu'il y a des habitants qui m'ont dit " Nous, on ne nous répond même pas au téléphone et donc, on a le sentiment qu'on n'est pas respecté ". Donc, moi, ce que je demande, c'est du respect pour les habitants. Évidemment, des résultats dans les réparations. Sachez quand même que dans 62 départements, donc les deux-tiers, les bailleurs, les élus locaux et l'État ont mis en place des plans d'action. Ça veut dire qu'ils sont en train de bien progresser. Il reste un tiers des départements dans lesquels il n'y a pas de plan d'action. Qu'est-ce que c'est un plan d'action ? Je le dis pour notre auditeur, c'est le fait que le bailleur s'engage avec la commune et avec l'État à réparer rapidement et se fixe des objectifs sur l'année. C'est ces plans d'action-là que je veux généraliser partout parce que c'est des outils pour aller beaucoup plus vite. Et je demande aussi, et c'est quand même le minimum, que dans les quartiers politiques de la ville, dont je m'occupe, il y ait des réponses pour les locataires qui sont en difficulté.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc vous demandez tout ça, vous avez fait le bilan. Quelles conséquences ?

JULIETTE MEADEL
La conséquence, c'est que sous deux mois, s'il n'y a pas de réponse, s'il n'y a pas d'envie de changer les choses, si rien ne se passe, nous envisagerons de supprimer un abattement de TFPB, de taxes foncières. C'est une sorte d'aide publique que les communes et l'État donnent aux bailleurs sociaux dans les quartiers politiques de la ville en échange d'un sur-entretien. Qu'est-ce que c'est le sur-entretien ? C'est parce qu'on sait que c'est plus difficile d'entretenir les logements sociaux, que c'est plus coûteux, donc nos impôts les aides…

APOLLINE DE MALHERBE
Aujourd'hui, les bailleurs sociaux bénéficient d'un abattement fiscal de 30%, parce que, précisément, normalement, on considère que cet abattement, il est ciblé sur le fait qu'ils vont entretenir et que ça va leur coûter un peu plus cher. Et quand on voit qu'ils entretiennent moins qu'ailleurs, c'est-à-dire que depuis un an, Tarak est sans eau chaude, sans réponse depuis un mois et demi, moi, j'ai quand même du mal avec le mot "envisageons". Juliette MEADEL, vous dites "nous envisageons de...". Ça veut dire quoi "nous envisageons de..." ? C'est-à-dire que vous ne les menacez pas ?

JULIETTE MEADEL
Bien sûr que si, mais je n'aime pas le mot "menace". Vous savez pourquoi je n'aime pas ce mot ? Parce que je pense que c'est une situation qui est compliquée pour tout le monde et que la plupart des bailleurs sociaux, franchement, ils font le maximum. Donc la loi globale, c'est qu'ils travaillent, la plupart travaillent bien. Maintenant, dans les cas où ça ne va pas…

APOLLINE DE MALHERBE
Pourquoi vous ne dites pas : " Si sous deux mois rien n'est fait, l'abattement fiscal sera, non pas nous envisageons de... " ?

JULIETTE MEADEL
C'est ce que je suis en train de dire. Mais parce qu'on va faire du cas par cas. Mais il est évident que si ça ne bouge pas, on va supprimer cet abattement. De toute façon, ces conventions-là, qui sont les conventions qui permettent cet abattement, sont des conventions annuelles. Donc, il est certain que s'il n'y a pas de progrès, il n'y aura plus de conventions. Il y a même des mairies qui ne veulent plus signer des conventions avec des bailleurs, parce qu'elles estiment qu'elles feraient mieux et qu'elles pourraient s'occuper elles-mêmes de l'entretien.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que vous pourriez leur permettre de le faire elles-mêmes ?

JULIETTE MEADEL
Mais oui, bien sûr que si elles le souhaitent, si c'est possible. Bien sûr, il y a des maires qui me disent qu'elles préfèrent le faire elles-mêmes. Mais encore une fois, je ne veux pas non plus qu'on renvoie un message négatif. Les deux-tiers des départements de France où il y a des quartiers politiques de la ville, les bailleurs sociaux ont signé les plans d'action et travaillent bien. Maintenant, j'ai des sujets majeurs de propreté, je le redis, d'encombrants, dans un cas sur deux, des problèmes aussi de voitures ventouses. Ça, c'est inadmissible. Il y a des problèmes, dans une moindre mesure, d'ascenseurs. Il y a aussi des problèmes d'incivilité, il faut le dire à vos auditeurs. C'est-à-dire qu'il y a aussi des logements sociaux où les incivilités des locataires rendent la tâche encore plus difficile. Donc moi, je dis ceci : nos impôts permettent de financer une aide de 315 millions d'euros aux bailleurs sociaux pour sur-entretenir. Mon travail comme ministre de la Ville, c'est que cet argent soit bien utilisé. Donc, si rien ne bouge et si, dans les cas les plus difficiles, la situation n'a pas été améliorée, nous supprimerons cet abattement. Mais nous sommes dans cette phase, là, maintenant, où nous sommes en train de mettre en place notre action. Je vous donne rendez-vous dans quelques mois et je vous dirai quelles sont les sanctions que nous avons prises et à quel endroit nous les avons prises.

APOLLINE DE MALHERBE
Et vous reviendrez à ce moment-là. On vous rappellera, Tarak, si vous me le permettez, Tarak, on vous rappellera au moment où la ministre revient, pour s'assurer aussi que les choses ont changé chez vous, Tarak.

TARAK
Oui, bien sûr, mais il n'y a pas que ça comme problème, vous savez, on a eu des vols dans la résidence, il y a quinze jours, les voitures ont été vandalisées, on a eu des vols de vélos, des cambriolages, il n'y a pas que ça comme problème, vous savez, dans les logements. Et c'est vraiment problématique, c'est qu'on n'a pas d'interlocuteur, entre nous et le bailleur. On a notre protection juridique et l'État, mais l'État ne rentre pas dans ce système. Et c'est bien Madame la Ministre, votre intervention, mais nous, on veut des détails sur ce qui se passe, comme la Flandrop à l'habitat.

JULIETTE MEADEL
Je comprends très bien, Tarak. Je ne vous entends pas très très bien, mais à quel endroit êtes-vous ? Où est-ce que vous habitez ?

APOLLINE DE MALHERBE
À Lille.

JULIETTE MEADEL
Et exactement, dans Lille ?

TARAK
Lille Sud et c'est FLANDRE OPALE HABITAT, son siège il est à un Dunkerque, donc, c'est un vrai problème…

JULIETTE MEADEL
J'ai fait beaucoup de déplacements à côté de Lille, notamment à Loss, que vous devez connaître. C'est vrai qu'il y a des difficultés, il y a aussi, sachez-le, une action très volontariste qui est menée avec les bailleurs. Je les ai réunis d'ailleurs à Lille, c'est le premier endroit où je me suis rendue pour mettre en place mon instruction, parce que c'est à Lille que l'État avait déjà envisagé de supprimer l'abattement pour les bailleurs sociaux et les choses ont bougé. Donc, c'est à Lille que j'ai commencé, et donc j'y retournerai et je viendrai vous voir.

APOLLINE DE MALHERBE
Et Tarak, si vous nous le permettez, on donnera vos coordonnées, et Tarak, évidemment, on vous tiendra au courant. Dites-nous aussi, vous, si enfin les choses s'améliorent dans votre quotidien. Et effectivement, vous parliez de Loss à l'instant, Juliette MEADEL, vous avez également fait la liste : Loss, Trappes, Garges-les-Guenesses, Vaulx-en-Velin ou Marseille, qui sont les villes dans lesquelles c'est plus difficile encore qu'ailleurs. Merci, Juliette MEADEL.

JULIETTE MEADEL
Merci à vous.

APOLLINE DE MALHERBE
D'être venue dans ce studio, ministre de la Ville, faire ce bilan et cette menace de supprimer cet abattement fiscal.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 mars 2025