Déclaration de Mme Françoise Gatel, ministre déléguée, chargée de la ruralité, sur la proposition de loi, visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal et la proposition de loi organique visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité, au Sénat le 11 mars 2025.

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Circonstance : Adoption au Sénat d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié et, en procédure accélérée, d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle, à la demande du Gouvernement, la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à renforcer la parité dans les fonctions électives et exécutives du bloc communal (proposition n° 451 [2021-2022], texte de la commission n° 399, rapport n° 398) et de la proposition de loi organique visant à harmoniser le mode de scrutin aux élections municipales afin de garantir la vitalité démocratique, la cohésion municipale et la parité, présentée par Mme Nadine Bellurot, M. Éric Kerrouche, Mme Sonia de La Provôté, M. Didier Rambaud et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 11 rectifiée, texte de la commission n° 400, rapport n° 398)

(…)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée auprès du ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi soumise à votre assemblée revêt une dimension démocratique non négligeable pour notre démocratie locale (M. Jean-Jacques Panunzi s'exclame.) : il s'agit de garantir des règles électorales plus favorables à la constitution d'équipes cohérentes et moins fragiles, au service de toutes nos communes.

Elle permet aussi d'œuvrer à une plus juste représentativité entre les hommes et les femmes.

Ce texte privilégie le scrutin de liste et donne ainsi l'occasion de sortir du fameux panachage, lequel conduit trop souvent à des oppositions interpersonnelles parfois douloureuses au sein de conseils municipaux qui n'ont pas été constitués sur la base d'un projet partagé.

Ce mode de désignation, appelé communément « tir aux pigeons », semble en effet de moins en moins accepté par ceux qui y sont soumis.

De nombreuses remontées de terrain indiquent une souffrance grandissante des maires des plus petites communes qui, tout en ayant privilégié l'intérêt général – ils étaient par exemple adjoints à l'urbanisme auparavant –, ont obtenu un très faible nombre de suffrages lors de l'élection municipale et se retrouvent ainsi placés dans une situation d'inconfort, voire de déstabilisation au quotidien.

Le Gouvernement est bien évidemment conscient de ces difficultés, à l'heure où les vocations pour les mandats électoraux municipaux pourraient se tarir.

À cet effet, le Parlement a déjà adopté une proposition de loi sénatoriale renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux, et l'Assemblée nationale débattra, dans la semaine du 26 mai prochain, d'une autre proposition de loi sénatoriale adoptée ici à l'unanimité et portant création d'un statut de l'élu local.

Je pense toutefois, chers sénateurs, qu'il peut être aussi difficile de trouver des colistiers que des colistières. N'oublions pas que, en milieu rural, les femmes sont souvent les premières engagées dans la vie sociale et associative des communes.

Par ailleurs, près de 3 700 communes, bien au-delà de 1 000 habitants, ont connu en 2020 une situation de liste unique. C'est un fait qui préexiste à la généralisation du scrutin de liste.

D'ailleurs, l'instauration du scrutin de liste n'a pas engendré, dans les communes de plus de 1 000 habitants, de politisation de la vie communale.

Pour autant, le travail des rapporteurs et de la commission, que je salue, a permis deux aménagements d'ampleur, qui répondent à bon escient à un certain nombre d'interrogations et que nous devrions placer en tête de nos réflexions.

Le premier est la possibilité de déposer, dès le premier tour, des listes incomplètes comptant deux membres de moins que l'effectif légal.

Le second est l'extension de l'incomplétude aux communes comptant jusqu'à 1 000 habitants, dont les conseils seraient réputés complets avec treize membres, pour un effectif légal de quinze conseillers.

Ces dispositions majeures très attendues paraissent à même de garantir l'équilibre du texte, ainsi que le respect de l'exigence constitutionnelle de parité et d'expression pluraliste des opinions.

À ce titre, puisque cette proposition de loi induit des adaptations du code électoral et qu'il est de la responsabilité du Gouvernement de sécuriser sur le plan juridique la tenue des élections municipales de 2026, le Conseil constitutionnel sera bien évidemment saisi.

Si ce texte semble marquer une évolution significative, son adoption ne serait pas une révolution. Souvenons-nous des craintes qui s'étaient exprimées en 2013 lorsque le seuil d'application du scrutin de liste avait été abaissé de 3 500 habitants à 1 000 habitants. Plus de dix ans plus tard, force est de constater que cette réforme n'a pas compromis le fonctionnement de notre démocratie locale ni engendré de politisation particulière.

Enfin, la parité dont il est ici question s'inscrit dans une évolution de la société qui s'étend à de nombreux champs professionnels. Ainsi, des dispositions de ce type encadrent, conformément à l'article 1er de notre Constitution, les élections dans les ordres professionnels des médecins, des chirurgiens-dentistes ou encore des architectes.

Alors que la part des femmes parmi les élus locaux atteint près de 42%, cette exigence d'une représentation équilibrée correspond également à une demande affirmée des associations d'élus locaux, exprimée dans un communiqué du 6 février dernier signé par l'AMF, l'AMRF et Intercommunalités de France.

Dans un autre communiqué du 5 mars 2025 consécutif à l'adoption du texte en commission des lois, l'AMRF a rappelé une fois de plus le sens profondément démocratique, ainsi que l'importance de cette proposition de loi. L'élection dans les 35 000 communes, dit-elle, doit se faire " autour du triptyque “une commune, une liste, un projet” ".

Au-delà de cette question centrale du scrutin de liste, la présente proposition de loi nous conduit également à examiner d'autres aspects de nos institutions locales.

Sur les modalités d'élection des adjoints au maire, j'entends les arguments qui opposent les adversaires et les partisans d'une obligation paritaire. Je m'en remettrai, sur ce point, à la sagesse de votre assemblée.

En ce qui concerne la désignation des conseillers communautaires, la logique d'extension du « fléchage », lequel est aujourd'hui en vigueur dans les communes de plus de 1 000 habitants, présente un risque significatif : un maire élu en cours de mandat à la suite de la démission de son prédécesseur pourrait en effet ne pas représenter sa commune à l'intercommunalité.

Une telle situation constituerait un irritant et engendrerait des difficultés au sein d'une intercommunalité. Le Sénat et l'Assemblée nationale l'ont d'ailleurs admis en 2019, en précisant que, dans une commune qui ne possède qu'un seul délégué communautaire, cette fonction est assurée par défaut par le maire, sauf si celui-ci en décide autrement.

Par ailleurs, des dispositions complémentaires sont prévues pour traiter la question de l'ajustement de l'effectif des conseils municipaux des communes nouvelles.

À cette occasion, je souhaite saluer l'engagement de nombreux parlementaires au sein d'un groupe de travail que j'ai constitué sur les communes nouvelles. Celui-ci regroupe des députés, des sénateurs et des élus locaux. Je tiens ainsi à remercier particulièrement Mme la ministre Canayer, Mme la présidente Cukierman, Mme la sénatrice de La Provôté et MM. les sénateurs Kerrouche et Sautarel.

Ces communes doivent bénéficier d'une période de transition suffisante afin de lisser l'effectif de leur conseil municipal, avant que celui-ci ne soit aligné de manière définitive – disons-le clairement – sur le droit commun.

Compte tenu des demandes exprimées sur le terrain par les élus concernés, et de la concordance d'opinions entre l'Assemblée nationale et le Sénat, plusieurs sénateurs proposent d'allonger la période de convergence et de reporter jusqu'au troisième renouvellement général suivant la création de la commune nouvelle le moment où l'effectif du conseil municipal devra être aligné sur celui de la strate démographique à laquelle appartient la commune. Le Gouvernement sera favorable à ces propositions.

L'ensemble des dispositions contenues dans cette proposition de loi ont vocation à entrer en vigueur à l'occasion de la prochaine échéance municipale de 2026. Certains pourront dire que c'est trop tôt ou que c'est trop tard, mais sans doute est-il tout simplement temps !

Enfin, cette proposition de loi est examinée conjointement à une proposition de loi organique qui tire les conséquences de la généralisation du scrutin de liste en ce qui concerne les obligations auxquelles sont soumis les candidats ressortissants d'autres pays de l'Union européenne. Le Gouvernement est favorable aux évolutions proposées.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je le dis en conscience : ce texte est une nouvelle étape pour renforcer la démocratie locale et la rendre plus juste, mais aussi plus sûre. Il permettra de renforcer la cohérence des équipes municipales, de mieux protéger le maire, de consolider le fonctionnement de nos institutions locales et d'assurer une meilleure représentation, plus équilibrée et plus démocratique.

Chacun ici connaît mon attachement profond et sincère à des communes fortes vivantes. Elles méritent toutes que l'élection de leur conseil municipal soit bâtie autour d'un projet et d'une équipe.

En conclusion, je veux remercier les rapporteurs et la commission de leur travail.

Cette proposition de loi, qui suscite beaucoup d'attention, est le fruit d'un travail approfondi et d'une volonté transpartisane. Elle nous offre l'occasion de franchir, tranquillement, un pas de plus vers l'objectif que j'ai décrit. Pour cette raison, je souhaite, de nouveau, remercier ses auteurs, ainsi que tous ceux qui l'ont amendée avec intelligence et pragmatisme.

Notre démocratie ne peut demeurer figée dans des règles de droit ou des institutions immuables. Elle vit à travers celles et ceux qui s'engagent, à travers la diversité de nos élus, mais aussi à travers la capacité de nos collectivités à représenter la société.

C'est dans ce même esprit de responsabilité et de dialogue que je vous invite à entamer l'examen de ces deux textes, dont vous avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, que, sans suspense, le Gouvernement soutiendra l'adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

(…)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. J'ai été très sensible aux enthousiasmes divers que soulève ce texte (Sourires.) et je souhaite donc répondre aux différentes interrogations.

Pourquoi se presser, demandent certains ?

Je rappelle que nous sommes à un an des élections et je ne suis pas sûre que, dans les communes de moins de 1 000 habitants, les candidatures aient été finalisées. Il est donc encore tout à fait possible de proposer des évolutions raisonnables, d'autant que ce texte n'est pas une surprise : nous en parlons depuis un bon moment et il a déjà été voté à l'Assemblée nationale.

Cher Olivier Paccaud, j'entends toujours avec beaucoup d'intérêt ce que vous dites. Moi aussi, j'aime bien les anniversaires. (Sourires.) Quatre-vingts ans après que les femmes sont devenues des citoyennes, on peut certainement aller plus loin que l'esquisse d'une parité et faciliter leur engagement sans faire la révolution ni martyriser les hommes.

Et chacun sait que, dans ma vie de sénatrice, je n'étais pas connue pour être une ultraféministe !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C'est vrai ! (Sourires.)

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Rappelons-nous l'objectif de cette proposition de loi et les progrès qu'elle permet. Au mois d'octobre dernier, le Sénat a débattu du nombre de conseillers municipaux et s'est prononcé contre leur diminution. Vous connaissez ma franchise, je n'ai pas changé : quand j'entends aujourd'hui qu'il en faudrait peut-être moins, car il est difficile de constituer les équipes municipales, je me félicite de la réponse qui a été apportée par le rapporteur, qui autorise l'incomplétude des conseils municipaux pour les communes de moins de 1 000 habitants.

Le statut de l'élu local, tout le monde en parle, vous avez raison. Vous connaissez mon attachement à ce texte. Il est inscrit à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale la semaine du 26 mai. Simplifier, on y est !

Ce soir, je serai devant les députés, dans une ambiance là aussi très animée, puisque j'irai défendre la proposition de loi sénatoriale visant à assouplir la gestion des compétences « eau » et « assainissement ».

M. Jean-Michel Arnaud. Très bien !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. En outre viendra bientôt en discussion la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l'artificialisation concertée avec les élus locaux, dite proposition de loi Trace, à laquelle le Gouvernement porte une attention plutôt bienveillante.

Par ailleurs, nous travaillons sur la sécurisation de l'assurance des collectivités et nous avons augmenté le nombre de communes éligibles au programme Villages d'avenir.

Peut-être que l'on ne va jamais assez vite et que l'on n'en fait jamais assez, mais on ne peut pas dire que, malgré les accidents ou les épisodes politiques, nous soyons restés inactifs.

Enfin, soyons clairs dans l'usage des mots : nous ne portons nullement atteinte à la liberté de qui que ce soit ! Chacun pourra continuer à se présenter aux élections. En revanche, nous sommes plus respectueux envers les électeurs, puisqu'ils seront appelés à se prononcer sur un projet et une équipe.

M. Michel Canévet. Très bien !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Pour ma part, j'y tiens beaucoup. Pourquoi ?

J'entends le raisonnement des uns et des autres, et chacun d'entre nous a été confronté à une situation qui le pousse à adopter telle ou telle position. Dans mon département, il existe des communes dont le maire sortant non plus que son adjoint n'ont été reconduits, parce que le propriétaire d'une résidence secondaire, quelqu'un de très respectable, qui ne voulait pas que le village change, a convaincu les électeurs. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Jacques Panunzi. N'exagérons pas !

Mme Françoise Gatel, ministre déléguée. Dans ma Bretagne, cela existe !

Si les électeurs d'une commune trouvent dommage que la liste soit incomplète, rien ne les empêche de se présenter ! Ils pourront ainsi compléter une liste dont je rappelle qu'elle doit comporter au moins cinq candidats dans les communes de moins de 100 habitants. Disons-le franchement, nous n'aurons pas plus de mal à trouver des femmes qu'à trouver des colistiers.

J'ai effectué une visite officielle dans vingt-six départements. Quand je me déplace, je ne vais ni dans les métropoles ni dans les grandes villes. Les gens me parlent avec spontanéité : quand ils ont envie de me dire des choses désagréables, ils le font. J'étais dans les Vosges, vendredi dernier. Lorsque j'interroge les élus sur ce sujet, parce qu'ils ne m'en parlent pas d'eux-mêmes, ils me répondent qu'il faut éviter l'incomplétude du conseil municipal. Je remercie le rapporteur d'avoir proposé des assouplissements.

Je rappelle que, dans les communes de moins de 1 000 habitants, le scrutin de liste s'applique désormais, alors que l'on disait en 2013 que ce n'était pas possible. Comme je l'ai dit dans mon propos liminaire, nous ne procédons pas à une révolution.

Madame la sénatrice Cukierman, votre intervention m'a marquée, et pas seulement parce que vous êtes intervenue à la fin de la discussion générale. Nous aussi, nous croyons à ce à quoi vous croyez et à ce que vous souhaitez, c'est-à-dire au consensus et au dialogue pour que les citoyens se mettent d'accord à l'échelon de ces " petites républiques ", selon l'expression reprise par Anne-Sophie Patru. Pour ma part, je préfère que l'on se mette d'accord avant plutôt qu'après. Il me paraît plus respectueux que les citoyens se prononcent sur un projet pour la commune plutôt que sur un candidat ; d'ailleurs, vous l'avez tous dit.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous me connaissez, je n'ai pas changé d'avis. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.) Ce texte constitue à mes yeux un pas de plus pour protéger les maires et renforcer la démocratie.

Chacun doit mesurer les effets des décisions qui seront prises – je le dis sans chercher à culpabiliser qui que ce soit, car je respecte la conscience de chacun, mais il vaut mieux dire les choses avant qu'après – : si ce texte n'est pas adopté, ce qui sera peut-être le cas, il ne sera pas possible de déposer des listes incomplètes dans les communes de moins de 1 000 habitants. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Bernard Buis applaudit également.)

M. le président. La discussion générale commune est close.


source https://www.senat.fr, le 25 mars 2025