Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à Radio J le 9 avril 2025, sur l'antisémitisme, à l'occasion de la publication de son livre "Nos combats pour la République".

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Aurore Bergé - Ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ;
  • Christophe Barbier - Journaliste

Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Aurore BERGÉ, bonjour.

AURORE BERGÉ
Bonjour.

CHRISTOPHE BARBIER
Et bienvenue, vous venez de publier "Nos combats pour la République", vos combats pour la République, un livre très politique et très personnel à la fois, c'est chez Robert LAFFONT, on va en parler parce que vos combats rejoignent, évidemment vos actions de ministre. Deux phrases d'actualité ce matin, une réaction, peut-être, de votre part à cette proposition de Laurent WAUQUIEZ, envoyer les OQTF les plus dangereux à Saint-Pierre-et-Miquelon, où le froid va les inciter, dit-il, à retourner dans leur pays.

AURORE BERGÉ
Moi, quand j'ai vu la Une, j'ai cru que c'était une fake news en fait, j'ai cru que c'était une Une qui était trafiquée, tellement c'était indécent, excessif et scandaleux et je pense déjà aux habitants de nos Outre-mer qui, à nouveau, sont ciblés, comme si, en fait, on pouvait envoyer chez eux, chez nous, parce que ce sont les Outre-mer, donc, c'est la France, celles et ceux qui posent des difficultés dans notre pays, je trouve que c'est, la proposition est à la fois ridicule et scandaleuse en fait, mais indécente vis-à-vis des Outre-mer, vis-à-vis des habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ils sont des Français et qui n'ont pas à se voir jeter en pâture de cette manière-là et je pense qu'il est temps que la campagne interne des LR cesse.

CHRISTOPHE BARBIER
Autre coup médiatique, hier, Aymeric CARON à l'Assemblée brandit le portrait d'un enfant palestinien tué, en expliquant que le Gouvernement est indifférent, alors que le président de la République, en ce moment même, appelle à l'aide humanitaire, là-bas, à Gaza et CARON ajoute que Gaza est en train de devenir un camp de concentration.

AURORE BERGÉ
Oui, mais, enfin chaque jour on franchit des nouveaux paliers, là aussi, dans l'indécence de la part de La France Insoumise et Aymeric CARON peut-être a besoin de plaire au diktat qui est posé par La France Insoumise puisqu'il est malheureusement l'un des plus zélés en la matière depuis le 7 octobre 2023. Je ne l'ai jamais entendu avoir un mot pour les otages y compris nos cinquante compatriotes qui ont été assassinés par le HAMAS le 7 octobre 2023. Et évidemment qu'il y a une situation humanitaire à Gaza mais la France est l'un des pays moteurs justement sur la question de l'aide humanitaire et sur le soutien qui doit être apporté à la population civile. Mais ce qu'on dit, c'est qu'il n'existe aucune solution avec le HAMAS. Le HAMAS est justement à la fois mortel pour Israël et pour les Israéliens mais c'est aussi mortel pour la population palestinienne et LFI est je crois, profondément disqualifiée d'un point de vue républicain depuis le 7 octobre 2023.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous consacrez le chapitre 10 de votre livre à votre lutte contre l'antisémitisme et vous dites que sur les réseaux sociaux on vous accuse d'être juive vous-même ou d'être payée pour dire cela.

AURORE BERGÉ
En fait ce qui est toujours très étonnant c'est que quand vous adressez un message qui, je crois, extrêmement clair et déterminé sur la lutte contre l'antisémitisme, ça veut dire que vous ne pouvez jamais le faire de manière sincère on interroge. Et moi, j'étais même frappée de gens très proches de moi qui me disent : "Mais pourquoi ça te touche autant ? Pourquoi tu te sens aussi concernée ?" Et ça c'est un problème en fait dans la société de se dire qu'il faudrait donc qu'on soit soi-même concerné pour se sentir concerné par la lutte contre l'antisémitisme. Et le combat contre l'antisémitisme, c'est un combat qui est d'abord républicain qui est d'abord universaliste, qui est d'abord pour nos principes et nos valeurs et ne devrait pas être porté par les personnes elles-mêmes concernées. C'est-à-dire qu'on a à la fois cette forme d'essentialisation, on a le droit d'être concerné que si on est concerné soi-même, aussi de monter de l'individualisme, on se dit que finalement on met de côté quand soi-même c'est pas dans notre champ de vision et donc ça c'est un sujet majeur et comme on a depuis le 7 octobre, une recrudescence majeure de l'antisémitisme dans notre pays et dans toutes les démocraties ça veut dire qu'il faut que chacun prenne sa part dans ce combat qui encore une fois d'abord, un combat de principes et de valeurs qu'on doit mener avec énormément de fermeté et de clarté.

CHRISTOPHE BARBIER
Il y a quelques semaines un rabbin a été agressé en France, le rabbin d'Orléans, vous allez le rencontrer.

AURORE BERGÉ
Oui. Je le rencontre ce vendredi justement je serai à Orléans donc, je tenais évidemment à échanger avec lui à le rencontrer en dehors de, j'allais dire de, l'actualité immédiate qui a été la sienne et celle de son fils puisqu'il y a plusieurs choses dans cet acte en fait il y a un acte antisémite évident il y a une lâcheté absolue c'est-à-dire attaquer un homme en pleine rue, alors qu'il est avec son fils de neuf ans et donc, quand vous êtes avec votre enfant, vous protégez d'abord votre enfant, quitte à prendre vous-même, évidemment, les coups et la violence. Il y a l'âge de l'auteur et c'est ça aussi qu'il faut noter, c'est que les actes antisémites ce sont des auteurs qui sont de plus en plus jeunes. Et donc, ça veut dire que le combat qu'on doit mener sur la lutte contre l'antisémitisme, c'est d'abord un combat pour ne pas perdre une génération, parce qu'on voit bien qu'à la fois la transmission de la mémoire ne se fait plus ou plus assez. On voit aussi que la transmission de la mémoire ne suffit pas dans le combat contre l'antisémitisme et on ne peut pas se permettre de perdre des générations qui seraient convaincues de préjugés antisémites. Souvenons-nous quand j'ai relancé les assises de lutte contre l'antisémitisme : je l'ai fait le 13 février, pourquoi ? Parce que le 13 février, c'est la date anniversaire du martyre d'Ilan HALIMI. Ilan HALIMI, il est ciblé pourquoi ? Il est ciblé du fait des préjugés antisémites vous en parlez en souriant, mais c'est malheureusement ce qui s'est produit parce que ces préjugés continuent à exister, l'antisémitisme peut tuer dans notre pays ça a été le cas d'Ilan HALIMI, ça a été le cas dans les attentats islamistes ça a été le cas d'Ozar HATORAH dans une école qui a été ciblée avec un enseignant et des élèves d'une école qui ont été ciblés, c'était le cas pour Mireille KNOLL, c'était le cas pour Sarah HALIMI donc, ça veut dire qu'il faut en aucun cas abandonner ce combat et qu'il faut en particulier l'adresser aux plus jeunes.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous dites page 135 et c'est une question : Mais où était le mouvement féministe quand il fallait dénoncer les viols et les mutilations subis par les femmes israéliennes le 7 octobre ? Et oui le mouvement féministe s'est brisé là-dessus.

AURORE BERGÉ
Oui, parce que quand on est féministe on est universaliste les deux sont intimement liés c'est-à-dire, on ne choisit ni les victimes ni les bourreaux. On ne se dit pas qu'on a des victimes qui correspondent au profil type et qu'on a envie de soutenir, d'embrasser, d'accompagner, surtout quand on a d'abord ce premier mot d'ordre des mouvements féministes qui est face à la violence : "Je te crois". Et finalement, ce qu'on a dit aux femmes israéliennes qui ont subi des violences sexuelles, qui ont subi des viols parce que malheureusement tout ça est en plus très documenté puisque les terroristes eux-mêmes ont filmé, ont dit, ont revendiqué les violences sexuelles, on leur a dit : "En fait, on ne vous croit pas" et c'est ça qui est absolument intolérable. Jusqu'à malheureusement, une mobilisation qui a eu lieu en France qui avait des mots d'ordre au départ extrêmement justes sur le combat féministe qu'on doit continuer à mener ici et maintenant dans notre pays, mais où certains sont allés jusqu'à refuser que des femmes défilent, au motif qu'elles étaient juives, puisqu'il faut nommer les choses. À partir du moment où on refuse que le collectif Nous Vivrons soit dans la manifestation alors que le collectif Nous Vivrons avait un mot d'ordre simple, qui était de dire le combat féministe, c'est pour toutes et tout le temps et donc, y compris pour les femmes israéliennes qui ont subi des violences sexuelles, ça veut dire qu'on leur dénie le droit d'être dans une mobilisation au prétexte qu'elles sont juives et ça, c'est intolérable et ça, il faut qu'on le dénonce massivement. Et un certain nombre d'organisations féministes ont réagi suite à ça et tant mieux, parce qu'il faut qu'on ait cette lucidité-là pour mener ce combat ensemble.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors vous poursuivez le combat contre les violences faites aux femmes. L'inéligibilité pour ceux qui commettent des agressions contre les femmes est-ce que ça va arriver ?

AURORE BERGÉ
Moi, j'ai porté ce combat à l'Assemblée nationale je ne l'ai pas remporté mais ce n'est pas parce qu'on ne remporte pas un combat à un moment donné qu'il ne faut pas continuer à le mener parce que je crois à la justesse en fait de ce combat-là vous le savez, on avait un député qui avait été condamné pour des faits de violences conjugales, ce n'est pas neutre. On a une logique qui est quand même aussi un devoir je crois d'exemplarité quand on a accès à la parole publique quand on est un élu de la République quand on est quelqu'un aussi de très connu on pourrait parler du cas malheureusement très emblématique de Bertrand CANTAT et surtout du décès tragique de Marie TRINTIGNANT et donc, j'avais porté cette idée qu'un élu condamné, je parle pas de soupçon, je parle d'un élu condamné pour des faits de violences contre sa femme ou contre un enfant ne mérite pas d'être un élu de la République et je suis persuadée que les Français sont favorables à ça, parce qu'ils n'ont pas envie que ces hommes-là, que ces personnes-là, puissent nous représenter tout simplement dans un hémicycle quel qu'il soit.

CHRISTOPHE BARBIER
L'expression du consentement est au cœur de ce qui se joue lors de toute violence sexuelle, vous l'affirmez page 90. Le consentement, ça va être dans le texte, finalement, dans un texte de loi ?

AURORE BERGÉ
Alors, on l'a adopté la semaine dernière, les députés l'ont adopté la semaine dernière à l'Assemblée nationale et de manière très large. J'espère qu'on ira au bout pour deux raisons, la première, en droit parce qu'aujourd'hui, on a des magistrats qui nous disent qu'il y a encore des trous dans la raquette, qui font que même si on a un droit pénal qui est assez clair et assez solide sur la question du viol, le fait que le consentement ou le non-consentement ne soit pas dans le droit, ça les empêche de sanctionner un certain nombre de cas, qui sont des cas de violence sexuelle. Donc, déjà, en droit et pour permettre que plus de sanctions puissent exister, mais aussi pour le débat que ça fait naître dans la société parce que, oui, consentir, ce n'est pas : "Elle n'a pas dit non", parce qu'il y a tant de circonstances où une femme n'est pas en capacité, en fait, de dire autre chose…

CHRISTOPHE BARBIER
Mais ça ne signifie pas dire oui.

AURORE BERGÉ
… ça ne veut pas dire oui et c'est pour ça qu'on dit que le consentement doit être libre. Libre, ça veut dire qu'on ne doit pas être en situation, de vulnérabilité, de dépendance, on doit être éclairé, qu'on sait ce qu'on dit et pourquoi on le dit. Ça doit être explicite et toutes les personnes qui ont des relations normales, et c'est la plupart des cas, savent très bien évidemment ce que veut dire recueillir un consentement, l'expression d'un désir, d'une volonté, et doit être révocable. Parce que dire oui, ce n'est pas dire oui pour toute la vie et ce n'est pas dire oui pour tous les actes et donc, je pense que réaffirmer ces principes qui, pour 99 % des français, sont pleinement, je pense et je l'espère, en tout cas, sincèrement intégrés et compris dans les relations humaines qui sont les nôtres, dans les relations d'égalité et de respect qui sont les nôtres, mais qui, aujourd'hui, malheureusement, ne le sont pas suffisamment et là encore, avec un risque de décrochage dans les plus jeunes générations aussi sur ces sujets-là.

CHRISTOPHE BARBIER
Vous dénoncez la procédure-bâillons, c'est-à-dire quand quelqu'un est accusé de violence sexuelle, il porte plainte pour diffamation, ça renverse un petit peu le rapport de force, sauf que c'est aussi une protection contre les affabulations éventuelles ou les accusations infondées.

AURORE BERGÉ
En fait, on voit que ça se multiplie, notamment à l'égard des femmes qui dénoncent des violences sexuelles et notamment à l'égard des mères, qui dénoncent des cas d'inceste, en fait, que malheureusement, elles ont eu à connaître parce que les enfants, ici, se sont confiés à des tiers ou à elles-mêmes ou parce que parfois parce que, comme tous parents, on a des caméras qui regardent nos enfants quand ils dorment, mais parfois malheureusement, des mères y ont vu des choses absolument insupportables et malheureusement, elles ont des procédures qui se retournent contre elles. Il y a aussi tous ces concepts psychosociaux dont on voit le mal qu'ils font, ce fameux concept soi-disant d'aliénation parentale, comme si les mères étaient en excès de présence vis-à-vis de leurs enfants et les entraînaient dans cette logique d'aliénation. Donc, je pense qu'il y a des choses à changer, culturellement, dans la société je pense que la société n'a pas encore voulu regarder en face les violences sexuelles infligées à nos enfants, 160 000 enfants, chaque année, dans notre pays, subissent des violences sexuelles, de l'inceste ou des abus sexuels, souvent avec des gens qui sont des référents d'autorité, que ce soit dans le monde du sport, que ce soit dans les affaires que nous sommes en train de voir, par exemple dans le cas de Bétharram et donc, il faut que la société accepte de se regarder en face de ce point de vue-là, de se questionner sur : "Comment on a pu laisser faire ce qui est un crime de masse à l'encontre de nos enfants ?" et là-dessus, on doit progresser. J'ai fait adopter une proposition pour que toutes les personnes en contact de nos enfants, les animateurs sportifs, culturels, les enseignants, le monde social, médico-social, soignant, soient formés à la détection des abus sexuels pour prévenir le plus tôt possible et les arrêter le plus tôt possible.

CHRISTOPHE BARBIER
Il y a beaucoup d'autres sujets à aborder mais le temps est passé, "Nos combats pour la République", c'est chez Robert LAFFONT, Aurore BERGÉ, merci et bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 avril 2025