Déclaration de M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger, concernant le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales, au Sénat le 3 avril 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Laurent Saint-Martin - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger

Circonstance : Adoption au Sénat en procédure accélérée d'un projet de loi d ans le texte de la commission

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales (projet n° 706 [2023-2024], texte de la commission n° 481, rapport n° 480).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd'hui l'avenant à la convention entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscale.

Cette convention fiscale franco-suisse, qui date du 9 septembre 1966, prévoit en règle générale que les revenus tirés d'un emploi salarié sont imposables au lieu d'exercice de l'activité. Cette disposition s'applique notamment aux travailleurs frontaliers qui résident en France et qui exercent une activité salariée dans le canton de Genève.

Toutefois, l'accord du 11 avril 1983 relatif à l'imposition des frontaliers français travaillant dans huit autres cantons suisses, que sont Berne, Soleure, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura, dispose que ces revenus sont imposés dans l'État de résidence, c'est-à-dire en France.

Cette spécificité s'explique par des raisons historiques. Le ministère d'Alsace-Lorraine de l'Empire allemand et les cantons de Bâle-Ville, Bâle-Campagne et Soleure, par échange de lettres de 1910 et 1911, se sont entendus pour que les revenus des travailleurs frontaliers soient imposés uniquement dans leur État de résidence. Par succession de l'Allemagne en vertu du traité de Versailles, la France a repris ces engagements, qui ont été étendus par arrangement en 1935 à d'autres cantons.

À la date de signature de ces accords, les migrations frontalières concernaient principalement des résidents suisses. En 1983, les parties sont convenues de maintenir la règle d'imposition en vigueur, alors même que le flux migratoire s'inversait. En contrepartie, elles se sont accordées sur le versement d'une compensation financière de 4,5% de la masse totale des rémunérations brutes annuelles des travailleurs frontaliers par l'État de résidence à l'État du lieu de l'emploi.

Par ailleurs, un accord du 29 janvier 1973 avec le canton de Genève prévoit que celui-ci verse chaque année aux départements de l'Ain et de la Haute-Savoie une compensation budgétaire non fiscale à hauteur de 3,5% de la masse totale des salaires bruts des résidents en France travaillant dans ce canton. Cette somme vise à dédommager ces départements pour la charge liée aux infrastructures et aux services publics dont bénéficient ces frontaliers. Le montant de la compensation versée par le canton de Genève au titre de l'année 2023 s'est élevé à 372 millions de francs suisses, soit plus de 380 millions d'euros.

Le présent avenant soumis à votre approbation s'inscrit dans la continuité du cadre juridique bilatéral en vigueur tout en le modernisant. Il a pour objectif d'encadrer l'activité du télétravail et d'appliquer à notre convention fiscale bilatérale les dernières normes internationales de l'OCDE pour la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales, que nos deux États se sont engagés à respecter.

L'essor du télétravail constaté lors de la crise du covid-19 a conduit les autorités françaises et suisses à neutraliser les effets du recours au télétravail sur le régime d'imposition des travailleurs frontaliers. Une succession d'accords amiables a été conclue en ce sens jusqu'en juin 2022 ; à compter de cette date, les administrations compétentes se sont accordées sur des règles d'imposition pérennes concernant l'exercice de l'activité en télétravail, formalisées dans deux accords amiables signés le 22 décembre 2022 et applicables à compter du 1er janvier 2023.

Le présent avenant, signé le 27 juin 2023 à Paris, a pour objet d'inscrire dans la convention fiscale bilatérale les règles applicables au télétravail en dehors du cadre établi par l'accord de 1983 spécifique aux travailleurs frontaliers.

Ainsi, à compter du 1er janvier 2023, les revenus issus de l'activité exercée en télétravail, dans la limite de 40% du temps de travail annuel, restent imposables dans l'État où se situe l'employeur.

En contrepartie, cet État verse à l'État de résidence du salarié une compensation financière fixée à 40% des impôts dus sur ses rémunérations, étant précisé que, eu égard à la compensation budgétaire inscrite dans l'accord du 29 janvier 1973 intégralement préservée dans le cadre de cet accord, une règle de calcul spécifique s'applique lorsque l'employeur se situe dans le canton de Genève.

Au-delà de cette limite de 40% du temps de travail, aucune compensation n'est due et le droit d'imposer les rémunérations correspondant à l'intégralité de la période télétravaillée revient à l'État de résidence du contribuable.

S'agissant des frontaliers travaillant dans les huit cantons suisses précités, l'accord trouvé ne remet en cause ni le statut de frontalier ni les règles d'imposition à la résidence relevant de l'accord du 11 avril 1983. Ainsi, les revenus de ces travailleurs qui exercent leur activité en télétravail dans une limite de 40% du temps de travail annuel demeurent imposables dans l'État de résidence. Au-delà de cette limite, les règles de droit commun de la convention de 1966 s'appliquent.

Le montant des compensations financières dues à raison de l'exercice du télétravail sera déterminé à partir des données accessibles par les administrations fiscales dans le cadre du nouveau dispositif d'échange de renseignements prévu à cet effet dans l'avenant.

Ce dernier offre donc un cadre normatif fiscal novateur en matière de télétravail, équilibré pour nos finances publiques et adapté au contexte frontalier avec notre partenaire suisse ; son entrée en vigueur est très attendue par la communauté des frontaliers, estimée en 2024 à 230 000 travailleurs français, soit 58% de l'ensemble des frontaliers en Suisse.

Le texte soumis à votre approbation répond à un besoin de flexibilité concernant les modalités de travail, mais aussi de clarté des règles fiscales qui leur sont applicables.

La multiplication du recours au télétravail dans ces conditions pourrait avoir un effet non négligeable de désengorgement des transports et contribuerait ainsi à un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle des travailleurs frontaliers. Il s'inscrit plus globalement dans le cadre dynamique de notre relation bilatérale avec la Suisse.

Telles sont, monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle l'avenant à la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 modifiée, en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales.


Source https://www.senat.fr, le 22 avril 2025