Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, à France 2 le 30 avril 2025, sur des frais de gestion pour les colis en provenance de Chine, une contribution au financement des communes, l'abattement fiscal pour les retraités et l'organisation administrative.

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Média : France 2

Texte intégral

JULIEN ARNAUD
Merci beaucoup d'être avec nous Amélie DE MONTCHALIN ce matin.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

JULIEN ARNAUD
Vous avez écouté avec attention Axel DE TARLE. Il parlait de votre petit périple à Roissy hier avec Éric LOMBARD pour mettre en avant donc la déferlante des mini colis chinois livrés plus précisément par SHEIN et par TEMU. Et vous proposez de faire payer des frais de gestion, alors je cite le Gouvernement, des frais de gestion à chaque colis. Est-ce que ce n'est pas quand même, disons les choses, une forme de taxes douanières mais qui ne dit pas vraiment son nom ?

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Alors ça a été très bien montré dans votre reportage. On a eu l'année dernière 800 millions de petits articles qui sont rentrés sur le territoire via ces. 94% d'entre eux sont, on l'a dit, non conformes sur trois aspects. D'abord, un aspect de sécurité. Beaucoup de produits sont dangereux. Dangereux parce qu'ils peuvent prendre feu, parce qu'ils sont dangereux pour la santé. Donc on a un produit sur deux, un acheteur sur deux aujourd'hui en France qui est confronté à un risque pour sa propre sécurité.

JULIEN ARNAUD
Donc il faut les taxer.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Deuxième chose, on a un risque, on a vu, économique. Beaucoup de contrefaçons qui mettent en danger nos propres marques. Et enfin, on a un risque pour les finances publiques. Aujourd'hui, dans le droit, les plateformes sont censées faire des contrôles. Elles sont censées vérifier qu'elles n'envoient pas…

JULIEN ARNAUD
Ils disent qu'ils le font, mais bon.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
D'accord. Mais moi, quand les douaniers, dont je suis la ministre constatent 94% de non-conformité, cela veut dire qu'il faut qu'on renforce nos contrôles. Est-ce que c'est au contribuable ? Est-ce que c'est à vous et à moi et aux Français honnêtes de payer pour les moyens que je dois renforcer dans les aéroports, dans les ports, pour ouvrir les colis, contrôler, vérifier que ce n'est pas dangereux ?

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Donc c'est aux plateformes…

JULIEN ARNAUD
Les plateformes, elles répercutent sur leurs prix, Amélie DE MONTCHALIN.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
D'accord. Mais vous savez, il y a une enquête aujourd'hui à la Commission européenne et l'enquête regarde si ces plateformes font les contrôles. Si elles ne font pas les contrôles, elles auront une amende. Donc, ce que nous disons, c'est que pour quelques dizaines de centimes par article ou pour quelques du coup euros par colis, nous devons avoir les moyens de contrôler. C'est dans l'intérêt des consommateurs.

JULIEN ARNAUD
Et ce sont les consommateurs qui vont payer.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Non. C'est aux plateformes.

JULIEN ARNAUD
Il faut l'assumer.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
C'est aux plateformes de revoir leur modèle économique.

JULIEN ARNAUD
Elles vont répercuter. Elles répercuteront.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Moi, je ne souhaite pas que les consommateurs, quand ils vont dans les magasins, quand ils vont dans les supermarchés en France, ils paient aussi le coût de la qualité, de la sécurité et du contrôle. Et j'assume aujourd'hui. Et nous y travaillons avec nos amis néerlandais, bientôt nos amis allemands.

JULIEN ARNAUD
Oui parce que c'est une décision européenne.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Nous allons en faire un projet européen bien coordonné. Nous travaillons aussi pour que les droits de douane puissent s'appliquer dès le premier euro, dès 2028, parce que les États-Unis ont voulu le faire en 24 h. Ça n'a pas marché. Ma conviction, c'est que ce n'est pas au contribuable, ce n'est pas aux honnêtes gens de faire le contrôle de produits qui sont dangereux pour la santé des Français, dangereux pour l'économie et dangereux pour les finances publiques. Donc on va y travailler et je pense que les Français comprennent très bien que hier nous étions à Roissy, quand on ouvre un colis qui pèse sept kilos et qui a été déclaré pour 33 centimes, c'est qu'il y a un problème massif.

JULIEN ARNAUD
Il y a un problème. Alors, on fait attention sur les mots, on le voit bien, en vous écoutant Amélie DE MONTCHALIN ce matin. On dit : " Pas de taxe sur les colis chinois ".

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Ce n'est pas une taxe.

JULIEN ARNAUD
Non mais bon.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Ce sont les moyens…

JULIEN ARNAUD
On dit : " Les plateformes paieront ". Alors, ce sont bien sûr les consommateurs qui vont payer. Bref, on fait attention. On ne dit pas non plus retour de la taxe d'habitation, on dit contribution au financement des communes. Ça, c'est l'expression employée par votre collègue François REBSAMEN. C'est quoi exactement la différence entre les deux ?

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Et ben je vous le redis, nous sommes le pays record du monde des impôts.

JULIEN ARNAUD
Ça, tout le monde le sait.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Record du monde des impôts.

JULIEN ARNAUD
Pourtant il y a des pistes qui sont lancées tout le temps, des nouvelles pistes tout le temps.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Non. 51% de notre PIB, ce sont des impôts et des recettes pour l'État.

JULIEN ARNAUD
Qui a parlé d'une contribution ? C'est bien François REBSAMEN.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Le but ce n'est pas de créer des impôts nouveaux. Ce que veulent les collectivités, elles nous demandent quoi ? Elles nous demandent de la prévisibilité. Elles, elles vivent avec un mandat de six ans. Les maires quand ils sont élus, ils sont élus pour six ans. Et moi je gère, ministre des Comptes publics, le budget de l'État sur un an. La première chose que demandent les collectivités, c'est donnez-nous de la visibilité. La deuxième chose que demandent les collectivités, c'est moins de normes, moins de dépenses inutiles.

JULIEN ARNAUD
Mais sur les contributions, pardon. Il faut quand même que ce soit clair et précis. Sur la contribution, est-ce que vous dites : " Il n'en est pas question, ça n'est pas sur la table ".

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Je crois qu'hier, vous avez entendu le ministre de l'Économie et des Finances, le Premier ministre. Nous ne souhaitons pas créer de nouveaux impôts et donc nous avons une discussion…

JULIEN ARNAUD
Donc ça veut dire pas de nouvelle contribution.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Une discussion qui commence mardi, c'est une conférence de financement des territoires avec toutes les collectivités pour que nous recalions nos agendas, les six ans des maires, le budget annuel de l'État. Nous avons aussi à discuter les normes, les dépenses inutiles. Les maires voudraient créer ce lien fiscal renforcé entre les citoyens et eux-mêmes. Nous, Gouvernement, nous avons une ligne, dans le pays record du monde des impôts, nous ne pouvons pas nous permettre de créer de nouveaux impôts. Je pense que c'est une position qui est très claire.

JULIEN ARNAUD
Mais ça peut être à la main des maires. C'est ce que vous dites ce matin. Si les maires décident une nouvelle contribution, vous dites pourquoi pas, mais ça vous regarde.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Moi, ce que je souhaite, c'est qu'on n'aille pas dire aux Français qu'aujourd'hui ce qu'on doit créer, ce sont des nouvelles recettes fiscales.

JULIEN ARNAUD
Alors dites-nous pourquoi vous en parlez sans arrêt ? C'est François REBSAMEN qui a parlé de la contribution. C'est vous-même qui avais parlé de l'abattement fiscal pour les retraités qui pourrait être supprimé. Tout cela, ce sont des nouveaux impôts. Vous nous dites : " Il n'est pas question de nouveaux impôts " et en même temps vous mettez des pistes de nouveaux impôts sur la table en permanence.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Je vais vous parler sur les retraités. Vous savez, un budget, ce n'est pas un tableau de chiffres. Un budget, c'est un tableau de choix, de choix démocratique, de choix pour notre avenir. Dans les sujets d'avenir, il y a ceux des retraites. Et vous savez, le Premier ministre a ouvert un conclave où les partenaires sociaux discutent de comment on revient à l'équilibre. Il se trouve que ces partenaires sociaux, le président du MEDEF, le président de la CPME qui est le président des PME, les syndicats, ont évidemment un sujet, c'est qu'est-ce que font les actifs pour les retraites, qu'est-ce que font les retraités pour les retraites. Et il y a cette idée qui a été proposée. Moi, mon rôle de ministre des Comptes publics, à nouveau, ce n'est pas d'interdire le débat, ce n'est pas de dire : " Ah oui, il y a des choses à faire, vous savez, c'est interdit. On devra donc vous donner carte blanche ". La seule chose qu'on leur a dit, c'est : vous devez nous aider à remettre le système à l'équilibre. Et donc aujourd'hui, qu'est-ce qu'on fait ? Le Premier ministre là aussi était très clair. Donc préparons le débat budgétaire, nous laissons les Français et les économistes débattre. A la fin, il y a des choses qui seront retenues et des choses qui ne seront pas retenues.

JULIEN ARNAUD
Et celle-là pourrait être retenue. Elle est encore sur la table.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Mais elle n'est pas sur la table du notre fait. Ce n'est pas le Gouvernement qui dit.

JULIEN ARNAUD
C'est vous qu'on avait parlé dans une interview au Parisien.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Ce que j'ai dit dans cette interview, et c'est très intéressant là aussi, est-ce que c'est mon rôle d'interdire le débat ? On me dit qu'est-ce que vous pensez de ce débat dans le conclave ? Et je dis c'est au conclave, c'est aux partenaires sociaux qui gouvernent notre système de retraite, qui gouvernent notre Sécurité sociale de faire des propositions. Viendra le temps des arbitrages, viendra le temps de la décision et surtout viendra le temps du consensus. Quel est notre but ?

JULIEN ARNAUD
Là, on en est loin.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Oui, mais à la fin, est-ce qu'on fait des choix parce qu'on a débattu, on a pesé les avantages et les inconvénients ? On a fait au fond un débat collectif, les économistes, les Français et on se dit : " Ça, on le fait ou ça, on ne le fait pas ". Moi, ce que je ne veux pas, c'est qu'on ne change rien par renoncement.

JULIEN ARNAUD
Alors, il y a une voix dans ce débat…

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Par incapacité de travailler, par incapacité de regarder les choses en face, de regarder les faits. Et vous savez à la fin, si ça se fait, eh bien c'est parce qu'il y aura consensus. Et si ça ne se fait pas, c'est parce que le pays se sera dit que ce n'est pas la bonne solution.

JULIEN ARNAUD
Sur cette question…

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Et je pense que les Français voient l'intérêt démocratique de ce débat posé factuellement.

JULIEN ARNAUD
Il y a plutôt un consensus négatif sur cette histoire d'abattement. On verra ce que ça va donner. Puisque vous parlez du débat, il y a quelqu'un qui a donné des contributions hier, quelqu'un que vous connaissez bien, c'est Laurent WAUQUIEZ. Lui, il dit : " On peut récupérer, en gros il sort les chiffres, 15 milliards sur ce qu'il appelle l'assistanat, c'est l'un de ses combats, on le sait, 6 milliards sur l'immigration ". Il donne aussi d'autres chiffres. Vous lui répondez quoi à Laurent WAUQUIEZ ?

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Je lui réponds que c'est essentiel que nous ayons aujourd'hui, alors que nous sommes qu'au mois de tout début mai, nous ayons ce temps de préparation, de discussion, de débat. C'est très précieux d'avoir cette contribution dans le débat. Il y a un sujet.

JULIEN ARNAUD
Donc vous dites pourquoi pas ?

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Mais je dis : " À la fois, il faut qu'on fasse un consensus ". À la fin, vous savez, le budget qui est aujourd'hui en 2025, je l'ai dit plusieurs fois, ce n'est pas le budget d'un parti, c'est le budget de compromis pour un pays. Aujourd'hui, nous avons une majorité qui n'est pas absolue. Nous devons travailler ensemble. Et donc ces propositions, il faut qu'on les travaille, comme toutes celles qui seront mises sur la table. Il y a un sujet sur lequel il parle et nous sommes, je crois, profondément d'accord, c'est celui de l'organisation de l'État, les agences, les opérateurs.

JULIEN ARNAUD
Sur les sommes, vous n'êtes pas d'accord. Lui, il dit 10 milliards. Vous, vous dites 2 à 3 milliards.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Il y a une commission d'enquête au Sénat. Je serai auditionnée le 14 mai prochain par CHRISTINE LAVARDE, qui est la sénatrice qui se charge de ce travail. Derrière, c'est quoi la question ? C'est est-ce que notre organisation est efficace ? Vous savez, j'ai été ministre des Agents publics pendant deux ans. Nous avons fait, je crois, un bon travail après les Covid pour que la fonction publique reprenne son fonctionnement et que les Français voient ces services publics en marche. Aujourd'hui, les agents publics, les Français, le but, ce n'est pas qu'on supprime des missions, ce n'est pas qu'on dise : " Tiens, il y a telle politique publique, on fait un trait dessus, sur la tronçonneuse ou je ne sais quoi ". C'est-à-dire est ce qu'on est bien organisé ? Est-ce qu'il n'y a pas des endroits où on fait deux fois la même chose ? Est-ce que c'est compréhensible pour les Français ?

JULIEN ARNAUD
Pardon mais on a l'impression d'entendre ça depuis des décennies et on a l'impression que dans des décennies, on l'entendra toujours, ça ne change jamais.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Je viens de vous le dire avec beaucoup de sérieux et beaucoup d'engagements.

JULIEN ARNAUD
D'accord.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Si aujourd'hui, dans la situation budgétaire qui est la nôtre, alors que le Sénat y travaille, les Français le demandent, nous-mêmes, Gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre, on est parti de revoir qu'est-ce qui étaient les priorités, comment on s'organisait. Nous voulons le faire parce que c'est essentiel pour que les Français voient où va leur argent. C'est essentiel pour que les collectivités comprennent comment ça marche. C'est essentiel pour que les agents publics soient organisés de la meilleure manière, pour qu'ils se sentent eux-mêmes dans la meilleure capacité de faire pour les Français. Et ma conviction, et je le dis vraiment, on fait ça pour les Français. Il n'y a pas d'argent public, il n'y a que l'argent des Français. Moi, je dois être garante que chaque euro d'impôt, parce qu'il y en a beaucoup, je vous l'ai dit, on ne peut pas en créer de nouveaux, mais il soit bien utilisé. Et cette démarche là, ça demande du temps. C'est très précieux qu'on ait ce débat. C'est très précieux que les Français puissent y participer. Et le débat budgétaire, les décisions, c'est pour le mois d'octobre. Vous voyez, on a le temps de faire des choses avec méthode et d'associer tout le monde à un grand moment de choix démocratique.

JULIEN ARNAUD
La recherche du consensus impossible, par Amélie DE MONTCHALIN.

AMÉLIE DE MONTCHALIN
Non. On va y arriver... il y a deux mois.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 mai 2025