Interview de M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la Justice, à France 2 le 13 mai 2025, sur la simplification en matière de justice, les prisons, les rodéos urbains et la lutte contre le trafic de drogue.

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Média : France 2

Texte intégral

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Merci et bienvenue dans les 4 V. Vous avez donc adressé une lettre aux magistrats et aux agents de la justice pour évoquer plusieurs pistes à mettre en place d'ici 2027. Vous dites, je cite, qu'il faut faciliter l'accès à la justice. D'abord en termes de simplification. On va y venir. Vous voulez passer de plus de 200 peines possibles à 4 dans quelques mois peut-être. On fait comment et ça sert à quoi ?

GERALD DARMANIN
D'abord, je pense qu'il faut aider les magistrats, aider le personnel du ministère de la justice à agir plus vite, parce que le grand défaut de la justice, c'est sa lenteur. On attend, peut-être que les gens qui nous écoutent attendent depuis deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, parfois dix ans en matière criminelle, un procès.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et ça peut permettre d'aller plus vite.

GERALD DARMANIN
Exactement. Il y a beaucoup de mesures, de propositions de simplification. Je parle du plaidé coupable en matière criminelle, par exemple. Mais si je prends l'exemple que vous prenez de la simplification, sur la simplification des peines, aujourd'hui un magistrat a 235 peines à disposition. En Allemagne, il y en a trois. Il y a la prison, il y a ce qu'on appelle une peine de probation, le travail d'intérêt général, le travail non rémunéré, le bracelet électronique et il y a l'amende. Et quand on ne paie pas son amende, quand on n'est pas au rendez-vous de son travail d'intérêt général, on va en prison.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et ça veut dire aussi que le juge sera plus encadré, qu'il sera peut-être un peu moins libre dans le choix des peines qu'il peut attribuer.

GERALD DARMANIN
Non, mais quand aucun magistrat ne connaît par cœur ces 235 peines, j'ai moi-même mis quatre mois au ministère de la justice pour obtenir la liste exacte de ces 235 peines. Ce qui montre bien que la justice française est avant tout un domaine français d'administration, c'est-à-dire quelque chose qu'on a complexifié, qu'on a oublié le bon sens parfois. Les magistrats me le demandent, j'étais encore hier à Dieppe et à Rouen, ils me demandent cette simplification.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Autre proposition qui nous a interpellés, vous voulez supprimer les peines avec sursis du Code pénal. Ça veut dire aujourd'hui, peut-être demain, qu'il n'y aura plus de peines qui ressemblent à des avertissements, on ira directement à une peine ferme ?

GERALD DARMANIN
En fait, c'est un débat qui est très important à lancer. Le sursis, ça fait longtemps qu'il existe en France. Il peut encore fonctionner pour un certain nombre de personnes qui comprennent les décisions de justice. Et puis d'autres, quand on multiplie des sursis qui n'ont plus aucun intérêt. Quand ma maman lit La Voix du Nord, je pense souvent à cet exemple.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous la citez souvent, oui.

GERALD DARMANIN
Oui, je cite La Voix du Nord parce que je suis du Nord et je cite souvent ma maman parce que je l'aime beaucoup, mais j'ai beaucoup de mal à lui expliquer comment quelqu'un qui a six mois ou an an avec sursis ne va pas en prison. Ce n'est pas très évident à comprendre. Je préfère des choses plus claires. Je préfère que les mots aient un sens au ministère de la justice. Quand les gens sont condamnés à la prison, qu'ils aillent en prison. Quand les gens, et je pense que la majorité d'entre eux ne doivent pas aller en prison, sont condamnés à une peine de travail d'intérêt général, de bracelet électronique, qu'on le dise. Qu'on le dise clairement pour que tout le monde le comprenne.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc on enlève ce mot sursis du code pénal.

GERALD DARMANIN
C'est un débat.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous proposez des peines de probation à la place.

GERALD DARMANIN
Exactement.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Ça veut dire quoi ?

GERALD DARMANIN
Elles existent déjà, ces peines de probation. C'est-à-dire des peines où on dit, voilà, vous n'allez pas en prison, monsieur, mais ce que vous avez fait peut-être grave. On vous met un bracelet électronique, on vous impose un travail d'intérêt général, on vous impose un travail non rémunéré. Et si vous ne respectez pas le travail d'intérêt général, le travail non rémunéré, notamment pour payer peut-être votre défaut à la société, alors on vous met en prison. Alors le sursis, on peut toujours en discuter. Moi, je suis là pour écrire une lettre, pour que j'ai une réponse des magistrats, des...

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous voulez ouvrir le débat.

GERALD DARMANIN
Des syndicats, exactement. Et pour simplifier le code pénal. Et pour être beaucoup plus efficace pour les Français.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous voulez également, c'est ce qui était en tout cas dit dans le rapport sur l'exécution des peines qui vous a été remis, qu'il faut peut-être libérer de la place en prison. Il y a notamment cette proposition que vous avez faite de peut-être accélérer la libération de certains détenus. C'est ce qui avait été fait pendant le Covid, notamment au printemps 2020. Ça, vous n'êtes pas vraiment favorable ?

GERALD DARMANIN
Non, je suis totalement défavorable. Pour plusieurs raisons. C'est vrai qu'en France, il y a à peu près 20 000 personnes en plus de nos places de prison dans les prisons. C'est ce qu'on appelle la surpopulation carcérale.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Qui est énorme et qui ne fait que s'aggraver.

GERALD DARMANIN
Oui, c'est le cas de quasiment tous les pays d'Europe malgré tout. Et puis il y a 5000 matelas au sol. Donc c'est des conditions indignes pour les agents pénitentiaires et pour les détenus. Il faut donc bien sûr changer notre modèle carcéral. C'est ce que je fais en faisant des prisons de haute sécurité. Mais il faut aussi construire des places de prison. Ce qu'on me propose, c'est de libérer avant la fin de leur peine des prisonniers. Aucun Français ne le comprendrait. D'abord, ce serait remettre en cause des décisions indépendantes des magistrats. Et deuxièmement, ce n'est pas parce qu'on n'a pas été capable de construire ces places de prison qu'on doit vouloir libérer des prisonniers avant la fin de leur peine.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Plusieurs magistrats, il y a de très hautes personnes au monde de la justice qui vous proposent ça dans un rapport.

GERALD DARMANIN
Je comprends, c'est votre opinion, mais ce n'est pas la mienne. La mienne, c'est de la fermeté. Que les gens aillent en prison quand ils le méritent. Qu'on construise davantage de places de prison. Vous avez vu qu'aujourd'hui, jusqu'à présent, on construisait en sept ans une prison en France. Grâce aux prisons modulaires que je suis en train de mettre en place, on les construira trois fois plus vite et deux fois moins chères.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Les premières sortiront quand ?

GERALD DARMANIN
Dès le mois d'octobre 2026, dans un an, à trois, on fera la première prison de cinquante personnes à taille humaine qui accueillera des auteurs de délinquances conjugales, de délinquances routières. Il faut que nous changions notre modèle de prison en France.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Gérald DARMANIN, vous voulez également étendre cette procédure dite du plaidé coupable aux affaires criminelles. Cela veut dire que demain, éventuellement, si l'accusé reconnaît les faits, qu'il n'y aura pas de procès ?

GERALD DARMANIN
Ça veut dire que si la victime et son avocat sont d'accord...

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
La victime doit être d'accord également ?

GERALD DARMANIN
Oui, la victime doit absolument être d'accord à tout moment de cette possibilité de plaidé coupable. Donc, il faut évidemment que l'auteur des faits reconnaisse les faits. On me dit que c'est entre 40 et 50% des faits criminels. Les auteurs reconnaissent les faits dont ils sont présumés l'auteur. Que la victime est absolument d'accord à toutes les phases, y compris sur la peine. On va " négocier ", cette peine de prison, notamment, et que le parquet, c'est-à-dire l'État, le procureur de la République, c'est-à-dire la justice, soit d'accord. Si les trois acteurs sont d'accord, oui, qu'on n'aille pas dans un procès classique et qu'on se mette d'accord sur la peine que va subir cette personne qui est l'auteur. Ça existe en matière financière, le plaidé coupable, ça existe dans d'autres matières du droit de notre pays. Ça existe le plaidé coupable criminel dans d'autres pays. Et ça nous fera gagner beaucoup de temps.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Et certains magistrats ou avocats disent qu'au contraire, on va arriver à une justice un peu low-cost, parce qu'en fait, on n'a pas les moyens d'avoir une justice normale avec des procès classiques.

GERALD DARMANIN
D'abord, moi, je suis quelqu'un de très pragmatique. Que des gens qui sont condamnés dans les affaires de narcobanditisme ou des femmes qui se sont fait violer ou des enfants qui se sont fait violer attendent cinq ans, six ans, huit ans, leur procès n'est pas une bonne justice. Et ça ne répare en rien, malheureusement, le drame que connaissent les victimes. Et le deuxième sujet, c'est que ça existe dans d'autres pays démocratiques et que ça se passe très bien. Il faut que tout le monde soit d'accord. Ce n'est pas une obligation. Ça nous permettra non seulement de gagner du temps, mais vous savez, c'est aussi pour la victime, elle n'a pas toujours envie d'aller au procès. Elle a envie que ça aille vite, que la personne soit vite condamnée pour passer à autre chose.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Un dernier mot sur cette réforme. Vous souhaitez qu'elle soit votée avant la fin du quinquennat. D'ici deux ans, vous dites, on fait comment ?  C'est possible aujourd'hui, vu la situation au Parlement, de faire voter une telle réforme ?

GERALD DARMANIN
Mais je l'ai prouvé avec le narcobanditisme. En quatre mois, nous avons fait adopter le texte le mieux adopté à l'Assemblée nationale, du Parti socialiste au Rassemblement national, avec une prison de haute sécurité, dès le 31 juillet prochain, dans le Pas-de-Calais. Donc, c'est tout à fait possible. Il faut travailler.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Elle sera présentée quand ? Vous espérez quand ?

GERALD DARMANIN
Ce sont plusieurs propositions de loi des parlementaires qui ont déjà en partie été écrites. Et donc, j'espère le plus rapidement possible. Les frais d'incarcération que je fais payer aux détenus, par exemple, c'est une proposition de loi qui est déjà déposée, que nous allons bientôt discuter, j'espère.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Le pompier volontaire blessé après ce rodéo urbain est toujours entre la vie et la mort le week-end dernier. Vous avez envoyé une circulaire à l'ensemble des procureurs pour que soient confisqués des véhicules qui sont utilisés lors de ces pratiques dangereuses. Mais on a envie de le dire, ce n'est pas le cas aujourd'hui ? Il y a une forme d'impunité sur rodéos urbains.

GERALD DARMANIN
Je l'ai fait, justement, avant le drame…

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Le vendredi.

GERALD DARMANIN
Je l'ai fait avant le drame terrible qui a touché ce sapeur-pompier. Ce qui n'est pas assez fait aujourd'hui, c'est que la loi n'est pas assez appliquée sur les saisies et les confiscations.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Parce que la loi existe déjà ?

GERALD DARMANIN
Oui, la loi qu'on appelle la loi Warsman permet aux forces de l'ordre, sous l'autorité du procureur de la République, de saisir, c'est-à-dire de prendre, et de vendre immédiatement avant la condamnation les motos, les quads, les voitures, votre téléphone portable, vu que je l'ai fait pour les personnes qui négocient ou qui achètent de la drogue. Et donc, oui, ce n'est pas systématiquement fait. Donc je l'ai rappelé au procureur de la République, qu'il doit le faire systématiquement.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
C'est vrai, quand on regarde le profil du dealer qui a percuté ce pont à Évian, on se dit qu'il y a une forme de laxisme. Bruno RETAILLEAU parlait dimanche d'un lourd antécédent judiciaire qui l'a fait seulement six jours en prison et en préventive. Les Français qui nous regardent ce matin, ils disent pourquoi, ils ne comprennent pas ?

GERALD DARMANIN
C'est justement pour ça qu'il faut changer le système pénal, et c'est ce que j'ai écrit aux magistrats. J'invite les Français à regarder la lettre que je leur ai écrite. Aujourd'hui, nous travaillons assez mal parce que nous jugeons que les récidivistes, nous n'envoyons en prison souvent, statistiquement souvent, que des personnes qui sont déjà très connues des services de police. Ce n'est pas comme ça qu'il faut travailler. Il faut condamner les personnes, éventuellement d'ailleurs les condamner très fermement, dès le premier fait. Et on ne laisse pas les gens arriver avec 10, 15, 20, 25, 30 inscriptions en casier judiciaire.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Donc quand certains vous disent qu'aujourd'hui il y a une forme de laxisme du côté de la justice, vous leur donnez raison ?

GERALD DARMANIN
Non, ce sont les moyens. Ils manquent dans notre Code pénal et dans les moyens que nous donnons de complexité à nos magistrats, leurs forces pour être plus rapides, plus efficaces. Ces magistrats, vous savez, ils appliquent la loi. Donc les magistrats, si on change la loi, ils l'appliqueront. Je propose notamment, dans la lettre que j'envoie, un minimal. Il y a un maximal dans le Code pénal. Je souhaite qu'il y ait un  minimal dans le Code pénal.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Une sorte de rétablissement des peines planchers, de Nicolas SARKOZY ?

GERALD DARMANIN
C'est plus dur que les peines planchers parce que les peines planchers, ça ne s'appliquait qu'aux récidivistes. Ça s'appliquerait par exemple à cet auteur qui a renversé ce pompier. Moi, je souhaiterais que dès le premier fait de cet auteur, il y ait un minimum, il y ait un tarif minimum, comme on dit, pour qu'il soit très vite condamné. Je ne sais pas si vous élevez des enfants, mais quand on élève des enfants, on leur dit très vite " Non, tu ne peux pas faire ça. " On ne donne pas une peine huit mois plus tard qui n'a rien à voir avec l'effet qu'ils ont fait.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Gérald DARMANIN, vous serez aux côtés du président de la République, demain, pour une visite notamment au centre pénitentiaire de Vendin-Le-Vieil, près de Lens. C'est un an tout juste après l'évasion de Mohamed AMRA qui a été lavé à deux agents pénitentiaires. C'est dans cette prison d'ailleurs que, dès cet été, une centaine de narcotrafiquants très dangereux seront emprisonnés. Est-ce que les travaux seront prêts à temps ?

GERALD DARMANIN
Oui, ils seront prêts à temps. La prison a été vidée. Aujourd'hui, elle est totalement en travaux. Nous installons des visios pour qu'ils ne puissent pas sortir de la prison et voir leur juge. Nous installons des moyens technologiques extrêmement importants pour empêcher l'arrivée de drones, des téléphones portables, des cent plus grands, les plus graves, dangereux narcotrafiquants qui commandent des points de deals seront dans cette prison, le 31 juillet prochain et ce sera une grande nouvelle pour la sécurité des français.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Vous pensez qu'une évasion comme celle de Mohamed AMRA et les conséquences qui en sont liées ne pourraient plus arriver grâce à ça ?

GERALD DARMANIN
Je pense que la République désormais, met tous ses moyens pour que ça n'arrive plus et c'est normal, nous le devons aux agents pénitentiaires.

JEAN-BAPTISTE MARTEAU
Gérald DARMANIN, ministre de la Justice, garde des Sceaux, merci beaucoup d'avoir été l'invité des 4 V. Bonne journée.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 mai 2025