Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à CNews - Europe 1 le 13 mai 2025, sur une interview de l'écrivain Kamel Daoud et les tensions avec l'Algérie, la proposition de loi visant à garantir l'égal accès de tous à l'accompagnement et aux soins palliatifs, le projet de loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie, la soumission chimique, "l'affaire Bétharram", et le jugement attendu dans "l'affaire Gérard Depardieu" au tribunal correctionnel de Paris, dans son procès pour agressions sexuelles sur deux femmes, Paris le 13 mai 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Aurore Bergé - Ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations ;
  • Sonia Mabrouk - Journaliste

Média : Europe 1 - CNews

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Aurore BERGE,

AURORE BERGE
Bonjour,

SONIA MABROUK
Et bienvenue à la grande interview sur CNews et Europe 1, vous êtes la ministre en charge de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Beaucoup de sujets à vous soumettre, ce matin et tout d'abord, cette phrase, choc : "En Algérie, je suis un traître, en France, un mauvais, un mauvais arabe". C'est une interview choc, celle d'un grand écrivain, Kamel DAOUD, ciblé par deux mandats internationaux émis par Alger, mais aussi cible d'attaque au renvergé de la presse de gauche, qui estime qu'il n'est pas le bon arabe, car il ne porte pas, dit-il, les bons combats. La gauche, qui lui reproche notamment, je voudrais le préciser, d'avoir dénoncé, il y a quelques années, les viols de Cologne et d'avoir interrogé le rapport aux femmes dans le monde arabo-musulman. Traître en Algérie et mauvais arabe en France, comment vous réagissez à de tels propos ?

AURORE BERGE
Je trouve que c'est une très belle interview parce que c'est une déclaration d'amour à la France. C'est ça qu'il dit, au-delà de cette phrase qui est évidemment très choc. Il dit à quel point en France on a de la chance, la liberté d'expression, la liberté de penser, que ce n'est pas tout à fait le cas dans son pays d'origine, qu'est l'Algérie, et qu'il recommande d'ailleurs à celles et ceux qui aujourd'hui critiquent notre pays et critiquent la France, alors qu'ils n'ont connu que la France, peut-être d'aller voir ailleurs à quel point la liberté d'expression est précieuse et à quel point malheureusement elle est contestée. Donc, je crois qu'on a de la chance de la voir en France, on a de la chance qu'il s'exprime aussi librement, et je pense que certains devraient plus s'en inspirer plutôt que de le critiquer comme si cette critique était acceptable. Mais je comprends ce qu'il dit, c'est-à-dire qu'il estime qu'il n'est jamais à sa place, et ça c'est assez insupportable de se dire qu'on ne serait jamais à la bonne place parce qu'on n'aurait jamais le bon discours ambiant ou mainstream. Il a un discours qui est un discours d'amour de la France.

SONIA MABROUK
Qui porte, aujourd'hui, les éléments de langage du régime algérien ? Je fais une différence avec les Algériens. Qui ?

AURORE BERGE
Je pense qu'il faut sortir évidemment de la naïveté. C'est ce qu'on fait évidemment vis-à-vis du régime algérien, avec des décisions…

SONIA MABROUK
Quand le ministre des Affaires étrangères dit réponse ferme et proportionnée après la énième expulsion de fonctionnaires français, monsieur TEBBOUNE tremble vraiment ?

AURORE BERGE
On a assumé aussi d'avoir des expulsions, vous le savez, de fonctionnaires algériens, de manière en réciprocité à ce qui s'est passé et qui était absolument inacceptable, de rappel de notre ambassadeur par le président de la République. Donc, il y a, évidemment, des mesures très claires qui ont été prises.

SONIA MABROUK
Pour quel résultat ?

AURORE BERGE
C'est bien la difficulté qu'on a. C'est qu'encore une fois, on a assumé, le président de la République a assumé, dès le début de son mandat, d'essayer de restaurer des liens puissants avec l'Algérie parce que je crois que c'était l'intérêt de notre pays, d'assumer qu'on ait des liens qui puissent exister parce qu'on a évidemment une histoire et parce qu'on a aussi des intérêts qui sont croisés, au-delà d'ailleurs des questions strictement migratoires, mais qu'on voit bien, aujourd'hui, que malheureusement, on a un régime qui fait de la défiance de la France une forme de politique et que cette politique, elle ne peut pas se faire contre nous et contre les intérêts de la France.

SONIA MABROUK
J'entends que vous êtes davantage sur la ligne de monsieur RETAILLEAU que la ligne du Quai d'Orsay.

AURORE BERGE
En tout cas, je suis sur la ligne du président de la République.

SONIA MABROUK
Mais qu'elle est-elle ? Est-ce qu'elle est aussi claire que cela ?

AURORE BERGE
Oui, parce que je pense que les décisions qu'il a prises, les décisions internationales qu'il a prises, les décisions vis-à-vis aussi du Maroc, sont très claires sur le fait que la France entend être souveraine et assumer une politique étrangère et internationale qui ne dépend pas d'un diktat d'un autre pays. Nous sommes la France et parce que nous sommes la France, nous avons le droit d'avoir la ligne politique que nous voulons et la ligne diplomatique que nous voulons instaurer.

SONIA MABROUK
Kamel DAOUD, Aurore BERGER, qui tente aussi de faire entendre une voix d'équilibre sur Gaza, très loin de ce qui a été dit samedi sur le service public. Vous avez d'ailleurs vivement réagi après les propos de Thierry ARDISSON dans l'émission qu'à l'époque affirmant que Gaza c'est Auschwitz. Je précise que Thierry ARDISSON s'est excusé depuis. L'émission du service public était, comme d'habitude, enregistrée le vendredi et pourtant, elle a été diffusée telle qu'elle le samedi. Comment vous l'expliquez ?

AURORE BERGE
Je ne l'explique pas et je pense que d'ailleurs le service public répondra sur ces questions. Je pense qu'il y a eu beaucoup de signalements qui ont été faits auprès de l'ARCOM.

SONIA MABROUK
Vous comprenez pourquoi ils n'ont pas encore répondu ?

AURORE BERGE
C'est à eux de le faire, aux producteurs de l'émission évidemment de le faire. Il y a une double responsabilité, la responsabilité d'une chaîne, il y a la responsabilité des journalistes, et il y a la responsabilité de la production de l'émission comme ici sur votre plateau. Et donc, à chaque fois, les chaînes peuvent être mises en cause et on a une autorité de régulation indépendante qui va devoir arbitrer et décider. Il y a deux choses qui m'ont choquée.

SONIA MABROUK
Indépendamment, vous parlez de l'ARCOM ?

AURORE BERGE
Il y a deux choses qui m'ont choqué. Il y a évidemment ce parallèle qui est fait entre Gaza et Auschwitz parce que la banalisation de ce qu'a été la Shoah, la banalisation d'Auschwitz, c'est-à-dire cette volonté industrielle d'exterminer en masse un peuple, une identité, une culture, ne peut en aucun cas être banalisée. Et puis, il y a une autre partie de la phrase qui est parlée des Juifs. Les Juifs, c'est-à-dire le peuple, c'est-à-dire le peuple, les Juifs seraient responsables de la situation à Gaza. Après, il s'est repris, il a dit non, en fait, pas vraiment les Juifs, les Israéliens, comme c'était d'ailleurs tous les Israéliens. Et cette essentialisation des Français Juifs, comme s'ils étaient responsables depuis la France de la situation internationale, de la situation humanitaire, c'est vrai, dramatique à Gaza, est inacceptable. Et on sait que ça, je pense que c'est sans doute pas ce qu'il a voulu dire puisqu'il s'en est excusé, mais il l'a dit. Et le problème, c'est que ça, ça nourrit l'antisémitisme. Et d'ailleurs, un certain nombre de lanceurs d'alerte sur la lutte contre l'antisémitisme disent que depuis, ils sont soumis à des centaines de messages, de menaces et de messages antisémites qu'ils n'arrivent même plus à réguler sur les réseaux sociaux. Donc, c'est pour ça qu'il faut qu'on soit tous très vigilants dans le moment qui est le nôtre, où on voit qu'il y a un risque de réenracinement d'un certain nombre de haines, notamment de l'antisémitisme, sur les propos qui sont les nôtres. En aucun cas, les Français Juifs ne peuvent être responsables et être tenus pour responsables de la politique israélienne.

SONIA MABROUK
Je suppose qu'il y a eu beaucoup de signalements suite à cette séquence des centaines et des centaines. Il y a eu une autre comparaison quelques jours avant, je crois, la veille, qui a fait polémique lorsque l'avocat Maître JAKUBOWICZ a comparé Jean-Luc MELENCHON à GOEBBELS. Est-ce que ça vous a choqué de la même manière ?

AURORE BERGE
Ça ne m'a pas choqué de la même manière, si je dois être honnête.

SONIA MABROUK
C'est un procédé de nazification.

AURORE BERGE
Je pense qu'il y a une forme d'excès, évident. Déjà, je connais monsieur JAKUBOWICZ et je sais l'engagement déterminé qui est le sien dans la lutte contre l'antisémitisme, dans la lutte contre le racisme. Je pense que, vous voyez bien d'ailleurs, un certain nombre de vos confrères ont écrit un livre récent sur la question de la France insoumise, notamment la meute, la manière avec laquelle, depuis le 7 octobre 2023, la France insoumise participe à la montée de l'antisémitisme dans notre pays et donne une forme d'autorisation aux Français à pouvoir être antisémites, comme si l'antisémitisme était devenu acceptable d'une quelconque manière.

SONIA MABROUK
C'est votre liberté de le dénoncer, mais là encore, nazifier, c'est un procédé de nazification de le comparer avec GOEBBELS. Est-ce qu'il n'y a pas un deux poids deux mesures ?

AURORE BERGE
Non, mais je pense qu'il ne faut pas être excessif. Par contre, il faut être lucide. Il faut être lucide sur d'où provient l'antisémitisme, aujourd'hui. Il y a un antisémitisme historique d'extrême-droite qui n'a pas disparu. Il faut être aussi très lucide, et ça s'est vu de manière très claire au moment des élections législatives par les candidats qui avaient été investis récemment, en 2024. Et puis, il y a un nouvel antisémitisme qui est alimenté, aujourd'hui, par l'extrême-gauche.

SONIA MABROUK
Qui peut prendre aussi les habits de l'antisionisme ?

AURORE BERGE
Qui prend les habits de l'antisionisme, parce qu'encore une fois, je pense que l'antisionisme, il faut se mettre d'accord sur les termes, se mettre d'accord sur ce que c'est. Chacun est libre de critiquer la politique du Gouvernement NETANYAHOU, et elle est particulièrement critiquable, en ce moment, au regard de la situation humanitaire à Gaza. En revanche, appeler à la destruction d'un État, il n'y a que pour Israël que c'est le cas. Personne n'appelle à la destruction de l'Afghanistan ou de l'Iran, alors qu'on a des politiques qui, évidemment, devraient soulever une indignation générale.

SONIA MABROUK
C'est contre cela que vous voulez vous élever ? C'est-à-dire les propos, évidemment, qui visent une destruction de l'État d'Israël, et non pas une critique qui peut être légitime ?

AURORE BERGE
La critique est légitime, comme pour n'importe quel Gouvernement, que ce soit le nôtre, que ce soit le Gouvernement israélien.

SONIA MABROUK
On pourrait pénaliser l'antisionisme ?

AURORE BERGE
En tout cas, je pense que l'appel de manière systématique à la destruction d'un État, quand ça n'existe que pour un seul État au monde, il y a une obsession, quand même, d'Israël, d'un certain nombre de responsables politiques aujourd'hui, ou médiatiques. Et cette obsession, encore une fois, elle nourrit la haine, elle nourrit l'antisémitisme, elle arme, en fait, cet antisémitisme dont on voit bien la recrudescence très significative depuis le 7 octobre 2022.

SONIA MABROUK
Autre sujet, Aurore BERGER, est-ce que vous faites partie de ceux au Gouvernement, comme Bruno RETAILLEAU et d'autres, qui sont en attente de vraies garanties, de solides garde-fous par rapport au texte sur ce qui est appelé l'aide active à mourir ? Et est-ce que vous pensez qu'il y aura suffisamment de barrières pour éviter des dérives ?

AURORE BERGE
Moi, j'ai toujours dit mes réserves sur la question de l'aide active à mourir. Déjà, je veux dire en préalable que je respecte profondément toutes les opinions sur cette question-là, parce qu'elles sont d'abord souvent issues de trajectoires individuelles et souvent extraordinairement douloureuses. Et que, notamment, dans ceux qui nous écoutent, il y a forcément des gens qui sont concernés, forcément des gens qui attendent, forcément des gens qui espèrent et considèrent qu'ils veulent avoir cette liberté de pouvoir choisir. Moi, ce que je ne veux pas, c'est qu'on bascule dans un moment où on mettrait en opposition la question de l'accompagnement digne de la fin de vie, la question des soins palliatifs et la question de l'aide active à mourir.

SONIA MABROUK
Ce mot "digne", que veut-il dire aujourd'hui dans le débat ? Je l'entends, mais vous savez vous-même, et on a tous eu malheureusement de près ou de loin des situations comme celles-là, où est la dignité ?

AURORE BERGE
La dignité, c'est dans l'accès aux soins palliatifs et la garantie que chaque Français puisse y avoir accès. La dignité, c'est le fait aussi de ne pas être seul dans les moments qui sont ces moments de fin de vie et on ne réagit pas de la même manière quand on est entouré, accompagné et qu'on est seul. Les médecins en soins palliatifs, c'est sans doute les professionnels de santé les plus courageux qu'ils soient, parce qu'ils acceptent d'être au service de l'autre alors qu'ils savent qu'ils ne peuvent pas guérir. Ils ne peuvent pas guérir à partir du moment où vous entrez en soins palliatifs, mais ils peuvent soulager, ils peuvent redonner du temps, ils peuvent redonner de l'espoir sur la manière avec laquelle, encore une fois, la douleur peut être prise en compte. Donc la dignité, pour moi, c'est déjà garantir. Et c'était dans le texte initial du Gouvernement, c'était de dire que…

SONIA MABROUK
Bien changé, depuis, en passage par la Commission.

AURORE BERGE
Mais c'est pour ça que je pense qu'il faut qu'on maintienne ça, c'est-à-dire que la question de l'aide active à mourir ne devrait pouvoir être qu'une décision par exception. Le principe doit être l'accès aux soins palliatifs pour tous les Français sur tous les territoires, l'accès aussi à leurs droits. Trop peu de Français, aujourd'hui, connaissent leurs droits, ont réalisé leurs directives anticipées.

SONIA MABROUK
Le texte sur les soins palliatifs est une évidence. D'ailleurs, c'est consensuel, transpartisan, mais vous ne craignez pas malgré tout une rupture anthropologique profonde, une transgression éthique comme le dit par exemple le docteur Claire FOURCADE. Est-ce que ça vous intéresse en conscience ?

AURORE BERGE
Je salue beaucoup avec le docteur Claire FOURCADE et je salue son engagement, notamment parce qu'elle porte, cette question des soins palliatifs, de l'accompagnement et de la manière avec laquelle on peut soulager la douleur, la souffrance. Oui, moi c'est évidemment les réserves qui sont les miennes et mes réserves sont accentuées par la manière avec laquelle le débat parlementaire s'est tenu. Pas tant sur la nature du débat, parce que c'est resté respectueux et j'espère que ça restera le cas, mais sur le fait qu'en commission, il y a un certain nombre de règles et de garde-fous qui ont sauté. Et c'est ça mon inquiétude principale, c'est de dire qu'à un moment, on basculerait parce que justement, dès le début de l'examen de la loi, on ferait sauter un certain nombre de verrous qui sont des verrous éthiques qui doivent impérativement être maintenus.

SONIA MABROUK
Autre sujet, Aurore BERGER, vous a été remis hier, un rapport qui est porté par la députée Sandrine JOSSO sur la soumission chimique, c'est un sujet majeur, évidemment à l'aune de l'énorme affaire PELICOT. Il y a cette question, faut-il lever le secret médical en cas de soumission chimique ? C'est l'une des propositions faites, je précise très rapidement parce qu'il s'agit de garantir une immunité aux professionnels de santé et préviendrait les autorités judiciaires. Dit ainsi, ça paraît du bon sens.

AURORE BERGE
Ça paraît, pour moi, du bon sens, en effet. La soumission chimique, il faut avoir en tête, je pense que ça a explosé au visage des Français, à notre visage au moment de l'affaire PELICOT et des procès, des viols de Mazan, c'est-à-dire c'est le fait de droguer et donc, d'annihiler la capacité de jugement et de réaction de quelqu'un. Ça peut être une personne âgée, une personne en situation de handicap, ça peut entraîner des séquestrations, du vol, mais ça peut entraîner des abus sexuels jusqu'au viol parce que vous n'avez plus la capacité de dire non, vous n'avez plus la capacité de refuser, vous n'avez évidemment plus la capacité de consentir. Et donc, ce qui se passe, c'est que votre jugement, malheureusement, il va être altéré. Pas juste au moment de la prise de ces stupéfiants à votre insu, mais ensuite pendant un certain nombre de temps puisque parfois même les victimes ne sachent pas qu'elles ont été victimes. Donc, on a un enjeu majeur de formation des professionnels de santé pour garantir qu'on puisse, de manière presque systématique, vérifier si les victimes qui se présentent ont été abusées en plus de manière chimique, ont été droguées. Et puis oui, je crois que cette idée de lever la question du secret médical, comme aujourd'hui c'est possible dans le cas des violences intrafamiliales, serait majeure pour protéger évidemment les victimes et confondre les auteurs.

SONIA MABROUK
De victimes, il en est question. Et c'est demain, mercredi, qu'aura lieu l'audition du Premier ministre, François BAYROU. Là, je parle de la commission d'enquête sur les violences dans les établissements scolaires nés du scandale Bétharram, du nom de cet établissement, Aurore BERGE, Béarnais, où des élèves ont subi des sévices. La gauche accuse le Premier ministre d'avoir menti à l'Assemblée nationale et le pointe du doigt pour son silence présumé. Est-ce que vous venez en défense du Premier ministre ?

AURORE BERGE
Je crois que le Premier ministre, il a plutôt hâte d'être devant cette commission d'enquête pour dire justement la vérité des faits. Et donc, c'est à lui, évidemment, de s'en expliquer. Je pense qu'il ne faut pas confondre aussi plusieurs rôles. Le Premier ministre est aussi un père. Et je ne vois pas comment on pourrait accepter de le mettre en accusation en tant que père.

SONIA MABROUK
Dont une fille, dont sa fille a témoigné dans un livre.

AURORE BERGE
Dont ses propres enfants, d'ailleurs, l'ont témoigné de manière à la fois très courageuse, très digne, mais aussi de manière très claire vis-à-vis de lui. Et puis, il y a la responsabilité politique qui est la sienne, parce que président du Conseil départemental et aujourd'hui, évidemment, Premier ministre. Et puis, il y a l'engagement de la société sur la question de la lutte contre tout pied à la violence, notamment sur la question des violences sexuelles. Ça, c'est mon combat. Ça devrait être le combat de toute la société. 160 000 enfants, chaque année, qui sont abusés sexuellement. C'est la question de l'inceste. C'est la question des violences dans la famille. C'est aussi la question de l'abus d'autorité. Et c'est bien de cela dont on parle à Bétharram. C'est-à-dire qu'on confie nos enfants dans un environnement qui doit être le plus protecteur possible, l'école et au sein d'établissements scolaires. Ils ont été abusés, abusés sexuellement, abusés physiquement. C'est aussi pour ça que je me base sur l'imprescriptibilité, parce qu'on voit bien que ces enfants, ils mettent des décennies à révéler les faits et qu'on a besoin qu'ils aient toujours accès à la justice.

SONIA MABROUK
Autre sujet, mais là, on touche encore au consentement et puis au comportement, puisque c'est aujourd'hui que le tribunal correctionnel de Paris doit rendre Aurore BERGE, sa décision, son jugement en fin de matinée pour Gérard DEPARDIEU, accusé d'agression sexuelle par deux femmes. Il risque 18 mois de prison, une obligation de soins. De quoi ces auditions ont-elles été le révélateur pour vous par rapport à Gérard DEPARDIEU ?

AURORE BERGE
Je pense que c'est révélateur du fait qu'il y a une société qui ne tolère plus les violences. Et tant mieux. Tant mieux de considérer qu'une agression sexuelle, que l'abus d'autorité qu'on peut avoir, n'excuse en rien, que le talent, contrairement à ce que j'ai encore entendu dans une interview récente, n'excuse en rien et ne justifie en rien des comportements qui seraient des comportements abusifs.

SONIA MABROUK
Il reste un immense acteur ?

AURORE BERGE
Mais c'est deux choses qui n'ont rien à voir.

SONIA MABROUK
C'est une question. Je peux vous poser la question ?

AURORE BERGE
Bien sûr.

SONIA MABROUK
Ça ne va pas gommer sa filmographie, non ?

AURORE BERGE
Non. D'ailleurs, je ne suis pas pour qu'on gomme la filmographie. Par contre, c'est autre chose de le voir retourner. Je pense qu'il faut arriver à distinguer les choses. C'est-à-dire que moi, je n'ai jamais été pour qu'on efface. On peut contextualiser des choses, mais on n'est pas là pour effacer. Moi, je n'ai jamais été pour qu'on décroche des tableaux, comme je n'ai jamais été pour qu'on efface une filmographie.

SONIA MABROUK
S'il y aura un prochain film de Gérard DEPARDIEU, on ne vous verra pas dans la salle de cinéma.

AURORE BERGE
Non, parce que je pense aussi, encore une fois, aux victimes présumées, qui sont nombreuses. Et je ne suis pas certaine qu'on ait, aujourd'hui, en vie quelqu'un qui n'a jamais reconnu des souffrances que vraisemblablement il a pu infliger. Je suis désolée, mais les images que j'ai vues, encore une fois, dans une émission qui était complément d'enquête, suffisent. Regarde les combats qui se sont émis sur la question des violences sexuelles.

SONIA MABROUK
Il est revenu et il s'est défendu.

AURORE BERGE
Oui, enfin, vous n'auriez pas aimé qu'il parle comme ça de votre fille. Aucun parent n'aurait aimé qu'il parle comme ça de sa fille. Aucun parent.

SONIA MABROUK
Et donc, ça mérite une double peine. La question, c'est Gérard DEPARDIEU, plus de film, Nicolas BEDOS ne peut plus être producteur, réalisateur, tourner ?

AURORE BERGE
Je pense que c'est un sujet différent. Déjà, parce que la grande différence pour Nicolas BEDOS, contrairement à beaucoup d'autres, déjà, il y a eu une peine. Il a été condamné et il ne nie pas les souffrances qu'il a pu engendrer. Il ne nie pas que des victimes ont existé. Et en plus, il dit vouloir changer. Moi, je ne suis pas là pour remettre en cause sa sincérité. Qui suis-je pour remettre en cause sa sincérité ? L'idée, c'est que la peine, elle serve dans notre pays. À quoi ça sert de juger ? À quoi ça sert de condamner ? Si derrière, on pense qu'il n'y a aucune rédemption possible, surtout de la part de quelqu'un qui vraisemblablement dit qu'il reconnaît les faits, qu'il reconnaît la souffrance et qu'il est prêt à changer et à changer durablement de comportement. C'est ça qu'on veut dans la société. C'est que la peine, elle ait un effet pour qu'il y ait moins de victimes demain et qu'il y ait moins d'auteurs demain.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 mai 2025