Déclaration de Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, sur les aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, au Sénat le 5 mai 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Catherine Vautrin - Ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles

Circonstance : Audition devant la commission d'enquête sur les aides publiques aux entreprises

Texte intégral

M. Olivier Rietmann, président. - Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants avec l'audition de Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Cette audition est enregistrée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Madame la ministre, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : "Je le jure."

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Catherine Vautrin prête serment.

M. Olivier Rietmann, président. - Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, s'est assigné trois objectifs principaux : tout d'abord, établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; ensuite, déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; enfin, réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi, au sens large, lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements voire délocalisent leurs activités.

Vous êtes la première responsable nationale en exercice que nous entendons dans le cadre de nos travaux, sachant que nous auditionnerons M. Lombard, jeudi 15 mai, et deux anciens ministres de l'économie, cette semaine.

Madame la ministre, quel regard portez-vous, de manière générale, sur les aides publiques versées aux entreprises ? Leur lisibilité et leur accessibilité sont-elles assurées ?

Disposez-vous d'éléments de comparaison internationale sur les taux de cotisation employeur en vigueur en France ?

Pensez-vous que les principales niches sociales en faveur des employeurs sont suffisamment suivies, contrôlées et évaluées ?

Quelles sont les conséquences de la multiplication des mesures d'exonérations de cotisation employeur pour le financement de la protection sociale ?

Quelles sont, selon vous, les aides les plus efficaces et celles dont l'efficacité n'est pas démontrée ?

Seriez-vous favorable à la fixation de contreparties juridiquement contraignantes pour certaines aides publiques lorsque l'entreprise ferme des sites, procède à des licenciements, voire délocalise ?

Comment expliquez-vous que les mesures d'exonération en faveur de la compétitivité coût des entreprises ne freinent pas les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) ?

Enfin, pouvez-vous rappeler les suites que vous avez réservées, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, au rapport d'Antoine Bozio et Étienne Wasmer ?

Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir apporter des réponses à ces interrogations dans un propos liminaire d'une vingtaine de minutes. Ensuite, M. Fabien Gay, notre rapporteur, vous posera quelques questions pour approfondir certains points. Enfin, les membres de la commission d'enquête pourront également vous interroger s'ils le souhaitent.

Je profite de l'occasion, madame la ministre, pour vous remercier, ainsi que vos services, de la qualité des réponses que vous avez apportées au questionnaire du rapporteur.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités. - Les entreprises sont au cœur de notre modèle économique et social. Notre tissu économique est riche et varié. Plus de 99 % de nos entreprises sont des micro-entreprises ou des PME, qui embauchent plus de 40 % des salariés. Les grandes entreprises, objet de votre commission d'enquête, représentent 0,01 % des structures, mais génèrent plus de 30 % de la valeur ajoutée et emploient 30 % des salariés.

L'ensemble des entreprises, petites comme grandes, contribuent à la richesse du pays ; elles doivent être compétitives pour créer de l'emploi, générer des richesses et financer notre modèle social. Les ressources de la sécurité sociale sont principalement assises sur les revenus du travail ; ses recettes proviennent pour moitié des cotisations sociales versées par les employeurs.

Qu'entend-on par "aides publiques aux entreprises" ? Vous le savez, il n'existe pas de définition juridique opposable. Les aides publiques aux entreprises sont strictement encadrées par l'Union européenne afin de ne pas fausser la concurrence sur le marché intérieur. Dans mon champ d'intervention, on entend sous ce vocable l'ensemble des soutiens financiers ou avantages accordés par les pouvoirs publics pour favoriser l'activité économique ou l'emploi. Ces aides peuvent intervenir à différentes étapes de la vie d'une entreprise : la création, la reprise, l'embauche, le développement, la réponse aux difficultés économiques. Elles peuvent prendre différentes formes : subventions, exonérations fiscales, réductions de cotisation ou de contribution sociale, prêts garantis, prêts à des taux préférentiels. Chaque aide publique versée aux entreprises est associée à un objectif particulier de politique publique. À ce titre, elle est assortie de conditions d'éligibilité, s'accompagne de modalités de suivi et de contrôle, et fait l'objet d'évaluations périodiques.

Dans le domaine de l'emploi et de la formation professionnelle, les interventions de l'État à destination des employeurs se concentrent plus particulièrement sur deux mesures : l'aide à l'embauche des apprentis et le dispositif d'activité partielle. En 2024, 3,8 milliards d'euros ont été versés au titre des aides à l'embauche. En 2023, les entreprises ont reçu pour 290 millions d'euros d'indemnisations d'activité partielle : 82 millions pour l'activité partielle de droit commun et 195 millions pour l'activité partielle de longue durée.

Les allégements généraux, qui représentent la majeure partie des exonérations sociales, ne sont pas assimilables à des aides publiques. Au regard de ces montants d'exonération sociale, il semble normal que nous puissions nous interroger sur le sujet. Les exonérations de cotisations sociales ont atteint près de 75 milliards d'euros en 2023 pour le champ des régimes obligatoires de la sécurité sociale. Il s'agit de 65 milliards d'allégements généraux, notamment sur les bas salaires, auxquels s'ajoutent 10 milliards d'exonérations sociales ciblées sur certains secteurs économiques, certains publics et certaines zones géographiques.

Vous vous intéressez au regard porté sur les aides publiques versées aux entreprises, leur lisibilité et leur accessibilité. Les aides publiques sont des outils de pilotage de la compétitivité du marché du travail et de l'activité économique. Le fonctionnement économique de la France comme des autres économies développées se fonde sur une logique de prélèvements obligatoires et de redistribution. Les aides aux entreprises, comme les prélèvements dont celles-ci sont redevables, sont des outils de stabilisation de l'activité économique de la Nation. Comme tous les outils d'intervention publique, les aides publiques nécessitent un suivi particulier et doivent faire montre de lisibilité pour leurs bénéficiaires potentiels ; c'est à ces conditions que leur efficacité sera maximisée.

Vous avez relevé la multiplicité des aides publiques ; le nombre de 2 200 dispositifs nationaux, locaux et européens a été évoqué. Cela pose incontestablement un double enjeu, d'accessibilité pour les entreprises et de suivi pour les pouvoirs publics.

Concernant l'accessibilité, de nombreuses informations sont d'ores et déjà disponibles, même si l'on peut mieux faire. Mentionnons l'existence de la plateforme aides-entreprises.fr, initiative gouvernementale désormais pilotée par les chambres de métiers et de l'artisanat. Les outils numériques permettent de renforcer l'accessibilité. Notre opérateur France Travail y concourt également.

S'agissant du suivi par les pouvoirs publics et de l'information du Parlement, des améliorations doivent être notées. Pour les exonérations sociales, aux termes de la loi organique du 14 mars 2022, les annexes aux projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et aux projets de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (Placss) doivent désormais présenter le coût global de ces mesures, ce qu'elles font de manière particulièrement fournie.

Ces aides publiques sont essentielles. Certaines, plus que d'autres, ont fait la preuve de leur efficacité.

Ainsi, l'activité partielle, outil de prévention des licenciements économiques, a su jouer son rôle d'amortisseur social au moment de la crise sanitaire. Selon la Dares (direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques), près de 6,7 millions de salariés ont pu bénéficier du dispositif en mars 2020, et jusqu'à 8,4 millions en avril 2020, au pic du premier confinement. Selon l'Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), alors que le produit intérieur brut a connu une chute de 8 %, l'emploi salarié dans le secteur privé n'a baissé que de 1,7 % entre fin 2019 et fin 2020.

L'apprentissage est une politique puissante de justice sociale et d'insertion. Alors que le taux de chômage des jeunes reste élevé, à plus de 17 % en 2023, et que le taux d'emploi des 15-24 ans se replie, à 34,4 % en 2024, l'apprentissage occupe une place centrale dans les politiques de formation et d'emploi des jeunes. Il permet une immersion plus rapide dans le milieu professionnel tout en favorisant le développement des compétences attendues par les employeurs. Grâce à l'impulsion du Président de la République, l'apprentissage a connu un formidable essor ces sept dernières années : le nombre d'entrées en apprentissage a été triplé. Depuis le début de 2024, 842 800 contrats d'apprentissage ont commencé, en hausse de 2,4 % sur un an. L'objectif d'un million d'apprentis a été atteint en 2023. C'est clairement une révolution culturelle qui s'opère dans notre pays. L'apprentissage est un tremplin vers l'emploi, puisque 66 % des apprentis occupent un emploi salarié six mois après leur sortie d'études, mais aussi un gage d'excellence pour les employeurs et un moteur d'intégration et d'ascension sociale pour les jeunes moins favorisés, qu'ils soient issus de quartiers prioritaires ou de zones rurales.

Les exonérations de cotisations sociales ont un effet sur l'emploi. Ce choix politique est confirmé par de nombreuses études d'économistes, qui s'accordent à juger que l'impact est réel pour les exonérations sur le Smic. C'est d'ailleurs ce qui ressort des travaux conduits récemment, à la demande du Gouvernement, par les économistes Antoine Bozio et Étienne Wasmer.

Vous me demandez des éléments de comparaison internationale sur les taux de cotisation employeur en vigueur en France. Par définition, s'il y a des exonérations, c'est parce qu'il y a des cotisations. Le montant des exonérations sociales reflète mécaniquement le coût du travail en France, qui est le plus élevé d'Europe. L'objet des exonérations est d'alléger le coût du travail pour favoriser l'emploi. Le taux de cotisation patronale affiché en France, à 40 %, est effectivement supérieur à celui de ses partenaires européens : il est ainsi de 31,42 % en Suède, de 32,48 % en Espagne et de 19,6 % en Allemagne.

Il convient de souligner que les exonérations visent principalement les bas salaires et profitent surtout aux petites entreprises. Le taux d'exonération décroît avec la taille de l'entreprise : 16,2 % pour les entreprises de moins de 10 salariés, 13,4 % pour les entreprises de 10 à 49 salariés, 10,9 % pour les entreprises de 50 à 249 salariés et 8,1 % pour les entreprises de 250 salariés et plus. Ces chiffres de l'Urssaf coïncident avec les montants déclarés par les dirigeants d'entreprises que vous avez auditionnés.

Vous me demandez également si les principales niches sociales en faveur des employeurs sont suffisamment suivies, contrôlées et évaluées. Un premier point d'importance est la conditionnalité de ces aides. Dans le champ de l'emploi et de la formation professionnelle, le versement des aides est systématiquement conditionné. L'État souhaite faire respecter ces conditions en vérifiant les conditions d'éligibilité des aides et en contrôlant a posteriori leur usage.

Pour l'apprentissage, par exemple, les entreprises de 250 salariés et plus doivent atteindre un seuil de 5 % d'alternants dans leur effectif salarié annuel, ou de 3 % avec des objectifs de progression. Les contrats d'apprentissage doivent être transmis dans les six mois de leur conclusion à l'Agence de services et de paiement (ASP), chargée d'effectuer les contrôles et, le cas échéant, d'obtenir le remboursement des sommes indûment versées.

Le bénéfice des exonérations de cotisations est également soumis à des conditions relatives au comportement de l'employeur. Ainsi, celui-ci a l'obligation de mener une négociation annuelle et aucun travail illégal ne doit avoir été constaté. De la même manière, pour les allégements généraux de cotisations sociales, le système dépend de plafonds de salaire fixés en fonction du Smic. Pour les exonérations ciblées, l'on applique des règles spécifiques à chaque dispositif, relatives au zonage géographique, aux effectifs, au secteur d'activité, ou encore aux caractéristiques des salariés.

À ce stade, le Gouvernement n'a pas souhaité mettre en œuvre de critères supplémentaires de conditionnalité parmi ceux qui ont été évoqués dans le débat parlementaire. Les dispositifs doivent être à la fois lisibles et prévisibles afin de rester efficaces pour l'attractivité et la création d'emplois. Le contrôle du respect par les entreprises des conditions de ces aides revient à l'Urssaf ; celle-ci a ainsi réalisé 64 000 contrôles en 2023, pour des redressements d'un montant de 111 millions d'euros au titre des allégements généraux.

Les exonérations sociales ont permis la création de nombreux nouveaux emplois ces dernières années, notamment grâce au renforcement des allégements généraux. Sur les décennies 1990 et 2000, époque de leur mise en place, entre 300 000 et 1 million d'emplois ont été créés ou sauvés, selon un rapport de 2012 des spécialistes de l'emploi Pierre Cahuc et Stéphane Carcillo. D'après France Stratégie, entre 100 000 et 300 000 emplois ont été créés ou sauvés lors de l'instauration du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), devenu une exonération de 6 points des cotisations maladie.

Les exonérations ne sont en revanche pas reprises au moment où l'entreprise licencie les salariés, parce que, à ce stade, il est considéré qu'elles doivent rester incitatives à l'implantation sur le territoire.

Les évaluations dont nous disposons doivent nous permettre de poursuivre les efforts entrepris en matière de ciblage des aides publiques, essentiels pour une performance économique maximale, tout en veillant à la maîtrise des dépenses publiques.

Ainsi, concernant l'apprentissage, nous venons de procéder à une nouvelle modulation des aides à l'embauche selon la taille de l'entreprise : l'aide sera de 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés, de 2 000 euros au-delà. Cette évolution est le fruit de travaux portant sur l'efficacité de cette aide. Notre objectif est de continuer à soutenir les petites entreprises, pour lesquelles l'accueil d'un apprenti représente une charge plus importante, mais aussi une plus grande opportunité.

Nous poursuivons ce ciblage en travaillant, avec les branches professionnelles, sur les niveaux de prise en charge des coûts pédagogiques financés par des contributions employeur. Nous devons affiner la territorialisation des formations en apprentissage pour mettre en adéquation les formations avec les besoins du territoire, rendre plus attractives les filières correspondant aux secteurs d'activité qui recrutent localement.

J'en viens au suivi des principales niches sociales et aux conséquences de la multiplication des mesures d'exonération de cotisations employeur pour le financement de la protection sociale. Les exonérations de cotisations sociales sont suivies avec beaucoup de précision depuis la mise en place de la déclaration sociale nominative (DSN), qui offre une connaissance à la fois centralisée et individualisée de la masse salariale en France. Toutes les entreprises doivent ainsi transmettre les données de la paie des salariés aux organismes sociaux. Nous devons encore progresser dans la transparence des aides et développer l'interconnexion entre les différents systèmes d'information de l'Urssaf, de l'ASP ou des finances publiques, pour mieux lutter contre la fraude.

Depuis 2022, conformément au souhait du Parlement, l'évaluation des niches sociales progresse rapidement. Plusieurs travaux ont été conduits sur les allégements généraux comme sur les exonérations spécifiques. Ainsi, en mai 2024, avec les ministres chargés des comptes publics et des outre-mer, j'ai demandé aux inspections générales des finances et des affaires sociales (IGF et Igas) une évaluation des exonérations sociales spécifiques aux outre-mer. Les dispositifs d'exonération sociale applicables aux rémunérations des apprentis ont été examinés par l'IGF dans sa revue des dépenses publiques d'apprentissage et de formation professionnelle, en mars 2024. Depuis, ces exonérations ont été diminuées, dans un souci d'efficience et d'équité entre salariés, apprentis et non-apprentis. Tous les travaux d'évaluation sont restitués dans l'annexe 2 du Placss, qui contient 450 pages d'informations sur les exonérations, actualisées chaque année par la direction de la sécurité sociale. De nouveaux travaux ont été lancés par le Gouvernement et la Cour des comptes, qui enrichiront à leur tour l'information du Parlement.

Nous avons la responsabilité de mieux évaluer les dispositifs d'aide aux entreprises. Le contexte budgétaire extrêmement contraint nous oblige à rechercher des économies et à faire des choix. Ces évaluations nous ont conduits à entreprendre des réformes. Ainsi de la suppression, cette année, du dispositif des emplois francs à la suite de l'évaluation réalisée par la Dares en 2023, qui avait démontré un fort effet de seuil.

En matière d'allégements de cotisations sociales, à la suite de la mission confiée à Antoine Bozio et Étienne Wasmer, le Gouvernement a proposé une réforme des allégements généraux dans le cadre de l'examen du PLFSS 2025. Les paramètres de cette réforme ont évolué au cours des débats parlementaires. Dès 2025, les points de sortie des bandeaux maladie et famille ont été réduits, passant respectivement de 2,4 Smic à 2,25 Smic et de 3,4 Smic à 3,3 Smic, pour une économie de 1,6 milliard d'euros. Cela permet de freiner la dynamique des allégements généraux. Une refonte structurelle des allégements de cotisation interviendra en 2026 : les dispositifs existants, qui engendraient des effets de seuil, seront remplacés par un dispositif unique de réduction dégressive des cotisations. Cette réforme permettra de freiner la dynamique d'évolution des allégements généraux de cotisation, de simplifier le barème des allégements de cotisation et de réduire le coût employeur d'une hausse salariale.

Les exonérations sont très majoritairement compensées et ne pèsent donc pas sur les comptes de la sécurité sociale. Le taux de compensation reste très élevé. Les exonérations non compensées représentent 3 milliards d'euros.

Enfin, je comprends la stupéfaction, voire la colère que suscitent les suppressions d'emplois au sein d'entreprises qui ont bénéficié d'aides publiques, notamment lorsque de grandes entreprises font le choix de la délocalisation. Vous m'avez interrogé sur la fixation de contreparties juridiquement contraignantes à certaines aides publiques lorsque l'entreprise ferme, délocalise ou procède à des licenciements. Vous m'avez également demandé les raisons pour lesquelles les mesures d'exonération prises en faveur de la compétitivité ne freinent pas les PSE.

En 2024, nous avons dénombré 565 PSE, nombre en augmentation par rapport à 2023, où nous en avions comptabilisé 402, sans toutefois revenir au niveau observé pendant la crise du covid.

Pour les entreprises employant plus de 1 000 salariés avec un chiffre d'affaires égal ou supérieur à 450 millions d'euros, 167 PSE ont été mis en œuvre sur la période 2020-2024, pour un volume de 29 000 ruptures de contrats de travail. Parmi ces PSE, 62 avaient pour objet une fermeture de site et 21 étaient associés à un projet de délocalisation. La plupart de ces entreprises, soit 49 d'entre elles, ont bénéficié de l'activité partielle sur les cinq années précédant le PSE, et 13 ont bénéficié de l'activité partielle et de l'activité partielle de longue durée (APLD). Seules quatre n'ont bénéficié ni de l'activité partielle ni de l'APLD.

Pour les grandes entreprises qui emploient plus de 5 000 salariés et celles qui enregistrent un chiffre d'affaires de plus de 1,5 milliard d'euros et un bilan de plus de 2 milliards d'euros, 37 PSE ont été mis en œuvre sur la période 2020-2024, pour 28 000 contrats de travail. Parmi ces projets, seize avaient pour objet une fermeture de site, et cinq étaient liés à un projet de délocalisation. La majorité desdites entreprises, douze d'entre elles, ont bénéficié de l'activité partielle, quand une a été concernée à la fois par l'activité partielle et l'APLD, et quatre par aucune de ces deux mesures.

Ces chiffres permettent de remettre la problématique en perspective. Nous voyons bien que les aides de soutien à l'emploi et les exonérations peuvent ne pas suffire et que d'autres facteurs économiques défavorables, tels que la baisse de la demande, les coûts de production ou une situation internationale dégradée peuvent contribuer à ces situations. Au moment où je m'exprime, je n'ai pas connaissance de dispositifs d'aide aux entreprises qui feraient disparaître les PSE. Nous devons incontestablement concentrer nos efforts sur les dispositifs d'activité partielle et de formation, qui permettent d'amortir les effets de la dégradation de l'activité économique sur les territoires.

Je souhaite maintenant aborder la question du remboursement des aides en cas de restructuration et de suppression d'emplois, question complexe à laquelle on ne peut pas répondre par oui ou par non et qui nécessite d'opérer une distinction entre les aides reçues et les différents types de soutien apportés. Les décisions des entreprises de procéder à des PSE dépendent avant tout de la conjoncture économique. Il est donc extrêmement important de prévenir les comportements opportunistes et les détournements de procédures.

Pour les entreprises qui rencontrent des difficultés économiques et qui sont contraintes d'effectuer un PSE, nous appliquons jusqu'à maintenant une logique de réparation, avec une obligation de revitalisation territoriale. Dans ce cadre, le préfet peut imposer une obligation de recréation d'activités et de développement des emplois. L'objectif est, dans le principe, de recréer autant d'emplois qu'il en a été supprimé. Nous vivons tous cela sur nos territoires, sur des durées plus ou moins longues. Cet engagement s'ajoute évidemment aux obligations sociales à l'égard des salariés.

En conclusion, très concrètement, les aides de l'État versées aux entreprises pour soutenir l'emploi doivent être - comme elles le sont déjà, mais nous devons faire preuve d'une grande vigilance - systématiquement conditionnées, transparentes et soumises à de nombreux contrôles. Ces exonérations de cotisations sociales, qui représentent des montants très importants, bénéficient aux petites et moyennes entreprises en nombre, mais davantage aux grandes entreprises en montant. Je rappelle qu'elles sont, certes, compensées par la sécurité sociale, mais qu'elles ont un coût global pour l'économie de notre pays.

Les dispositifs d'aide et d'exonération de cotisations sont plus évalués aujourd'hui qu'ils ne l'étaient hier en raison de la nouvelle obligation organique et de la mobilisation très forte des économistes, des corps d'inspection et des organismes indépendants. Cependant, cela ne veut pas dire qu'on n'a pas besoin d'aller plus loin. Il est de la responsabilité du Gouvernement comme du Parlement de prendre acte des résultats de ces évaluations pour orienter ces dispositifs, voire les supprimer lorsque les effets attendus ne sont pas au rendez-vous.

Dans un contexte économique très incertain, les entreprises ont besoin de visibilité et de stabilité des dispositifs d'aide publique, faute de quoi elles ne les utiliseront pas.

M. Olivier Rietmann, président. - Cette commission d'enquête traite des grandes, voire des très grandes entreprises. Or, lorsque l'on parle de plus de 2 000 dispositifs d'aide et d'un montant cumulé de plus de 200 milliards d'euros, il s'agit de l'intégralité des aides consacrées à l'ensemble des presque 5 millions d'entreprises françaises. Madame la ministre, vous avez mentionné un montant de 75 milliards d'euros pour les exonérations de cotisations. À quel montant global de cotisations sociales versées par l'intégralité des entreprises en France cela correspond-il ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Les exonérations s'élèvent à 75 milliards d'euros, pour plus de 300 milliards d'euros de cotisations versées.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Madame la ministre, je vais aller directement au cœur du sujet, puisque nous vous recevons dans un moment politique qui n'est pas le même que lorsque nous avons commencé nos auditions. En effet, le Premier ministre, depuis trois semaines, insiste sur la nécessité de dégager d'urgence 40 milliards d'euros d'économies. Voilà qui irriguera les débats de notre Parlement et fera peut-être l'objet d'un budget rectificatif, voire d'un référendum. Et en même temps, on penche vers l'économie de guerre…

Je reviens sur le montant des exonérations de cotisations, qui, comme vous l'avez reconnu, sont une aide publique. Ce montant de 75 milliards d'euros équivaudrait au quatrième budget de l'État. Personnellement, je ne suis pas favorable aux exonérations de cotisations, parce que ces dernières sont une partie du salaire - net, brut, super brut. Ainsi, lorsque l'on exonère, on ampute une partie du salaire des travailleurs et des travailleuses, tout en le compensant par la TVA, c'est-à-dire par l'impôt de l'ensemble des Françaises et des Français. Les travailleurs et les travailleuses y perdent ainsi deux fois. Tout cela relève d'un débat philosophique et politique.

Premièrement, je m'interroge sur les exonérations de cotisations portant sur les salaires dépassant 1,6 Smic. Selon l'ensemble des économistes que nous avons auditionnés, libéraux comme progressistes, il peut y avoir débat en dessous de ce montant, mais au-delà, tous s'accordent sur le fait que l'effet bénéfique sur l'emploi de ces exonérations, qui s'élèvent à 20 milliards d'euros, est quasi nul. Ainsi, dans un contexte où l'on recherche des économies, ne pourrait-on pas revenir sur les exonérations sur les salaires au-delà de 1,6 Smic ?

Deuxièmement, considérez-vous que, en dessous de 1,6 Smic, nous sommes confrontés à des trappes à bas salaire ? En effet, plus on exonère à ce niveau de rémunération, moins les directions d'entreprises sont incitées à augmenter les salaires.

Ma troisième question est la suivante : êtes-vous favorable à ce que les entreprises qui bénéficient des exonérations de cotisations sociales respectent la loi française ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Pour répondre à votre dernière question, bien évidemment, la règle de base est que toute entreprise, quelle que soit sa taille, même unipersonnelle, doit respecter la loi, de même que chaque Français. Cela fait partie de notre contrat social. Si l'on ne respecte pas la loi, on a un problème de contrat social.

Pour le reste, vous avez raison, c'est une question de philosophie. Dans mon propos liminaire, j'avais bien pris la précaution oratoire de dire que ces 75 milliards d'euros étaient compensés, ne pesant donc pas sur le budget de la sécurité sociale proprement dit. Toutefois, cela ne veut pas dire que ce montant ne grève pas les comptes de la Nation, comme je l'ai reconnu bien volontiers.

Je consulte la littérature sur ce sujet : jusqu'à 1,6 Smic, les allégements sont, clairement, un élément important d'attractivité. En revanche, il y a bien une question autour des trappes à bas salaires, on ne peut le nier. Le sujet est toujours le même : les cotisations versus le salaire, donc l'emploi. Vous m'avez demandé, monsieur le président, de donner des éléments contextualisés par rapport à ce qui se fait au niveau européen : il y a là une problématique propre à la France. Nous aurons à débattre de ce sujet, extrêmement intéressant.

Au mois d'octobre, nous célébrerons les 80 ans de la sécurité sociale, qui est l'élément clé du contrat social de notre pays. Or la solidarité intergénérationnelle est, aujourd'hui, totalement supportée par les actifs. En avons-nous les moyens, dans le contexte actuel d'évolution démographique, démontré scientifiquement ? Ce qui est vrai actuellement le sera encore plus à partir des années 2030 et jusqu'aux années 2040 et 2050 : la transformation de la population sera telle que le nombre d'actifs risque de ne pas être suffisant pour notre modèle social. Nous devons donc nous demander ce que nous faisons reposer sur ce dernier. C'est un enjeu de société majeur : d'un côté, des gens qui bossent expliquent que la différence entre les salaires brut et net fait qu'un certain nombre de personnes qui travaillent s'appauvrissent. De l'autre, notre modèle social est très vertueux, mais aussi très coûteux.

M. Olivier Rietmann, président. - Ce sujet est très important. Nous sommes non seulement confrontés à un problème de courbe démographique, mais aussi, alors que nous approchons des 80 ans de la sécurité sociale, à d'autres éléments qui ont énormément changé depuis 1945.

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Bien sûr.

M. Olivier Rietmann, président. - À l'époque, on commençait à travailler à 14 ans, l'espérance de vie était de 60 ans, l'âge du départ à la retraite était fixé à 65 ans, on travaillait 45 heures par semaine et les femmes avaient en moyenne trois enfants au cours de leur vie.

Or aujourd'hui, nous avons peu ou prou le même système qu'alors, supporté par les mêmes personnes, alors que nous commençons en moyenne à travailler à 25 ans, que l'âge de départ à la retraite a baissé, que l'espérance de vie est beaucoup plus longue et que le nombre d'enfants par femme dépasse à peine 1,5.

Le problème n'est donc pas que celui des exonérations de cotisation ou de l'âge de départ à la retraite, mais de savoir qui supportera, pour l'avenir, ce cadre social, lequel ne correspond plus, sur le plan mathématique, à ce qu'il était il y a 80 ans.

Dans ce cadre, concernant les aides aux entreprises, l'alternative est la suivante : mettons-nous fin aux aides aux entreprises pour maintenir ce système social ? Ou bien les poursuivons-nous, avec quel report des cotisations ?

M. Fabien Gay, rapporteur. - Madame la ministre, le temps presse. Je pourrais parler des heures d'Ambroise Croizat et du modèle social français, mais je préfère que nous restions ancrés sur le sujet de notre commission d'enquête.

Vous avez reconnu l'existence d'une trappe à bas salaire sur les exonérations concernant les salaires inférieurs à 1,6 Smic. En revanche, vous n'avez pas répondu sur les salaires dépassant ce montant. Les économistes estiment que les exonérations, à ce niveau, ont un effet quasi nul sur l'emploi. Sommes-nous donc d'accord, alors que nous cherchons à économiser 40 milliards d'euros, pour revenir sur ces 20 milliards d'euros ? Nous ferions ainsi la moitié du chemin en une après-midi !

Vous convenez avec moi que les entreprises bénéficiant d'exonérations de cotisations doivent respecter la loi. Sans aborder l'évasion fiscale des grandes entreprises, je souhaite mentionner les branches professionnelles dont les salaires les plus bas sont inférieurs au Smic. Sur 171, 94, à ma connaissance, ne respectent pas encore le cadre de la loi.

Parlementaire depuis huit ans, j'ai interpellé les ministres du travail successifs sur cette question. À chaque fois, l'on me répond que le sujet est difficile, que les choses avancent doucement, qu'il faut une négociation. Madame la ministre, puisque vous êtes d'accord avec moi sur le respect de la loi, pourrait-on envisager un critère selon lequel la branche professionnelle ne doit pas prévoir de salaire inférieur au Smic ? Les entreprises des branches qui ne seraient pas dans ce cas ne pourraient alors pas bénéficier d'exonération.

Voilà qui accélérerait les négociations, au sein de l'ensemble des branches professionnelles, en vue d'un salaire de départ se situant au moins au niveau du Smic. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Je reviens sur votre première question : aujourd'hui, il y a une incertitude sur les effets d'exonérations sur les salaires supérieurs à 1,6 Smic. Nous devons travailler sur le sujet pour mieux nous documenter et prendre une décision. Je ne veux pas répondre simplement par oui ou par non.

Sur le deuxième sujet, celui des salaires minima dans les branches, la direction générale du travail rencontre une difficulté : à chaque fois qu'on augmente le Smic, on remet un euro dans la machine. Faut-il mettre fin aux aides en cas de non-respect de la loi ? En tout cas, peut-être pourrions-nous examiner le cas des branches qui sont dans ce cas de manière endémique. En effet, certaines ne le sont qu'occasionnellement, à l'occasion d'une augmentation du Smic.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Sur 94 branches, au moins 75 sont concernées régulièrement. Commencer par elles pourrait inciter les vingt autres à avancer.

Je reviens sur les PSE et sur les aides publiques. Vous avez dit que vous compreniez la colère, l'émoi que suscitent les licenciements opérés par des entreprises qui touchent des aides publiques. Mais il n'y a pas que les PSE : les grandes entreprises procèdent aussi à des plans de départs volontaires ou à des plans de siège. Mais in fine, cela reste des destructions d'emplois. Dans le cas des PSE, il faut démontrer l'existence de difficultés économiques, ce qui est complexe pour certaines grandes entreprises.

Nous avons commencé nos auditions dans un climat social caractérisé par la mise en œuvre de 300 plans sociaux, avec environ 300 000 emplois menacés ou supprimés, notamment chez Michelin et Auchan. Voilà la raison pour laquelle le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky du Sénat a proposé cette commission d'enquête. Mais, depuis, d'autres entreprises, dont certaines de celles que nous avons auditionnées, ont annoncé des plans sociaux, dont Thales, STMicroelectronics et ArcelorMittal.

Ainsi, cette dernière entreprise va supprimer 636 emplois et retarde l'investissement d'un milliard d'euros, complété par 850 millions d'euros de l'État, pour décarboner les hauts fourneaux. Elle délocalise la matière grise en Inde, avant de rapatrier la production dans trois ans. Or 195 millions d'euros d'aides publiques lui ont été accordés en 2023, alors que cette entreprise ne va pas mal, avec 17 milliards d'euros de fonds propres et un endettement de 5 % - contre 15 % pour ses concurrentes. Elle vient de verser 600 millions d'euros de dividendes à ses actionnaires et a racheté pour 12 milliards d'euros d'actions en quatre ans.

Michelin va supprimer 2 200 emplois, mais a versé 1,4 milliard d'euros de dividendes à ses actionnaires. Thales va mettre fin à 1 800 emplois après avoir effectué pour 500 millions d'euros de rachats d'actions. Quant à Sanofi, qui a voulu supprimer 330 emplois et souhaite se séparer d'un site, elle a versé 4,4 milliards d'euros de dividendes tout en bénéficiant de 100 millions d'euros de crédits d'impôt chaque année.

Madame la ministre, je parle bien des grandes entreprises. Ne pensez-vous pas que la question des PSE et du périmètre des difficultés économiques devrait être revue ? En effet, lorsqu'un groupe possède autant de fonds propres, verse des dividendes, rachète des actions et reçoit une aide publique, cela devrait être pris en compte dans le cadre d'un PSE.

Au-delà de l'émoi ou de la colère, allons-nous prendre des mesures concrètes ? Je prends l'exemple de STMicroelectronics, qui n'est pas une entreprise comme les autres, car l'État en est le principal actionnaire. Considérez-vous que, lorsqu'il est actionnaire, l'État doit se conduire comme un actionnaire proactif, au minimum sur les questions de maintien de l'emploi, au vu des subventions publiques versées chaque année ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Recentrons le sujet : des aides publiques ont été versées à des entreprises par la France pour leur présence en France. Or celles que vous venez de citer ont toutes des activités qui dépassent largement le cadre de notre pays. La question qui se pose est donc également celle de la situation des marchés internationaux.

Je prends l'exemple d'ArcelorMittal, dossier qui concerne directement le territoire sur lequel je suis élue. Je vois parfaitement ce dont il s'agit, puisque ce groupe supprime un centre à Saint-Brice-Courcelles, soit environ 111 emplois, ce qui loin d'être négligeable.

Je choisis cet exemple parce qu'il y a un enjeu autour de la surcapacité de la sidérurgie européenne, voire mondiale. Ce mouvement n'est pas récent et la demande, sur le marché mondial, est affaiblie. L'État est extrêmement vigilant, notamment sur le reclassement des salariés et sur la situation à Dunkerque et à Fos-sur-Mer. En effet, la question est celle du maintien des relations avec des groupes qui restent encore en France.

Lors de la réunion extraordinaire de son comité social et économique (CSE) du 23 avril, ArcelorMittal a annoncé un projet de restructuration visant les sept usines du Nord, qui tend à la délocalisation de 200 à 260 postes et à la suppression de 400 postes de production. Les conséquences sont importantes pour les territoires concernés. Mais 7 100 salariés demeurent sur le territoire, d'où notre besoin d'une vigilance totale.

Pour Sanofi, c'est la même chose : nous faisons face à une compétition mondiale avec, de surcroît, un enjeu de souveraineté, lié à la production dans notre pays d'un certain nombre de médicaments. Je partage cette analyse : il y a une nécessité de contrôler ces PSE, la façon dont ils sont mis en œuvre et le reclassement des salariés. Mais en même temps, nous devons faire attention aux mesures que nous prenons, le risque étant que des groupes décident de quitter définitivement notre pays en raison du coût du travail et du traitement qui leur serait réservé en France. C'est un équilibre qu'il faut trouver.

M. Fabien Gay, rapporteur. - L'équilibre est quelque peu complexe… Reprenons l'exemple d'ArcelorMittal : l'appel à la vigilance, l'actionnaire Mittal, pardonnez-moi de le dire ainsi, s'en contrefout royalement. Avec 17 milliards d'euros de fonds propres, le groupe investit en Inde et au Brésil en y construisant de nouvelles usines. Si nous ne décarbonons pas nos deux hauts fourneaux d'ici au 1er janvier 2030, il faudra stopper leur activité, ce qui entraînera la fermeture des laminoirs et mettra fin à l'activité sidérurgique en France.

Mittal possédait 22 hauts fourneaux il y a douze ans, et 11 aujourd'hui. La réalité est que, sans 1,8 milliard d'euros, dont 850 millions de l'État via l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), il n'y aura pas de décarbonation. Or pour décarboner les hauts fourneaux, il faut construire une ligne à haute tension de huit kilomètres entre la centrale de Gravelines et Dunkerque, ce qui mobilise cinq équivalents temps plein (ETP). Au sujet des 636 postes supprimés, pourrions-nous convoquer Mittal pour lui demander si lesdits cinq ETP font partie de ces emplois ? Si oui, cela signifie que Mittal sait, d'ores et déjà, qu'il n'investira pas dans la décarbonation. Dans ce cas, allons-nous continuer à verser 300 millions d'euros chaque année à ArcelorMittal, qui n'en a pas besoin, alors que nous savons que les sites fermeront dans trois ans ? Céder au chantage à l'emploi n'a jamais empêché aucune fermeture.

M. Olivier Rietmann, président. - Je voudrais aller plus loin. Ne commettons-nous pas une erreur du "en même temps" dans le versement des aides publiques ? En effet, notre objectif, au vu de la situation actuelle, est de soutenir la compétitivité de nos entreprises tout en préservant les finances de l'État.

Or au fil des auditions, nous nous rendons compte que les aides publiques apportées aux entreprises incluent, certes, des exonérations de cotisations, mais aussi des subventions tendant à inciter les entreprises à investir dans la décarbonation, c'est-à-dire à verdir leur production. Cependant, n'allons-nous pas un peu vite en besogne ? En effet, les aides à la décarbonation ne représentent qu'un faible pourcentage des investissements, jusqu'à 10 %, ce qui laisse un reste à charge aux entreprises.

Ainsi, ne rendons-nous pas nos entreprises moins compétitives en les incitant à investir dans la décarbonation ? Certaines le font sans grande aide, comme Total, qui consacre 500 millions d'euros à la décarbonation de son site de Grandpuits, avec de l'argent qu'il gagne ailleurs, aux États-Unis ou en Amérique du Sud. En effet, décarboner demande énormément d'argent.

Ne conviendrait-il pas plutôt de diminuer cette pression et ces aides publiques à la décarbonation, sans y mettre complètement fin, au profit des exonérations de cotisation, afin de rendre nos entreprises encore plus compétitives ? Cela leur permettrait de payer les salaires et d'investir ultérieurement dans la décarbonation. Or aujourd'hui, nous poussons des entreprises peu compétitives à décarboner, ce qu'elles ne peuvent même plus faire faute de moyens…

Nous sommes au pied du mur. Ne serait-il pas préférable de mettre le paquet sur la compétitivité des entreprises, en prenant rendez-vous, une fois la compétitivité renforcée, pour relancer nettement la décarbonation, plutôt que de faire les deux en même temps ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - S'agissant de Dunkerque, je me permettrai de citer le ministre de l'industrie, Marc Ferracci, qui est le premier concerné par ce dossier, et qui, en réponse à une question qui lui était posée la semaine dernière à l'Assemblée nationale, a déclaré qu'il n'y avait "pas d'aides […] sans contrepartie". C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a indiqué aux dirigeants d'ArcelorMittal qu'il cesserait d'accompagner l'entreprise si celle-ci ne réalisait pas les investissements attendus.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Pardonnez-moi, mais il faut distinguer entre, d'une part, les 1,8 milliard d'euros - dont 850 millions d'euros d'aides de l'Ademe - du projet de décarbonation d'ArcelorMittal, pour lesquels, effectivement, l'État ne contribuera que si l'entreprise s'engage financièrement et, d'autre part, les 295 millions d'euros d'argent public versés chaque année à ce groupe, dont 195 millions d'euros d'aides à la décarbonation - mais sans contrepartie -, 40 millions d'euros d'exonérations de cotisations sociales, 11 millions d'euros au titre du crédit d'impôt recherche (CIR), et quelques millions d'euros d'aides à l'apprentissage.

Qu'ArcelorMittal investisse ou non dans les hauts fourneaux, il continuera de toucher les 40 millions d'euros d'exonérations de charges et les 195 millions d'euros au titre de l'énergie. Si le groupe s'apprête à mettre fin à l'activité de ces hauts fourneaux, ne faudrait-il pas cesser de lui verser des aides, et ce d'autant qu'il n'en a vraiment pas besoin ?

M. Olivier Rietmann, président. - L'aide de 850 millions d'euros que l'État verse à ArcelorMittal ne servira à rien, dans la mesure où les résultats de l'entreprise sont catastrophiques en France en ce début d'année 2025. En réalité, le seul enjeu qui vaille est celui de la compétitivité de nos entreprises.

Mme Catherine Vautrin, ministre. - C'est la raison pour laquelle l'État n'investira pas si l'entreprise ne veut pas investir.

Pour répondre plus globalement à votre question sur la compétitivité des finances publiques et des aides publiques, monsieur le président, je pense qu'il existe un autre enjeu, qui est l'enjeu climatique. Dans le cadre du plan France 2030, le Gouvernement défend ainsi un certain nombre d'aides publiques en matière d'environnement, pour créer un effet de levier permettant à la fois de "verdir" notre industrie et de favoriser la soutenabilité financière des projets de décarbonation. Cela étant, j'entends ce que vous dites : dès lors que certaines entreprises sont dans une situation moins favorable, cela peut leur poser un certain nombre de difficultés.

Cela pose plus généralement la question des cotisations et des charges des entreprises. Certains dirigeants mettent en cause, au nom de la compétitivité, le bien-fondé du paiement des cotisations maladie ou famille par leurs entreprises… Or, si ce ne sont pas les entreprises qui règlent ces cotisations, qui prendra en charge les 270 milliards d'euros du budget de l'assurance maladie ?

M. Olivier Rietmann, président. - Je partage votre point de vue : l'entreprise doit cotiser pour le chômage, la retraite, les accidents du travail et les maladies professionnelles. La question se pose en revanche pour le reste…

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je suis partisan d'un débat sur notre modèle social. Un ministre du travail, en France, se doit de défendre ce modèle, car il s'agit d'un élément de compétitivité et d'attractivité en tant que tel. J'entends constamment le patronat se plaindre du niveau des prélèvements obligatoires et des charges - qui sont en fait les cotisations de leurs salariés -, mais personne ne rappelle jamais que notre modèle social est excellent. Il nous permet notamment d'avoir la proportion de retraités pauvres la moins élevée d'Europe.

Madame la ministre, je voudrais vous interroger sur des chiffres que j'ai déjà exposés au PDG de Carrefour, M. Bompard : sur la période 2013-2018, Carrefour a touché un montant cumulé de 2,033 milliards d'euros d'aides au titre du CICE et d'exonérations de charges diverses ; ce chiffre est à comparer aux 3,656 milliards d'euros de bénéfices réalisés et aux 2,865 milliards d'euros de dividendes versés. Concrètement, ces aides comptent pour moitié dans les bénéfices réalisés et représentent une part significative des dividendes versés aux actionnaires !

Je cite cet exemple, car il est particulièrement éclairant - je précise que M. Bompard n'a pas contesté les chiffres. Qu'en pensez-vous, madame Vautrin, en tant que ministre du travail ? Les exonérations de charges doivent-elles servir à accroître les bénéfices des grandes entreprises et à rémunérer les actionnaires ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Il me serait difficile de commenter ces chiffres, car je ne dispose pas des éléments d'appréciation que pourraient me fournir les services de mon ministère. En revanche, j'aurais souhaité disposer également du montant de l'impôt sur les sociétés, des cotisations et des diverses taxes payés par cette grande entreprise, ainsi que le montant de sa contribution supplémentaire à l'apprentissage et de son versement mobilité, de sorte à avoir une vision réellement globale de la situation. Ce que vous exposez est extrêmement intéressant, mais le sujet mérite d'être étudié dans son intégralité et évalué à 360 degrés.

Sur le fond, monsieur le rapporteur, je pense comme vous que nous avons un excellent modèle social. Je ne veux pas laisser croire que je puisse penser différemment. Il faut simplement que chacun ait bien en tête qu'il convient aujourd'hui de faire des économies.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Dans ce cas, madame la ministre, arrêtez de détricoter ce modèle à la moindre occasion ! Du reste, votre réponse sur les chiffres que je viens de citer me fait penser à ce que répondent systématiquement les patrons que j'interroge quand je mets en balance les aides que leur entreprise perçoit et les bénéfices qu'elle fait…

Laissons Carrefour un instant et parlons de nouveau de STMicroelectronics, société qui perçoit beaucoup d'argent public, presque un demi-milliard d'euros de crédits d'impôt chaque année, sans payer le moindre euro d'impôt ! Sans compter qu'elle vient d'annoncer qu'elle va supprimer 1 000 emplois. Quelque chose ne tourne pas rond !

M. Olivier Rietmann, président. - Je rejoins le rapporteur au sujet de STMicroelectronics.

Quand une entreprise explique qu'elle fait des bénéfices importants au niveau mondial, mais que ses activités sur le sol français sont insuffisantes pour gagner de l'argent, donc pour payer des impôts en France, cela me semble normal. En revanche, quand une entreprise qui a touché énormément d'aides au sortir de la crise de la covid-19, sous prétexte de préserver l'indépendance de notre pays dans le domaine des semi-conducteurs, explique qu'elle ne paie pas d'impôts en France parce qu'elle ne vend pas ses produits sur notre territoire, il y a un problème, madame la ministre !

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Je vous entends parfaitement, monsieur le président. Je me contentais de réagir aux montants cités par M. le rapporteur, en faisant remarquer qu'il était préférable de disposer de la totalité des chiffres, notamment en termes de création de richesses, de taxes et d'impôts payés. C'était le sens de ma réponse.

M. Olivier Rietmann, président. - Par souci de transparence, précisons que les chiffres relatifs au CICE et aux exonérations de charges sont nationaux et que les montants des bénéfices et des dividendes sont, eux, internationaux…

M. Michel Masset. - Madame la ministre, vous avez souligné que toutes les aides et exonérations étaient contrôlées a posteriori. De quels moyens disposez-vous pour effectuer ces contrôles ? Pensez-vous les amplifier ? J'ai notamment entendu parler d'un plan de lutte contre la fraude sociale. Dans quelle proportion les entreprises n'ont-elles pas joué le jeu ? Sont-ce toujours les mêmes entreprises qui bénéficient des aides ou exonérations ? Enfin, les formulaires d'aides et d'exonérations sont-ils suffisamment simples pour que toutes les entreprises puissent les remplir et en bénéficier ? Ces documents sont-ils suffisamment connus de tous ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Madame la ministre, les travaux de notre commission d'enquête m'amènent à la conclusion que l'octroi d'aides publiques permettait de compenser les charges sociales et fiscales, qui sont très élevées en France par rapport à d'autres pays d'Europe ou même du monde, et permettait d'assurer le maintien de la compétitivité de nos entreprises à l'international.

Le ministère a-t-il conduit des études permettant d'évaluer l'effet sur l'emploi d'une baisse généralisée de ces charges, en comparaison du montant des aides publiques octroyées ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Monsieur le sénateur Masset, l'Urssaf est évidemment l'un des grands acteurs de la lutte contre la fraude. L'année dernière, ce sont ainsi 64 000 contrôles qui ont été menés.

Vous m'interrogez sur la lisibilité des formulaires : les très grandes entreprises, qui font l'objet de votre commission d'enquête, disposent d'équipes dont le métier est précisément d'aller chercher les aides, si je puis dire ; en outre, elles ont en règle générale les moyens de répondre aux formulaires et de payer les amendes qui leur sont infligées. Je précise que l'administration respecte le principe du "dites-le-nous une fois", qui équivaut à l'application d'un droit à l'erreur.

Aujourd'hui, nous souhaitons aller plus loin en matière de recouvrement et mobilisons les Urssaf pour progresser dans ce domaine. En effet, à l'heure actuelle, le rapport entre le montant des amendes infligées et le montant recouvré est de un à dix.

Madame la sénatrice Renaud-Garabedian, vous avez raison, l'objectif de ces aides publiques est de compenser notre manque de compétitivité. Le rapport de la mission Bozio-Wasmer montre qu'en réduisant le coût du travail on rend de la compétitivité à nos entreprises. C'est tout le sens de la baisse des cotisations patronales que nous avions prévue dans le projet de loi de finances pour 2025 et qui a donné lieu à un débat parlementaire nourri. Il nous reste à évaluer les incidences de cette mesure sur le maintien de l'emploi dans les entreprises.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Madame la ministre, en 2023, on a créé la mission interministérielle de coordination antifraude (Micaf). Cette cellule nationale de veille contre la fraude aux aides publiques a permis de créer des synergies grâce à une doctrine commune des administrations et des organismes chargés du versement des aides publiques.

Quand vous parlez d'aides publiques d'une manière générale, s'agit-il également des aides consenties aux entreprises ? Et, dans l'affirmative, quelle est la méthodologie employée pour détecter la fraude ? Quels sont les résultats obtenus en matière de fraude en 2024 ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Je m'engage à vous transmettre une réponse détaillée par écrit si tant est que des résultats soient d'ores et déjà disponibles. Je rappelle que la mise en place de la Micaf est très récente, et je crains de manquer d'éléments sur le sujet.

M. Fabien Gay, rapporteur. -Je reste un peu sur ma faim concernant les chiffres sur les aides publiques que je vous ai demandé de commenter.

Madame la ministre, j'estime pour ma part que de telles situations sont inacceptables. Le monde salarié, dans sa grande diversité, ne peut plus comprendre que des entreprises viables économiquement, qui dégagent d'importants bénéfices, versent des dividendes et procèdent à des rachats d'actions pour plusieurs milliards d'euros, continuent à percevoir des aides publiques via des crédits d'impôt, des exonérations, des subventions directes ou indirectes, et puissent ensuite déclencher des plans sociaux de grande envergure, surtout dans la période actuelle.

Contrairement à ce que vous venez de dire, le suivi des aides publiques est peu ou prou inexistant, tout comme l'évaluation de tous ces dispositifs. C'est ce que confirment les auditions que nous avons menées, que ce soit avec l'IGF ou la DGFiP (direction générale des finances publiques). Certes, le contrôle fiscal est plutôt bien fait en France ; en revanche, pour ce qui est du suivi et de l'évaluation des dispositifs, on patauge beaucoup.

Dernière question, madame la ministre : êtes-vous favorable à ce que l'on fasse toute la transparence sur l'étendue et le montant des différents dispositifs d'aide publique ? Nous avons été surpris de constater ici que la quasi-totalité des PDG interrogés étaient assez d'accord avec cette idée - je précise qu'ils estimaient néanmoins que ce travail de transparence était plutôt du ressort de l'administration et non de chaque entreprise.

Seriez-vous d'accord pour rendre public, entreprise par entreprise, le montant des exonérations de cotisations, celui des aides à l'apprentissage, ainsi que les aides versées au titre du chômage partiel, ces dernières intéressant au premier chef les salariés et leurs organisations syndicales ?

M. Olivier Rietmann, président. - Puisque M. le rapporteur a prononcé le mot, je terminerai en évoquant l'apprentissage.

Je suis de ceux qui estiment qu'il est tout à fait normal de diminuer le montant des aides publiques versées à un moment donné, et à juste titre, pour favoriser un modèle, comme celui de l'apprentissage, dès lors que ce modèle est bien ancré dans un écosystème, fonctionne de lui-même et semble pérenne.

Le choix a été fait de réduire l'aide à l'apprentissage dans le cadre du dernier projet de loi de finances. Je ne mets pas en cause cette décision à proprement parler, mais je regrette que nous n'ayons pas disposé d'éléments d'appréciation plus précis pour fixer le plus rationnellement possible le montant de cette baisse. Nous avons eu le sentiment qu'il s'agissait d'un coup de rabot à l'aveugle, faute d'évaluations détaillées, secteur par secteur, taille d'entreprise par taille d'entreprise.

Je suis convaincu que l'on parviendra, à terme, à diminuer les aides à l'apprentissage, tant ce modèle a vocation à s'étendre. D'ici là, vous engagez-vous, madame la ministre, à ce que les parlementaires puissent disposer de véritables critères d'évaluation dans le projet de loi de finances pour 2026, pour calibrer ces aides au plus juste ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - J'entends votre demande, monsieur le président. Je ne vois aucune difficulté à ce que nous y travaillions. Il y a deux écoles aujourd'hui : il y a, d'un côté, ceux qui considèrent qu'il faut privilégier les petites entreprises, donc qu'il ne faut plus verser d'aides à l'apprentissage aux grandes entreprises ; de l'autre, il y a ceux qui disent que les aides doivent continuer d'être versées à toutes les entreprises, mais seulement jusqu'à un certain niveau de diplôme, moins élevé qu'actuellement.

Il ne faut pas oublier la dimension territoriale du sujet. Dans les territoires frontaliers, comme le vôtre, monsieur le président, on est frappé de constater que tous les jeunes en formation dans les centres d'apprentissage n'ont qu'un rêve, celui de partir travailler dans le pays voisin…

En réponse à M. le rapporteur, je tiens à dire que je n'ai aucun problème avec son souci de transparence. Dans le questionnaire que la commission d'enquête a adressé à mon ministère, nous avons ainsi cité un certain nombre d'entreprises et livré des chiffres assez précis sur le montant perçu par les unes et des autres et sur leur recours aux différents dispositifs d'accompagnement. Vous disposez donc déjà de données fournies à ce sujet, et il me semble parfaitement naturel que de tels éléments soient mis à la disposition de votre commission. La seule limite qui s'impose est celle du secret statistique.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Madame la ministre, je ne vous parlais pas des données collectées par la commission d'enquête. En l'occurrence, les prérogatives d'une telle commission l'autorisent à interroger l'ensemble des ministres et à demander l'ensemble des pièces qu'elle juge utiles dans le cadre de ses travaux. En tant que rapporteur, je peux même me rendre dans les services de votre ministère pour les récupérer ! Nous vous avons adressé un questionnaire, vous y avez répondu. Dont acte !

Moi, ce dont je vous parle, c'est d'améliorer la transparence sur les aides publiques, qu'il s'agisse des aides pour la prise en charge du chômage partiel, des aides à l'apprentissage ou des exonérations de cotisations.

J'observe que, très souvent, les comités sociaux et économiques (CSE) ne connaissent pas le montant des aides publiques, des différents crédits d'impôt, des exonérations de cotisations dont bénéficie l'entreprise. Seriez-vous favorable, madame la ministre, à faire la transparence sur ces dispositifs, de telle sorte qu'au minimum les salariés et les CSE y aient accès ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - L'existence d'un dialogue social de qualité, qui permette à toutes les instances de l'entreprise d'être informées, me paraît essentielle. De la même manière, je suis de ceux qui restent profondément attachés à l'intéressement et à la participation, qui sont d'autres éléments favorisant un dialogue social de qualité.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Personnellement, je reste attaché au salaire, car c'est sur celui-ci que reposent notre modèle social et les cotisations.

Mme Catherine Vautrin, ministre. - L'un n'empêche pas l'autre !

M. Fabien Gay, rapporteur. - Certes, mais, depuis une quinzaine d'années, on voit bien que l'on substitue à la question des salaires celles du pouvoir d'achat, de l'intéressement, de la participation, voire de l'actionnariat salarié.

Je ne suis pas sûr d'avoir compris votre réponse : vous êtes plutôt favorable au dialogue social. Mais quid d'une transparence totale, par exemple sous la forme d'un tableau comprenant l'ensemble des données, qui serait disponible sur le site du ministère du travail ?

Mme Catherine Vautrin, ministre. - Je viens de parler d'une transparence totale au sein de l'entreprise dans le cadre du dialogue social. Cela me semble être un élément important, qui fait d'ailleurs l'objet d'un certain nombre d'obligations légales.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Madame la ministre, je suis régulièrement interpellé par des salariés, qui découvrent les montants des aides publiques que leur entreprise a perçues et me disent qu'ils n'en savaient rien ! Depuis le début de ces auditions, M. le président et moi-même avons reçu énormément de salariés, qui sont scandalisés par cette situation. Pour ne prendre que cet exemple, tout le monde ignorait chez Sanofi que l'entreprise avait perçu près de 1 milliard d'euros en dix ans au titre du crédit d'impôt recherche.

Cette transparence que je réclame est d'utilité publique. Elle serait un élément essentiel du dialogue social apaisé que vous appelez de vos vœux ; elle contribuerait à renouer le lien de confiance entre les Français et leurs entreprises.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci beaucoup, madame la ministre.


Source https://www.senat.fr, le 19 mai 2025