Interview de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, à France Inter le 16 mai 2025, sur la reconstruction de la Nouvelle-Calédonie, un an après les violences du 13 mai 2024.

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Média : France Inter

Texte intégral

ALI BADDOU
Invité du Grand Entretien, ce vendredi matin, avec Marion L'HOUR, nous recevons un ancien Premier ministre, il est ministre d'État, ministre des Outre-mer. Question, chers auditeurs, au 01 45 24 7000 ou sur l'application Radio France, il revient de Nouvelle-Calédonie, où il était il y a quelques jours. Bonjour Manuel VALLS.

MANUEL VALLS
Bonjour.

MARION L'HOUR
Bonjour.

ALI BADDOU
La Nouvelle-Calédonie, c'est justement le point de départ de notre entretien. Beaucoup de sujets à aborder avec vous, mais on se souvient qu'il y a tout juste un an, des violences, des centaines d'incendies s'étaient déclarés, quatorze personnes tuées. Où en est-on aujourd'hui puisque vous revenez de Nouvelle-Calédonie ? La situation politique est toujours bloquée. Est-ce qu'on a encore un petit espoir ? La tension, elle vous inquiète ?

MANUEL VALLS
Évidemment, les violences du 13 mai 2024 ont fait bien plus que détruire des bâtiments et des commerces. Pour plus de deux milliards d'euros, il faut le rappeler tout de même, mais surtout le sang a coulé. Ces violences ont brisé un équilibre que l'on croyait solide après les accords de Matignon et de Nouméa. Elles ont réveillé…

ALI BADDOU
Anciens, anciens.

MANUEL VALLS
Oui, mais avec une exemplarité…

ALI BADDOU
98, 88.

MANUEL VALLS
Oui, mais ça tenait du dialogue, un exemple notamment pour la région pacifique. Elles ont réveillé des peurs que l'on croyait enfouies. Elles ont fait ressurgir un racisme aussi bien à l'égard des Kanaks que des Européens, que des Blancs qu'on pensait dépasser. Donc, quelles sont les priorités ? Reconstruire la Nouvelle-Calédonie, et c'est ce que fait l'État. Trois milliards d'euros ont été investis en 2024 et ça sera encore le cas en 2025. Pour ça, il faut aussi des réformes. Et puis, en effet, poursuivre, nous n'avons pas d'autre choix, le dialogue politique pour permettre les conditions et du redressement économique grâce à la stabilité et puis surtout le retour à la paix civile.

ALI BADDOU
Le dialogue ou la force, Manuel VALLS ? Le dialogue ou la force puisque de nombreux rassemblements, manifestations, défilés, cortèges dans des communes autour de Nouméa ont été interdits. Vous redoutez des scènes de violence et est-ce qu'on peut maintenir un semblant de paix par l'usage de la force et notamment l'envoi de forces de l'ordre en nombre, en très grand nombre ?

MANUEL VALLS
Il fallait assurer la paix et d'ailleurs il y a eu des appels au calme de toutes les forces politiques. Les vingt escadrons de gendarmerie, les forces de police, les unités d'élite, GIGN, RAID, qui sont là sous l'autorité du haut-commissaire permettent le maintien de cette paix. Mais là où vous avez raison, c'est que sans redressement économique, sans justice sociale et sans un accord politique, on ne peut pas maintenir les conditions d'une vraie démocratie, d'une paix, d'un apaisement dans la durée. C'est pour cela qu'il faudra, il faut un accord politique, qu'on éclaircisse l'horizon et j'en viens à l'essentiel. Sans la fin, je sais que c'est parfois un peu compliqué, mais sans la fin du processus de décolonisation, puisqu'il s'agit encore de terminer ce processus de décolonisation, et sans l'exercice du droit à l'autodétermination sous des formes qu'il faut examiner, nous ne réglerons pas l'histoire de cette colonie de peuplement, de cette colonie pénitentiaire unique avec son histoire très particulière qui fascine et qui fascine nos compatriotes, sans doute depuis les accords, vous en parliez, réalisés grâce à Michel ROCARD.

ALI BADDOU
En 88.

MANUEL VALLS
Et entre Jean-Marie DJIBAHOU et Jacques LAFLEUR, la fameuse poignée de main entre un kanak et un Européen qui avait permis cette paix que nous évoquions. Donc il faut faire le même effort, il faut négocier parce que la paix, comme disait Michel ROCARD, c'est le courage de céder sur certains points au nom d'un objectif plus essentiel, le courage de transformer l'ennemi en interlocuteur. Moi, je reste dans cette filiation, il n'y a pas d'autre chemin que de réussir à concilier ce qui parfois apparaît comme inconciliable.

MARION L'HOUR
Mais Manuel VALLS, depuis le début de cet entretien vous prônez le dialogue, or vous avez repris les négociations début février, vous êtes allé trois fois sur le caillou en Nouvelle-Calédonie et le 8 mai dernier les négociations ont été interrompues, notamment sous la pression des loyalistes. Des loyalistes qui réclament quand même votre démission parce qu'ils ne supportent pas que vous parliez d'une souveraineté de la Nouvelle-Calédonie avec la France, c'est-à-dire une forme peut-être de fédéralisme en quelque sorte. La députée de Mayotte, Estelle YOUSSOUPHA, dit même que vous préparez le largage des Outre-mer. Qu'est-ce que vous pouvez répondre ?

MANUEL VALLS
Mais que tout ce qui est excessif est inutile, et qu'évidemment ça n'a rien à voir avec la réalité. Tous les partenaires se sont retrouvés autour d'une même table, pas seulement pour discuter mais pour négocier à partir de ce mois de février.

MARION L'HOUR
Mais là, c'est interrompu !

MANUEL VALLS
Oui, non pas tout à fait. C'est un fait inédit d'abord depuis 2019, et impensable il y a encore quelques semaines, et le dialogue va se poursuivre. Il n'y a pas d'autre solution, et moi, j'ai invité tous les partenaires politiques, mais aussi les forces économiques et sociales, et d'une manière générale la société civile calédonienne, qui est un peu parfois ignorée par la responsable politique, à s'engager avec l'État pour la paix, le dialogue, la reconstruction. J'ai proposé six grands engagements autour de la sécurité, de la démocratie, au fond de refaire société à travers le dialogue, de la reconstruction économique bien évidemment. Il y a des priorités qui ne sont pas de la compétence de l'État, qui sont de la compétence des institutions calédoniennes. Je pense au système de santé qui, aujourd'hui, est par terre, avec de véritables risques vitaux. La question de la jeunesse, parce qu'au fond ce qui s'est passé, aussi bien pour les personnes d'origine européenne que pour les Kanaks, ce qui a été visible il y a un an, c'est aussi la grande détresse de la jeunesse, et notamment la jeunesse kanake. Sur tous ces sujets de fond, il faut travailler.

ALI BADDOU
Mais explication de texte Manuel VALLS, vous avez parlé d'une souveraineté de la Nouvelle-Calédonie, avec la France ce serait l'horizon, et le seul horizon pour mettre un terme à cette situation que vous avez qualifiée de coloniale. Si on doit aller au bout de votre logique, pourquoi ne pas prononcer tout simplement le mot d'indépendance, de décolonisation ?

MANUEL VALLS
Parce qu'il faut réussir à concilier l'aspiration…

ALI BADDOU
La souveraineté avec la France, c'est très paradoxal. On a l'impression d'entendre les discours ambigus des années 50, quand on était en plein processus de décolonisation.

MANUEL VALLS
Non, parce que ce mot est accepté par tous, et notamment par les organisations indépendantistes, et plus particulièrement par Emmanuel TJIBAOU, qui est un leader qui s'est révélé de mon point de vue, et qui porte une histoire lourde, et qui a négocié avec beaucoup d'intelligence. Il s'agit de concilier l'aspiration du maintien d'un lien fort avec la France. Chacun le reconnaît, on est dans le Pacifique, il y a des prédateurs, il y a d'autres formes de colonialisme qui s'instaurent, notamment à travers la Chine dans cette région, et l'achèvement du processus de décolonisation. Et oui, j'ai proposé ce partenariat avec la France, qui permet cette souveraineté, qui permet ce lien, toujours avec la France. Et moi, je pense que c'est cette voie-là. Alors certains parlent de confédéralisme, d'autres de fédéralisme. Au fond, vous savez, je ne veux pas pêcher par optimisme, je ne veux pas transformer la fin d'une discussion en un triomphe, mais moi, je crois qu'on peut toujours poursuivre ce dialogue, chacun est conscient.

ALI BADDOU
D'autant que vous parlez de succès, là où d'autres voient un échec.

MANUEL VALLS
Je ne parle pas de succès, je dis que chacun, j'ai moi-même prononcé le mot échec.

MARION L'HOUR
Mais ce n'est pas rompu.

MANUEL VALLS
Je reste dans le parler vrai. Mais il n'y a pas d'autre choix, si vous voulez, pour résumer les choses. On ne peut pas faire un référendum sans les Kanaks. Ça c'est les leçons…

MARION L'HOUR
Il y en a eu trois déjà, ils ont dit non à l'indépendance.

MANUEL VALLS
En plus, c'est les leçons des référendums de 1987 et de 2021. On ne peut pas réformer le corps électoral, parce que c'est quelque chose de…

MARION L'HOUR
C'est ça qui a déclenché les émeutes il y a un an.

MANUEL VALLS
Sans les Kanaks, parce que si on veut le réformer contre eux, eh bien, à chaque fois, on peut voir le basculement vers la violence. Et il n'y a pas de destin commun sans tous les Calédoniens, quelles que soient les origines. On ne peut pas imposer aux uns et aux autres, vu les équilibres démographiques et d'origine, un accord. Donc, il n'y a pas d'autre choix que de trouver une voie sui generis, originale, dans la Constitution française, et qui permette, à 17 000 kilomètres de Paris, l'exercice de cette souveraineté. D'ailleurs, la Calédonie exerce, sauf en matière de sécurité, de défense et de monnaie... Elle a de larges compétences.

ALI BADDOU
Elle a de larges compétences. Mais parlons de la situation et des tensions d'aujourd'hui, Manuel VALLS. Y a-t-il des prisonniers politiques aujourd'hui, en Nouvelle-Calédonie ?

MANUEL VALLS
Je n'ai jamais utilisé ce mot et je ne l'utiliserai pas.

ALI BADDOU
Non, mais d'autres l'utilisent.

MANUEL VALLS
Oui, mais c'est normal, chacun peut utiliser le vocabulaire.

ALI BADDOU
Et vous le comprenez ?

MANUEL VALLS
Il y a des procédures judiciaires, qui concernent un certain nombre d'individus, qui sont accusés d'avoir fomenté, participé aux émeutes de l'année dernière, qui ont participé, je le rappelle, à des destructions particulièrement importantes, et qui ont abouti surtout à des morts.

ALI BADDOU
Mais des violences dont ils disent qu'elles étaient politiques ?

MANUEL VALLS
Il y a une part de ces violences. Moi, la place qui est la mienne, et vous connaissez aussi quelles peuvent être mes positions sur ces sujets-là, je ne justifierai jamais les violences. Mais reconnaissons, en effet, qu'entre un troisième référendum, qui sur le plan légal est incontestable, mais qui a vu une abstention massive, notamment des Kanaks, et la volonté d'imposer une réforme du corps électoral contre l'avis des indépendantistes, ça a donné en tout cas un prétexte, et en tout cas ça a abouti à un processus de violences. Ces violences ont créé un choc tellement lourd, tellement important dans la société calédonienne, personne ne veut revivre ça. Et donc il y a une attente très forte. C'est pour ça que je parlais d'accord ou de chaos. Parce que sans la stabilité, comment voulez-vous qu'il y ait des investisseurs en Nouvelle-Calédonie ? Comment voulez-vous qu'il y ait des repreneurs pour les usines, pour les entreprises de nickel, qui sont essentielles à l'avenir du territoire, et pas seulement à l'avenir du territoire, c'est stratégique pour la France. Donc, sans stabilité, il est difficile d'entrevoir un avenir apaisé pour la Nouvelle-Calédonie. Donc moi, je ne lâche rien. Je pense que la proposition que j'ai mise sur la table, évidemment à discuter, à négocier, à amender, doit permettre cette conciliation entre ces deux aspirations : le lien avec la France et la souveraineté. Et grâce à la méthode qui était la mienne, les indépendantistes, le FLNKS, sont venus à la table de négociation, ils ont accepté le projet que je mettais sur la table, soutenu aussi par des forces non indépendantistes. Les loyalistes et le Rassemblement, eux, étaient sur un autre projet, un projet plus de partition du territoire, mais ils sont restés, il y a des points de convergence sur l'idée d'avoir une loi fondamentale pour la Nouvelle-Calédonie, de travailler sur les compétences régaliennes, sur la modification du Congrès, sur les priorités pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. Donc, moi, je ne lâcherai pas l'idée que l'on peut trouver les voies d'une conciliation.

MARION L'HOUR
Mais si le dialogue n'est pas rompu, vous y retournez bientôt ? Vous avez un prochain rendez-vous ?

MANUEL VALLS
De toute façon, j'ai annoncé la mise en place d'un comité de suivi, et les réunions, elles se font soit par visioconférence, soit sur place, soit à Paris, et évidemment, à un moment ou un autre, je ne manquerai pas de retourner en Nouvelle-Calédonie, d'abord parce qu'il y a les priorités économiques, financières et sociales qui me préoccupent, mais parce qu'il y a la poursuite nécessaire du dialogue politique, et puis à un moment, il faudra faire le choix aussi de convoquer les élections provinciales.

ALI BADDOU
Avant de revenir en métropole, une autre situation extrêmement tendue, Manuel VALLS. Autre territoire ultramarin et autre sujet d'actualité. Le Sénat a adopté mercredi en commission le projet de loi sur la refondation de Mayotte. Mayotte dévastée par le cyclone Chido en décembre dernier. Il faut rappeler les quarante morts, les milliards d'euros de dégâts. Il sera soumis au vote mardi. Il prévoit un investissement de 3,2 milliards d'euros d'ici 2031 vers des priorités : l'eau, l'éducation, la santé, les infrastructures, la sécurité. Est-ce que ce projet a une chance d'être voté, ce plan d'investissement ?

MANUEL VALLS
Oui, bien sûr, je le présente lundi au Sénat en séance, et nous allons débattre au-delà de mardi, toute la semaine, et nous le présenterons également au mois de juin à l'Assemblée nationale. Je pense qu'il sera adopté, avec évidemment des modifications. C'est le droit des parlementaires. Le projet de loi de programmation est d'une ambition sans précédent pour la refondation de Mayotte. Il porte, vous l'avez dit, des mesures fortes en matière d'immigration illégale et de lutte contre les bidonvilles. Il accélère et garantit la convergence sociale, ça c'est la promesse républicaine de ces Mahorais qui ont fait le choix.

ALI BADDOU
À propos de promesse républicaine, ça passera par l'abrogation du droit du sol ?

MANUEL VALLS
Non, parce que…

ALI BADDOU
Non, vous êtes opposé ?

MANUEL VALLS
Non, mais il y a une proposition de loi qui a été adoptée et qui a été confirmée par le Conseil constitutionnel, qui restreint le droit du sol.

ALI BADDOU
Et il y a le défi migratoire ?

MANUEL VALLS
Mais j'ai toujours dit que je m'opposerais à l'idée d'abroger le droit du sol d'une manière générale. Donc, il y a la convergence sociale, parce que ça c'est la promesse républicaine, c'est l'attente des Mahorais qui ont toujours fait le choix de la France, et il y a l'amélioration de l'accès à l'éducation et à la santé, et puis évidemment, il y a toutes les urgences vitales, eau, déchets, et là, c'est très difficile. Il ne faut pas se raconter d'histoires. Nous sommes quatre mois après Chido, l'impression générale est celle d'une stabilisation, mais il y a encore beaucoup de problèmes dans le domaine de l'eau, de l'électricité. Mais il y a des chantiers de reconstruction, des immeubles d'habitation qui sortent déjà de terre, il y a les investissements que vous avez évoqués. Et donc, je suis allé trois ou quatre fois, Premier ministre, le président de la République également, et ce projet de loi, quand il sera adopté, sera, me semble-t-il, grâce en plus à une mission interministérielle qui est à mes côtés et qui garantit la continuité, et qui est animée par un général, le général Pascal FACON, ça permet dans le temps, dans les cinq à dix ans qui viennent, de transformer profondément, de refonder Mayotte, comme l'avait souhaité François BAYROU.

MARION L'HOUR
Et il y a la question de la santé aussi, puisque Mayotte est également touchée par le chikungunya, qui sévit beaucoup à La Réunion. En ce moment, il y a 50 000 personnes qui ont été touchées, ça a fait douze morts. Une campagne de vaccination est en cours avec le vaccin du laboratoire VANNEVA, qui s'appelle XCHIK. Mais la vaccination a été interrompue pour les plus de 65 ans, parce qu'il y a eu un décès lié à cette injection. Quel message vous voulez donner au reste de la population ? Est-ce qu'on peut continuer à se vacciner sans risque contre cette maladie ?

MANUEL VALLS
Je laisse les autorités de santé s'exprimer sur ce sujet. Il faut bien reconnaître que ce vaccin n'a pas rencontré un grand succès, d'abord parce que l'épidémie était très avancée.

MARION L'HOUR
Elle arrive en France métropolitaine.

MANUEL VALLS
Et l'essentiel, ce sont toutes les mesures de prévention que nous avons mises en place en renforçant les moyens sur le terrain.

ALI BADDOU
On file au Standard, Manuel VALLS. Bonjour Thierry, bienvenue sur France Inter. Vous avez une question qui tient à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

THIERRY, AUDITEUR
Oui, bonjour. Merci d'avoir pris ma question. On parle très peu des questions géopolitiques. Ma question est très simple : est-ce que les résistances au fait d'accorder l'indépendance à la Nouvelle-Calédonie ne sont pas liées au fait que ce territoire serait livré à moyen ou à court terme à la Chine ?

ALI BADDOU
Merci pour votre question. C'est une question qui revient régulièrement sur l'application Radio France. Également, Manuel VALLS.

MANUEL VALLS
Je veux rappeler que les Calédoniens ont voté par trois fois. Deux fois de manière incontestable pour le maintien dans la France. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne doit pas rediscuter et faire en sorte qu'on sorte du processus de décolonisation et qu'on exerce le droit à l'autodétermination. Mais c'est vrai. Dans la région, la Chine tente évidemment d'imposer son influence. Mais avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande et les autres pays, la France, dans le cadre de la stratégie Indopacifique annoncée par le président de la République il y a deux ans, la France, oui, a son mot à dire à travers la Polynésie française, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie. Et qu'on soit indépendantiste ou non, on souhaite ce lien avec la France précisément pour préserver une certaine idée de la démocratie, une certaine idée de ce qu'est l'économie, du vivre ensemble. Donc, cette présence française, d'une manière ou d'une autre, à travers notamment la défense et la monnaie, cette présence française, elle est indispensable en Nouvelle-Calédonie.

ALI BADDOU
Vous parlez comme Edgar FAURE. On va revenir en France, Manuel VALLS, qui parlait justement de l'indépendance dans l'interdépendance, ça n'avait pas…

MANUEL VALLS
Pardon, c'est une phrase de Jean-Marie TJIBAOU, donc il y a une référence encore plus récente.

ALI BADDOU
Alors, on va revenir justement en France, c'est une information FRANCE INTER.

MANUEL VALLS
C'est la première fois que vous me dites que je parle comme Edgar FAURE.

MARION L'HOUR
Vous êtes ému.

MANUEL VALLS
C'est la première fois.

ALI BADDOU
Écoutez, il faut bien une première fois. Information France Inter, Manuel VALLS. Les policiers de huit pays européens, dont la France, sous l'égide d'Europol, ont repéré ces derniers mois tout un réseau de recrutements d'enfants. Question à l'ancien ministre de l'Intérieur, qui connaît bien les questions de sécurité : des dizaines de pré-ados qui sont susceptibles d'être recrutés pour commettre des assassinats sur fond de narcotrafic. Comment est-ce qu'on s'attaque à ce genre de situation ? Et comment est-ce que la justice peut punir des gamins qui, il n'y a pas d'autre mot, ont parfois douze ans, treize ans ?

MANUEL VALLS
Et le ministre des Outre-mer que je suis est confronté à ce problème à la puissance dix.

ALI BADDOU
À Mayotte notamment

MARION L'HOUR
En Martinique aussi.

MANUEL VALLS
Surtout aux Antilles, en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe, qui sont des sociétés qui, aujourd'hui, peuvent s'effondrer sous la pression du narcotrafic, qui a pris en dix-quinze ans…

MARION L'HOUR
Avec des mesures spéciales qui ont été mises en place…

MANUEL VALLS
Des dimensions d'État. Ils ont des moyens considérables. Donc c'est en augmentant d'abord les moyens de sécurité et de justice, ce que nous faisons aussi dans les territoires ultramarins. Ce que la nouvelle loi, qui est une initiative parlementaire, permet contre le narcotrafic. Mais, c'est une mobilisation entière de la société. Je pense qu'à travers votre question, ce que je peux dire à travers ma réponse, c'est que les citoyens ne prennent peut-être pas conscience, non pas des effets du narcotrafic, mais de la dimension que cela prend avec le recrutement des enfants.

ALI BADDOU
"Enfant", le mot est important.

MANUEL VALLS
Je discutais hier avec mes anciens collaborateurs, dont l'un a été consul général au Brésil, et qui me rappelait qu'au Brésil, en Colombie, au Mexique, le narcotrafic utilise depuis toujours les enfants. Ça a été vrai aussi avec la mafia italienne, notamment à Naples. Rappelez-vous du livre de Roberto SAVIANO sur ce sujet-là. Et donc c'est vrai aujourd'hui aussi en France. Il faut une coopération internationale. À travers cette opération de police, on voit que c'est possible de lutter contre ce narcotrafic. Mais c'est une mobilisation de la santé, de la société, dans tous les domaines : la santé, la prévention, l'école, la justice, la sécurité. C'est une guerre que nous mène le narcotrafic.

MARION L'HOUR
Emmanuel VALLS, la semaine politique a été marquée également par l'interview fleuve du chef de l'État, Emmanuel MACRON, qui a répondu pendant plus de trois heures aux questions des journalistes mardi soir. Qu'est-ce que vous retenez réellement de cet exercice ? Parce que le président de la République, il a réuni cinq millions de téléspectateurs. C'est trois fois moins que lors de son intervention sur la situation internationale en mars dernier. Il y a eu de la lassitude ?

MANUEL VALLS
Gouverner, c'est difficile. Surtout dans la période que nous connaissons, dans un monde instable, avec la guerre en Ukraine et un conflit sur les questions commerciales ouvertes par l'administration…

ALI BADDOU
Mais peut-on gouverner quand on est empêché, quand on n'a pas de majorité, Emmanuel VALLS ?

MANUEL VALLS
Et je rajoute qu'en effet, depuis la dissolution, il y a une situation extrêmement difficile. Mais nous gouvernons.

ALI BADDOU
Difficile ou bloqué ?

MANUEL VALLS
Non, ce n'est pas bloqué. Nous gouvernons. Regardez, moi, je défends une deuxième loi sur Mayotte. J'agis en Nouvelle-Calédonie. Je vais présenter dans quelques semaines un projet de loi qui a été très concerté pour lutter contre la vie chère dans les Outre-mer. Il y a le texte de loi sur le narcotrafic, que nous venons d'évoquer, qui a été adopté. Le budget et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale ont été aussi adoptés. Il y a des mesures agricoles qui le sont.

MARION L'HOUR
Là aussi, vous êtes optimiste.

MANUEL VALLS
Non, je veux dire, il n'y a pas de blocage. C'est difficile, bien sûr. Mais quelle est l'alternative, pour aujourd'hui et pour demain ?

MARION L'HOUR
Dissoudre à nouveau ?

MANUEL VALLS
Il n'y a pas d'autre alternative, de mon point de vue, que d'essayer de concilier, en effet, des forces politiques républicaines, avec des hommes et des femmes qui viennent de la gauche et de la droite pour réformer ce pays. Il n'y a pas d'autre alternative.

ALI BADDOU
Vous connaissez le poste. Le Premier ministre François BAYROU est dans la tourmente, notamment après son audition à l'Assemblée nationale sur l'affaire Bétharram. Il vous a convaincu ?

MANUEL VALLS
Il n'a pas besoin de convaincre. François BAYROU s'est défendu avec beaucoup de force, avec la vérité qu'il a apportée face à une commission, à une partie des parlementaires qui voulaient en faire une cible politique.

MARION L'HOUR
Elle était à charge ?

MANUEL VALLS
Totalement. Il a montré d'abord sa force, sa combativité, sa dignité.

ALI BADDOU
Il faut supprimer ce type d'audition, comme le propose Marc FESNEAU ?

MANUEL VALLS
Non, je ne crois pas. C'est le rôle du Parlement. Une audition de cinq heures trente, oui, c'est sans aucun doute un record, mais ça a permis à François BAYROU, au Premier ministre, au père aussi, à l'homme qui a été mis en cause de manière ignoble, scandaleuse… C'est normal que le Parlement, comme la justice, s'intéresse à ce qui s'est passé il y a trente ans dans cette école, avec des faits qui sont monstrueux. Mais moi, je suis très fier de travailler avec François BAYROU. C'est lui qui m'a proposé d'entrer dans ce Gouvernement, et dans des situations très difficiles, que vous venez de décrire, il trace le chemin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 mai 2025