Interview de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à France Info le 19 mai 2025, sur le nouveau président du parti Les Républicains Bruno Retailleau, la vie politique en France et la politique agricole.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

SALHIA BRAKHLIA
Bonjour Annie GENEVARD.

ANNIE GENEVARD
Bonjour.

JÉRÔME CHAPUIS
Bonjour.

SALHIA BRAKHLIA
C'est vous qui avez proclamé les résultats hier à 18h39 précisément. Bruno RETAILLEAU est donc le nouveau président du parti Les Républicains.

BRUNO RETAILLEAU, NOUVEAU PRÉSIDENT DU PARTI LES RÉPUBLICAINS
Une page se tourne et ce soir, la droite doit commencer à écrire une nouvelle histoire. Oui mes amis, quelque chose de nouveau va ce soir se lever et va commencer.

SALHIA BRAKHLIA
Pourquoi c'est lui qui a gagné ?

ANNIE GENEVARD
C'est lui qui a gagné parce que je pense que les adhérents des Républicains ont validé le fait que la droite soit au pouvoir, soit en responsabilité et qu'en même temps, elle soit en capacité de tenir des propos extrêmement clairs. Donc être au Gouvernement sans renoncer à ses convictions. Les adhérents ont adhéré aussi à l'homme, à la personnalité et ont exprimé un choix clair. La volonté de vraiment signifier clairement qu'ils voulaient voir Bruno RETAILLEAU à la tête de notre famille politique.

SALHIA BRAKHLIA
C'est intéressant que la présence dans le Gouvernement soit un argument pour vous parce qu'on voit bien le jeu d'équilibriste qui est en train de se jouer. Ce matin, David LISNARD, que vous connaissez bien, qui est président de l'AMF et qui est membre de votre parti, dit : " Il ne peut plus rester au Gouvernement. On ne peut pas incarner la rupture en restant dans un Gouvernement macroniste ".

ANNIE GENEVARD
Alors je voudrais dire que tout démontre le contraire parce que Bruno RETAILLEAU au ministère de l'Intérieur n'a renoncé à aucune de ses convictions. Moi, au ministère de l'Agriculture, je n'ai renoncé à aucune des miennes tout en étant dans un Gouvernement, dans une configuration qui, il est vrai, est totalement inédite. On est dans un socle commun, c'est particulier. Mais quel était le choix à la fin du mois d'août lorsqu'on nous a posés la question à Laurent WAUQUIEZ, Bruno RETAILLEAU et moi, puisque nous étions les interlocuteurs du président de la République ? Sur ce point, on a dit : " On a pris nos responsabilités ". Si ça n'était pas nous, c'était la gauche. Est-ce que nous allions laisser le pays à la gauche mélenchonisée ? Non.

JÉRÔME CHAPUIS
Mais la question qui est posée, c'est de savoir s'il renonce à ses convictions quand il exprime un certain nombre de convictions, mais qui ne sont pas suivies par des actes. Exemple, un référendum sur l'immigration, il n'a pas lieu. Un changement de constitution sur ces questions-là, notamment, il n'a pas lieu non plus. Quel sens ça a de rester au Gouvernement dans ces conditions ?

ANNIE GENEVARD
Il ne vous a pas échappé que nous sommes dans une configuration où il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale. Et ça, c'est un fait politique majeur qui s'impose à toutes les formations politiques. Donc ça veut dire que, évidemment, s'il y a un jeu d'équilibriste, c'est entre la capacité à dire et puis à le traduire au niveau de l'Assemblée nationale. Mais cette difficulté, elle s'impose à tous. Je n'ai jamais entendu Bruno RETAILLEAU renoncer à la moindre de ses convictions sur la conception qu'il se fait de la cohésion nationale, du retour à l'ordre public, de la reconnaissance du travail, de la défense des valeurs communes.

SALHIA BRAKHLIA
Non mais là encore, il peut le dire.

JÉRÔME CHAPUIS
Il y a un moment, par exemple, il avait questionné l'État de droit.

ANNIE GENEVARD
Écoutez, je ne l'ai pas entendu remettre en cause l'État de droit. Ça, c'est le reproche que lui a fait la gauche. Mais il n'a pas remis en cause l'État de droit.

SALHIA BRAKHLIA
Si.

ANNIE GENEVARD
C'est un authentique démocrate. Il veut simplement que la France retrouve le sens d'une vie collective apaisée, d'une cohésion de la Nation, d'un retour à l'ordre, de la reconnaissance des honnêtes gens, comme il dit. Au fond, c'est la conviction commune partagée par l'immense majorité des Français.

SALHIA BRAKHLIA
Même si vous le niez ce matin, Annie GENEVARD, il y a quand même, quand on fait partie d'un Gouvernement, une solidarité gouvernementale à avoir. La question de la solidarité gouvernementale, elle va se poser aussi pour le prochain budget, par exemple.

ANNIE GENEVARD
Moi, je pense que le fait que Bruno RETAILLEAU l'ait emporté largement à la tête de LR renforce son poids au sein du Gouvernement et ne l'affaiblit pas.

JÉRÔME CHAPUIS
Quelle place maintenant pour Laurent WAUQUIEZ ? D'ailleurs, on va l'entendre parce que le candidat qui était très largement battu, il a pris la parole hier soir, c'était chez lui, en Puy-en-Velay.

LAURENT WAUQUIEZ, CANDIDAT LARGEMENT BATTU POUR LA PRÉSIDENCE DE LR
Je sais trop à quel point le poison de la division a si souvent fait du mal à notre famille politique. Il faut faire en sorte que nous soyons unis pour gagner, parce que divisés, nous sommes sûrs de perdre.

JÉRÔME CHAPUIS
Il a encore une chance de concourir en 2027, Laurent WAUQUIEZ ?

ANNIE GENEVARD
Je considère qu'aborder la question 2027 maintenant serait une erreur. Parce que notre devoir aujourd'hui, et c'est celui du président de notre mouvement, c'est de renforcer la place de la droite dans le débat politique. C'est de faire en sorte que la droite aborde 2027 la plus forte possible.

SALHIA BRAKHLIA
Mais quelle droite justement ? À quoi va ressembler la droite de Bruno RETAILLEAU ? On a suivi évidemment, comme tous les journalistes, la campagne qui a eu lieu ces trois derniers mois. Sur le terrain, des idées, c'était au QTF à Saint-Pierre-et-Miquelon, nouveau tour de vis sur les naturalisations, ou barrage à la France insoumise. À la fin de cette campagne, on a envie de vous demander, mais quelles différences avec le Rassemblement national ?

ANNIE GENEVARD
Écoutez, les différences sont beaucoup plus importantes que vous ne le pensez. D'abord, il y a un désir de droite dans le pays. Les idées que nous développons sont celles qui sont le plus largement partagées par les Français.

SALHIA BRAKHLIA
Mais quelle droite, encore une fois ?

ANNIE GENEVARD
Une droite qui est capable à la fois de revendiquer la nécessité de l'ordre, d'une lutte contre l'immigration incontrôlée, et une droite qui, sur le plan économique, rétablit l'importance donnée au travail. On ne partage en rien les convictions du Rassemblement national sur le plan économique et social. Je rappelle tout de même que le Rassemblement national, au mépris de tout bon sens, veut rétablir la retraite à 60 ans, a refusé la proposition de notre famille politique sur le RSA en contrepartie de 15 heures de travail hebdomadaire. Bref, on voit que sur ce plan-là, la droite est totalement, orthogonalement différente du Rassemblement national.

SALHIA BRAKHLIA
Et pourtant là encore sur les idées ?

ANNIE GENEVARD
Et puis le Rassemblement national est dans la protestation. Il aime gratter où ça fait mal. Nous, nous voulons apporter des solutions.

JÉRÔME CHAPUIS
Je voudrais revenir quand même à la question de 2027, parce que cette élection, elle survient pile deux ans avant le scrutin. Est-ce que Bruno RETAILLEAU est votre candidat naturel ce matin ?

ANNIE GENEVARD
Il appartiendra aux adhérents des Républicains de le dire, puisque aussi bien Laurent WAUQUIEZ que Bruno RETAILLEAU, pendant leur campagne, ont dit : " Nous laisserons aux adhérents, aux militants, le choix de leur champion ".

JÉRÔME CHAPUIS
Mais ce n'est pas seulement une victoire hier soir, c'était une large victoire, 74%. Qui peut être plus légitime que lui ?

ANNIE GENEVARD
Cette question se posera dans un moment qui n'est pas venu. Pourquoi ? Je vous rappelle qu'on a une échéance, là, électorale, qui va arriver très vite. Ce sont les municipales. Il nous faut renforcer la place de la droite dans les pouvoirs locaux. C'est indispensable, ne serait-ce que pour les sénatoriales qui suivront. Et puis aussi parce que la droite a besoin de cet ancrage local. C'est sa force, d'ailleurs. Nous sommes le parti le plus présent dans les exécutifs locaux. C'est donc fondamental que nous réussissions cette étape-là. C'est ce à quoi nous allons nous employer dans les mois qui viennent.

SALHIA BRAKHLIA
Mais alors pour les municipales, que va-t-il se passer, Annie GENEVARD ? Est-ce que des alliances avec des macronistes vont voir le jour un peu partout en France ?

ANNIE GENEVARD
Alors vous avez... pardonnez-moi, et ce n'est pas vous attaquer que de dire ça, j'ai été maire pendant 15 ans, donc j'ai une petite compréhension de la chose un peu différente de celle des journalistes. Quand vous composez une équipe municipale, vous êtes une tête de liste. Les gens savent où vous êtes politiquement. Ça a été le cas dans ma ville. On a toujours su que j'étais aux Républicains avant à l'UMP. Et ça n'a jamais posé la moindre difficulté. Parce que ce qui importe pour les populations locales, c'est de savoir le projet que leur tête de liste, la tête de liste a pour leur ville, pour les habitants.

SALHIA BRAKHLIA
Mais vous ne répondez pas à ma question.

ANNIE GENEVARD
Si.

SALHIA BRAKHLIA
Est-ce que des alliances avec des macronistes sont prévues ?

ANNIE GENEVARD
Et à partir de là, ils composent sa liste, qui souvent n'est pas une liste totalement politique. Donc il peut y avoir... L'important, c'est la tête de liste, le projet que la tête de liste a pour la ville. Il se peut qu'il y ait sur la liste des gens venus d'horizons divers.

SALHIA BRAKHLIA
Mais ce n'est pas aussi simple que ce que vous dites, encore une fois, Annie GENEVARD, parce que pendant la campagne, Laurent WAUQUIEZ, lui aussi, il a dénoncé ses petits arrangements sur le terrain avec des macronistes. Exemple dans les Yvelines, où Gérard LARCHER en fait discute avec Yaël BRAUN-PIVET, qui elle-même vient du socialisme. Il dit : " Mais non, on ne va pas se noyer dans le macronisme, ce n'est pas possible ".

ANNIE GENEVARD
L'important, ce sont des choix clairs, en effet. Et là, quand les petits arrangements conduisent à des renoncements, alors là, oui, ce n'est pas acceptable, ce n'est pas possible. Mais la plupart du temps, celui qui donne le cap, celle qui donne le cap, c'est la tête de liste. Et quand la tête de liste est LR, c'est sur la base d'un projet qui est conforme à nos opinions, à nos valeurs, à notre projet pour la France.

SALHIA BRAKHLIA
Et donc, à l'inverse, si je vous écoute, si vous avez une tête de liste LR dans un endroit, mais que sur la liste, il y a des membres de Reconquête, par exemple, vous dites : " OK. Pas de problème, ça marche ".

ANNIE GENEVARD
Moi, vous savez, dans ma ville, il m'est arrivé d'avoir sur ma liste, puisque j'ai eu plusieurs élections où j'ai été très largement élue, il m'est arrivé d'avoir des gens qui n'étaient pas… enfin je veux dire qui n'avaient pas un ADN de droite, mais ça ne m'a pas empêché de conduire dans ma ville.

SALHIA BRAKHLIA
Je parle de Reconquête d'Éric ZEMMOUR, voire du RN, par exemple, alors si on va jusque-là.

ANNIE GENEVARD
Alors je sais que c'est la stratégie du RN qui sait très bien qu'il ne pourra pas obtenir facilement des exécutifs locaux. Donc ils vont chercher à faire de l'entrisme. Mais il appartiendra aux chefs de file, aux têtes de liste, de dire clairement quel est leur choix et de refuser toute compromission avec des formations politiques qui voudraient leur imposer une ligne qui n'est pas la leur. Donc là, il faudra de la clarté dans les positionnements et dans les choix. C'est certain.

JÉRÔME CHAPUIS
Annie GENEVARD, il n'y a pas que les journalistes qui vous posent des questions sur les alliances éventuelles. Regardez par exemple Édouard PHILIPPE qui était en meeting samedi à Marseille et qui lance, qui vous lance une invitation notamment à LR.

EDOUARD PHILIPPE, PRÉSIDENT DU PARTI HORIZONS
À tous ceux qui se demandent si nous sommes assez de droite, assez populaire, assez en même temps, je retourne la question. Êtes-vous prêts à mettre vos idées et vos valeurs au service d'une nouvelle ambition française ? Êtes-vous prêts à construire avec nous la grande force politique, le bloc républicain et démocrate qui respectera les identités de chacun mais qui sera capable de travailler et de se rassembler sur l'essentiel ?

JÉRÔME CHAPUIS
Est-ce que vous y êtes prête ? Est-ce que vous y êtes prêts chez LR ?

ANNIE GENEVARD
Ce à quoi on est prêts chez LR, c'est à donner à la droite les meilleures chances de présenter un candidat en 2027.

JÉRÔME CHAPUIS
Ça peut passer par Édouard PHILIPPE ?

ANNIE GENEVARD
Écoutez, je pense que si vous me talonnez pour répondre à cette question, vous allez être un peu déçus parce que Bruno RETAILLEAU lui-même dit, selon une expression qui lui est favorite, colline après colline. Il fallait pour lui…

JÉRÔME CHAPUIS
Justement, il y a une colline qui vient d'être passée, c'est pour ça qu'on vous posait la question.

ANNIE GENEVARD
D'abord, il vient de passer la colline de l'élection à la présidence de notre mouvement. Ensuite, je vous l'ai dit, il y aura la colline des élections municipales qui sont très importantes. Et puis, évidemment, on va se mettre en ordre de marche pour la présidentielle de 2027 qui est l'élection socle. Et là, il ne faudra pas se tromper de combat. Ce qui est en jeu, c'est le redressement du pays qui est quand même en très grande difficulté.

SALHIA BRAKHLIA
Et c'est pour ça que, Annie GENEVARD, la question des alliances, elle n'est pas annexe.

ANNIE GENEVARD
Non, elle n'est pas annexe.

SALHIA BRAKHLIA
Parce que derrière les alliances, il y a l'idéologie qui est retenue. Quand vous avez effectivement Édouard PHILIPPE qui vous fait coucou, il faut se réunir tous ensemble. De l'autre côté, vous avez un Laurent WAUQUIEZ qui est membre de votre parti et qui dit : " Moi, je veux une union des droits allant de Gérald DARMANIN à Sarah KNAFO ". Là, est-ce que vous dites : " OK. Bienvenue à Éric ZEMMOUR, on peut s'allier pour 2027 " ?

ANNIE GENEVARD
Vous voyez bien d'ailleurs que cette proposition n'a pas recueilli l'assentiment des adhérents de droite. Puisque Laurent n'a pas été élu sur cela. Mais je crois véritablement que cette question des alliances, de toute façon, il y a un moment où elle se posera, enfin la question qui se posera, c'est le choix du deuxième tour. Vous savez bien qu'au premier tour on choisit, au deuxième tour on élimine. Et donc là, il faudra bien un candidat de droite qui convainc pour être présent au deuxième tour. Parce que l'enjeu il est là. Moi je ne veux pas qu'on se retrouve avec un deuxième tour MELENCHON-LE PEN. Il faut quand même que la droite soit présente au deuxième tour. Donc toutes ces stratégies, y répondre radicalement aujourd'hui à Édouard PHILIPPE ou à d'autres, c'est véritablement anticiper les choses. Notre devoir, c'est de faire en sorte que la droite soit présente au premier tour et au deuxième tour. Que nos idées soient…

SALHIA BRAKHLIA
Avec un candidat LR.

ANNIE GENEVARD
Que nos idées soient bien représentées à chaque étape de l'élection.

JÉRÔME CHAPUIS
Annie GENEVARD, on a beaucoup entendu la secrétaire générale du parti Les Républicains. On va aussi entendre la ministre de l'Agriculture que vous êtes. Ce sera après le fil info.

ANNIE GENEVARD
Merci. Il y a beaucoup de sujets très importants.

JÉRÔME CHAPUIS
Il est 8h46. Maureen SUIGNARD.

(…)

JÉRÔME CHAPUIS
Et la ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Annie GENEVARD. On parle à présent de cet appel de la FNSEA, à de nouvelles actions à partir du 26 mai, la semaine prochaine, pour soutenir la proposition de loi Duplomb visant à lever les contraintes pour les agriculteurs, comme faciliter le stockage de l'eau, favoriser l'accès aux pesticides. Que dit le Gouvernement sur ce sujet ?

ANNIE GENEVARD
Le Gouvernement dit qu'il soutient ce projet de loi qui est issu d'une discussion qui a eu lieu au Sénat, fruit d'un compromis sur une position équilibrée. Ce texte est très important pour les agriculteurs, parce qu'il propose de lever des freins à la production d'alimentation. Je rappelle quand même que nos agriculteurs sont faits pour produire une alimentation. Et si on ne veut pas, demain, donner à nos enfants une assiette avec des produits exclusivement étrangers, il faut donner aux agriculteurs le signal qu'ils peuvent produire. Ils ont peur de ne plus pouvoir produire. Ils ont peur de ne plus pouvoir transmettre.

SALHIA BRAKHLIA
Et là encore, dans quelles conditions, Madame la ministre, Annie GENEVARD ? Quand l'Union nationale de l'apiculture française, elle, dénonce cette loi, parce qu'il est question de réintroduire un néonicotinoïde. Il dit, son président, il critique le retour des néonicotinoïdes et il dit qu'ils sont néfastes pour les pollinisateurs comme les abeilles et que donc, du coup, il n'est pas acceptable de détruire une filière, celle des apiculteurs pour, justement, renforcer celle des noisetiers, par exemple.

ANNIE GENEVARD
Moi, je voudrais qu'on ramène un peu de raison dans le débat. Sur cette question, ce n'est pas un retour des pesticides, ce n'est pas un retour des néonicotinoïdes, c'est la possibilité d'utiliser un néonicotinoïde, un assimilé néonicotinoïde qui n'est pas comme les autres. C'est bien la raison pour laquelle c'est le seul autorisé dans toute l'Union européenne. Est-ce qu'on peut considérer que les 26 autres pays européens sont indifférents aux abeilles ? Des études ont été faites. On a exposé de façon chronique à l'acétamipride les abeilles sans qu'il y ait des désordres observés sur la mortalité et le comportement des abeilles. L'acétamipride, écoutez-moi bien, est présent dans tous les insecticides domestiques. Il est présent dans les colliers antipuces des chiens et des chats qui sont au coeur de chacune des maisons, en proximité des enfants. Est-ce que vous croyez vraiment qu'on ne peut pas, sur ce sujet, comme sur la question de l'eau, par exemple, avoir une position un peu plus rationnelle ? Et la colère des agriculteurs, eh bien, elle procède du sentiment qu'ils ne sont pas entendus. Quand la gauche a supprimé des articles, par exemple, celui de l'eau. Moi, je suis allée en Occitanie, j'ai vu le désespoir des arboriculteurs devant leurs arbres morts de soif, au milieu de leurs vignes desséchées. Et on leur dit " Ah mais non, mais l'eau, si vous la prenez, vous la volez ? "

JÉRÔME CHAPUIS
On ne parle pas du problème de l'eau, en l'occurrence, sur ce sujet des pesticides, pour y revenir.

ANNIE GENEVARD
Pas les pesticides. Il est question de l'acétamipride. Et l'acétamipride, les Français l'utilisent dans tous les insecticides domestiques, dans les colliers des animaux domestiques. Et les agriculteurs, eux, ne pourraient pas l'utiliser, sous des conditions très strictes, parce qu'encore une fois, il faut lire ce qu'il y a dans le texte.

SALHIA BRAKHLIA
Justement, les agriculteurs disent qu'en commission, le texte a été totalement détricoté. Et donc, c'est ce qui démontre leur colère.

ANNIE GENEVARD
C'est ce qui provoque leur colère.

SALHIA BRAKHLIA
Vous avez peur qu'ils se remobilisent et qu'on revoie apparaître les tracteurs sur les routes ?

ANNIE GENEVARD
Je dis que les agriculteurs attendent beaucoup de ce texte, parce que ce texte, qu'il s'agisse de bâtiments d'élevage, qu'il s'agisse de l'accès à l'eau, qu'il s'agisse de la protection de leur culture, quand ils voient leur culture ravagée par des insectes, qu'il y a un produit disponible partout en Europe sauf chez eux, comment voulez-vous qu'ils n'en ressentent pas une profonde colère ? Donc, c'est ça qu'ils disent. Ils disent aux Députés : " Vous n'avez pas le droit de saboter ce texte sans regarder ce qu'il y a dedans pour notre métier. Si nous ne pouvons plus produire, si nous perdons encore plus de souveraineté alimentaire, si nous sommes en situation de concurrence déloyale, c'est, franchement, porter atteinte à notre métier, c'est nous mépriser, c'est nous entraver, c'est nous empêcher de travailler. "

JÉRÔME CHAPUIS
Vous parlez précisément de concurrence. Il y a un autre sujet qui inquiète les agriculteurs. C'est une conséquence des hausses de droits de douane américains, de la guerre commerciale, qui est un peu en sommeil, mais qui pourrait reprendre au mois de juillet. Certains disent, comme les Allemands par exemple, que l'équilibre du monde se déplace et que l'Europe doit absolument accepter l'accord de libre-échange avec le Mercosur. On rappelle que la France est contre. Mercosur, ce sont ces quatre pays d'Amérique du Sud. Il faut trouver, disent-ils, d'autres marchés, d'autres débouchés. Ils ont raison, ça change la donne, Donald TRUMP ?

ANNIE GENEVARD
Alors, nous ne sommes pas, je ne suis pas opposée aux accords de libre-échange par construction. On est dans un monde ouvert, commercer avec les autres, exporter nos bons produits agricoles qui font la fierté de la France, qui participent au rayonnement du pays, c'est normal. L'accord du Mercosur n'est pas un bon accord. D'ailleurs, c'est l'accord qui est sur la table depuis 20 ans. S'il était bon, il aurait déjà été adopté. C'est un accord qui va amener des volumes considérables sur le continent européen et qui concurrence directement beaucoup de nos filières : le boeuf, la volaille, le sucre, l'éthanol, dans des volumes beaucoup trop importants pour que nous les absorbions.

SALHIA BRAKHLIA
Sauf que ça, c'est la position de la France. Ce n'est pas la position des 27.

ANNIE GENEVARD
Écoutez. J'étais en Pologne il y a quelques semaines. Les Polonais sont contre. J'étais vendredi à Budapest et à Vienne. Et les Autrichiens et les Hongrois sont aussi…

JÉRÔME CHAPUIS
La présidente de la Commission européenne, Ursula VON DER LEYEN, elle ne cache pas qu'elle est pour.

ANNIE GENEVARD
Elle ne cache pas qu'elle est pour. Sans doute, les Allemands y ont-ils des intérêts industriels. Mais je pense que l'agriculture européenne, c'est quelque chose qu'il est fondamental de défendre. La question de la souveraineté alimentaire, de la sécurité alimentaire du continent européen est en jeu. À force de multiplier les accords de libre-échange, qui tapent toujours sur les mêmes filières agricoles, il y a un moment, il faut dire stop.

SALHIA BRAKHLIA
Et vous faites quoi si Ursula VON DER LEYEN, la présidente de la Commission européenne, décide de splitter en deux le texte et donc, faire passer les accords commerciaux ?

ANNIE GENEVARD
Elle le splittera, probablement.

SALHIA BRAKHLIA
Et alors ?

ANNIE GENEVARD
Ecoutez. C'est le sens du combat que je mène pour la France, avec l'accord du Président de la République, avec l'accord du Premier ministre, forte de la position du Parlement français. Vous savez, ce dont je me suis aperçue en allant à l'étranger, c'est que la position de la France est très regardée, très écoutée.

SALHIA BRAKHLIA
D'accord, mais on n'a pas cette minorité de blocage, en fait. Vous le savez, madame la ministre.

ANNIE GENEVARD
J'y travaille ardemment.

SALHIA BRAKHLIA
Donc, si la présidente de la Commission décide de splitter le texte, vous avez perdu, on a perdu ?

ANNIE GENEVARD
Ah non, parce que s'il y a une minorité de blocage, elle s'appliquera. Elle l'empêchera. Moi, je considère que tant que le combat n'est pas mené à son terme, il n'est pas perdu. Et on ne pourra pas nous reprocher de ne pas avoir mené le combat. Voilà.

JÉRÔME CHAPUIS
Question délicate. Il y a ce qu'on exporte, il y a ce qu'on importe. L'Ukraine bénéficie jusqu'ici de passe-droits tarifaires avec l'Union européenne depuis le début de la guerre. Est-ce qu'il est temps de durcir ces accords commerciaux ?

ANNIE GENEVARD
On les a durcis de facto, parce qu'en 2024, on s'est aperçus que la levée des droits de douane avec l'Ukraine, pour soutenir l'effort de guerre ukrainien, allait déstabiliser, de fait, profondément nos filières, notamment la volaille, notamment l'oeuf, notamment le miel, le maïs. Donc, on a mis ce qu'on appelle des freins d'urgence pour diminuer les importations ukrainiennes, parce qu'on allait beaucoup souffrir.

JÉRÔME CHAPUIS
Est-ce suffisant ?

ANNIE GENEVARD
Il faut, à mon avis, continuer, effectivement, à contrôler les importations ukrainiennes. Et il faut même les élargir là où elles ne sont pas, notamment au blé.

JÉRÔME CHAPUIS
Il faut donc durcir, si on vous entend bien, les conditions d'entrée des denrées ukrainiennes sur le sol européen.

ANNIE GENEVARD
On ne peut pas laisser librement entrer les denrées ukrainiennes, parce qu'elles sont trop déstabilisantes. Et là encore, c'est comme pour les accords du libre-échange. Le cas ukrainien est évidemment particulier, parce qu'on soutient l'Ukraine dans son effort de guerre.

JÉRÔME CHAPUIS
Et j'allais vous poser la question, parce que le dilemme, il est là, c'est qu'on risque de fragiliser l'économie ukrainienne au pire des moments.

ANNIE GENEVARD
L'aide à l'Ukraine ne peut pas se faire au prix de la déstabilisation profonde de nos propres économies, enfin. Il faut raison garder dans cette affaire.

SALHIA BRAKHLIA
Il y a des limites au soutien ?

ANNIE GENEVARD
Il y a un équilibre à trouver dans le soutien. Voilà. Et un soutien raisonnable, c'est un soutien qui est à la fois utile aux Ukrainiens, mais qui ne déstabilise pas nos propres productions.

SALHIA BRAKHLIA
Une dernière question qui concerne les chasseurs qui se sont mobilisés ce week-end, qui ont interpellé les mairies en leur envoyant un manifeste. Ces chasseurs, la Fédération nationale, qui réclame que la chasse soit reconnue d'intérêt général et inscrite au patrimoine immatériel de l'UNESCO. Vous en dites quoi ?

ANNIE GENEVARD
La chasse... Moi, je viens de la ruralité. La chasse, c'est une activité qui est inscrite dans l'ADN même de la ruralité. D'abord, les chasseurs, je le rappelle, sont très utiles pour la régulation. S'ils ne régulent pas certaines espèces... Je vais prendre l'exemple des sangliers. Pourquoi est-ce qu'on tue à peu près 800 000 sangliers par an en France ? Et qu'on n'arrive même avec ce chiffre-là, on n'arrive pas à contrôler la prolifération du sanglier qui ravage les cultures. On est toujours dans cet équilibre qu'il nous faut avoir.

JÉRÔME CHAPUIS
On arrive à la fin. La question portait sur le classement au patrimoine mondial immatériel de l'UNESCO.

ANNIE GENEVARD
Je pense que la chasse, en tout cas, certaines pratiques de la chasse, font partie du patrimoine de notre pays et de la ruralité.

SALHIA BRAKHLIA
La chasse, c'est intérêt général ?

ANNIE GENEVARD
La chasse fait partie... Elle est inscrite au coeur même de la vie rurale, et elle doit y demeurer.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 20 mai 2025