Déclaration de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et le projet de loi organique relatif au département-région de Mayotte, au Sénat le 19 mai 2025.

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Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (projet n° 544, texte de la commission n° 613 rectifié, rapport n° 612) et du projet de loi organique relatif au Département-Région de Mayotte (projet n° 545, texte de la commission n° 614, rapport n° 612).

La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.

Il a été décidé que ces deux textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.

Discussion générale commune

M. le président. Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le ministre d'État.

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a un peu plus de trois mois, je présentais, à cette même tribune, le projet de loi d'urgence pour Mayotte. Je terminais mon discours avec une promesse et une seule : ne pas laisser tomber Mayotte.

Trois mois ont passé. Bien des choses ont changé. Les caméras de télévision, pour la plupart, ont quitté l'archipel. D'autres crises, mais aussi tout simplement le quotidien, ont peut-être progressivement détourné de l'archipel le regard de l'opinion publique. Mais une exigence reste, à mes yeux, intangible : la mobilisation de l'État.

Cette mobilisation répond, je n'en doute pas, à votre attente. Sous l'autorité du Premier ministre, nous travaillons chaque jour avec le préfet et l'ensemble des services de l'État, avec la mission dédiée à Mayotte, rattachée à mon cabinet et dirigée par le général Facon, mais aussi avec les élus et les acteurs économiques et sociaux du territoire, sur la reconstruction et la refondation de Mayotte.

Je me suis rendu sur place à quatre reprises en quatre mois – la dernière fois aux côtés du Président de la République. Nous avons pu constater que la première phase de gestion de la crise, celle des urgences vitales, était désormais stabilisée : nous avons rétabli les capacités en eau, en électricité et en télécommunications.

Je veux vous donner quelques faits concernant l'eau : le taux de remplissage des deux retenues collinaires s'est amélioré à la fin de la saison des pluies ; 2 millions de bouteilles ont été livrées ; 2 millions de litres d'eau seront acheminés par voie maritime au mois de mai ; enfin, notre capacité de production habituelle a été récupérée, à hauteur de 38 000 mètres cubes par jour.

Tout cela a permis de parer au plus urgent et d'éviter des drames, mais il est évidemment hors de question de se satisfaire d'avoir seulement retrouvé notre capacité antérieure au cyclone Chido, sans avoir résorbé l'écart persistant entre l'offre et la demande.

C'est pourquoi nous commençons à voir plus loin en la matière. Plus de 900 fuites d'eau ont été réparées par le génie militaire. La première pierre de la future station d'épuration de Mamoudzou Sud a été posée le 7 mai, et l'arrêté d'autorisation des travaux pour la partie terrestre du chantier de construction de l'usine de dessalement d'Ironi Bé a été signé par le préfet il y a deux semaines à peine. Nous lancerons bientôt un appel à projets pour des solutions innovantes, comme l'eau atmosphérique. Nous restons donc, vous le voyez, extrêmement vigilants sur ce sujet très particulier, fragile et complexe.

Par ailleurs, l'objectif de résorption complète des dépôts de déchets post-Chido d'ici au mois d'août 2025 sera tenu. Grâce au second casier de l'installation de stockage de déchets non dangereux, inauguré au début du mois d'avril, nous évacuons plus de 800 tonnes de déchets par jour.

En matière de santé, autre sujet délicat, plus de 1 000 professionnels ont été projetés sur place. L'hôpital a retrouvé plus de 80 % de son activité et connaîtra d'importants travaux jusqu'en 2026. Sept dispensaires sur huit sont ouverts ; celui de Sada, très endommagé par le cyclone, est encore en travaux. Tous les centres médicaux de référence ont également rouvert. L'essentiel est qu'il y ait des médecins, des infirmiers et des aides-soignants qui puissent y effectuer des permanences.

Les rentrées scolaires de mars et de mai ont eu lieu, ce qui n'était pas évident. Mais, tout comme pour l'eau, nous sommes simplement revenus aux conditions de scolarisation qui existaient avant Chido. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation : les rotations scolaires restent inacceptables en République. Le rapport annexé au projet de loi fixe donc l'objectif d'en finir à l'horizon 2031.

Cinq mois après Chido, ces exemples nous permettent d'affirmer que l'impression générale renvoyée par le territoire est celle d'une stabilisation, voire, sur certains plans, d'une amélioration de la situation.

C'est d'ailleurs visible physiquement pour ceux qui se sont rendus récemment sur l'archipel. La végétation se régénère rapidement, ce qui pose d'ailleurs d'autres défis ; les axes routiers ont été rétablis ; une voie du Caribus a été inaugurée ; les commerces rouvrent progressivement ; la chaîne portuaire et logistique fonctionne ; enfin, un navire de croisière a même récemment fait escale à Mayotte, soulageant un peu le secteur touristique.

Néanmoins, tout n'est pas réglé, loin de là, et ce même dans les domaines que je viens d'évoquer. La situation, j'y insiste, reste fragile. Les enjeux de l'eau, de la gestion des déchets, de l'école et des déplacements entre Petite-Terre et Grande-Terre demeurent criants. Six escadrons de gendarmerie mobile, 760 gendarmes et 770 policiers permettent de faire face aux défis quotidiens de la sécurité et de la violence.

La mise en place de la mission dirigée par le général Facon, puis la promulgation de la loi d'urgence pour Mayotte, le 24 février dernier, ont ensuite permis de déployer les premiers outils et les premières actions concrètes de la deuxième phase de réponse à la crise, c'est-à-dire la reconstruction.

Je veux être précis en la matière : il le faut pour répondre à un certain nombre de questions tout à fait légitimes, mais aussi à la désinformation qui sévit parfois.

Ainsi, un bataillon de reconstruction, composé de 326 militaires, est mobilisé au quotidien pour réparer et rebâtir les bâtiments publics. Il participe activement, depuis le passage du cyclone, au déblaiement des routes et des cours d'eau, à la sécurisation des bâtiments et au soutien logistique. Il a notamment œuvré pour les écoles et les équipements sportifs, comme le plateau sportif de M'Tsapéré, à Mamoudzou.

Des chantiers de reconstruction sont engagés. Ils mobilisent, comme cela a été prévu dans la loi d'urgence, des entreprises mahoraises. Ainsi, la Société immobilière de Mayotte (SIM) a entrepris la rénovation des logements sociaux endommagés par Chido, par exemple ceux de Passamainty.

Enfin, le soutien financier est au rendez-vous. Dans le contexte difficile que nous connaissons, l'État agit concrètement.

Soyons précis : 500 millions d'euros de dépenses d'urgence ont été engagés en décembre et janvier dernier ; un fonds d'amorçage de 100 millions d'euros a été ouvert pour les collectivités territoriales – les premiers dossiers viennent d'être signés ; 15 millions d'euros du fonds de secours outre-mer aident la filière agricole – j'ai concrétisé ce financement, avec le chef de l'État, il y a quelques semaines ; enfin, 22,8 millions d'euros d'aides vont aux entreprises.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense aussi à toutes les mesures que vous avez votées dans le cadre de la loi d'urgence, notamment à l'activité partielle : 1 311 demandes d'indemnisation ont été validées, pour 996 138 heures, à hauteur de 9,1 millions d'euros.

Je pense enfin aux prêts à taux zéro – beaucoup étaient sceptiques – désormais offerts dans l'ensemble des établissements bancaires habilités pour aider les particuliers à reconstruire leur toit.

Raffaele Fitto, vice-président de la Commission européenne, qui a visité le territoire il y a quelques semaines, m'a par ailleurs confirmé que la France recevrait bientôt une avance de 23,7 millions d'euros au titre du Fonds de solidarité de l'Union européenne.

L'argent est mobilisé, des dossiers sont déposés. Maintenant, il faut véritablement entrer dans un processus concret.

Je tiens d'ailleurs à annoncer que le soutien aux entreprises mahoraises affectées par le cyclone Chido se poursuit : l'aide exceptionnelle visant à compenser la perte de chiffre d'affaires, qui avait été versée pour décembre et janvier derniers, sera prolongée pour les mois de février et mars.

Avec la présentation de ces deux projets de loi, ordinaire et organique, nous entamons aujourd'hui la troisième phase de réponse à Chido, celle de la refondation. En effet, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire à cette tribune, si le cyclone a ravagé Mayotte, il a surtout révélé et exacerbé des difficultés structurelles qui existaient déjà.

Je l'ai dit dès le départ et j'y insiste de nouveau : il est hors de question de se contenter d'un travail de reconstruction qui nous ferait revenir, au mieux, à la situation très insatisfaisante de l'avant-Chido.

Le Gouvernement tient donc sa parole, en présentant rapidement un projet de loi plus structurel pour redéfinir l'avenir de l'archipel.

Attendu depuis de trop nombreuses années, ce projet de loi de refondation de Mayotte, auquel mes prédécesseurs avaient déjà travaillé, a été élaboré en totale concertation avec les élus locaux et la société civile, ce qui a permis de modifier et d'enrichir le texte. Cela ne signifie évidemment pas qu'il n'y resterait plus d'éléments de débats ou de divergence.

Un exemple de cette concertation est l'article 19, qui facilite la prise de possession anticipée des terrains pour accélérer la réalisation des infrastructures essentielles : son champ a été largement restreint à la demande des élus mahorais.

Les commissions saisies au fond ont adopté ce texte, en lui apportant quelques améliorations bienvenues. Je remercie sincèrement les rapporteurs et les sénateurs de leur confiance et de leur travail de qualité.

Ce projet de loi comprend désormais trente-six articles répartis en six titres, que je veux présenter rapidement.

Le titre Ier comporte un article 1er approuvant un rapport, tout à fait essentiel, annexé au projet de loi. Ce rapport présente, pour l'ensemble des politiques publiques, les priorités de l'État afin de garantir la reconstruction et la refondation du territoire. Cela permet de faire participer les parlementaires à la stratégie du Gouvernement pour Mayotte et aux engagements qui ne nécessitent pas directement de mesure législative ou concernent les infrastructures à réaliser prioritairement.

Ce rapport donne à voir les objectifs que nous fixons, mais il comporte également des éléments de programmation financière, qui s'établissent dans l'état actuel du texte à 3,2 milliards d'euros sur sept ans. Comme je l'ai indiqué en commission, le Gouvernement défendra un amendement visant à affiner et à compléter cette programmation, en la hissant à quasiment 4 milliards d'euros.

Des choix sont faits et assumés concernant les grandes infrastructures comme le port et l'aéroport. Sur ce dernier dossier, lors de son déplacement officiel du 21 avril dernier, le Président de la République a écarté l'option de Petite-Terre et indiqué que la piste longue devra être réalisée en Grande-Terre ; c'est d'ailleurs l'hypothèse technique privilégiée par la direction générale de l'aviation civile.

Ceux qui suivent le dossier connaissent les éléments du débat depuis des années. On demandait à l'État de clarifier sa position ; c'est chose faite, même si le débat demeure tout à fait légitime. Précisons qu'un plan d'attractivité sera nécessaire pour valoriser les nombreux atouts de Petite-Terre. Le Gouvernement vous proposera d'adopter trois amendements, afin de tirer les conséquences de ce choix – un choix assumé, je le redis – et d'avancer rapidement sur ce projet très attendu par les Mahorais.

Le titre II comporte neuf articles visant à renforcer la lutte contre l'immigration clandestine et l'habitat illégal, les deux fléaux – c'est le terme que j'ai choisi – sous lesquels Mayotte ploie depuis de trop nombreuses années. Je rappelle que nous avons avancé sur ce sujet sans même attendre ce projet de loi, avec la récente restriction du droit du sol à Mayotte, votée par les parlementaires et approuvée par le Conseil constitutionnel.

Les rapporteurs Agnès Canayer et Olivier Bitz ont proposé, dans un nouvel article 2 bis, que le Gouvernement remette au Parlement "un rapport évaluant les dispositions dérogatoires en matière d'immigration et de nationalité applicables à Mayotte", trois ans après l'entrée en vigueur de la loi. Il s'agit d'une très bonne idée : on pourra ainsi évaluer l'efficacité de ces mesures et, éventuellement, remettre à plat la politique migratoire dérogatoire applicable sur l'archipel, en fonction des résultats que nous aurons obtenus dans tous ces domaines dans les prochaines années.

L'article 10 permet, quant à lui, de mieux lutter contre les bidonvilles. Micheline Jacques, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, a amélioré la constitutionnalité du dispositif sans lui faire perdre sa dimension ferme et opérationnelle. Je l'en remercie.

Le resserrement de notre arsenal juridique, qui sera très utile, ne doit pas néanmoins laisser croire que nous n'agirions pas déjà en la matière. Par exemple, au début d'avril, 73 constructions illégales localisées à Dzoumogné ont été détruites, afin de mettre fin à des conditions de vie indignes et de libérer des parcelles destinées à la construction d'une nouvelle école communale. Plusieurs projets similaires sont mis en œuvre.

Notre combat contre l'immigration irrégulière et l'habitat illégal dépend aussi de la montée en puissance des effectifs et des moyens engagés par nos forces de sécurité intérieure, ainsi que d'un rapport plus ferme aux Comores. Le rapport annexé mentionne nos actions sur ces deux volets, car j'ai souhaité que les parlementaires soient associés à ces stratégies. Les ministres de l'intérieur et des armées sont évidemment très impliqués dans ce dossier.

Le titre III a également une dimension sécuritaire, puisqu'il renforce le contrôle des armes, aux articles 11 et 12, et améliore la lutte contre l'emploi d'étrangers sans titre en facilitant la traversée des bidonvilles, à l'article 13.

Le titre IV, qui me paraît essentiel au regard de l'attente suscitée par les promesses républicaines liées à la départementalisation, comprend toute une série de mesures d'ordre économique et social, ou encore favorisant l'aménagement durable du territoire.

L'article 15, chère Christine Bonfanti-Dossat, est à cet égard particulièrement déterminant, puisqu'il habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour accélérer la convergence sociale et la rendre effective au plus tard – j'insiste sur ces mots – en 2031, avec une trajectoire progressive et soutenable.

Cette mesure, légitimement attendue par les Mahorais depuis des années, permettra enfin d'avancer vers l'égalité réelle. Elle pourrait être mise en œuvre plus vite, bien évidemment, mais c'est sans démagogie et avec méthode qu'il faut tenir cet engagement.

J'ai donné mission au préfet Bieuville et au général Facon de mener les concertations indispensables pour avancer. Le rapport annexé vous offre de premières indications, et un rapport sera très prochainement remis au Parlement sur ce sujet, en application de l'article 36 de la loi d'urgence pour Mayotte.

L'article 19 du présent projet de loi, dont le champ a été restreint à la suite de la concertation avec les élus mahorais, facilitera la prise de possession anticipée de terrains pour accélérer la construction des infrastructures essentielles. Cet article est à la fois incontournable et protecteur du droit de propriété.

L'article 22, chers Stéphane Fouassin et Georges Patient, crée une zone franche globale à Mayotte, suivant l'engagement du Premier ministre.

D'autres mesures sont consacrées à l'accompagnement de la jeunesse de Mayotte – c'est une grande priorité –, ou encore au renforcement de l'attractivité du territoire pour les fonctionnaires ; nous les évoquerons au cours des jours de débat qui s'ouvrent.

Le titre V, enfin, conforte le statut de collectivité unique de Mayotte, qui prendra le nom de Département-Région de Mayotte, et révise le mode de scrutin de sorte que l'élection des conseillers à l'assemblée de Mayotte se fasse à la représentation proportionnelle, dans le cadre d'une circonscription électorale unique, composée désormais, selon le souhait de vos rapporteurs, de treize sections.

Le projet de loi organique procède, quant à lui, à une série de coordinations, afin d'accompagner la modification des dispositions institutionnelles et électorales figurant dans le projet de loi ordinaire.

Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, la présentation de ces projets de loi dans le temps imparti, après quelques mois seulement, constitue, je le crois, une étape déterminante pour engager la refondation de Mayotte. Avec ces textes, que vous ne manquerez pas d'améliorer, je n'en doute pas une seule seconde, on constate une action quotidienne, une clarification des engagements financiers, une volonté et une stratégie.

Ainsi, ensemble, nous pourrons reconstruire l'île sur des bases plus saines et plus claires, pour changer son visage, mais aussi – c'est ce qu'on nous demande surtout – pour améliorer la vie des Mahorais. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC.)

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre d'État.

M. Manuel Valls, ministre d'État. La sénatrice de la Polynésie française nous a invités tout à l'heure à débattre avec courage des territoires ultramarins. Nous le faisons ici avec plaisir…

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et avec gravité !

M. Manuel Valls, ministre d'État. … et surtout avec gravité, en effet, parce que Mayotte est confrontée à des problèmes majeurs.

Nous aurons l'occasion de revenir sur l'ensemble des sujets abordés quand nous examinerons les amendements, mais je souhaite d'ores et déjà apporter quelques réponses aux questions qui m'ont été posées.

Madame la sénatrice Agnès Canayer, il faut en effet articuler ce texte de loi avec la stratégie de reconstruction. Le général Facon me présentera une première version de cette stratégie demain matin, qui pourra donc nourrir une partie de mes réponses. Celle-ci comprendra quatre axes principaux : sécurité, développement, gouvernance et coopération régionale. Elle devra évidemment être partagée avec les élus. Je rencontre d'ailleurs demain soir le président du conseil départemental et je rappellerai ce point au général Facon.

Cette stratégie, dont la structure sera calquée sur le rapport annexé, doit être validée lors du prochain comité interministériel aux outre-mer, qui aura lieu le 10 juillet prochain. À ce titre, les dispositions des amendements visant à prévoir des modalités de suivi et d'évaluation vont évidemment dans le bon sens.

Monsieur le sénateur Olivier Bitz, l'article 2 prévoit un durcissement des conditions de délivrance des titres liés à l'immigration familiale. La portée de cet article ne doit pas être minimisée : la délivrance ou le renouvellement des titres liés à l'immigration familiale représentait 85 % de l'ensemble en 2023, son évaluation, introduite de même par un amendement en commission tout à fait bienvenu, sera utile pour en mesurer l'impact.

En matière de lutte contre l'immigration clandestine (LIC), nous avons besoin de développer une culture de l'évaluation au service d'une culture du résultat, parce que nous visons l'efficacité.

Madame la présidente Micheline Jacques, vous pointez à juste titre la défaillance de la gouvernance en matière de pêche professionnelle. Nous l'avions déjà évoqué, et j'ai pu m'en rendre compte sur place dès le mois de janvier. La zone économique exclusive représente pourtant une source majeure de ressources halieutiques et la pêche professionnelle constitue un vivier d'emploi important qui doit contribuer à la souveraineté alimentaire de Mayotte, ainsi que je le rappelais notamment au commissaire européen.

En effet, Mayotte doit disposer d'un comité des pêches de plein exercice, et l'État devra accompagner les pêcheurs, afin que ceux-ci démontrent leur capacité à se fédérer et à se structurer ; il appartient à la profession d'aller dans ce sens, avec les élus, et l'État viendra en soutien.

Vous avez également rappelé les éléments concernant la politique de la ville. Juliette Méadel a déjà obtenu un million d'euros pour commencer le rattrapage dans la loi de finances pour 2025 ; nous sommes déterminés à approfondir ce rattrapage au cours de l'ensemble de la période de refondation.

Monsieur le sénateur Stéphane Fouassin, vous avez avancé une observation concernant le chiffrage du tableau, lequel serait incomplet. Le Gouvernement portera un amendement pour préciser les investissements. Repartir des plans et des contrats existants témoigne, me semble-t-il, de notre responsabilité, et l'amendement adopté en commission aura pour objet d'affiner la programmation.

Vous avez formulé une seconde observation concernant la zone franche globale. Vous rappelez à juste titre le signal fort ainsi envoyé aux entreprises, en particulier les PME. Ce dispositif intégrera les activités libérales, l'hôtellerie, la restauration ou encore les secteurs de la santé et de l'action sociale. La zone franche représente un effort de 18 millions d'euros au service de l'emploi et de la croissance.

Madame la sénatrice Mélanie Vogel, il est inexact de soutenir que la refondation de Mayotte éluderait sa dimension sociale. Nous voulons non pas seulement reconstruire Mayotte, mais bien refonder ce territoire.

Cet effort est nécessaire tout d'abord sur les plans économique et social, mais nous avons toujours indiqué que, si nous n'abordions pas les questions de fond qui minent le pacte social mahorais, c'est-à-dire l'immigration illégale et l'habitat illégal, nous ne pourrions pas rebâtir sur des bases sérieuses le territoire.

Cette convergence sociale fait partie de la promesse républicaine. M. le sénateur de Mayotte Saïd Omar Oili m'a rappelé que nous avions signé ensemble le plan Mayotte 2025, qu'avait annoncé le président François Hollande en 2014. Les hasards de la vie font que, en 2025, je me trouve à présenter deux textes de loi, certes après un cyclone, concernant ce territoire.

Nous sommes encore loin de cette promesse républicaine, soulignée par la catastrophe naturelle, mais nous fixons des objectifs d'égalité républicaine pour les prestations sociales, qui doivent être alignées sur celles de l'Hexagone. Affirmer que nous pourrions le faire dès 2026 relèverait de la démagogie, mais nous pourrons alors entamer le processus de convergence.

Nous pourrions également évoquer le nouveau site hospitalier à Combani, le deuxième institut de formation en soins infirmiers et la fin de la rotation scolaire, certes difficile à mettre en œuvre, tant la question de l'école est incontestablement au cœur de ce pacte républicain que nous devons à nos compatriotes mahorais.

Mon ambition, notamment sociale, est articulée avec l'engagement économique, et je veux associer compétitivité des entreprises, efficacité, prospérité économique et développement social du territoire. Nous devons assumer cette méthode. C'est tout le sens de la priorité donnée au travail et à la convergence du Smic que j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer.

Madame la sénatrice, la lutte contre l'émigration clandestine doit être une priorité. Il s'agit d'une réalité de ce territoire, et vous ne trouverez aucun Mahorais pour la contester. Nous sommes d'ailleurs parfois en désaccord avec certains élus mahorais sur les outils, par exemple sur le titre territorialisé.

Pour autant, il est faux de dire que rien n'est fait ou ne se fera pour l'école. La construction des écoles est prioritaire dans le fléchage des crédits d'amorçage de 100 millions d'euros et 700 millions d'euros sont inscrits dans le rapport annexé pour poursuivre la construction des nouveaux établissements scolaires.

En ce qui concerne l'eau, qui est un enjeu majeur, je rappelais à la tribune qu'il nous faut être vigilants. Lors de mon déplacement en avril dernier, j'ai rencontré l'ensemble des acteurs concernés.

Nous avançons, notamment en matière de grandes infrastructures : l'arrêté d'autorisation des travaux de l'usine de dessalement est signé et l'acquisition du foncier nécessaire à la construction de la troisième retenue collinaire suit son cours.

Par ailleurs, les campagnes de forage se poursuivent et se déroulent plutôt bien et quelque 2 millions de litres d'eau arriveront prochainement à Mayotte par voie maritime.

Le travail continue, car beaucoup reste à faire, notamment avec le syndicat mixte Les eaux de Mayotte (Lema) pour lutter contre les fuites après compteur. Plus de 700 millions d'euros sont engagés pour financer ces différents dispositifs.

Monsieur le sénateur Omar Oili, la phase 2 de la mission inter-inspections pour reconstruire Mayotte que vous évoquez n'est pas terminée. Dès lors que ses travaux seront achevés, je vous transmettrai, ainsi qu'à l'ensemble des sénateurs, son second rapport. Les hauts fonctionnaires chargés de ce dossier ont bien travaillé et je n'ai absolument rien à cacher.

Le tableau de programmation figurant dans le rapport annexé comprend 3,2 milliards d'euros d'investissements. Par l'amendement n° 155 rectifié bis, je vous proposerai de porter ce montant à près de 4 milliards d'euros. Le montant de 6 milliards que vous avancez, monsieur le sénateur, correspond à la somme de 3,2 milliards d'euros que je viens d'évoquer et au coût évalué des dégâts, qui s'établit à 3,5 milliards d'euros et qui comprend notamment le coût des bidonvilles. Il nous faudra toutefois affiner ces montants chaque année en fonction de l'évolution des projets.

Si je comprends vos doutes, monsieur Oili, je tiens à préciser que c'est la première fois qu'une telle somme est engagée. Ce sera le travail du Parlement – je sais que les sénateurs le mèneront avec exigence – que de contrôler l'emploi de ces crédits et d'en affiner les montants dans le cadre de la programmation qui vous est proposée.

Vous avez également évoqué les prêts à taux zéro. Lors de la visite du Président de la République, nous avons constaté que les banques faisaient incontestablement blocage. Ceux-ci ont été levés, de sorte que les dossiers des Mahorais sont désormais acceptés. Le préfet François-Xavier Bieuville réunira les banques demain pour faire le point. On peut toujours espérer que les choses aillent plus vite, mais sachez que nous suivons la situation de près et que nous maintenons la pression sur les banques.

Vous avez en outre abordé la situation de la pêche et la redevance thonière : oui, 1,6 million d'euros sont bien disponibles pour cette filière. Si les choses n'avancent pas, cela s'explique sans doute par l'affaiblissement de l'administration maritime, conjugué à la dispersion d'une filière qui a du mal à parler d'une seule voix.

Sur ce sujet comme sur d'autres, je compte sur la mobilisation des élus locaux comme des parlementaires pour avancer.

Les sénateurs Laménie et Le Rudulier, ainsi que la sénatrice Lana Tetuanui ont apporté à ce texte leur soutien exigeant – c'est du moins ainsi que je l'entends. Je les en remercie.

Vous soulignez avec raison qu'en matière d'immigration, les mesures législatives ne suffiront pas, monsieur Le Rudulier. La stratégie du "mur de fer", qui est présentée dans le rapport annexé, ne relève pas de la loi, mais elle nous dote de leviers efficaces : hausse des moyens et des effectifs, nouveaux rapports avec les Comores, etc.

Madame la sénatrice Ramia, vous appelez de vos vœux un échéancier en matière de convergence sociale. Je partage votre analyse ; tel est du reste précisément l'objet des ordonnances qui seront prises sur le fondement de l'article 15. En amont, dans les jours qui viennent, le préfet Bieuville et le général Facon remettront le rapport prévu à l'article 36 de la loi du 24 février 2025 d'urgence pour Mayotte. Ce document devrait fixer les grandes étapes de cette convergence et la méthode de concertation qui doit y présider.

Sur le fond, comme vous l'avez parfaitement indiqué, l'enjeu consiste à articuler la convergence sociale et le développement économique. La priorité est à mes yeux d'accompagner la hausse du Smic afin de préserver la compétitivité des entreprises. Je propose, dans ce cadre, de privilégier le déploiement du droit commun à Mayotte, notamment en matière d'allégements de cotisations, plutôt que de renforcer la spécificité mahoraise en matière de CICE. Dans le cadre d'une ambition globale de convergence, il me paraît en effet contre-intuitif – je dis très modestement – de renforcer un dispositif qui est déjà dérogatoire.

Si je partage pleinement votre objectif, je vous propose d'actionner d'autres leviers pérennes. Je ne doute pas que vous défendrez vos propositions avec conviction et j'écouterai vos arguments lors de l'examen des amendements, madame la sénatrice.

En ce qui concerne l'article 19, nous avons, hélas ! un désaccord. Nous avons beaucoup écouté les élus des territoires afin de trouver des pistes de convergence tout en essayant de répondre aux inquiétudes.

Les dispositions de cet article visent à accélérer la construction des infrastructures essentielles à Mayotte. Elles tiennent compte des difficultés rencontrées sur le territoire dans l'identification de certains propriétaires afin de ne pas bloquer les travaux, tout en garantissant – je le répète – les droits attachés à la propriété privée.

Cet article – nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen des amendements – est donc strictement encadré sur le plan juridique.

Mesdames les sénatrices Sophie Briante Guillemont et Corinne Narassiguin, vous reprochez à ce texte l'importance donnée aux questions d'immigration. Si les volets relatifs à l'immigration et à la sécurité ont en effet une place importante au sein de ce texte, je vous répondrai que, tout en comprenant vos positions, vous donnez à ces sujets une place encore plus grande dans le débat. Si nous n'avions pas pris en charge ces deux volets, nous aurions du reste essuyé de nombreux reproches légitimes. Pour autant, de grâce, ne réduisez pas à ces deux volets ce texte ambitieux, qui présente une stratégie globale et engage des moyens financiers importants.

L'article 7 autorise le placement, pour une durée maximale de soixante-douze heures, d'un étranger accompagné d'un mineur dans une unité familiale. Cette disposition permet de pallier l'interdiction, instaurée par la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, de placer en rétention des familles avec mineurs.

De nombreux mineurs tentant la traversée en kwassa-kwassa, il serait irresponsable de ne pas organiser leur prise en charge dès lors que leur embarcation de fortune est interceptée. Prenons garde à ne pas sous-évaluer cette situation dramatique. L'unité familiale permet d'éviter de séparer un enfant de ses parents afin de le mettre en sécurité le temps d'organiser l'éloignement.

La pauvreté et la justice sociale ne sont pas des enjeux oubliés par le Gouvernement, bien au contraire, madame la sénatrice Corbière Naminzo. Lutter contre l'habitat insalubre, c'est refuser d'institutionnaliser des bidonvilles, expression urbanistique de la pauvreté s'il en est une. Renforcer le dispositif de détection et d'interception des kwassa-kwassa, c'est limiter les entrées illégales qui déstabilisent le système de soins, la cohésion sociale et le marché du travail.

Un texte prévoyant d'agir en douze mois pour accélérer la convergence sociale dès 2026 peut-il, du reste, être critiqué au motif qu'il négligerait la justice sociale ? Non, et je crois au contraire que ce texte est équilibré.

Chacun connaît enfin les termes du débat politique relatif au titre de séjour territorialisé que vous avez évoqué, madame la sénatrice. La lutte contre l'immigration clandestine doit être appréhendée dans sa globalité.

Les conditions d'accès à la nationalité française ont été durcies après l'adoption de la proposition de loi visant à renforcer les conditions d'accès à la nationalité française à Mayotte, la validation de ce texte par le Conseil constitutionnel et sa promulgation le 12 mai 2025. Si, comme vous le savez, je suis contre la remise en cause du droit du sol, je reconnais que ce dispositif de restriction permettra de lutter contre l'immigration clandestine. Il ne réglera bien évidemment pas tous les problèmes, mais il constitue un outil supplémentaire.

Nous proposons par ailleurs de renforcer les moyens technologiques et humains du dispositif de détection et d'interception. Comme le Président de la République s'y est engagé à Mayotte, et comme cela est précisé dans le rapport annexé, nous allouons 52 millions d'euros supplémentaires à ce dispositif.

Le Président de la République, que vous avez mis en cause, madame la sénatrice Narassiguin, ne peut pas se défendre dans cet hémicycle. Permettez-moi donc de rappeler qu'il s'est rendu à Mayotte dans les quelques jours qui ont suivi le cyclone, puis de nouveau il y a quelques semaines avec plusieurs membres du Gouvernement de François Bayrou. Les textes que je vous présente aujourd'hui ont naturellement été présentés en conseil des ministres.

Soyez donc assurée que le chef de l'État est engagé et que l'ensemble de l'exécutif partage la même volonté d'aider, de protéger et de répondre aux exigences des Mahorais. Ces derniers veulent à juste titre être considérés et respectés par la Nation comme des citoyens à part entière.

En tout état de cause, notre réponse, forte et globale, vise à la plus grande efficacité. Le travail mené par les commissions du Sénat a déjà contribué à renforcer les dispositifs et les moyens proposés par le Gouvernement, et je ne doute pas que le texte sera encore amélioré lors de nos débats.

Si le sujet est grave, c'est avec plaisir que je m'engage avec vous dans ce travail commun sur les deux présents textes, mesdames, messieurs les sénateurs. Dans ce moment de doute, je crois qu'il constitue la meilleure réponse politique aux attentes de nos compatriotes mahorais. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.


Source https://www.senat.fr, le 26 mai 2025