Interview de Mme Aurore Bergé, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, à France Info le 3 juin 2025, sur l'assassinat d'un Tunisien habitant dans le Var victime d'un crime raciste, les plateformes de réseaux sociaux sur le sujet de la modération de leurs contenus, les représentations genrées concernant les petites filles et les mathématiques, les discriminations persistantes et le sujet du scrutin proportionnel.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

SALHIA BRAKHLIA
Bonjour, Aurore BERGE,

AURORE BERGE
Bonjour,

JEROME CHAPUIS
Bonjour,

SALHIA BRAKHLIA
Il dit avoir prêté allégeance au drapeau français Christophe B., 53 ans, est en garde à vue. Il est accusé d'avoir tué par balle son voisin tunisien, Hichem M., 46 ans, et d'avoir blessé un autre homme turc à Puget-sur-Argens, dans le Var. Le suspect a diffusé avant et après son passage à l'acte, des contenus racistes et haineux sur les réseaux sociaux. Le parquet antiterroriste s'est saisi de l'enquête. Est-ce que pour vous aussi c'est un crime raciste ?

AURORE BERGE
Je crois qu'il n'y a aucun doute puisque c'est revendiqué par l'auteur des faits lui-même au regard des vidéos de haine qu'il avait diffusées. Le racisme, aujourd'hui, ce n'est pas que des insultes ou des menaces. Le racisme, ça peut conduire à la mort et c'est ce qui s'est produit malheureusement dans le Var. Et je pense qu'il faut être très clair sur le fait que ces crimes de haine, quels qu'ils soient, sont insupportables dans la République française.

SALHIA BRAKHLIA
L'avocat de la famille, qui était l'invité de France Info, ce matin, dit que cet assassinat est, je cite, "La conséquence directe d'une atmosphère alimentée par la stigmatisation, les amalgames et la banalisation de la violence raciste". Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?

AURORE BERGE
Je crois qu'il n'y a heureusement pas de banalisation de la violence raciste parce qu'on a un État qui se mobilise contre toutes les formes de haine et qui ne trie pas, qui ne hiérarchise pas. On lutte dans le même mouvement et heureusement contre le racisme, contre l'antisémitisme, contre les discriminations liées à l'origine, contre la haine LGBT parce qu'à chaque fois, c'est le même processus. C'est essentialiser les personnes, c'est chercher d'ailleurs à fracturer la société, à diviser la société, c'est insulter, c'est menacer, c'est chercher à marginaliser des personnes au nom de leurs origines réelles ou supposées d'ailleurs et à la fin, ça conduit au pire, c'est-à-dire à des hommes et des femmes qui subissent des agressions physiques et qui peuvent même être assassinées dans notre pays. Le racisme ou l'antisémitisme ont tué ou malheureusement continuent à tuer.

JEROME CHAPUIS
Ce climat, cette atmosphère, ils existent ? Ils sont liés à qui ? Ils sont dus à quoi ?

AURORE BERGE
On a malheureusement... Ce n'est pas un climat, je pense. Heureusement, c'est-à-dire que ce n'est pas toute la France qui est étreinte et qui embrasse des théories qui sont des théories racistes, qui sont des théories antisémites, qui sont des théories discriminatoires.

JEROME CHAPUIS
Encore une fois, l'avocat de La famille parle d'une atmosphère qui est alimentée par du discours, du discours politique notamment.

AURORE BERGE
Mais qu'il y ait des discours de haine qui existent, on en reparlera d'ailleurs sur la question des réseaux sociaux. Oui, on a des discours de haine qui sont diffusés et propagés. Mais on a une République qui tient, un État qui tient et qui combat, qui combat toutes les formes de haine. Et encore une fois, sans hiérarchie, celles et ceux qui cherchent à fracturer sont justement celles et ceux qui voudraient qu'on opère une hiérarchie comme s'il y avait des haines qui étaient plus importantes que les autres.

JEROME CHAPUIS
Il se trouve que c'est la première fois que le parquet antiterroriste se saisit d'une affaire dans une enquête qui est potentiellement liée à l'ultra-droite. Si c'était confirmé, ça veut dire qu'il faudrait aller encore plus loin dans la lutte contre certaines organisations ?

AURORE BERGE
Bien sûr, mais d'ailleurs, il y a régulièrement au Conseil des ministres des organisations qui sont interdites dans notre pays. Et pourquoi elles sont interdites ? Parce qu'elles sont contraires aux valeurs de la République, parce qu'elles propagent une forme de haine. Et encore une fois, quelles qu'elles soient…

JEROME CHAPUIS
Il faut les interdire ?

AURORE BERGE
Mais quand on a des organisations d'ultra-droite ou d'ultra-gauche qui professent la haine, la haine de l'autre, la haine de la République française, la haine de nos valeurs, bien évidemment qu'il faut les interdire. Et il faut les interdire dans le même mouvement et puissamment les deux, bien sûr.

SALHIA BRAKHLIA
Aurore BERGE, vous avez convoqué hier les plateformes META, SNAPCHAT, TIKTOK, TWITCH, YOUTUBE et X pour leur demander des explications sur la modération de leurs contenus. Le temps de l'irresponsabilité est révolu, c'est ce que vous leur avez dit hier. Qu'est-ce que vous leur reprochez ?

AURORE BERGE
Plusieurs choses. D'abord, la loi, heureusement, elle a changé. Pendant longtemps, ils ont été considérés comme de simples hébergeurs techniques. En clair, ils étaient responsables de rien. Et ils se rangeaient derrière cette irresponsabilité en disant "Ce n'est pas nous, c'est les uns et les autres, les hommes et les femmes qui publient des contenus". Non, ils sont, aujourd'hui, considérés comme responsables des contenus. Or, qu'est-ce qu'il se passe ? On a des modérations qui sont particulièrement défectueuses. Il suffit d'aller sur n'importe laquelle de ces plateformes pour voir des milliers et des milliers de comptes d'incitation à la haine, de racisme, d'antisémitisme, de haine LGBT, de cyberharcèlement à l'encontre de nos enfants et de nos adolescents, de violence à l'encontre des femmes, parce que sur le champ des violences, les femmes sont encore plus ciblées que n'importe quelle autre catégorie, malheureusement. Donc, la modération, des règles qui ne sont pas claires. C'est la première question que je leur ai posée. Au bout de combien d'infractions, les utilisateurs sont-ils définitivement bannis des plateformes ?

JEROME CHAPUIS
Mais vous avez eu des réponses ?

AURORE BERGE
Alors, c'était disparate en fonction des plateformes. Et souvent, ils n'avaient pas les réponses immédiatement. Il fallait qu'ils reconsultent en interne, qu'ils vérifient pendant la réunion.

JEROME CHAPUIS
Ils sont venus voir la ministre, ils savaient à peu près ce que vous alliez leur dire, et ils n'avaient pas de réponse.

AURORE BERGE
C'est exactement ce que je leur ai dit. En deux ans, vous êtes convoqués par une ministre de la République et vous êtes infichus d'avoir des réponses claires. Et ce qu'on veut, c'est un cadre clair. Encore une fois, sur un plateau de télévision, si vous avez un invité qui professe la haine, si vous ne l'arrêtez pas immédiatement, c'est vous qui serez mis en cause. C'est la chaîne qui sera mise en cause. Et là, c'est la même chose qu'on doit avoir sur les plateformes. C'est-à-dire qu'ils ne peuvent plus se ranger derrière l'irresponsabilité, et il faut des règles claires. On ne peut pas avoir un permis à avoir des propos racistes ou antisémites. C'est-à-dire, c'est quoi ? C'est une fois, deux fois, trois fois, et ensuite on avise.

SALHIA BRAKHLIA
Mais vous l'avez dit, les règles sont floues selon les plateformes. Si on prend l'exemple de X, ancien membre de Twitter, détenu par Elon MUSK, qui autorise clairement, il suffit d'aller sur X pour le voir, des contenus pornographiques et violents. Qu'est-ce que vous avez dit à X ?

AURORE BERGE
Déjà, on leur a montré, et moi je les ai confrontés à des contenus. Je leur ai montré directement un certain nombre de ces contenus, un certain nombre de ces vidéos, puisqu'on a en plus des plateformes qui ont changé. Récemment, X a changé, Meta, c'est-à-dire FACEBOOK et INSTAGRAM, ont changé. Il y a eu des revirements spectaculaires de leurs dirigeants qui revendiquent justement ces valeurs, ces prétendues valeurs de masculinisme, de domination masculine, de prétendue virilité, comme si la virilité, c'était que la violence. Heureusement que ce n'est pas ça. Et en effet, un sujet plus particulier, encore une fois sur X, qui est la question de la pornographie, et donc, de la capacité de nos adolescents à y avoir accès. C'est la raison pour laquelle il faut procéder comme on l'a fait sur les sites pornographiques. Sur les sites pornographiques maintenant, ils ont encore quelques semaines pour se mettre d'équerre, avec une double authentification. C'est-à-dire que ce ne sera plus juste du déclaratif "J'ai plus de 18 ans". Non, c'est une vérification, carte d'identité, carte bancaire. Il va falloir qu'on étende ces principes partout, évidemment, où il y a des contenus pornographiques. La ministre en charge numérique, Clara CHAPPAZ, y travaille. On y travaille collégialement aussi au sein de l'Union européenne.

JEROME CHAPUIS
Pardon, Aurore BERGE, mais vous parliez de nos responsabilités à nous, journalistes. À quel moment la responsabilité personnelle des patrons de ces entreprises va être mise en cause ? Parce qu'on le rappelle, vous l'avez dit, les patrons de grands médias, quand il y a eu des erreurs, des injures, des approximations sur nos antennes, ils sont mis en cause. Ils peuvent se retrouver personnellement devant le tribunal. Ça se passe comment pour les patrons de ces grands réseaux ?

AURORE BERGE
On a, malheureusement, insuffisamment de procès aujourd'hui. Et parce que je pense qu'il y a aussi un message qui a été trop longtemps diffusé aux utilisateurs, celles et ceux qui ne diffusent pas de haine, mais qui, malheureusement, la reçoivent, qui est de dire finalement qu'il y a de l'impunité. Et beaucoup de celles et ceux aujourd'hui qui se font insulter, qui se font menacer, je pense qu'on en fait tous les frais, même autour de ce plateau qui reçoivent des messages racistes…

JEROME CHAPUIS
Mais la loi ne permet pas d'engager personnellement la responsabilité personnelle de ses dirigeants.

AURORE BERGE
Si, parce qu'il y a une responsabilité aujourd'hui des plateformes. Elles n'ont plus d'irresponsabilité juridique.

JEROME CHAPUIS
Là, vous parlez des entreprises, mais les personnes qui les dirigent.

AURORE BERGE
Déjà, le sujet, c'est l'entreprise. Et le sujet, c'est surtout de faire en sorte que ces contenus ne puissent plus exister. La difficulté, c'est ça. C'est qu'aujourd'hui, les règles de modération sont insuffisamment claires. Les règles qui génèrent des infractions et donc, qui peuvent permettre de bannir, de supprimer des comptes sont insuffisamment claires. Donc maintenant, il faut des règles claires.

SALHIA BRAKHLIA
Effectivement, à muscler leur réglementation. Mais il y a les influenceurs. On parle des influenceurs, de ceux qui produisent les contenus, pas que les influenceurs, ceux qui produisent les contenus. Il faut dire que cette convocation intervient, Aurore BERGE, après la fermeture du compte de l'influenceur Adrien LAURENT, que vous avez personnellement réclamé. Adrien LAURENT, ancien candidat de télé-réalité, devenu acteur porno, dont vous avez dénoncé les contenus, là aussi faisant la promotion d'une vision déformée de la sexualité et toxique. Mais s'il n'y a pas de plainte, s'il n'y a pas de condamnation, comment vous pouvez justifier la demande de son bannissement ?

AURORE BERGE
Le cadre légal, tout simplement. Moi, mon sujet, il n'est pas moral. On peut tous avoir des appréciations morales qui sont différentes. Mon sujet, ce n'est pas que ce soit un acteur porno. Mon sujet, ce n'est pas que ce soit quelqu'un qui a fait la télé-réalité. Mon sujet, c'est qu'il diffuse des contenus dont on sait qu'ils sont vus par des millions de personnes et notamment par des enfants et des adolescents de 11 ans, de 12 ans, de 13 ans. Et en l'occurrence, cette personne faisait notamment des live, donc, des vidéos en direct, sexuelles, avec des jeunes femmes masquées, dont on ne connaît ni l'âge. On pouvait avoir un doute sur le fait qu'elles soient même majeures et dont on ne sait en rien si elles ont consenti à être sur ces vidéos. Ce n'est pas parce qu'une vidéo existe que, pour autant, vous avez consenti, de manière totalement libre, éclairé au fait d'être filmé et d'être ensuite jeté en pâture sur les réseaux sociaux. C'est d'ailleurs cet argument-là du live qui a été retenu et qui a fait que, suite à ma demande, TikTok, en 24 heures, a supprimé le compte.

JEROME CHAPUIS
Suite à votre demande, il aurait fallu que TikTok prenne les devants ?

AURORE BERGE
Bien sûr ! Ce n'est pas une ministre de la République qui va faire matin, midi et soir des demandes en disant qu'on veut supprimer tel ou tel compte. Et d'ailleurs, mon sujet, il n'est pas là. Mon sujet, c'est de leur dire, "Faites le ménage, parce que si vous ne faites pas le ménage, on va enclencher des sanctions". Les sanctions sont prévues dans le cadre européen. Elles peuvent aller jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires mondial de ces plateformes. Donc, il faut quand même avoir en tête ce qu'elles risquent. Et puis, on peut changer, encore une fois, ce cadre légal. C'est pour ça qu'on travaille notamment sur la question de la majorité numérique. Mais hier, je les ai confrontés à des comptes précis parce que ces comptes précis, c'est des millions de personnes qui sont abonnées.

SALHIA BRAKHLIA
Nasdas, c'est 9 millions d'abonnés sur SNAPCHAT. C'est l'influenceur le plus suivi sur le réseau. Pour lui, ce sont des scènes de violence qui sont relevées par vos services. Vous avez fait le compte. Alexis CHEN, des centaines de milliers d'abonnés sur TikTok, YouTube, INSTAGRAM. C'est sa vision de la femme, là, qui est pointée du doigt. BASSEM, lui aussi, est très influent sur les réseaux sociaux. Il a déjà été condamné pour propos homophobes. Vous en supprimez un de ces comptes, mais il y en a 10 autres qui sont ouverts. Donc, ça veut dire que c'est une chasse interminable.

AURORE BERGE
Alors déjà, c'est leur responsabilité de faire cette chasse et de faire ce ménage. Mais les comptes que vous avez cités, Nasdas, Bassem, Alexis CHEN, ce sont des comptes qui sont suivis par des millions de personnes. Donc, ils ont une influence qui est sans doute supérieure à celle de vos antennes. Donc, ils ont une responsabilité qui est immense. Quand vous avez des vidéos où on voit des femmes se faire frapper, se faire gifler, recevoir des chaises à la figure devant des enfants, devant des bébés, il n'y a pas de doute sur le fait que ça enfreint le cadre légal.

JEROME CHAPUIS
Mais est-ce qu'il n'y a pas une hypocrisie sur le modèle économique ? À la fin, s'il y a des millions de personnes, c'est que ça arrange aussi ces plateformes.

AURORE BERGE
Évidemment. C'est la raison pour laquelle je leur ai demandé très précisément, et ils doivent me donner les éléments par écrit cette semaine, sur la monétisation. Combien les influenceurs gagnent et combien les plateformes gagnent grâce évidemment à ces prétendus influenceurs.

JEROME CHAPUIS
Et vous êtes prête à les frapper au porte-monnaie ?

AURORE BERGE
De toute façon, c'est le cadre légal. Mais ils pourraient déjà faire en sorte que ces influenceurs n'aient plus aucune monétisation possible, qu'ils perdent donc tous leurs revenus à partir du moment où il y a un doute sérieux sur la manière avec laquelle ils utilisent leurs comptes et les contenus qu'ils diffusent. Encore une fois, ce n'est pas une appréciation morale. Des femmes qui se font frapper devant des enfants et des bébés.

SALHIA BRAKHLIA
C'est la difficulté entre la liberté d'expression et la censure.

AURORE BERGE
Et les influenceurs peuvent faire valoir ça. Mais quand vous frappez une femme, ce n'est pas la liberté d'expression, ça s'appelle une violence. Quand vous expliquez qu'il faut dominer les femmes, quand vous expliquez qu'il faut punir les femmes, quand vous expliquez que votre propre fille, demain, n'aura plus le droit d'aller à l'école, vous voyez bien que là, on n'est pas dans une appréciation morale, on est dans le cadre légal. Et c'est là-dessus que je m'inscris. Justement, je ne veux pas qu'il y ait de flottement ou de doute sur nos intentions.

JEROME CHAPUIS
Dernière question avant le rappel des titres. Vous parliez de majorité numérique, on parle de 15 ans, pourquoi pas 16, pourquoi pas 14 ?

AURORE BERGE
15 ans, c'est l'âge aussi qui est souvent dans la loi sur la question du consentement, c'est l'âge auquel on considère qu'on est suffisamment libre pour choisir, pour faire des choix qui sont importants dans une vie, donc je pense que ça aurait du sens. C'est l'engagement qu'on a pris avec le président de la République, ça veut dire qu'il faut qu'on y arrive au niveau européen, mais c'est un combat sur lequel on commence à être rejoint par de nombreux pays, parce que je pense que 100 % des parents qui nous écoutent voient le fléau majeur sur la santé de leurs enfants, sur la santé mentale, sur les représentations que nos enfants, et donc les incidences majeures que ça a sur notre société.

JEROME CHAPUIS
Aurore BERGE, on a encore beaucoup de questions à vous poser. Ce sera juste après le fil info de 8 h 46, Maureen SUIGNARD.

(…)

JEROME CHAPUIS
Aurore BERGE, la ministre de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. On parle de Parcoursup également parce que des millions d'élèves et d'étudiants doivent choisir leur orientation dans le supérieur et en master. Certains, dès jeudi soir, les premiers résultats des plateformes Parcoursup et Mon master sont tombés dans la soirée. Le nombre de jeunes femmes admises dans les filières scientifiques a baissé l'an dernier. On ne sait pas encore ce qu'il en sera cette année. Quelques chiffres, moins 16 % à Polytechnique, moins 6 % pour les diplômes de Stim dans les filières scientifiques, technologie, ingénierie, maths. C'est de la discrimination ou c'est autre chose ?

AURORE BERGE
Non, c'est plus profond que ça. Ce n'est pas de la discrimination. C'est le fait que les petites filles, on sait qu'elles décrochent en mathématiques, non pas au collège ou au lycée, mais dès le CP. Ça veut dire qu'on a encore des représentations qui sont extrêmement genrées et qu'on ne projette pas les mêmes choses sur nos enfants, en tant que parents parfois, en tant qu'enseignants aussi. C'est parfois des biais qui sont tellement intérieurs qu'on ne réalise plus qu'on les a, mais qui malheureusement produisent ensuite le fait qu'on a des petites filles souvent qui se sentent exclues, qui se sentent à l'écart. Or, on a besoin d'avoir des femmes, des jeunes femmes qui s'engagent dans les carrières scientifiques, dans les carrières d'ingénieurs, dans les mathématiques. C'est la raison pour laquelle on a lancé, avec Elisabeth BORNE, un plan dédié sur les filles et les maths, notamment pour redonner le goût des maths aussi en général dans notre pays, du raisonnement, de la science. On voit bien à quel point parfois c'est abîmé, aussi sur les réseaux sociaux d'ailleurs. Et on a aussi assumé de dire que s'il fallait en passer par des quotas, eh bien on en passerait par des quotas, parce qu'on ne peut pas accepter qu'il y ait aussi peu de filles. Et l'idée, ce n'est pas qu'il y ait moins de garçons.

JEROME CHAPUIS
Des quotas dès la rentrée prochaine ?

AURORE BERGE
En tout cas, on y travaille. L'idée, ce n'est pas qu'il y ait moins de garçons, c'est qu'il y ait plus de filles, ce qui n'est pas la même chose. On n'empêchera pas des garçons de candidater. On ne va pas baisser le niveau d'exigence, évidemment, parce que vous savez, en général, quand on parle de quotas et de femmes, tout de suite, le premier argument qu'on nous rétorque, c'est qu'évidemment, ça va affaiblir le niveau. Ça n'a jamais affaibli le niveau nulle part. La parité ou la mixité ou la diversité, en général, ça l'élève. Et on a besoin qu'il y ait plus de générations qui s'engagent.

SALHIA BRAKHLIA
Pour les candidatures en master, l'Observatoire des discriminations a mené des campagnes de testing avec cinq noms à consonance différente. La candidate aux origines françaises supposées reçoit un taux de réponse sensiblement plus élevé que les autres. Là, il y a du racisme ?

AURORE BERGE
On a des discriminations qui résistent et qui persistent dans notre pays. C'est la raison pour laquelle j'ai annoncé, d'ailleurs, qu'on allait faire du testing massif. C'est-à-dire que l'État lui-même, avec un laboratoire de recherche, va lancer un testing massif sur la question de l'emploi avec des milliers de CV qui vont répondre à des offres d'emploi existantes, pas des CV spontanés.

SALHIA BRAKHLIA
Mais ça, j'ai envie de vous dire que les associations le font depuis des années.

AURORE BERGE
L'État ne l'a jamais fait. L'État ne l'a jamais fait dans cette ampleur. L'État ne l'a jamais fait, non pas sur du CV spontané, mais le fait qu'on envoie vraiment en répondant à des offres d'emploi existantes pour savoir est-ce que c'est en fonction des secteurs d'activité, est-ce que c'est en fonction des tailles d'entreprise, quels sont les biais. On va tester plusieurs critères.

JEROME CHAPUIS
On va tester le prénom.

AURORE BERGE
Déjà parce que personne ne pourra nous dire que c'est biaisé d'une quelconque manière. Parce que vous voyez bien que régulièrement, on nous oppose le fait que ce seraient des associations. Les associations, elles font un travail remarquable. Je pense que c'est bien que l'État le prenne en charge et assume aussi de dire que oui, dans notre pays, on a malheureusement des discriminations qui persistent, qui sont insupportables et que ces discriminations, elles disent à un certain nombre de Français que finalement, ils ne sont pas tout à fait égaux, qu'ils ne sont pas tout à fait les mêmes, qu'ils ne sont pas tout à fait les bienvenus. Et tout ça, ça crée un terreau qui est insupportable. On ne peut pas, en permanence, parler des républiques, parler de valeurs républicaines, si à la fin, on a des entailles dans ces valeurs qui sont aussi des discriminations. Donc, on va tester le prénom, le nom de famille, l'adresse, le sexe. C'est les premiers critères. S'il faut élargir sur d'autres critères, sur l'âge, sur le handicap, s'il faut ensuite faire des testings sur la question de l'accès au logement, on le fera.

JEROME CHAPUIS
Avec des résultats quand ?

AURORE BERGE
Alors là, l'appel d'offres, parce que c'est des marchés publics, va être lancé. On espère avoir deux vagues de réponses. Donc, une première dès la fin de l'année prochaine, de manière à dire concrètement ce qu'il en est. Tous les résultats seront évidemment rendus publics. Et puis le corollaire, c'est que si on constate justement des discriminations puissantes qui persistent, moi, je n'ai aucun doute sur le fait qu'il faudra aller plus loin. Et s'il faut changer la loi, s'il faut qu'il y ait des sanctions qui existent, moi, j'y suis prête. Parce qu'encore une fois, c'est un gâchis humain, monumental. C'est un gâchis républicain. C'est aussi un gâchis économique pour les entreprises, de refuser qu'il y ait plus de diversité en leur sein.

SALHIA BRAKHLIA
Aurore BERGE, le 27 mai a eu lieu à Paris le premier gala des Diaspora Defense Forces, une organisation en soutien à Israël dans sa guerre contre le Hamas. Un événement parrainé par Olivier RAFOWICZ, le porte-parole de l'armée israélienne, au moment où Emmanuel MACRON qualifie de honteux ce qui se passe, en ce moment, à Gaza. Est-ce qu'il est acceptable qu'un tel événement ait lieu en plein Paris ?

AURORE BERGE
Les événements qui sont organisés sont toujours soumis aux mêmes règles, quels qu'ils soient, quels que soient les organisateurs. Est-ce que oui ou non, il y a un trouble à l'ordre public potentiel ? Ça, ce n'est pas à moi de l'apprécier. C'est le préfet de police de Paris ou les préfets qui l'apprécient. Et éventuellement, c'est contesté ensuite devant les juridictions, devant le tribunal administratif. Donc, ce n'est pas à moi de dire si tel ou tel événement, quel qu'il soit, quels que soient les organisateurs, est acceptable. La position de la France, elle est très claire depuis le 7 octobre 2023. Rappeler que le 7 octobre, c'est d'abord un crime antisémite, des attaques terroristes massives de la part du Hamas, 50 Français qui ont été assassinés le 7 octobre, avec malheureusement des conséquences en France massives sur le regard d'antisémitisme. C'est la demande de la libération inconditionnelle de tous les otages. Et, vous le savez, c'est la demande humanitaire particulièrement urgente au regard de la situation insupportable à Gaza.

SALHIA BRAKHLIA
Je reviens juste au gala, parce que parmi les interventions, on retient notamment ce quizz, vous l'avez vu forcément sur les réseaux sociaux, où dans une ambiance bon enfant, on ironise sur le nombre de morts civiles à Gaza, par exemple. Je cite, depuis le début de la guerre, si 55 000 personnes sont mortes à Gaza, dont 55 % de civils, ça fait combien de Gazaouis qui sont morts ? C'était la question du quiz. Quiz qui pourra être soumis à des lycéens dans le cadre d'un projet School Tour. Est-ce que le Gouvernement va l'autoriser ?

AURORE BERGE
Non, je ne vois pas de quelle manière le gouvernement pourrait autoriser que ce type de questionnaire existe. Encore une fois, il n'y a pas n'importe qui qui rentre au sein de nos écoles. Donc, les personnes qui rentrent au sein des écoles de la République sont des personnes qui sont agréées par l'éducation nationale. Et c'est tant mieux, parce que c'est ça qui met une règle, et des barrières aussi, et des filtres. Donc, encore une fois, il n'y a aucun doute sur la nécessité de la sécurité de l'État d'Israël et des Israéliens. Il n'y a aucun doute sur la nécessité de l'urgence humanitaire à Gaza. Il n'y a aucun doute sur la nécessité de la libération immédiate des otages.

SALHIA BRAKHLIA
Et sur cet événement-là à Paris, en soutien à l'armée israélienne ?

AURORE BERGE
Encore une fois, il y a toujours les mêmes règles. Et elles s'imposent à tous, quel que soit l'objet des événements.

JEROME CHAPUIS
Aurore BERGE, vous avez un collègue au ministère de l'Intérieur qui, depuis quelques jours, est aussi patron d'un parti, Les Républicains, Bruno RETAILLEAU, qui a fait savoir hier qu'il s'opposait à l'instauration de la proportionnelle, comme le souhaite François BAYROU. Il l'a rencontré comme président de LR et pas comme ministre. Il laisse planer la menace d'une démission. Qu'est-ce que vous dites ? Qu'il s'en aille s'il le veuille ?

AURORE BERGE
Je dis que sur la question de la proportionnelle, et le Premier ministre le sait puisque c'est des débats qu'on a déjà eus dans un cadre plus collectif, il sait qu'il y a des oppositions au sein même du Gouvernement et d'un certain nombre de groupes et de forces politiques. Renaissance, le parti qui est le mien, a dit clairement son opposition à la question de la proportionnelle. C'est le cas aussi pour Les Républicains. C'est le cas aussi d'ailleurs pour Horizon avec Édouard PHILIPPE. Donc, je pense qu'une réforme qui se ferait contre les principales forces de soutien du Gouvernement pose évidemment question et le Premier ministre le sait. Après, c'est sa conviction personnelle depuis toujours. On ne peut pas reprocher au Premier ministre de vouloir instaurer ce débat puisqu'encore une fois, c'est ce qu'il porte avec son parti depuis très longtemps.

JEROME CHAPUIS
Au risque de faire imploser son Gouvernement ?

AURORE BERGE
En tout cas, moi je fais partie de ceux qui sont en désaccord avec l'idée d'une proportionnelle intégrale. J'y ai toujours été. Donc, je suis constante sur cette question-là. Et mon parti, mon groupe parlementaire aussi d'ailleurs à l'Assemblée nationale a dit clairement qu'il ne souhaitait pas l'instauration d'une proportionnelle.

JEROME CHAPUIS
Vous partiriez si ce texte était défendu par le Gouvernement ?

AURORE BERGE
Pour l'instant, il n'y a pas de projet de loi qui a été présenté en Conseil des ministres. Ce n'est pas à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Nous, on a toujours été favorable éventuellement à une dose de proportionnelle mais vous savez la proportionnelle quelque part c'est ce qu'on a, aujourd'hui, à l'Assemblée nationale. On a onze groupes politiques représentés. On n'a aucune majorité. Ça crée du doute, ça crée de l'instabilité. Je ne suis pas certaine que les Français aient envie de ce risque-là d'instabilité. Et en tout cas, ça montre que le scrutin majoritaire, qui est le nôtre, il n'a pas empêché une grande diversité d'opinions d'exister au sein de l'Assemblée.

SALHIA BRAKHLIA
Au-delà de la question de la proportionnelle, avec les Républicains, Bruno RETAILLEAU, qui est donc, votre collègue en ce moment au Gouvernement, veut vous affronter, vous les macronistes, au municipal, à la présidentielle aussi. Clairement, combien de temps il peut tenir avec ces deux casquettes ?

AURORE BERGE
Je pense qu'il faut inverser la question et se dire qu'il est peut-être envisageable qu'on arrive à se rassembler. Et que si on arrive à gouverner ensemble, on peut peut-être arriver à porter des candidatures communes aux élections municipales. Moi, j'y travaille dans les Yvelines, parce que je pense que ce rassemblement, il est attendu, voire même que ce rassemblement, il se poursuivre jusqu'en 2027 et pour 2027. Mais moi, je n'ai pas envie que la tenaille nous prenne en 2027 et que le seul choix final des Français se soit entre le Rassemblement national et la France insoumise. Mais si on veut éviter à tout prix ce choix-là, ça va nous imposer de travailler et ça va nous imposer de travailler ensemble et de nous rassembler, quelles que soient nos ambitions individuelles.

SALHIA BRAKHLIA
Vous voulez un accord entre Edouard PHILIPPE et Bruno RETAILLEAU, par exemple ?

AURORE BERGE
Ça veut dire que déjà, il y a d'autres candidatures qui peuvent exister, qu'il reste deux ans, qu'il faut, d'ici là, travailler, travailler sur un projet, travailler tout de suite maintenant pour avoir des résultats et ne pas perdre deux ans pour les Français. Et oui, travailler un projet de rassemblement. Parce que si chacun y va sous ses couleurs, si on n'a pas une, mais deux, mais trois, pourquoi pas quatre candidatures, alors le risque, c'est qu'aucun d'entre nous ne soit en capacité d'être au second tour d'élection présidentielle et ce n'est pas ce que je souhaite pour la France.

SALHIA BRAKHLIA
Est-ce qu'il faut une primaire ? David LISNARD, qui est un membre des Républicains et qui, lui aussi, est candidat à l'élection présidentielle, dit qu'on est trop nombreux sur la ligne de départ. Est-ce qu'il faut une primaire à laquelle vous pourriez être candidate, d'ailleurs ?

AURORE BERGE
En tout cas, ce qui est certain, c'est qu'aujourd'hui, on est potentiellement nombreux sur cette ligne de départ et peut-être qu'on ne connaît pas encore toutes les candidatures. Encore une fois…

SALHIA BRAKHLIA
C'est vrai que vous, vous l'êtes candidate ?

AURORE BERGE
En tout cas, moi j'y travaille, c'est-à-dire je travaille à l'idée qu'il y ait des projets politiques qui puissent s'affronter et à l'idée qu'on soit dans la nécessité de se rassembler. Parce qu'encore une fois, si à la fin, c'est que les ambitions personnelles qui priment, aucun d'entre nous ne sera au second tour de l'élection présidentielle. Et donc, on sera tous co-responsables du fait qu'à la fin, les Français auront le choix entre LFI et le RN. Et ce n'est vraiment pas ce que je souhaite pour mon pays.

JEROME CHAPUIS
Et d'un mot, parce qu'il y en a un autre qui travaille, qui réfléchit, c'est Gérald DARMANIN, qui est aussi ministre de la Justice et qui s'exprime, ce matin, après les violences sur le Paris-Saint-Germain, qui se prononce, est-ce que c'est comme candidat, est-ce que c'est comme ministre de la Justice, pour la suppression du sursis en cas de violences du type de celles qu'on a vues depuis samedi soir. Suppression du sursis. Vous êtes d'accord ?

AURORE BERGE
Je n'ai pas entendu cette déclaration-là. C'est ce que vous me rapportez.

JEROME CHAPUIS
C'est sur les réseaux sociaux. Ça nous ramène aux réseaux sociaux.

AURORE BERGE
En tout cas, ce qui est certain, c'est qu'on ne peut pas s'accommoder du fait qu'à chaque fois qu'on a un événement d'ampleur, on ait, ensuite, des violences et un déchaînement de violences avec des gens de plus en plus jeunes, d'ailleurs, qui soient partis de ces violences-là. Et ça, c'est insupportable. Je pense que ça crée une exaspération massive des Français. Et c'est normal qu'ils soient exaspérés. Donc, c'est notre responsabilité d'y mettre un terme.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 juin 2025