Déclaration de M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur les aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, au Sénat le 15 mai 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Éric Lombard - Ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Circonstance : Audition devant la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants

Texte intégral

M. Olivier Rietmann, président. - Nous voici presque arrivés au terme de nos auditions. Dans le cadre des travaux de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, nous accueillons Monsieur Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

L'audition de ce jour est enregistrée et diffusée en direct et elle fera l'objet d'un compte rendu sur le site du Sénat.

Monsieur le ministre, avant de vous donner la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal. Je vous remercie par ailleurs de nous faire part de vos éventuels liens d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Merci monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a rendu une nouvelle délibération qui donnera lieu à un décret de déport que le Premier ministre prendra dans les prochains jours. Je me suis donc déporté sur la gouvernance et le versement annuel de la Caisse des dépôts, les sociétés du groupe La Poste, les sociétés du groupe Bpifrance, à l'exception de Bpifrance Assurance Export, le fonds d'investissement européen Marguerite, l'École supérieure de commerce de Troyes, la société Halmahera et ses filiales et le Cercle des économistes. Ces déports avaient déjà été mis en place au moment de ma nomination et sont déjà effectifs.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci Monsieur le ministre. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : " Je le jure. "

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Éric Lombard prête serment.

Notre commission d'enquête, dont les membres ont été nommés le 15 janvier dernier, poursuit trois objectifs principaux : établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d'affaires net mondial d'au moins 450 millions d'euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l'emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements voire délocalisent leurs activités.

Nous avons réalisé près de 55 auditions en commission plénière retransmises en direct, avec des journalistes, juristes, économistes, hauts fonctionnaires, représentants syndicaux et un grand nombre de dirigeants d'entreprises. Nous avons également entendu la ministre du travail et de la santé Catherine Vautrin et deux de vos prédécesseurs, Arnaud Montebourg et Bruno Le Maire.

Notre audition d'aujourd'hui représente une synthèse de nos travaux. Nous souhaitons en effet vous faire part de plusieurs constats et échanger sur certaines propositions envisagées pour notre rapport. Nous aimerions au préalable connaître votre regard sur les quelque 2 200 aides publiques versées aux entreprises.

Quelle définition des aides publiques retenez-vous ? Quel est leur coût ? Dans le contexte géopolitique actuel et compte tenu de la situation alarmante de nos finances publiques, quel doit être leur rôle ? Quelles décisions comptez-vous prendre pour mieux encadrer la dépense fiscale ? Le crédit d'impôt recherche vous semble-t-il actuellement bien calibré ?

Le rôle de chef de file confié aux régions en matière d'aide aux entreprises vous semble-t-il être un gage d'efficacité et cohérent avec les actions menées par l'État ?

Pensez-vous que les aides publiques aux entreprises sont suffisamment suivies, contrôlées et évaluées ? Seriez-vous favorable à des contreparties juridiquement contraignantes pour certaines aides lorsque l'entreprise ferme des sites, procède à des licenciements voire délocalise ?

Je vous propose de traiter ces questions lors d'un propos liminaire d'un quart d'heure, puis notre rapporteur Fabien Gay vous posera quelques questions complémentaires, avant que les membres de la commission vous interrogent.

M. Éric Lombard, ministre. - Je suis heureux de participer à cette commission d'enquête sur les aides publiques aux grandes entreprises : un sujet stratégique et un levier important de l'action publique, même si ces termes recouvrent des réalités hétérogènes.

Les aides publiques visent à corriger certaines défaillances de marché en incitant les entreprises à investir dans des activités génératrices d'externalités positives pour la société, comme la recherche et développement ou la transition écologique. Dans ces domaines, les rendements privés peuvent être insuffisants au regard des bénéfices collectifs attendus. Les aides publiques améliorent la rentabilité relative des projets sans supprimer le risque entrepreneurial, rendant possibles des initiatives qui sans soutien ne seraient pas engagées.

Ces aides peuvent être justifiées d'un point de vue économique pour les grandes entreprises, particulièrement exposées à la concurrence internationale. De plus, les grandes entreprises industrielles font face directement à la concurrence de pays asiatiques dont les conditions de production tirent injustement les prix vers le bas.

Les grandes entreprises sont également des donneuses d'ordres. Elles structurent des filières et des chaînes de valeur et représentent des leviers de transformation de notre économie. Elles jouissent de ce fait d'une rentabilité plus grande, leur action demeurant essentielle pour la réalisation d'objectifs de politiques publiques, qu'il s'agisse de la réindustrialisation, d'innovation ou de décarbonation.

La majeure partie des aides aux entreprises est votée en loi de finances par le Parlement. Des décrets viennent ensuite les préciser et des opérateurs de l'État sont chargés de leur déploiement.

Qu'elle soit structurelle, conjoncturelle, de transition, de crise, transversale, de guichet ou sectorielle, aucune aide n'est octroyée sans conditionnalité. Pour bénéficier du crédit d'impôt recherche (CIR), une entreprise doit par exemple avoir effectué des dépenses dans la recherche et le développement.

En multipliant les conditionnalités, on risque toutefois de manquer l'objectif initial, voire d'être contreproductif.

Ajouter une condition de maintien de l'emploi pour chaque aide risquerait de décourager les candidats et de nuire au but initial, voire d'engendrer des effets pervers. Si, pour des raisons de survie, des entreprises se retrouvent parfois contraintes de faire évoluer leurs effectifs, cela ne signifie pas pour autant qu'elles ne remplissent pas l'objectif initial fixé par telle ou telle aide.

Concernant le crédit d'impôt recherche, le Parlement a souhaité un resserrement ciblé de son action en 2024. Il faut désormais stabiliser les paramètres du dispositif qui représente un facteur clé de l'attractivité, les entreprises ayant besoin de visibilité sur le moyen terme pour que les aides fonctionnent.

On distingue deux types d'aides : les aides transversales non ciblées accessibles à l'ensemble des entreprises, notamment le crédit impôt recherche, dont les retombées dépassent le cadre de l'entreprise bénéficiaire et profitent à l'économie dans son ensemble ; les aides sélectives ciblant des secteurs ou technologies spécifiques, soumises à l'encadrement des aides d'État prévu par les traités européens. Le plan « France 2030 » s'inscrit dans cette logique. Il concerne des filières stratégiques, telles que les technologies quantiques, la matière numérique ou les électrolyseurs pour l'hydrogène décarboné, l'objectif étant de renforcer la souveraineté technologique et d'accélérer les transitions industrielles.

Par exemple, les aides à la décarbonation, octroyées via des appels à projets, doivent permettre d'accompagner la transition écologique. Nous mesurons le coût par tonne de CO2 évité pour optimiser la dépense.

L'aide publique est donc un investissement de la société au service de la décarbonation des entreprises, souvent non rentable à court terme, mais essentielle pour la planète et la société.

Les aides à l'innovation regroupent des incitations fiscales permettant d'inciter à la recherche et au développement.

Les subventions sectorielles (notamment France 2030) permettent de cibler les technologies stratégiques.

Les aides de crise visent à préserver les entreprises et les emplois pendant les périodes difficiles. Après le Covid, la plupart des entreprises ont pu sauvegarder les emplois. Les grandes entreprises ont plutôt été soutenues par d'autres aides, l'activité partielle leur ayant permis durant les différentes crises de maintenir leurs emplois. Hors covid, des aides ont été déployées en réponse à la crise énergétique déclenchée en février 2022 par l'invasion russe en Ukraine. Ces aides ont permis de protéger notre tissu industriel des hausses du prix de l'énergie. Elles ont pour la plupart pris fin au terme de l'année 2023.

Chaque année, 150 milliards d'euros sont mobilisés : 40 milliards d'euros de dépenses fiscales (dont 8 milliards d'euros pour le crédit d'impôt recherche, 5 milliards d'euros pour la fiscalité réduite dans les outre-mer et les différentes TVA réduites dans la restauration et sur certains travaux) ; 30 milliards d'euros de dépenses budgétaires (incluant les aides à l'embauche d'apprentis ou France 2030) ; 80 milliards d'euros d'allègements généraux de cotisations.

L'ensemble de ces aides font l'objet d'un contrôle systématique, d'un suivi rigoureux et d'évaluations régulières.

Par exemple, le crédit d'impôt recherche fait l'objet de plus d'un millier de contrôles annuels pour un total de 15 000 bénéficiaires. Ces contrôles aléatoires portent à la fois sur les montants déclarés et la nature scientifique des projets.

Ces aides sont suivies : aucune n'est versée sans que les conditions d'attribution, notamment l'atteinte de jalons d'avancement des projets, ne soient remplies. Les aides d'État font d'ailleurs l'objet d'un reporting annuel conformément à la réglementation européenne.

Elles sont enfin évaluées via un dispositif prévu par la loi.

Pour France 2030, le Comité de surveillance des investissements d'avenir (CSIA) a publié sa première évaluation à l'état 2023 et conclu à des retombées largement positives au niveau macro-économique sur l'activité comme sur l'emploi. Des analyses supplémentaires vont permettre d'analyser les retombées précises de ces investissements avec le recul et les données ; France Stratégie a fourni une analyse très complète du plan France Relance avec un comité d'évaluation spécifique présidé par Xavier Jaravel. Il a procédé à des évaluations macro-économiques et à l'évaluation de 11 dispositifs du plan avant de publier ses conclusions en janvier dernier. Pour mener l'évaluation de tous les dispositifs d'aide, nous disposons d'institutions dotées des profils qui conviennent à France Stratégie, à l'INSEE ou à la Cour des comptes. Des comités plus spécifiques peuvent être mandatés comme la commission Bozio-Wasmer ou sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et la Commission européenne contrôle les aides d'État.

En conclusion, il y a sans doute des améliorations à opérer en matière de rationalisation et de transparence des aides. Le ministère a d'ailleurs développé une plateforme pour le rapportage européen des aides dites « de minimis » (inférieures à 300 000 euros sur trois ans). Ce registre sera rendu public dès janvier prochain conformément au droit européen.

Chaque dispositif a ses règles et peut à ce titre mobiliser des administrations et des opérateurs différents, ce qui rend parfois difficile la compréhension des règles par l'opinion publique.

Si cette organisation est techniquement justifiée, elle ne doit pas nuire à la transparence et à notre capacité collective à réinterroger l'ensemble du dispositif.

La future plateforme sera élargie à l'ensemble des aides d'État afin d'effectuer un saut qualitatif considérable dans l'évaluation, le pilotage et le suivi des aides publiques, ce qui nécessitera des modifications législatives, notamment pour inviter les collectivités territoriales à participer et lever partiellement le secret fiscal.

D'autres améliorations sont certainement possibles et souhaitables. Je me réjouis donc de ce dialogue avec vous.

M. Olivier Rietmann, président. - Quel regard portez-vous sur la responsabilité donnée aux régions et son efficacité, étant rappelé que leurs aides atteignent 7 milliards d'euros environ par an ?

M. Éric Lombard, ministre. - Cette question importante fait l'objet de débats francs et directs. À titre personnel, je suis très attaché au rôle des régions en matière de soutien aux entreprises. Cette mission s'inscrit dans le cadre de leur mandat de suivi de l'activité économique, leur proximité complétant utilement l'action de l'État. Nous essayons de nous coordonner au maximum. Un président d'une grande région industrielle m'a envoyé un message il y a quelques jours précisément pour discuter de cette coordination sur les aides. Le rôle des régions me paraît tout à fait précieux, dès lors qu'il complète les dispositifs publics, ce qui est le cas le plus souvent.

M. Olivier Rietmann, président. - Notre commission a auditionné hier Olivier Guersent, directeur général de la concurrence à la Commission européenne. Au niveau de l'Union européenne, les aides sont réservées aux projets qui en ont besoin pour être rentables. Qu'en pensez-vous ? Deuxièmement, l'Union européenne propose aux entreprises qui auraient trouvé des aides hors Union européenne de leur allouer un montant égal pour favoriser leur installation dans l'Union. Pourrait-on adapter ce principe au niveau français ?

Lors d'une de vos premières interviews, vous désigniez la transition écologique comme la priorité des entreprises, appelant à davantage d'investissements et moins de rentabilité. Or, dans le contexte de la guerre commerciale que se livrent les États-Unis et la Chine, il apparaît indispensable de prendre des mesures aux niveaux européen et national. La France a notamment mis en place des aides importantes pour la décarbonation qui se divisent en deux catégories : d'une part le soutien au développement industriel, que personnellement je soutiens, et d'autre part, des aides accordées par pure idéologie à des projets non rentables à court terme, mais considérés comme bénéfiques pour la planète. Ne pourrait-on pas, pour une période déterminée et à enveloppe constante, réorienter une partie des aides à la décarbonation vers la recherche de compétitivité et la réindustrialisation pour soutenir nos entreprises confrontées à cette guerre commerciale ? Nous serons particulièrement vigilants à ce que les entreprises ne fassent pas à nouveau les frais de la situation financière du pays.

Par ailleurs, si je pense comme vous que les critères d'allocation des aides demeurent très stricts et les contrôles efficaces, presque aucun dispositif n'intègre des critères pour une future évaluation. Vous me répondrez que certains dispositifs sont évalués. Qui réalise ces évaluations et pour qui ? Les entreprises auditionnées disent n'avoir jamais été contactées. En tant que parlementaires, nous n'avons jamais eu accès à des résultats d'évaluation pour guider nos décisions de modification, notamment sur le CIR ou l'aide à l'apprentissage.

M. Éric Lombard, ministre. - Concernant le rapport de l'audition d'Olivier Guersent, je vois une contradiction entre l'idée de réserver des aides aux entreprises non rentables et celle d'accorder une aide d'un même montant aux entreprises pouvant bénéficier d'un soutien de la part d'un pays concurrent.

M. Olivier Rietmann, président. - J'ai effectivement demandé à Olivier Guersent si cette stratégie ne revenait pas à soutenir des « canards boîteux ». Tout compte fait, j'y vois une logique : pourquoi aider des dossiers déjà rentables sans subventions ? Cela reviendrait à jeter l'argent par les fenêtres.

M. Éric Lombard, ministre. - Nous faisons face à une concurrence planétaire avec des empires économiques utilisant massivement les subventions d'État. Si nous voulons éviter une fuite de nos industries vers les États-Unis et la Chine, nous devons proposer à nos entreprises des systèmes équivalents, compatibles avec nos règles. C'est la raison pour laquelle certaines subventions, dont le crédit d'impôt recherche, bénéficient à des entreprises rentables.

Par ailleurs, je ne partage pas votre proposition de mettre entre parenthèses la décarbonation. La trajectoire actuelle du réchauffement climatique risque d'entraîner une destruction du PIB d'environ 20 %, selon l'économiste Patrick Artus. Le meilleur investissement économique est donc la décarbonation. Sans cela, d'ici 2050, le coût nécessaire pour protéger le pays des conséquences du réchauffement deviendra impossible à supporter pour les finances publiques.

Il est vrai qu'une partie de ces investissements n'ont pas de rentabilité immédiate et pèsent sur la rentabilité du capital - qu'il s'agisse de la rénovation thermique des bâtiments, du développement des transports collectifs électriques ou de la décarbonation industrielle. Mais même la Chine revendique désormais une décarbonation rapide de son économie.

Je ne présente pas cela comme un objectif de politique économique - je souhaite que nos entreprises soient les plus rentables possibles -, mais comme un objectif de politique publique nécessaire. C'est pourquoi, dans le prochain projet de loi de finances, nous ne souhaitons pas augmenter les charges et impôts des entreprises. Si nous trouvons des moyens de les alléger, nous le ferons, car nous avons besoin d'entreprises vigoureuses.

Concernant les évaluations, je suis surpris par votre remarque. Au moins trois rapports de l'Inspection générale des finances sur le crédit d'impôt recherche ainsi que des rapports de la Cour des comptes ont été consultés avant de recalibrer ce dispositif. Sur 15 000 bénéficiaires du CIR, 1 000 entreprises font chaque année l'objet de vérifications sur place.

M. Olivier Rietmann, président. - Je partage totalement votre constat concernant le contrôle. Néanmoins, mes interrogations concernent l'évaluation. Nous ne disposons quasiment d'aucun indicateur pour savoir si tel ou tel dispositif doit être étendu, modifié ou supprimé. Cela n'est pas étonnant puisque les bénéficiaires ne sont pas évalués non plus.

Le problème commence d'ailleurs déjà en amont, avec des études d'impact inexistantes ou vides de contenu.

Aujourd'hui, les entreprises ne demandent pas des aides, ni même une diminution de l'impôt sur les sociétés, mais une baisse des impôts de production et du coût du travail.

M. Éric Lombard, ministre. - Je poursuivrai ce débat avec vous avec plaisir lors de l'examen de la loi des finances.

Les dépenses publiques représentent 57% du PIB. Il faut donc trouver une façon de les réduire en pourcentage du PIB, ce à quoi nous travaillons, et les financer.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je suis ravi de pouvoir échanger avec vous, Monsieur le ministre, car on vous entend peu sur un certain nombre de sujets, notamment industriels.

Je suis intéressé par votre introduction. Nous n'avons pas entendu la même chose de la part des chefs d'entreprise, des syndicats, des économistes, de l'administration et de deux anciens ministres de l'économie - un de gauche, Arnaud Montebourg, et un de droite, Bruno Le Maire.

Sur le montant total des aides publiques, nous constatons que les chiffres divergent selon les sources interrogées. Celui-ci s'élève à 70 milliards d'euros selon l'INSEE, entre 150 et 250 milliards d'euros selon les économistes, qu'ils soient libéraux ou progressistes, et à 170 milliards d'euros d'après l'Inspection Générale des Finances (IGF).

Marc Auberger estime même qu'en incluant l'ensemble des dispositifs distribués aux entreprises, mais qui bénéficient aux ménages, comme les aides pour rénover les logements, on atteint 220 à 250 milliards d'euros.

Vous êtes même en désaccord avec le président de la République qui a expliqué lors de sa dernière intervention télévisée que sur 1 000 euros de dépenses publiques, 59 euros vont au soutien aux entreprises - soit 98 milliards d'euros sur 1 670 milliards d'euros de dépenses publiques. Vous affirmez donc ici sous serment que le montant des aides publiques s'élève à 150 milliards d'euros.

Comment peut-on arriver à s'accorder sur un même chiffre pour qu'un débat sincère entre l'exécutif et le législatif puisse se tenir ?

M. Éric Lombard, ministre. - Je peux confirmer les chiffres que je vous ai donnés, sans douter de la parole de quiconque. Nous faisons face à un problème de définition. Vous évoquez les aides aux ménages qui transitent par les entreprises. Je les considère pour ma part comme des aides aux ménages et non aux entreprises.

J'ai été très clair : 80 milliards d'euros d'allègements généraux, ajoutés aux 40 milliards d'euros de mesures fiscales, et aux 30 milliards d'euros de mesures budgétaires aboutissent à un total de 150 milliards d'euros. En ne prenant qu'une partie de ce montant, on arrive à des chiffres moindres. Je comprends que le président de la République a peut-être considéré uniquement les allègements généraux dans son tableau, qui vient peut-être même de mes services.

M. Fabien Gay rapporteur. - S'il avait retranché les exonérations fiscales, nous serions arrivés à 70 milliards d'euros. Je ne sais pas comment il a pu trouver 98 milliards d'euros.

M. Éric Lombard, ministre. - Je pense que le tableau présenté par le président de la République prend en compte la dépense publique. Je ne sais pas si la dépense fiscale est comprise.

M. Fabien Gay rapporteur. - Si ni la dépense fiscale ni les exonérations ne sont comprises, il aurait dû avancer le chiffre de 30 milliards d'euros. J'essaie de comprendre.

M. Éric Lombard, ministre. - Ce type de débat est assez habituel. Il faut observer dans le détail les différentes catégories. Je ne mets en cause personne. Je suis venu avec des chiffres vérifiés avec les services de Bercy que je vous présente sous serment. Je veux redire que je ne partage pas votre avis sur la question de l'évaluation.

M. Fabien Gay rapporteur. - Je vous interrogeais simplement sur ces divergences de chiffres. Je vous interrogeais simplement sur le fait que quand on interroge l'administration, des économistes, des ministres et le président de la République, personne ne donne le même chiffre. Ce qui, vous comprendrez, est un peu surprenant.

Je remercie votre cabinet et l'administration centrale de nous avoir fourni certains éléments. Néanmoins, de nombreuses données ne sont pas en possession de l'administration, ce qui témoigne d'un manque de suivi des aides.

Votre ministre déléguée Clara Chappaz a indiqué qu'elle n'était pas favorable à la création d'un nouveau crédit d'impôt, car ces dispositifs étaient généralement mal suivis, mal évalués et avaient tendance à créer des effets d'aubaine. Est-ce la position actuelle du gouvernement sur l'ensemble des crédits d'impôt ?

M. Éric Lombard, ministre. - J'ignore sur quel objet portait l'intervention de Clara Chappaz. Je vous fais confiance pour rapporter son propos et n'ai aucun doute quant à votre bonne foi. Je peux imaginer que la ministre déléguée chargée de l'Intelligence artificielle et du numérique parlait du secteur spécifique dont il était question.

Le gouvernement estime que les crédits d'impôt sont efficaces et utiles. Sinon, nous saisirions ces 150 milliards d'euros pour régler le problème du déficit budgétaire.

M. Fabien Gay rapporteur. - Je reviens sur la transparence, question récurrente lors de nos auditions. Nous souhaitons connaître votre avis et celui du gouvernement. J'ai été très surpris de voir que la trentaine de PDG auditionnés, notamment des dirigeants d'entreprises du CAC 40, ont pour la première fois tous joué le jeu de la transparence en déclarant les aides perçues et les dispositifs utilisés.

À l'inverse, l'administration a montré beaucoup plus de réticence. J'ai été surpris que deux de vos prédécesseurs se soient déclarés favorables à la transparence. Même Bruno Le Maire a évoqué la nécessité de recréer de la confiance sur la question des aides publiques. Cette transparence doit être documentée et elle sera d'intérêt général et d'intérêt public - comme notre commission dont les travaux sont bien suivis.

Beaucoup de salariés nous écrivent qu'ils découvrent le montant des aides perçues par leur entreprise grâce à notre commission.

Quelle est votre position en matière de transparence ? Les entreprises nous ont précisé ne pas souhaiter assumer cette charge supplémentaire, mais préféreraient que l'administration produise un tableau récapitulatif des 2 200 dispositifs existants et leurs montants.

M. Éric Lombard, ministre. - J'avais le sentiment que ce sujet faisait déjà l'objet de transparence, étant souvent interrogé lors des questions au Gouvernement. Vous-mêmes ou vos collègues évoquez souvent, concernant la sidérurgie qui nous occupe actuellement, que telle ou telle aide a été promise.

M. Fabien Gay rapporteur. - Pardonnez-moi de vous interrompre, mais le chiffre de 295 millions d'euros d'aides publiques touchées par ArcelorMittal en 2023, que tout le monde reprend, a été révélé par la commission d'enquête. Auparavant, personne n'en savait rien. Pour la première fois, le groupe a communiqué le montant exact perçu. Nous ne disposions jusqu'ici que d'estimations.

M. Éric Lombard, ministre. - Soyons clairs, je suis tout à fait favorable à la transparence des aides. Nous vous devons ces informations en tant que sénateurs de la République. La seule exception concerne le secret fiscal que j'évoquais dans mon introduction. Je n'ai moi-même pas accès aux aides fiscales ou aux impôts payés par les entreprises, ce qui est normal puisque je suis avant tout un responsable politique. Ces informations sont accessibles à vos collègues de la commission des finances.

M. Fabien Gay rapporteur. - Aujourd'hui, c'est pourtant l'opacité qui règne, comme plusieurs PDG nous l'ont humblement avoué. Je peux citer M. Pinault, l'un des derniers auditionnés, qui nous a remerciés de lui avoir donné l'occasion de faire ce travail. Et il n'a pas été le seul. Plusieurs dirigeants ignoraient le montant exact des exonérations, des subventions directes ou encore du crédit d'impôt recherche.

Êtes-vous donc favorable à la transparence des aides ? Je précise que nous n'avons pas parlé du secret fiscal ni du montant des impôts. Certains chefs d'entreprise payant des impôts étaient d'ailleurs très fiers de le dire, tandis que ceux qui n'en paient pas montraient moins d'enthousiasme à révéler qu'ils touchent des millions d'euros d'aides, versent des milliards d'euros de dividendes, mais paient 0 % d'impôt. Nous ne demandons pas de lever le secret fiscal pour toutes les entreprises.

M. Éric Lombard, ministre. - Je suis favorable à la transparence sur les aides, y compris quand l'aide est fiscale. Mais je ne suis pas favorable à la transparence sur les aspects fiscaux.

M. Fabien Gay rapporteur. - Notre commission d'enquête n'a jamais demandé la levée du secret fiscal. Nous avons toujours évoqué la transparence sur l'argent public donné aux entreprises et la tenue d'un tableau par l'administration.

Nous aurons des recommandations à faire. Mais vous y êtes plutôt favorable, comme vos deux prédécesseurs qui avaient parfois des positions différentes lorsqu'ils étaient en fonction.

Concernant le crédit d'impôt recherche, je crois que tous les sénateurs ici présents sont convaincus de l'importance de la recherche et du développement en France. Je vous invite à passer du temps avec les agents de l'administration fiscale qui effectuent les contrôles et rencontrent des difficultés, notamment avec les grandes entreprises qui présentent des centaines de documents difficiles à vérifier. Cette question demeure donc complexe.

Je veux évoquer le cas de Sanofi, qui a perçu, entre autres, un milliard d'euros de crédit d'impôt recherche. Ce dispositif est censé favoriser l'emploi et la recherche en France. Pourtant, dans le même temps, le nombre d'emplois chez Sanofi a diminué - en témoignent les quatre plans de sauvegarde de l'emploi mis en place en 2014, 2019, 2021 et 2023 - même si l'entreprise l'a contesté lors de son audition.

Les responsables de Sanofi nous ont écrit un courrier dans lequel ils affirment ne pas contester la diminution, mais le chiffre de 3 500 suppressions d'emploi. Ils annoncent eux-mêmes 1 000 suppressions d'emplois et 1 milliard d'euros de crédit d'impôt recherche. Cette même entreprise vient de vendre le Doliprane à un fonds américain, va fermer ou vendre le site d'Amilly et a annoncé hier investir 20 milliards de dollars aux États-Unis, alors que le président de la République a appelé à un patriotisme économique et au gel des investissements dans ce pays.

Est-il normal d'octroyer un crédit d'impôt recherche à une entreprise sans au minimum exiger de maintenir l'emploi ?

Comment, par ailleurs, évaluer l'efficacité de ces aides ? Pendant la crise du Covid, Sanofi a fait partie des derniers laboratoires à développer un vaccin, après les Russes et les Cubains qui vivent pourtant sous blocus.

Comment vivez-vous le fait que Sanofi, qui bénéficie de nombreux dispositifs, annonce 20 milliards de dollars d'investissements aux États-Unis tout en détruisant l'emploi et en fermant des sites en France ?

M. Éric Lombard, ministre. - Poser des conditionnalités sur le maintien de l'emploi risque de dissuader les entreprises de créer des usines en France.

Une entreprise peut décider de réduire les effectifs, c'est la liberté d'entreprendre.

Sanofi a notamment bénéficié de près de 600 millions d'euros d'aide à l'innovation et au développement, hors crédit d'impôt recherche. Ces aides ont bien permis de faire les études, les recherches ou les investissements prévus. J'entends qu'il soit choquant pour l'opinion publique que malgré ces aides, qui ont été utilisées pour la recherche et pour aboutir à de nouvelles productions et à des investissements en France, Sanofi prenne ce type de décisions.

Nous avons demandé aux entreprises d'être patriotiques et de retarder leurs décisions d'engagement. ArcelorMittal a confirmé aujourd'hui son investissement à Dunkerque, montrant ainsi un comportement vertueux. Dans le secteur pharmaceutique, nous observons une relocalisation des chaînes de production. C'est le débat que j'ai eu aujourd'hui avec nos partenaires chinois en leur demandant de faire fabriquer en Europe les objets exportés de Chine. Les Américains sont en train de tenir le même discours. Je le regrette comme vous, et c'est pourquoi nous menons une politique d'attractivité. Nous observons néanmoins que, pour la sixième année consécutive, la France est le pays le plus attractif d'Europe.

M. Olivier Rietmann, président. - Si nous restons encore les plus attractifs, nous sommes en chute sur tous les critères. Vous n'allez pas pouvoir vous vanter encore longtemps.

M. Éric Lombard, ministre. - Je ne me vante de rien. Je constate simplement qu'il s'agit d'une bonne nouvelle pour le pays, parfois un peu déprimé.

M. Olivier Rietmann, président. - Il faut regarder la réalité derrière ces chiffres Monsieur le ministre. Il est temps de réagir.

M. Éric Lombard, ministre. - C'est la raison pour laquelle nous menons une politique économique consistant à ne pas augmenter les impôts des entreprises ni les charges pour rester attractifs. J'aurais préféré que ces investissements aient lieu en France et c'est à cela que nous travaillons.

M. Fabien Gay rapporteur. - Sanofi est également en train de vendre le site d'Amilly et le Gouvernement ne réagit pas. 300 salariés sont dans l'expectative. Fait rare, le tribunal a dû s'opposer à la suppression de 400 emplois dans le Val-de-Marne. Sanofi détruit de l'emploi et investit 20 milliards de dollars aux États-Unis, faisant fi de la demande de patriotisme économique du Président.

Vous nous dites que Sanofi est en train de relocaliser. Sur quel site ? J'ai cité le Val-de-Marne, Amilly, mais il y a d'autres exemples. Aucun salarié ne m'a affirmé que le groupe relocalisait de l'emploi.

L'argent public doit au minimum servir à maintenir l'emploi, voire à le développer, non à le détruire et à vendre nos outils et productions stratégiques à des fonds américains. C'est leur liberté d'entreprendre, mais c'est aussi notre liberté de nous interroger.

M. Éric Lombard, ministre. - Aujourd'hui, Sanofi opère 30% de sa production mondiale en France. Cependant, la part de son chiffre d'affaires français mais aussi celle de sa marge en France sont bien moindres compte tenu de notre politique très sage en matière de prix des médicaments. Nous sommes donc dans une position défensive pour veiller à conserver le plus de capacités de production possibles en France. De son côté, le groupe est soumis à la pression d'autres pays qui lui demandent d'installer des capacités de production chez eux, là où les marges sont plus importantes. Je le constate et le regrette, mais on peut aussi se demander quelle aurait été la politique de Sanofi sans ces aides.

M. Olivier Rietmann, président. - On assiste toujours au même chantage à l'emploi. Jusqu'à présent, ces aides n'ont pas suffi à convaincre le groupe d'investir en France.

M. Éric Lombard, ministre. - Ce n'était pas un chantage. Des décisions positives ont été prises dans le passé, ayant donné lieu à des investissements et des développements. Aujourd'hui, une décision négative a été prise. Nous continuons à travailler avec Sanofi pour veiller à ce que d'autres investissements se fassent en France. Cela dépendra de l'attractivité de notre pays et des politiques que nous allons conduire.

M. Olivier Rietmann, président. - Une large majorité des grandes entreprises françaises installées dans le monde entier nous ont affirmé qu'en dépit des aides perçues, leurs installations en France étaient les moins rentables. Elles nous ont confié payer moins d'impôts en France que dans d'autres pays, non pas parce qu'elles sont moins taxées, mais parce qu'elles y gagnent moins d'argent. Par ailleurs, les bénéfices et marges réalisés ailleurs leur permettent d'investir dans la décarbonation en France. Comment expliquez-vous qu'avec énormément d'aides et un environnement plutôt attractif, la France demeure un pays où les entreprises gagnent le moins d'argent et sont le moins rentables par rapport à leur situation mondiale ?

M. Éric Lombard, ministre. - Il est important d'éviter les généralités. Le rendement de l'impôt sur les sociétés reste tout à fait honorable, ce qui montre bien qu'il y a une matière taxable.

M. Olivier Rietmann, président. - Monsieur le ministre, je ne parle pas d'impôt sur les sociétés, je parle de la rentabilité des entreprises. Ce sont leurs installations françaises qui sont les moins rentables.

M. Éric Lombard, ministre. - Monsieur le président, vous m'avez parlé d'impôt et de rentabilité. Permettez-moi de vous répondre sur les deux points.

Je réponds à votre deuxième point. Notre pays a accepté la désindustrialisation depuis quarante ans, comme le souligne le livre de Nicolas Dufourcq. L'industrie ne pèse que 10% dans notre PIB contre 20% en Allemagne. Nous avons abandonné notre industrie en mettant en place une politique fiscale et sociale qui rend l'activité industrielle française moins compétitive qu'ailleurs, soit par manque de formation et d'investissement, soit en raison des charges qui pèsent sur l'emploi et l'activité économique.

Vous avez raison, beaucoup d'entreprises restent en France par patriotisme ou parce que leur siège s'y situe. Nous souhaitons inverser cette tendance. Il faut néanmoins du temps pour corriger quarante ans de mauvaises politiques menées par les gouvernements successifs. Nous devons améliorer notre compétitivité pour que de nouvelles usines s'installent en France. Cette bataille pour la réindustrialisation, nous la menons dans un contexte difficile où nos concurrents (américains, chinois, allemands, italiens) ont bien compris l'importance de l'industrie. Il y a aussi de bonnes nouvelles : nous rouvrons des usines et avons recréé 170 000 emplois industriels ces dernières années. Nous devons accélérer dans cette direction.

M. Olivier Rietmann, président. - Monsieur le ministre, je ne peux pas vous laisser dire cela. La courbe de l'emploi est aujourd'hui complètement inversée, nous repartons vers une augmentation du chômage.

En 2024, nous avons enregistré 68 000 fermetures d'entreprises, contre 51 000 avant le Covid.

Au premier trimestre 2025, les défaillances d'entreprises ont augmenté de 2,3% par rapport au premier trimestre 2024, avec 18 000 entreprises en procédure dont 12 000 en liquidation judiciaire. Nous allons battre un nouveau record. Il faut être factuel : la situation actuelle est catastrophique.

La France est aujourd'hui endettée à hauteur de 3 300 milliards d'euros, contre 1 500 milliards d'euros en 2012. Malgré tout cet argent dépensé, nous restons un pays en très grande difficulté économique.

J'ai échangé peu avant avec Michael McGrath, commissaire européen à la protection des consommateurs. Je lui ai fait part de notre souhait de voir l'Europe mettre en place une politique très offensive, avec notamment des droits de douane contre la Chine. Il m'a répondu que le pouvoir de la Commission européenne demeure limité et qu'il revient aux États membres d'agir.

M. Fabien Gay rapporteur. - Le premier ministre Michel Barnier a affirmé devant la représentation nationale qu'il allait exiger des comptes à Michelin. Un responsable de l'IGF nous a indiqué qu'il n'avait pas encore eu le temps de commencer à travailler sur le rapport Michelin étant alors occupé par celui sur Sanofi. Ce rapport sur Sanofi vous a-t-il été remis et sera-t-il rendu public ? Le travail sur le rapport sur Michelin a-t-il commencé ? Pourrons-nous y avoir accès et le rendrez-vous public ?

M. Éric Lombard, ministre. - Je n'étais pas informé de cet engagement du précédent premier ministre. Je n'ai pas connaissance de ce rapport sur Michelin.

M. Fabien Gay rapporteur. - Avez-vous signé une lettre de mission à l'IGF ?

M. Éric Lombard, ministre. - Non.

M. Fabien Gay rapporteur. - Ce rapport ne verra-t-il donc probablement pas le jour ?

M. Éric Lombard, ministre. - Je ne sais pas. Je vous répondrai.

M. Fabien Gay rapporteur. - J'ai interrogé Florent Menegaux, président de la gérance du groupe Michelin, à propos du montant du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) utilisé pour acheter huit machines-outils sur le site de La Roche-sur-Yon. Or six n'ont jamais été installées sur ce site, mais directement délocalisées en Espagne, en Roumanie et en Pologne. Le site a ensuite fermé. Je lui ai demandé s'il trouvait cette situation normale. Il s'est dit prêt à rembourser en partie le CICE perçu. J'avais posé la question à votre prédécesseur en 2019 qui avait refusé, puis changé d'avis devant la commission. Est-ce que le Gouvernement, par votre voix, va demander à Michelin de rembourser ces 4,3 millions d'euros ? Ce serait un geste symbolique, mais important pour montrer que l'argent public est contrôlé.

M. Éric Lombard, ministre. - Cet élément m'a échappé dans l'audition de Florent Menegaux. Nous allons examiner ce sujet. Je suis très surpris qu'une entreprise comme Michelin ait bénéficié d'une aide sans mettre en place l'installation prévue. Mais s'ils le reconnaissent, cela doit être vrai.

M. Fabien Gay rapporteur. - Ma dernière question concerne Carrefour, comme le montre le tableau projeté. Son PDG, Alexandre Bompard, n'a pas contesté ces chiffres : en six ans, l'entreprise a reçu 2,3 milliards d'euros d'exonérations et de CICE. Dans le même temps, les bénéfices réalisés dans le monde se sont élevés à 3,6 milliards d'euros et les dividendes versés à 2,8 milliards d'euros. L'argent public a clairement servi à rémunérer les actionnaires.

L'argent public peut-il rémunérer les actionnaires ou doit-il servir exclusivement à l'emploi, aux salaires, à l'investissement productif et à la formation ?

M. Éric Lombard, ministre. - Nous ne serons pas d'accord sur ce point. L'entreprise doit chercher sa rentabilité pour pouvoir investir et préparer l'avenir. Cette rentabilité est calculée après avoir versé les salaires, les charges et les impôts. Il appartient à la puissance publique de vérifier que les aides sont utilisées à bon escient. J'ai bien compris que le mot " dividende " est devenu un objet politique de débat. Le dividende rémunère les actionnaires, donc les investisseurs - souvent les épargnants français à travers des contrats d'assurance-vie ou des fonds internationaux -, et le capital. La similitude des montants peut certes interroger. La vraie question est : fallait-il que ce dispositif bénéficie à une entreprise déjà rentable ? Je ne lie pas cette question à celle du dividende.

M. Olivier Rietmann, président. - La question ne porte pas sur les dividendes, mais sur le fait de rémunérer des actionnaires avec de l'argent public.

M. Éric Lombard, ministre. - Je vous ai répondu. Vous proposez une autre analyse que la mienne.

M. Daniel Fargeot. - Monsieur le ministre, j'ai proposé une solution devant Louis Gallois : neutraliser toutes les aides publiques perçues par l'entreprise du résultat fiscal avant de dégager le revenu distribuable. Seriez-vous favorable à un deuxième résultat de l'entreprise, prenant en compte le résultat fiscal sans les subventions ni les aides publiques perçues ?

Je tenais également à saluer votre annonce sur la mise en place d'un nouveau paradigme dans le pilotage des finances publiques. Ce plan d'action ambitionne de créer de multiples structures afin d'améliorer les prévisions macro-économiques et d'alerter en amont sur les risques d'erreur. Je pense notamment au comité d'alerte des finances publiques, au cercle des prévisionnistes et à la mission associant la Cour des comptes et France Stratégie sur les perspectives à long terme des finances publiques.

Dans le même temps, notre commission d'enquête évalue à plus de 2 200 le nombre de dispositifs aux entreprises, montrant un éclatement de l'intervention publique. Le contrôle et le pilotage de cette politique deviennent donc extrêmement complexes. Dans quelle mesure votre plan d'action prend-il en compte cet éparpillement ? Les nouvelles créations de comités ne risquent-elles pas de complexifier le pilotage de cette galaxie d'aides ?

Les aides publiques sont considérées par les grandes entreprises comme des compensations de prélèvements obligatoires. Nous assistons à un grand écart dans l'évaluation du montant de ces aides, entre 70 et 250 milliards d'euros, alors que vous annoncez 150 milliards d'euros. Ce flou artistique ne participe pas à la transparence des aides publiques dans le budget de l'État. Environ 15 000 entreprises bénéficient du CIR, notamment les grandes entreprises et certaines entreprises de taille intermédiaire. Ne pensez-vous pas que l'accessibilité des aides publiques devrait être simplifiée en faveur des PME ?

Mme Solanges Nadille. - On entend régulièrement dire que certaines grandes entreprises ultramarines participent à la vie chère en outre-mer. Qu'en pensez-vous ?

M. Éric Lombard, ministre. - Concernant le dividende hors aide publique, je pense qu'il faut distinguer la rentabilité courante d'une entreprise du rôle des aides publiques. Il revient aux dirigeants de l'entreprise et aux actionnaires de décider de la manière dont ils allouent le résultat dégagé après impôt. Je rappelle que ces entreprises, notamment Carrefour, ont une part d'activité hors de France extrêmement importante.

M. Fabien Gay rapporteur. - Il s'agit d'aides françaises.

M. Éric Lombard, ministre. - Oui, mais le dividende correspond au bénéfice mondial. Certaines entreprises françaises, pour des raisons liées à la territorialité de l'impôt, ne payent pas d'impôt en France. Je ne suis pas favorable à l'idée qu'on ajoute un nouveau résultat fiscal, le sujet est déjà assez complexe. Il revient in fine au Parlement de voter les questions fiscales.

Je reconnais que le pilotage des finances publiques est complexe. Le problème ne réside pas dans la multiplicité des comités. Les trois grandes familles de finances publiques sont gérées par des mécanismes différents. Nous utilisons tous les outils à notre disposition pour suivre chaque mois les soldes globaux. La responsabilité de gérer cette complexité incombe aux ministres en charge, à savoir Amélie de Montchalin et moi-même pour pouvoir informer les élus et les Français au travers des comités.

M. Olivier Rietmann, président. - Je pensais que vous me diriez que votre objectif est de baisser la complexité et non de la gérer.

M. Daniel Fargeot. - Notamment pour gérer les aides publiques. C'était aussi cela ma question.

M. Éric Lombard, ministre. - Je dois reconnaître que ce n'est pas la priorité immédiate de ce gouvernement.

Concernant les outre-mer, il semblerait que, dans certains secteurs, une concurrence insuffisante pèse sur le niveau des prix. Les pouvoirs publics cherchent régulièrement à rééquilibrer la balance. Certaines particularités, comme l'octroi de mer, ont également un impact sur l'efficacité économique et les prix à la consommation. Les ministres successifs et Manuel Valls actuellement essaient de trouver des solutions avec les élus. Pour le reste, les entreprises d'outre-mer bénéficient des aides à l'identique des autres territoires de la République.

Mme Solanges Nadille. - Je partage votre constat. Ces entreprises sont peu nombreuses, mais nous les connaissons. J'aimerais échanger avec vous sur l'octroi de mer pour que vous puissiez changer d'avis quant à son impact sur la vie chère, en Guadeloupe notamment.

M. Éric Lombard, ministre. - Je me tiens à votre disposition, Madame la sénatrice.

M. Daniel Fargeot. - Pouvez-vous répondre à ma question sur l'accessibilité des PME au CIR ?

M. Éric Lombard, ministre. - Je suis prêt à examiner cette question avec les équipes. Vous avez raison, cette inégalité devant les droits des entreprises est fâcheuse. Soutenir les petites entreprises qui agissent dans des conditions souvent difficiles fait partie de nos priorités.

M. Fabien Gay rapporteur. - L'entreprise STMicroelectronics, dont l'État est actionnaire de référence aux côtés de l'Italie, a été accompagnée à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros, dont 55% d'aides dédiées à la recherche et au développement.

Elle vient d'annoncer un plan de départs volontaires. Un de ses processeurs développés à Tours va finalement être produit en Chine. Enfin, l'entreprise ne paie aucun impôt grâce à un schéma d'optimisation fiscale mis en place dans un paradis européen.

Pensez-vous qu'une telle situation soit normale ?

M. Éric Lombard, ministre. - Je ne peux pas me prononcer sur ce dossier que je connais très bien, l'actionnaire étant Bpifrance. Je vous prie de m'en excuser.

M. Olivier Rietmann, président. - En revanche, vous pouvez nous envoyer une contribution écrite.

M. Éric Lombard, ministre. - Nous pouvons trouver quelqu'un qui vous réponde.

M. Olivier Rietmann, président. - Merci Monsieur le ministre.


Source https://www.senat.fr, le 5 juin 2025