Texte intégral
M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : "Bilan de la mise en œuvre de la politique nationale relative aux droits des personnes handicapées".
Ce débat a été demandé par le groupe Socialistes et apparentés.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence des personnalités invitées, d'une durée d'une heure, qui donnera lieu à une séquence de questions-réponses, puis, après une intervention liminaire du gouvernement, nous procéderons à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à M. Arnaud de Broca, président du collectif Handicaps, à Mme Pascale Ribes, présidente de l'association APF France handicap, et à Mme Violette Viannay, vice-présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH).
(…)
M. le président
La séance est reprise.
Pour cette seconde partie de notre débat, nous accueillons Mme la ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap.
Madame Parmentier-Lecocq, vous avez la parole.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap
Je commence par remercier le groupe Socialistes et apparentés d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et de me donner ainsi l'occasion de parler de la politique d'accès aux droits des personnes en situation de handicap.
L'année 2025 est importante, vous le savez, puisqu'elle marque deux anniversaires majeurs dans l'histoire du handicap en France : il y a cinquante ans, en 1975, la République adoptait sa première grande loi d'orientation en faveur des personnes handicapées, affirmant ainsi pour la première fois les principes d'intégration sociale ; trente ans plus tard, en 2005, la loi du 11 février marquait un nouveau tournant décisif.
Dans ce contexte, plusieurs travaux d'évaluation ont été conduits. Certains ont déjà été rendus publics, comme ceux du Conseil économique, social et environnemental (Cese), du CNCPH mais aussi du Sénat, où chacune des commissions permanentes a dressé un bilan de la loi et formulé des propositions. D'autres travaux sont en cours, notamment la mission coprésidée par les députés Christine Le Nabour et Sébastien Peytavie, qui mènent leur propre travail de bilan et d'identification des mesures qui pourraient être prises non seulement pour que la loi de 2005 soit pleinement effective, mais aussi pour aller plus loin. L'ensemble de ces travaux nourriront la feuille de route du gouvernement pour les personnes en situation de handicap.
La loi de 2005 était ambitieuse et réformatrice. Elle a d'abord donné une nouvelle définition du handicap, afin de prendre en compte toutes les familles de handicap et de favoriser la participation pleine et entière des personnes en situation de handicap à la vie en société.
De là découlent les deux principes fondamentaux inscrits dans la loi : l'accessibilité et la compensation, deux faces d'une même pièce au service d'une société qui donne aux personnes en situation de handicap les mêmes chances et les mêmes droits. L'accessibilité doit permettre à chacun de participer pleinement à la société sans restriction ; plus la société sera accessible, moins la compensation devra prendre le relais.
Je ne dresserai pas de bilan exhaustif dans le temps qui m'est imparti, mais j'aimerais revenir sur quelques éléments saillants.
Pour favoriser le maintien à domicile et une meilleure intégration dans l'espace public, l'obligation d'accessibilité s'est imposée aux différentes composantes de la vie collective, dans les établissements recevant du public et les locaux professionnels, dans les logements et les transports, dans les écoles et les services publics, mais aussi dans la communication en ligne.
Aujourd'hui, 900 000 des 2 millions d'établissements recevant du public sont engagés dans une mise en accessibilité ; 97 gares nationales et 237 gares régionales sont inscrites dans les différents schémas d'accessibilité.
Pour ce qui concerne l'école inclusive et le droit de tout enfant porteur de handicap à être inscrit en milieu ordinaire, la loi de 2005 a également marqué un changement d'approche considérable. L'école adaptée n'est désormais plus envisagée que lorsque l'éducation en milieu ordinaire n'est pas possible. Nous comptons aujourd'hui plus de 520 000 élèves en situation de handicap scolarisés dans nos écoles, collèges et lycées, contre 150 000 en 2005. Le nombre des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) ne cesse d'augmenter : de 55 000 ETP en 2017, nous sommes passés à 85 000, ce qui représente 140 000 professionnels.
En matière d'emploi, la loi de 2005 a étendu l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés à la fonction publique et renforcé les sanctions financières en cas de non-respect de cette obligation. Les réformes conduites ces dernières années ont permis de faire reculer le taux de chômage des personnes en situation de handicap à 12 %.
Sur le second pilier de la loi, celui de la compensation, l'ambition était également très forte ; chacun devait pouvoir faire face aux conséquences de son handicap. La prestation de compensation du handicap a été instaurée dès 2006 pour prendre en charge les surcoûts liés au handicap.
Pour faciliter l'accès aux droits et à la compensation, la loi a créé les maisons départementales des personnes handicapées, guichets uniques d'accueil, d'information et de conseil qui rassemblent tous les acteurs de la prise en charge du handicap, qui étaient jusqu'alors dispersés.
S'il faut reconnaître que cette loi a marqué une approche radicalement différente du handicap et permis des avancées significatives, nous savons que nous sommes encore au milieu du gué.
Nous devons profiter de la dynamique créée par le double contexte de l'héritage des Jeux olympiques et paralympiques de l'été dernier et du vingtième anniversaire de la loi pour maintenir un haut niveau d'exigence et poursuivre ensemble notre engagement en faveur d'une société inclusive.
Pour cette raison, le président de la République a pris des engagements forts lors de la dernière Conférence nationale du handicap, avec notamment l'annonce du plan "50 000 nouvelles solutions" jusqu'en 2027. Chaque jour, nous déployons ainsi de nouvelles places, de nouvelles solutions adaptées aux besoins des personnes en situation de handicap. D'ici à la fin de l'année 2025, 15 000 solutions nouvelles auront déjà été proposées, pour un montant de 270 millions d'euros.
Le premier ministre a lui aussi eu l'occasion de rappeler l'engagement de l'ensemble du gouvernement de faire du handicap une priorité de toutes nos politiques publiques. C'est en ce sens que, le 6 mars dernier, il a présidé le comité interministériel du handicap, qui nous a permis d'assurer un suivi de l'ensemble des travaux déjà engagés mais aussi de prendre de nouvelles mesures fortes, particulièrement en matière d'accessibilité et de simplification.
Enfin, pour répondre à l'initiative des députés Sébastien Saint-Pasteur et Antoine Vermorel-Marques, j'ai lancé il y a quelques semaines un travail législatif transpartisan, avec l'ensemble des groupes parlementaires de l'Assemblée nationale comme du Sénat. Il ne s'agit pas de refaire une grande loi, comme en 2005, mais plutôt d'identifier les améliorations possibles pour rendre cette dernière pleinement applicable et d'adapter notre droit aux besoins des personnes en situation de handicap. Dès lors que nous aurons abouti à un accord sur les grandes priorités et sur le contenu de ce texte, dans le cadre d'une concertation aussi large que possible, nous verrons comment mener ce travail législatif à son terme, en lien étroit avec le premier ministre et le ministre des relations avec le parlement.
Cette exigence d'adaptation doit enfin se penser dans un cadre international. J'étais hier encore devant l'Organisation des Nations unies pour réaffirmer les engagements de la France à appliquer la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.
Je vous remercie et je me tiens à votre disposition pour ce débat.
M. le président
Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Sébastien Saint-Pasteur.
M. Sébastien Saint-Pasteur (SOC)
Nous sommes réunis pour évoquer le bilan de la politique nationale relative aux droits des personnes handicapées. Il sera affiné grâce aux travaux en cours : vous avez cité la mission d'évaluation dont Christine Le Nabour et Sébastien Peytavie sont les rapporteurs ; je voudrais citer aussi les groupes d'études – le groupe d'études "handicap et inclusion" de l'Assemblée est coprésidé par M. Laurent Panifous.
Nombre d'entre nous ont déjà travaillé sur ce sujet, d'autant que nous faisons l'expérience au quotidien, notamment dans nos permanences, des dysfonctionnements, des retards et des délais en ce domaine. Cela fait de nous des experts des meilleures façons d'améliorer les choses.
Ce bilan est imparfait ; il comporte des lacunes. Vous avez ainsi évoqué le demi-million d'enfants en situation de handicap qui sont scolarisés : c'est là une excellente chose, mais je ne sais pas ce qu'il en est de la mise œuvre de ces droits. Quid des absences d'AESH et de leurs éventuels remplacements, par exemple ? L'effectivité des droits est-elle pleine et entière ? Nous sommes, je crois, incapables de le dire.
Il y a aussi des dissonances, dont je ne peux pas ne pas parler ici. Des questions se posent en particulier à propos de l'évaluation de la loi Elan, notamment de son article 64. Ce serait plutôt à Mme Létard, ministre du logement, de répondre, mais vous pourrez peut-être nous apporter quelques éléments.
Je tiens à vous remercier d'avoir répondu favorablement à l'initiative que nous avons prise. Nous cherchons à faire œuvre utile dans ce temps un peu singulier que nous traversons, sur un sujet qui peut tous nous rassembler. Vous avez évoqué, récemment en ouverture d'un colloque de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) et encore ce matin, un projet de loi qui serait déposé d'ici à la fin de l'année pour moderniser les politiques du champ du handicap. L'ensemble des parlementaires y seraient associés, mais aussi les associations, que nous avons reçues – c'était une demande très forte de leur part. Pouvez-vous nous confirmer ces points ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Je vous remercie à nouveau pour ce travail transpartisan dont vous avez pris l'initiative avec M. Vermorel-Marques. Nous construisons en ce moment ce que pourrait être un futur texte. Lors d'une récente réunion, nous sommes tombés d'accord pour estimer nécessaires certaines évolutions législatives, évoquées par les associations elles-mêmes et reprises dans les différents rapports d'évaluation de la loi.
Nous avons dégagé trois grands axes : la réactualisation de la définition du handicap, afin notamment de prendre en compte la signature par la France de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées ; la réaffirmation de notre volonté de lutter contre les discriminations et de faire appliquer les sanctions ; la simplification de certaines procédures. Vous connaissez le travail que j'ai engagé avec les MDPH.
Vous recevrez très prochainement une invitation à un nouveau temps d'échange avec les parlementaires, qui nous permettra aussi d'examiner les propositions des associations et de mieux définir le contenu de nos orientations avant d'arrêter un calendrier de modification de la loi.
M. le président
La parole est à Mme Maud Petit.
Mme Maud Petit (Dem)
Parmi les 12 millions de Français en situation de handicap, 9 millions, soit les trois quarts, souffrent d'un handicap invisible, qui peut prendre des formes très diverses : cancer, diabète, bipolarité, migraines…
Je voudrais appeler votre attention sur ces personnes qui souffrent de maladies invisibles mais handicapantes comme la spondylarthrite ankylosante, la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Verneuil, la drépanocytose, la fibromyalgie ou encore la maladie d'Ehlers-Danlos.
Je suis très fière d'être la présidente d'honneur de l'association SpaVer22, qui aide et accompagne les personnes atteintes de spondylarthrite, de polyarthrite rhumatoïde et de la maladie de Verneuil, ainsi que leurs proches et aidants. En collaboration avec cette association, j'organise d'ailleurs ce jeudi 19 juin à l'Assemblée une conférence sur la mise en visibilité de ces maladies.
Les interrogations et demandes de ces patients sont nombreuses. Parmi celles auxquelles nous attendons des réponses, je voudrais vous en poser deux.
La loi prévoit qu'en cas de renouvellement tardif ou de délais de traitement trop longs en MDPH, l'ancien dossier reste valide jusqu'au traitement des demandes plus récentes. Ce n'est évidemment pas possible pour une première demande : quelles solutions pourraient être apportées aux personnes en attente de reconnaissance du statut de personne handicapée ?
Par ailleurs, les personnes atteintes de maladies invisibles sont souvent stigmatisées, par méconnaissance ou incompréhension de ces pathologies et de leurs symptômes ; l'absence de signes physiques évidents comme un fauteuil roulant ou une canne peut entraîner des doutes sur la réalité de leur handicap.
Pour y remédier et éviter que les gens ne jugent trop vite, que pensez-vous de faire évoluer le logo, présent dans les lieux publics, par exemple dans les supermarchés, ou sur les cartes mobilité inclusion (CMI), qui tire un trait d'égalité entre handicap et fauteuil roulant ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Je m'efforcerai d'être rapide et efficace pour répondre en deux minutes à vos deux questions. Concernant la première, tout l'enjeu est de traiter le plus rapidement et le plus efficacement possible les dossiers soumis aux maisons départementales des personnes handicapées, en particulier les premières demandes. C'est tout le sens du travail que nous menons avec les MDPH. Un plan d'action visant à accélérer le traitement des dossiers doit être défini d'ici à début juillet. Certains départements y sont parvenus grâce à une simplification du dossier et des procédures. L'objectif est également d'organiser systématiquement, lors de la première demande, un entretien pour analyser les besoins – la clé, c'est d'arriver à accompagner plus vite et plus efficacement les personnes.
S'agissant du logo, nous devons tenir compte de l'enjeu de lisibilité dans l'espace public – de connaissance et de reconnaissance. Changer ce logo, qui est celui utilisé partout dans le monde, exigerait un travail d'accompagnement et d'acculturation important. Cela dit, le logo international d'accessibilité universelle, qui est valable pour toutes les personnes en situation de handicap, pourrait constituer une piste de travail. Une telle réflexion devrait être menée en lien avec les représentants des personnes en situation de handicap, compte tenu de l'impact potentiel du point de vue de la lisibilité et de la simplification.
M. le président
La parole est à Mme Béatrice Piron.
Mme Béatrice Piron (HOR)
Vous avez évoqué dans vos propos liminaires les progrès réalisés en matière d'école inclusive depuis 2005. En tant que membre de la commission de l'éducation, j'ai été surprise que ce thème ne soit pas du tout abordé dans la première partie de ce débat, où la CNCPH était représentée. Parmi les dix pistes proposées par celle-ci pour faire évoluer la politique du handicap, la proposition "une seule école pour tous" vise à intégrer les unités du secteur médico-social au sein de l'éducation nationale, sous la responsabilité d'un ministère unique. Travaillez-vous déjà en ce sens avec le ministère de l'éducation nationale ? Où en est le déploiement des pôles d'appui à la scolarité (PAS) ? Leur définition actuelle correspond-elle aux attentes de la CNCPH ?
Actuellement, de nombreux enfants sont scolarisés par défaut dans des écoles, où ils sont accompagnés par des AESH, dans l'attente d'une place en institut médico-éducatif (IME). Ne craignez-vous pas que le regroupement des unités du secteur médico-social au sein du ministère de l'éducation nationale ne s'opère au détriment du développement des places ? Où en est le déploiement des 50 000 nouvelles solutions ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Là encore, je m'efforcerai de répondre rapidement à toutes vos questions. Pour le gouvernement, l'école inclusive est un cheval de bataille prioritaire – c'est par l'école inclusive que nous pourrons créer la société inclusive. Il faut que nos enfants puissent vivre ensemble – chaque enfant doit pouvoir être accueilli au sein de l'école, ce qui peut prendre des formes multiples. La ministre de l'éducation nationale Élisabeth Borne et moi-même défendons le principe d'un rapprochement entre le monde du médico-social et celui de l'éducation nationale, grâce à la création d'équipes communes auprès des enfants en situation de handicap et des enseignants, au sein même de l'école – c'est vraiment un facteur de réussite.
Nous avons entendu que, pour certains enseignants, il était difficile, voire culpabilisant, de se retrouver dans l'incapacité de bien accompagner les enfants, par manque de ressources humaines ou par manque de compétences ou de connaissance du handicap. C'est à ce problème que nous voulons remédier en déployant les pôles d'appui à la scolarité. Ils visent à renforcer les effectifs médico-sociaux et à disposer d'effectifs enseignants pleinement dédiés à l'accompagnement et au suivi des enfants en situation de handicap.
Ces pôles d'appui à la scolarité, vous le savez, ont été expérimentés dans quatre départements. Les premières évaluations que nous conduisons – des évaluations commencent également à émerger sur le terrain – montrent que ces ressources supplémentaires sont efficaces pour rapprocher les deux mondes par des formations communes, pour identifier rapidement les besoins de l'enfant et l'accompagner dans sa scolarité, et également pour accompagner les enseignants.
M. le président
La parole est à M. Olivier Serva.
M. Olivier Serva (LIOT)
Je me fais l'écho dans ce débat des oubliés parmi les oubliés : les personnes à mobilité réduite résidant en outre-mer. Dans nos territoires, le handicap est plus fréquent que dans l'Hexagone. Il concerne 8 % des jeunes de 15 à 25 ans et 12 % des personnes de 25 à 64 ans, contre respectivement 5 % et 10 % en France métropolitaine. Notons toutefois qu'il est difficile de disposer de données consolidées relatives à un public jeune en situation de handicap dans les départements et régions d'outre-mer (Drom), en raison notamment de l'insuffisance de l'offre de repérage et du caractère inadapté de certains outils de diagnostic.
Une fois ce constat posé, vient celui des insuffisances de la prise en charge. Nos territoires souffrent du manque d'offre et de solutions pour accompagner les personnes en situation de handicap, le taux d'équipement étant deux fois inférieur à celui de l'Hexagone. Sont également pointés du doigt les délais de traitement des dossiers par les MDPH, qui, elles aussi, manquent souvent de moyens. À ce propos, j'aurai également une pensée pour les AESH, qui subissent des bas salaires et des contrats précaires. Quelle action le gouvernement mène-t-il afin d'améliorer l'identification et la prise en charge des personnes en situation de handicap en outre-mer ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Merci de votre question relative aux outre-mer. C'est un sujet qui m'est cher, c'est pourquoi j'ai entrepris de me rendre dans chacun de nos départements ultramarins. Je me suis rendue à Mayotte, à La Réunion, en Guadeloupe – ce qui vous intéresse particulièrement –, à la Martinique, et je me rendrai prochainement en Guyane. Dans chacun de ces territoires, je me suis rapprochée de la collectivité territoriale pour partager un diagnostic de la situation. Vous avez tout à fait raison, il y a un retard d'offre pour répondre aux besoins des personnes en situation de handicap dans les territoires ultramarins – c'est pourquoi l'État a une attention particulière. Nous avons élaboré ces diagnostics et déterminé ensemble des plans d'action.
Je suis heureuse que dans chacun des territoires que j'ai visités – il nous reste à faire ce travail avec la Guyane –, nous ayons abouti à la signature de conventions – c'est le cas notamment en Guadeloupe, entre l'État et le département – pour déterminer le rôle de chacun des acteurs, État et collectivités territoriales, et définir un plan d'action. En Guadeloupe, par exemple, nous avons même étendu cette démarche aux personnes âgées et à la question des aidants. L'État a abondé des financements supplémentaires pour créer des offres de rattrapage en lien avec les besoins du territoire et les priorités du département – j'y veille de très près.
M. le président
La parole est à Mme Anne Sicard.
Mme Anne Sicard (RN)
Derrière les discours enjolivés sur l'inclusion des personnes handicapées, permettez-moi de dépeindre grâce à deux exemples une réalité bien moins reluisante, qui démontre que le chantier est encore loin d'être achevé et, plus grave encore, que les droits acquis reculent, ce qui menace d'ébranler l'édifice de l'accès à l'autonomie des personnes vulnérables.
Premièrement, dans mon département, le Val-d'Oise, comme dans d'autres, nous constatons que l'embolie de la dépense sociale liée à l'immigration, conjuguée à des revalorisations des rémunérations des auxiliaires de vie non compensées par l'État, rend exsangues les finances des collectivités, au point de menacer le financement d'aides essentielles, comme la prestation de compensation du handicap. Ainsi, pour les personnes tétraplégiques, la baisse de 30 % de la PCH décidée par le département du Val-d'Oise générerait un reste à charge mensuelle abyssal, de près de 5 000 euros par mois, qui contraindrait les bénéficiaires à réduire le volume d'aides pourtant indispensables à leur autonomie. Allez-vous réagir pour empêcher un tel abandon ?
Le deuxième exemple concerne l'égal accès à l'offre scolaire du pass culture. Si celui-ci permet de financer, pêle-mêle, des concerts de la fête de l'Huma et même un meeting d'extrême gauche anti-Bolloré, il exclut en revanche de son offre collective les élèves handicapés scolarisés dans des établissements spécialisés rattachés au ministère de la santé, comme les IME ou les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep). Ainsi, un établissement qui veut organiser un projet d'atelier d'écriture, par exemple, ne peut pas bénéficier du pass culture. Cette situation est inacceptable.
Gabriel Attal, alors premier ministre, avait promis de réparer cette injustice le 16 mai 2024, à l'occasion du comité interministériel du handicap. Cette promesse n'a pas été tenue pour l'année scolaire 2024-2025. C'est de nouveau le cas avec l'édition 2025 – il est pourtant écrit noir sur blanc que l'offre scolaire du pass culture sera accessible à tous les élèves, y compris ceux scolarisés dans des établissements spécialisés. Ma question est très simple : vous engagez-vous devant la représentation nationale à rendre accessible l'offre scolaire du pass culture à tous les élèves handicapés scolarisés dans des établissements spécialisés dès la rentrée scolaire de septembre 2025 ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
D'abord, je n'enjolive pas du tout la situation. J'ai parfaitement conscience des difficultés et de la souffrance de nos concitoyens en situation de handicap, dont certains subissent des situations invivables et insoutenables. C'est ce qui fait ma détermination au quotidien à déployer le dispositif des 50 000 solutions que j'évoquais tout à l'heure, tout comme les autres mesures, et à tenir les engagements qui ont été pris. Il est aussi totalement faux de dire que ce sont les dépenses liées à l'immigration qui viendraient obérer celles liées au handicap. Ce n'est absolument pas le cas. Je rappelle que malgré un contexte financier difficile, les dépenses en matière de handicap ont été augmentées dans le budget de cette année, avec le soutien des parlementaires.
Ensuite, vous m'interpellez sur les décisions qu'ont pris certains départements, notamment le vôtre, de réduire le montant de la PCH. Vous le savez, les politiques du handicap relèvent de la compétence du département, donc c'est lui qui décide. J'ai ouvert un dialogue avec les départements pour faire un état de la situation et rappeler les obligations légales. La réouverture du dialogue doit permettre de déterminer l'évolution des besoins et les cofinancements. Une réunion du comité des financeurs qui s'est tenue récemment avec les départements a permis de débloquer une partie des difficultés concernant le Ségur de la santé.
L'application de l'accès au pass culture pour les enfants en situation de handicap a été décalée dans le temps, je vous le concède. La ministre de la culture et moi-même avons été interpellées à ce sujet. Depuis le 1er mars 2025, le pass culture est bien accessible aux enfants en situation de handicap scolarisés dans les établissements médico-sociaux.
M. le président
La parole est à M. Jean Laussucq.
M. Jean Laussucq (EPR)
Vous l'avez dit, madame la ministre, la loi du 11 février 2005 a marqué un véritable tournant en faveur de l'école inclusive. Cette loi a été complétée par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, qui a créé les pôles inclusifs d'accompagnement localisés (Pial), renforcé la formation des enseignants, et réformé les conditions d'emploi des accompagnants d'élèves en situation de handicap, que vous avez mentionnés dans votre propos introductif.
Ces textes ont constitué des avancées majeures, cependant leur mise en œuvre concrète reste inégale et connaît encore des limites importantes. La loi de 2005, en dépit de ses intentions, n'a pas permis une transformation structurelle suffisante du système scolaire. Les adaptations pédagogiques restent marginales et la culture de l'inclusion peine encore à s'imposer dans les établissements.
Dans ce contexte, l'expérimentation des pôles d'appui à la scolarité dans quatre départements depuis septembre 2024 est une initiative particulièrement encourageante. En réunissant dans un même cadre des enseignants et des professionnels du secteur médico-social, les PAS permettent une coordination plus fluide – en tout cas, c'est leur intention – entre l'éducation nationale et les dispositifs de soins et d'accompagnement. Cependant, ils se heurtent à des difficultés de recrutement, à la fragilité des coopérations interinstitutionnelle et à des délais d'intervention parfois trop longs au vu des attentes des familles et des besoins des élèves.
Tout cela semble compromettre la généralisation de ce dispositif en 2027. Pouvez-vous nous dire où en est le déploiement de ces réformes ? Quels enseignements tirez-vous de la phase d'expérimentation des PAS et quelles mesures concrètes envisagez-vous pour les généraliser et assurer la poursuite du déploiement de l'école inclusive ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Je vous remercie de revenir sur la question de l'école inclusive qui constitue en effet un enjeu majeur. Comme je le disais il y a un instant en réponse à Mme la députée Piron, nous procédons à l'évaluation des PAS, dans l'optique de les déployer et de les généraliser d'ici à 2027.
Dans le cadre de l'expérimentation, 100 premiers PAS ont été lancés dans quatre départements. Dès la prochaine rentrée, nous passerons à un total de 500 PAS dans plusieurs départements, dans lesquels le dispositif sera parfois déployé dans des bassins bien déterminés. Ce plan d'extension est en cours d'élaboration.
Les travaux d'évaluation permettront d'éclairer les sénateurs qui examinent la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale visant à la généralisation des PAS. Ils apporteront également des pistes d'amélioration de ces pôles d'appui à la scolarité. À cet égard, un des ingrédients essentiels à leur succès est la formation conjointe des professionnels du secteur médico-social et de l'éducation nationale, afin de créer une culture commune, de fournir rapidement des outils aux enseignants et de mieux soutenir les AESH dont nous allons poursuivre les recrutements – il y en a plus de 2 000 prévus.
Pour répondre aux difficultés de recrutement, il faut rappeler que les PAS, qui facilitent l'organisation de la prise en charge et la coordination des acteurs, contribuent à améliorer les conditions d'exercice du métier. La garantie d'une meilleure formation constitue également un argument déterminant.
M. le président
La parole est à M. Peio Dufau.
M. Peio Dufau (SOC)
Dans la première partie de notre débat, nous avons évoqué avec les associations l'enjeu de l'accessibilité numérique. Dans la majorité de nos territoires, les communes et les agglomérations ont la volonté que leurs sites internet soient 100 % accessibles. Ainsi, les appels d'offres pour la conception des sites des collectivités locales incluent systématiquement une telle clause.
Le problème n'est donc pas tant la volonté politique que la difficulté des acteurs du numérique à répondre à la demande des institutions. Le résultat n'est pas garanti, d'autant que les donneurs d'ordre – communes, agglomérations, départements – n'ont pas toujours la capacité de vérifier si le site réalisé est 100 % accessible. Or, si un audit d'accessibilité conclut que le résultat n'est pas à la hauteur, c'est le commanditaire qui est sanctionné, non l'entreprise qui n'a pas su réaliser la prestation selon les exigences du cahier des charges.
Dès lors, ne pensez-vous pas que pour accélérer la mise en accessibilité numérique, notamment des sites institutionnels, il faille faire reposer la responsabilité aussi sur les acteurs du numérique, et pas uniquement sur les collectivités ? Si le commanditaire a bien inclus dans son appel d'offres l'exigence d'un site 100 % accessible, mais que l'entreprise ne fournit pas le résultat demandé – ce qui est souvent le cas aujourd'hui –, ne faut-il pas faire subir la sanction à l'acteur du numérique ?
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Il est important de rappeler que l'accessibilité n'est pas une option, mais une obligation que nous défendons collectivement et que le premier ministre a réaffirmée lors du dernier comité interministériel du handicap.
L'accessibilité numérique, l'accès à l'information et aux démarches administratives publiques sont aussi des enjeux essentiels. Le premier ministre a d'ailleurs demandé à toutes les administrations de l'État de se hâter pour achever ce chantier et assurer au plus vite cette accessibilité numérique. Le ministre de l'action publique agit également en faveur de l'accessibilité des démarches administratives.
Vous me posez la question de la responsabilité des acteurs en matière d'accessibilité des sites commandés par les collectivités et les donneurs d'ordre publics. Si la collectivité a l'obligation de développer un site 100 % accessible, elle a sans doute la possibilité de se retourner vers son prestataire s'il n'a pas rempli correctement les conditions du cahier des charges. Néanmoins, j'en ignore les modalités concrètes.
La délégation interministérielle à l'accessibilité et les services supports pourraient apporter leur appui à l'analyse de ce problème. De plus, j'insiste toujours sur le rôle majeur des comités d'experts d'usage qui accompagnent toutes les démarches d'accessibilité pour garantir qu'elles répondent bien aux besoins des personnes quel que soit le type de handicap, et que les solutions sont effectivement adaptées – ce fut notamment leur rôle lors des Jeux olympiques et paralympiques.
En tout état de cause, je vous propose, monsieur le député, de travailler ensemble à l'accompagnement et au soutien des collectivités dans ces démarches.
M. le président
La parole est à Mme Anaïs Belouassa-Cherifi.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi (LFI-NFP)
Je souhaite évoquer avec vous l'article 64 de la loi Elan. Vous et moi échangeons régulièrement à ce sujet et vous avez eu la gentillesse de me transmettre le rapport relatif à l'application de cet article et aux logements évolutifs – je vous en remercie.
Je vous avoue avoir été surprise et quelque peu indignée par le contenu de ce rapport de vingt-huit pages auquel il ne reste pas grand-chose une fois enlevés le sommaire et les pages de garde. Il ne présente aucun chiffre ni aucune donnée pour évaluer une politique publique adoptée il y a maintenant sept ans. Tout ce que nous retenons de ce rapport est qu'il n'est pas plus cher de construire des logements accessibles que des logements évolutifs.
De plus, on fait reposer sur la puissance publique, notamment via MaPrimeAdapt', le fait que les dispositions de la loi du 11 février 2005 sur le handicap n'aient pas été appliquées s'agissant de l'accessibilité des logements.
Nous avons, avec plusieurs collègues, travaillé à l'élaboration d'une proposition de loi visant à abroger l'article 64 de la loi Elan. Plus de cent parlementaires, issus de sept groupes politiques différents, l'ont signée. Ma question est donc simple et claire : allez-vous saisir cette occasion d'abroger enfin l'article 64 de la loi Elan pour faire en sorte que les logements soient accessibles aux personnes en situation de handicap ? Je vous le rappelle : 1 million de nos concitoyens ne peuvent pas sortir de chez eux tout seuls, parce que leur logement est inadapté.
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée
Je vous remercie de soulever cette question, dont je sais à quel point elle vous tient à cœur, et qui intéresse aussi l'ensemble des parlementaires. Je comprends votre avis sur le rapport qui a été fourni : en effet, il ne permet pas véritablement d'établir des conclusions sur l'application de la loi ni d'en dégager des pistes d'évolution. Il convient donc d'approfondir l'évaluation, de concert avec la ministre du logement et l'ensemble des associations concernées.
L'enjeu de l'accessibilité de tous les logements neufs, mais aussi de leur adaptabilité et de leur évolution en fonction des différents types de handicap, doit également prendre en compte les impacts potentiels sur l'offre de logements. Je concède qu'il nous manque encore des éléments pour avancer sur ce point. Cette question devrait faire l'objet des réflexions du groupe de travail législatif transpartisan que nous évoquions tout à l'heure et auquel vous participez.
Se pose aussi la question de l'évolution des logements existants. MaPrimeAdapt' demeure à cet égard un outil indispensable et essentiel. C'est pourquoi le gouvernement, avec le soutien des parlementaires, a voulu renouveler les crédits y afférents à hauteur de 300 millions d'euros pour 2025 et souhaite rendre cette prime plus accessible aux personnes en situation de handicap, même si elle est aussi destinée aux personnes âgées qui font évoluer leur logement. Il faut donc – j'en conviens – avancer sur l'ensemble de ces questions.
M. le président
Le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 13 juin 2025