Déclaration de Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, sur l'évaluation des politiques publiques, à l'Assemblée nationale le 11 juin 2025.

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Texte intégral

Mme la présidente

L'ordre du jour appelle le débat consacré à la restitution des travaux sur le Printemps de l'évaluation.

(…)

La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.

Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Mesdames et messieurs les députés, merci d'avoir pris part à ce débat. Lorsque cet exercice a été institué, Éric Woerth était président de la commission des finances ; avec quelques députés issus de tous les bancs –? il s'agissait d'une initiative transpartisane qui regroupait l'ensemble des bancs représentés à la commission des finances et au bureau, Insoumis inclus –, nous avions voulu mettre l'accent sur l'exécution, à savoir sur ce que la dépense avait réellement permis de faire, plutôt que sur la budgétisation, qui peut conduire à la description d'un monde merveilleux qui, les Français le voient bien, ne se concrétise jamais. Il serait d'ailleurs bon que, dans la culture administrative, il y ait plus de vigilance en matière d'évaluation.

Monsieur le président Coquerel, je ne pense pas que l'on puisse dire que nous cherchons à priver le Parlement de quoi que ce soit ; en tout cas, ce n'est ni mon intention ni mon éthique. Je crois que nous l'avons démontré depuis le 23 décembre dernier. Certes, le budget est passé grâce au 49.3, mais il a été adopté par cette voie, sur la base d'un texte qui a été étudié dans les moindres détails par une commission mixte paritaire conclusive –? processus inédit, puisque, à part en 1978, il n'avait jamais été fait recours à une loi spéciale ni à une commission mixte paritaire conclusive pour valider un budget.

Vous avez, les uns et les autres –? notamment M. Maurel, que j'ai écouté avec attention –, évoqué la question des reports, des annulations et des gels de crédits. Premièrement, comme l'a bien noté, dans son rapport, la commission des finances dotée des pouvoirs d'une commission d'enquête, nous sommes l'un des pays d'Europe qui dispose du plus faible nombre d'outils de gestion dite infra-annuelle, et cela parce que nous avons des budgets de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités parmi les plus rigides, c'est-à-dire que nombre de nos dépenses proviennent du passé, à savoir d'engagements pris antérieurement, par des financements pluriannuels. Bien que l'on dise toujours que nous sommes contraints par l'annualité, une part croissante de dépenses est en réalité préengagée –? la Cour des comptes le montre bien. Ce qui est vrai, c'est que nous recourons, dans le cadre des plafonds autorisés par la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), à deux mesures qui me semblent utiles, et tout particulièrement dans un monde soumis à beaucoup d'aléas, notamment macroéconomiques.

Il s'agit, d'une part, de ce qu'on appelle la réserve de précaution, qui a été fixée cette année à 5,5% pour les dépenses hors masse salariale et à 0,5% pour les dépenses de masse salariale. Pour que ceux qui nous écoutent en tribune comprennent, cette réserve de précaution correspond à de l'argent que nous nous autorisons à dépenser uniquement si les temps sont favorables ; et lorsqu'ils ne le sont pas, l'argent n'est pas dépensé, de manière à pouvoir faire face aux aléas macroéconomiques. Le deuxième outil, c'est l'annulation : lorsque les conditions macroéconomiques l'exigent, nous annulons les crédits.

Ce qu'il convient de dire, c'est que l'intégralité de ces mouvements fait l'objet d'une information en continu, ligne par ligne, transmise au rapporteur général et au président de la commission des finances, et qu'ils ne sont effectués que dans le strict cadre de la Lolf. Par exemple, cette année, les plafonds maximaux pour l'État sont de 6 à 8 milliards d'euros pour un total de dépenses de 487 milliards. Il s'agit donc d'une proportion relativement faible des dépenses.

En revanche, vous avez raison, monsieur le député Maurel : les reports ont été utilisés de manière démesurée en 2021, 2022, 2023 et 2024. Entre 2024 et 2025, nous avons divisé par deux le volume des reports de crédits ministériels : ils s'élèvent à 4,4 milliards, contre près de 8 milliards entre 2023 et 2024. Je souhaite –? je le dis très clairement – que nous les divisions par deux de nouveau l'an prochain, en vue de revenir à la pratique d'avant le covid, quand ils s'élevaient à 1 milliard par an environ –? je vous transmettrai les chiffres, monsieur le rapporteur général de la commission des finances. Il faut avoir des objectifs dans la vie ; le mien est de caler le pilotage des finances publiques sur les pratiques d'avant le covid, à une époque où les parlementaires avaient une vision beaucoup plus claire de ce que nous faisions puisque les reports de crédits étaient bien plus faibles.

J'en viens à un deuxième élément, l'évaluation, objet de la question du député Amiel. Bien que ce ne soit pas mon rôle, je rappelle qu'à l'initiative de la commission des finances il fut un temps où cette assemblée avait commandé à plusieurs laboratoires d'économie spécialisés –? dont le Laboratoire interdisciplinaire des politiques publiques (Liepp), l'Institut des politiques publiques (IPP) et celui de l'Université d'Aix-Marseille – des études macroéconomiques et de chiffrage, dont le financement par la présidence de l'Assemblée assurait l'indépendance. Je me souviens en particulier, monsieur le député Jolivet, qu'une très bonne étude avait estimé les dépenses induites par plusieurs mesures dans le domaine du logement. Chacune de ces études coûtait à peu près 10 000 euros, un tel financement permettant à des chercheurs, des postdoctorants et des thésards de mener une recherche de qualité. Je suis sûr que les députés de la présente législature pourront retrouver dans les archives la manière dont nous avions procédé à l'époque, et il me semblerait sain pour le débat que vous puissiez vous réapproprier ces éléments –? le gouvernement vous laissera évidemment toute latitude pour le faire.

J'en viens au logement et à MaPrimeRénov'. Je vais vous expliquer comment nous procédons et procéderons. Pour 2025, nous avons affecté un budget de 3,6 milliards d'euros à ce dispositif. La ministre du logement, le ministre de l'économie et moi-même prenons devant vous l'engagement de ne pas réduire ce budget. Nous rencontrons néanmoins un très grave problème : selon une estimation conservatoire, les fraudes représenteraient entre 12% et 20% du volume des aides versées. En 2025, le montant moyen de devis déposés au guichet MaPrimeRénov' pour des rénovations globales a crû de près de 50%. Dit autrement, les dossiers se sont multipliés, pour des montants demandés en très forte hausse et un niveau de fraude s'élevant annuellement à des centaines de millions d'euros –? pour ne parler que de de la fraude identifiée.

Nous avons donc pris la décision suivante : tous les dossiers doivent être déposés avant début juillet, afin que nous procédions à leur revue exhaustive entre juillet et début septembre. Au terme d'un tri très simple, soit le dossier est identifié comme fiable, sérieux, honnête, les personnes l'ayant déposé seront alors payées comme elles l'attendaient ; soit le dossier semble frauduleux, complexe ou survalorisé. Dans ce dernier cas, conformément à une importante disposition –? vous l'avez adoptée, dans le cadre de la proposition de loi de Thomas Cazenave visant à lutter contre toutes les fraudes aux aides publiques – qui nous permet de suspendre le versement d'une aide en cas de suspicion de fraude, le dossier sera mis de côté et, si la fraude est établie, il ne donnera lieu à aucun paiement.

Procéder ainsi nous permettra de réallouer à d'honnêtes gens qui auront déposé d'autres dossiers lors de la réouverture du guichet mi-septembre tout l'argent des aides demandées frauduleusement, de sorte que les 3,6 milliards d'euros seront bien consommés en intégralité.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'exposer très clairement ici ce que nous faisons. C'est important car que si nous laissons les fraudeurs qui ont trouvé dans ce dispositif une poule aux œufs d'or y alimenter leurs trafics –? Tracfin trouve des millions d'euros de MaPrimeRénov' à l'étranger ! –, certains d'entre vous sur ces bancs s'indigneront, légitimement, que cet argent public censé servir une politique vertueuse –? que je souhaite défendre – soit ainsi détourné et volé.

En ce qui concerne, toujours en matière de logement, l'immobilier de l'État, certains députés –? dont Thomas Cazenave, vous-même, monsieur Jolivet et le député Mattei – appellent de leurs vœux la création d'une foncière d'État. Ça tombe bien, moi aussi ! Le projet de loi de finances pour 2025 prévoyait cette avancée, mais le Conseil Constitutionnel l'a censurée, considérant qu'il ne s'agissait pas d'une mesure budgétaire directe.

Je souhaite que nous avancions, que nous fassions preuve d'une ambition encore plus grande, en ne créant pas seulement une foncière de l'État, mais une foncière gérant aussi l'immobilier de ses opérateurs, celui de la sécurité sociale, voire celui des universités, des collectivités et des hôpitaux qui le souhaiteraient.

M. François Jolivet
Eh oui !

Mme Amélie de Montchalin, ministre
J'ajoute que l'immobilier de l'État a été payé par les Français ; il s'agit d'un actif national. Mon premier objectif est qu'il y ait du rendement, que nous obtenions une forme de retour sur investissement. Puisque c'est notre argent, que ce sont les impôts passés de tous qui ont financé ces bâtiments –? il y a parfois des siècles, notamment dans le cas de nombreux hôtels particuliers devenus des musées ou en tout cas des lieux qui se visitent –, je souhaite assurer leur rentabilité, de sorte que nous ayons les moyens de bien les entretenir, de bien les valoriser, de bien les rénover et de bien les utiliser. Dans ce but, je travaille actuellement avec la direction de l'immobilier de l'État, dans l'idée d'aller au-delà encore des objectifs que nous avions fixés en la matière dans le projet de loi de finances pour 2025, ambition que vous pourrez partager, me semble-t-il.

Nombre d'entre vous ont également abordé la question des dépenses fiscales.

Monsieur le député Mattei, je parlais justement de vous. (Mme la ministre se tourne vers M. Jean-Paul Mattei, qui rejoint son banc.) Vous serez heureux d'apprendre que je soutiens votre projet de foncière, avec une ambition décuplée.

M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
Vous avez des préférences !

Mme Amélie de Montchalin, ministre
J'ai des projets !

M. Charles de Courson, rapporteur
Des chouchous aussi !

Mme Amélie de Montchalin, ministre
À une époque où Joël Giraud était rapporteur général du budget, et moi-même députée et commissaire aux finances, nous avions lancé une revue assez exhaustive des dépenses fiscales, qui faisait en particulier apparaître celles qui ne bénéficient qu'à un très petit nombre de contribuables. Dans le cadre de la loi de finances pour 2019, nous en avions supprimé plus d'une vingtaine, car nous avions considéré, conformément à ce que la Cour des comptes avait déjà signalé, que le chiffrage était rudimentaire, l'évaluation inexistante, et donc l'utilité collective douteuse.

En tant que ministre, j'affirme aujourd'hui très solennellement qu'un tel travail est à reprendre. Dans de trop nombreux cas, le chiffrage fait défaut, tout comme l'évaluation de la redondance de certaines politiques publiques consistant à la fois en subventions et en dépenses fiscales. Outre qu'ils s'ajoutent les uns aux autres, ces dispositifs sont inégalement connus des contribuables. Il arrive par conséquent, comme vous l'avez souligné, qu'un très faible nombre d'acteurs trouvent une très avantageuse niche fiscale ; faute d'en connaître l'existence, d'autres n'en bénéficieront pas à situation équivalente, ce qui est inéquitable.

J'ai annoncé à plusieurs reprises qu'avec 474 niches fiscales, nous avons matière à en rapprocher certaines, à en réduire d'autres, à limiter la portée d'autres encore. Il ne s'agit pas de décréter combien de milliards nous devrions en retirer, mais d'engager une dynamique d'évaluation. J'ai ainsi eu un échange avec votre collègue Christine Pirès Beaune au sujet du crédit d'impôts service à la personne. Il n'est pas question de toucher à ce qui fonctionne utilement, dont les gardes d'enfant et les aides aux personnes âgées ou handicapées. Tout un autre champ des services à la personne mérite en revanche d'être examiné, qu'il s'agisse des taux, des plafonds ou des périmètres des dépenses fiscales concernées. Les parlementaires sont d'ailleurs particulièrement bien placés pour adresser des propositions de travail en ce sens au gouvernement. Cela fera l'objet d'un dialogue que nous conduirons avec tous les groupes politiques, tant le compromis nous importe, quand il y va du bon usage de l'argent public.

Comme l'établit un rapport de la Cour des comptes d'avril 2025, le coût –? supporté par la collectivité – de certaines niches fiscales croient de 12%, de 15%, voire de 18% par an, alors que la croissance du PIB gonflée par l'inflation est de l'ordre de 3% ou 4%, voire 5 % dans les périodes fastes. Une telle évolution des dépenses fiscales signifie donc que nous octroyons aux politiques en question plus de moyens que les recettes ne le permettent.

M. Emmanuel Maurel
Par exemple, le crédit d'impôt pour l'emploi à domicile !

Mme Amélie de Montchalin, ministre
Ainsi, hors du quotient familial, les niches réduisent de 23% le rendement de l'impôt sur le revenu et de 30 % celui de l'impôt sur les sociétés. Mon objectif –? je le répète ici, après certains députés, comme Mathieu Lefèvre –…

M. Éric Coquerel, président de la commission des finances
Il ne veut plus de niche fiscale du tout !

Mme Amélie de Montchalin, ministre
…est de faire évoluer le système fiscal en substituant des impôts plus bas pour tout le monde à un barème qui apparaît élevé, mais dans lequel nous ménageons des niches. Sur ces bancs (Mme la ministre indique les bancs du groupe RN), vous affirmez qu'il s'agirait d'une hausse d'impôt déguisée. Tel ne sera pas le cas si nous tirons parti de la suppression de certaines niches sectorielles et ponctuelles en recyclant ce qui rentrerait dans les caisses de l'État sous forme de baisses d'impôt qui profitent à tous. Dans les nombreux pays où elle a été suivie, une telle logique a favorisé la croissance tout en améliorant la lisibilité et l'équité de la fiscalité.

Pour conclure, dans la construction du budget pour 2026, nous souhaitons nous appuyer le plus possible sur les revues de dépenses, les rapports et les propositions des parlementaires. Dans les prochaines semaines, avant la fin de la session extraordinaire prévue le 11 juillet, Éric Lombard et moi-même recevrons tous les députés et sénateurs qui le souhaiteront, comme nous l'avons fait en janvier et février derniers lors de nos prises de fonction. En effet, pour bâtir un plan d'ensemble visant à ce que la dette de notre pays cesse de croître, conformément à ce que le premier ministre a annoncé, il convient de nous appuyer sur les travaux des parlementaires, à l'image de ceux du Printemps de l'évaluation, dont je veux encore une fois saluer le sérieux. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)

Mme la présidente
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 13 juin 2025