Déclaration de Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, sur la protection de l'enfance et les grands axes du plan de sa refondation, à l'Assemblée nationale le 12 juin 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Catherine Vautrin - Ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles

Texte intégral

M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : "Les politiques publiques de protection de l'enfance". La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

(…)

La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles
La protection de l'enfance n'est pas un sujet parmi d'autres – chacun d'entre vous l'a exprimé avec ses mots. Elle est incontestablement au cœur du pacte républicain. Nous sommes confrontés à une crise structurelle persistante dont les premières victimes sont les enfants. Vous l'avez rappelé, près de 397 000 enfants sont suivis par l'aide sociale à l'enfance, principalement en raison de placements judiciaires ou de mesures éducatives renforcées.

Dans le cadre d'une articulation complexe mais essentielle avec l'État, les départements ont la responsabilité de l'aide sociale à l'enfance et en assurent le financement. Près de 10 milliards d'euros sont engagés chaque année par les départements, en complément des financements de l'État, notamment pour la prise en charge des mineurs non accompagnés ou dans le cadre de la contractualisation. Cependant, le déploiement de cette politique reste trop hétérogène : il présente des disparités territoriales marquées. Trop souvent, les conditions de placement ou de prise en charge ne sont pas à la hauteur des besoins des enfants.

Monsieur Woerth, je n'ai pas oublié le rapport " Décentralisation, le temps de la confiance" dans lequel vous aviez notamment présenté la notion d'établissement mixte. J'ai entendu les questions posées par plusieurs d'entre vous sur la recentralisation. Je dois vous dire, mesdames et messieurs les députés, que si d'aventure une décision de recentralisation était prise, elle ne résoudrait pas tout – vous en êtes tous conscients. Surtout, vous l'avez tous dit, il est urgent d'agir. En d'autres termes, je ne pense pas que ma réponse puisse consister à vous annoncer une éventuelle recentralisation, en vous donnant rendez-vous dans quelques mois, alors que nous devons agir dès maintenant.

Malgré des décisions de justice, trop d'enfants restent au sein de familles dysfonctionnelles faute d'une autre solution. Certains juges renoncent même à ordonner des placements pour cette raison. Élue de terrain comme vous, je constate que de nombreux enfants échappent à des mesures de protection, mais aussi que de nombreux parents ne se rendent pas dans un service de protection maternelle et infantile (PMI) de peur que leur enfant leur soit retiré.

Mme Isabelle Santiago
Oui !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Nous devons aborder ce sujet avec les travailleurs sociaux car il est important pour la protection de nos enfants.

L'application de la loi demeure inégale sur le territoire, ce qui n'est pas acceptable – je le dis avec gravité. Le placement en hôtel est interdit et doit donc cesser. C'est une ligne rouge. La transition vers un accueil à caractère plus familial, que je souhaite engager dans le cadre du plan de refondation, doit apporter des réponses concrètes. Elle doit garantir des conditions de prise en charge à la hauteur de ce que la République doit à ses enfants : une protection effective, digne, humaine.

Au-delà de ce constat d'inégalités et de ruptures, nous devons mesurer l'ampleur des tensions nouvelles qui fragilisent notre système. La protection de l'enfance est confrontée à une pression sans précédent. Le nombre d'enfants confiés à l'ASE ne cesse de croître, notamment parmi les plus jeunes. Cette évolution interroge directement notre capacité à accueillir dignement les enfants, en particulier les tout-petits, alors même que les pouponnières sont saturées dans de nombreux territoires. Notons que certains départements conduisent des expérimentations nouvelles tout à fait intéressantes.

À cette tension s'ajoute l'augmentation du nombre de mineurs non accompagnés. Leur vulnérabilité est extrême et leur protection doit être assurée avec la même exigence que pour tout autre enfant confié à l'aide sociale – les mineurs non accompagnés sont en effet des enfants, comme vous l'avez souligné.

Par ailleurs, un quart des enfants protégés sont en situation de handicap. Ils représentent à eux seuls près de la moitié des hospitalisations en psychiatrie infantile. Ce n'est pas qu'un chiffre, mais une réalité que nous ne pouvons ni ignorer ni relativiser.

Ces dernières semaines l'ont montré : la représentation nationale s'est pleinement saisie des enjeux de la protection de l'enfance, et de manière transpartisane. La commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance, dont Laure Miller était la présidente et Isabelle Santiago la rapporteure, a rendu ses conclusions début avril, dressant un constat rigoureux et précieux pour notre action. Elle m'a bien sûr auditionnée et, depuis la publication du rapport, j'ai eu l'occasion de travailler avec Isabelle Santiago. En outre, j'ai été auditionnée la semaine dernière par la délégation aux droits des enfants présidée par Perrine Goulet. Vous le voyez, monsieur le député Bonnet, nous nous réunissons !

Madame Santiago, j'ai évoqué la question du comité national de suivi avec Départements de France, dont la participation est indispensable. Quant à la création d'un conseil scientifique, jeudi dernier, je me suis rendue à Marseille pour la remise des travaux sur Pégase, le protocole de santé standardisé appliqué aux enfants ayant bénéficié avant l'âge de 5 ans d'une mesure de protection de l'enfance. Je suis également attentive aux travaux de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), ainsi qu'à l'analyse des pratiques du Québec, que vous avez recommandée. Analysons l'ensemble des dispositions existantes et adaptons-les à notre pays.

Le gouvernement est pleinement mobilisé. Lors de mon audition devant la commission d'enquête, j'ai présenté un plan de refondation de la politique de protection de l'enfance, avec un cap clair : garantir à chaque enfant un parcours de vie sécurisé, stable et épanouissant. Nous avons commencé à déployer ce plan qui engage l'ensemble des parties prenantes. Certaines mesures nécessiteront un vecteur législatif. C'est pourquoi je déposerai d'ici à l'automne un projet de loi sur les différents champs de la protection de l'enfance, afin de faciliter l'accueil et la prise en charge des enfants et d'en améliorer la qualité. Je souhaite que ce travail soit mené avec vous dans un esprit de responsabilité partagée. Ce projet de loi associera également les collectivités locales et les associations. Je n'ai qu'un guide : l'intérêt supérieur de l'enfant.

Avant de détailler les grands axes de notre plan de refondation et de répondre à vos questions, je veux évoquer des questions que vous m'avez posées et des engagements que j'ai pris auprès de vous.

Le premier est celui de réviser le décret de 1974 encadrant les pouponnières. Cet engagement est en passe d'être tenu. Le projet de décret a été élaboré en concertation étroite avec Départements de France et les associations et, comme je vous l'ai dit la semaine dernière, il sera examiné par le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) le 17 juillet prochain. L'objectif est clair : faire à terme des pouponnières des lieux de placement temporaire, recentrés sur leur mission d'accueil d'urgence. Au-delà des pouponnières, l'ensemble des structures d'accueil collectif doivent faire l'objet de notre attention. Nous avons consolidé les constats, finalisé les chiffrages et des travaux vont désormais s'ouvrir pour renforcer l'encadrement, améliorer l'accompagnement et garantir un cadre plus protecteur et plus cohérent aux enfants accueillis.

La deuxième priorité que j'ai fixée est de faire appliquer pleinement la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, la loi Taquet. Vous avez été nombreux à m'interroger sur la publication des décrets d'application. Sachez que nous avons travaillé en ce sens. Cinq décrets restaient en attente et nous avons utilisé les leviers à notre disposition pour que cette loi votée par le Parlement entre pleinement en vigueur.

Le décret relatif à la délivrance d'un nouvel agrément pour l'exercice de la profession d'assistant maternel ou familial après un retrait pour faits de violences a été publié en mars. Il constitue une avancée majeure pour sécuriser les parcours des enfants confiés. S'agissant des décrets relatifs à l'organisation des activités de PMI, des concertations vont s'engager dans les prochaines semaines avec Départements de France. Une base de données nationale des agréments pour l'adoption sera prochainement créée. Le décret correspondant sera examiné ce mois-ci par le Conseil national d'évaluation des normes, puis transmis au Conseil d'État avant publication. Une base similaire sera créée pour les agréments liés aux assistants maternels et familiaux : les développements informatiques sont en cours et la publication du décret est prévue avant la fin de l'année.

J'aimerais à présent revenir sur les grands axes du plan de refondation de la politique de protection de l'enfance que j'ai évoqué devant vous il y a deux mois. Ce plan repose sur deux piliers : prévenir et éviter le placement chaque fois que cela est possible en accompagnant les familles au plus près pour leur permettre de faire face aux difficultés ; faire évoluer notre modèle vers un recours renforcé à l'accueil familial, mieux accompagné et mieux soutenu.

C'est en s'appuyant sur ces deux leviers que nous pourrons répondre durablement aux fragilités du système, garantir des parcours plus stables et remettre l'intérêt de l'enfant au centre de toutes nos décisions. Il est de la responsabilité de l'État de ne pas laisser les familles seules face aux épreuves en accompagnant les plus fragiles, en soutenant les liens et en prévenant les ruptures. Je le rappelle, la première ligne de la protection de l'enfance doit demeurer autant que possible la famille.

C'est dans cet esprit que j'ai confié à la haute-commissaire à l'enfance la mission d'élaborer un plan ambitieux de soutien à la parentalité. Ce plan, dont j'ai souhaité qu'il soit opérationnel à la rentrée 2025, repose sur trois principes : mieux prévenir les ruptures, accompagner les vulnérabilités et valoriser les compétences parentales.

En parallèle, j'ai relancé le chantier des 1 000 premiers jours. Nous savons combien cette période est déterminante pour le développement de l'enfant et la qualité des liens familiaux. La stratégie lancée en 2021 produit quotidiennement des effets sur le terrain. Une nouvelle feuille de route pour la période 2025-2027 est en cours de finalisation. Elle sera publiée début juillet, avec trois priorités : la prévention, l'accompagnement renforcé pendant la période périnatale et l'accompagnement des familles les plus vulnérables.

Transformer notre politique de protection de l'enfance passe par la reconnaissance du fait que, dans la très grande majorité des cas, c'est dans un cadre familial que les enfants se reconstruisent le mieux. Nous lançons ainsi dans deux départements volontaires, la Gironde et le Var, une expérimentation visant la transition de l'accueil collectif vers l'accueil familial. Elle permettra de tester l'ensemble des conditions de cette transition en associant les acteurs de terrain et en s'appuyant sur un plan d'attractivité des métiers d'assistants familiaux, sur des modalités d'examen et de décision de placement mieux structurées, sur la création d'une offre d'accueil à caractère familial et sur l'examen des questions de financement. La Gironde travaille déjà dans ce sens et je rencontrerai vendredi prochain les représentants du Var.

Pour que l'accueil familial devienne la solution de premier recours, nous avons besoin de soutenir et d'élargir le vivier des assistants familiaux. Au cœur du dispositif de l'aide sociale à l'enfance, ils offrent un cadre de vie, une écoute et une stabilité. Ils incarnent l'engagement au plus près de l'enfant, souvent dans l'ombre, toujours avec une force silencieuse. Pour reconnaître leur rôle et favoriser les vocations, plusieurs avancées concrètes ont été engagées. Le diplôme d'État d'assistant familial a été revalorisé au niveau 4. Par ailleurs, la capacité de formation a doublé, conformément au décret du 1er avril 2025. Le projet de loi à venir comportera également deux évolutions majeures sur le sujet. Il ouvrira d'abord la possibilité de cumuler le métier d'assistant familial avec une activité professionnelle, sous certaines conditions. La proposition de loi adoptée par le Sénat en 2024 introduit un principe clair : lorsqu'un enfant est à l'école, une activité professionnelle peut être exercée ; dès qu'il en sort, l'assistant familial prend le relais. Ensuite, il créera un droit au répit, indispensable pour prévenir l'épuisement et garantir la continuité de l'accueil.

Parmi les autres formes d'accueil, l'accueil durable et bénévole par les tiers dignes de confiance, tels que les proches, les membres de la famille élargie ou les amis de longue date, joue un rôle décisif – je connais vos réflexions sur le rôle de certains avocats. Cependant, le statut des tiers dignes de confiance reste à parfaire car l'indemnisation et le dispositif d'honorabilité doivent être encadrés. Il s'agit de reconnaître leur engagement et de lever les obstacles matériels qui pèsent sur des parcours pourtant protecteurs. Dans certaines situations, le retour dans la famille d'origine n'est pas possible. Nous devons alors offrir à l'enfant une perspective claire, stable et durable. Le projet de loi intégrera plusieurs mesures structurantes.

Il conviendra aussi d'examiner la question du délaissement parental et la situation particulière des enfants de moins de deux ans me semble une priorité. Lorsqu'un retour dans la famille est envisageable, il doit être accompagné et préparé. Lorsqu'il ne l'est pas, nous devons ouvrir davantage la voie à un accueil familial de long terme ou à une adoption, selon les cas. Une passerelle entre l'agrément nécessaire pour l'adoption et l'agrément délivré à l'assistant familial est également à étudier. Enfin, la haute-commissaire à l'enfance proposera des modalités d'adoption simplifiées, inspirées du modèle québécois.

Réformer la protection de l'enfance ne consiste pas seulement à transformer les modalités de placement, mais aussi à mobiliser toutes les politiques publiques autour d'un impératif commun : garantir à chaque enfant protégé une santé préservée, une scolarité continue et un avenir choisi.

La santé, d'abord. Trop d'enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance présentent des troubles physiques ou psychiques non détectés, non traités ou mal suivis. Avec Yannick Neuder, nous engagerons dès 2026 la généralisation des enseignements tirés des expérimentations Pégase et Santé protégée. Nous déploierons systématiquement un bilan de santé à l'entrée dans l'aide sociale à l'enfance, en mobilisant les centres d'appui à l'enfance.

Avec Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l'autonomie et du handicap, nous renforçons l'articulation entre les besoins spécifiques des enfants en situation de double vulnérabilité et les 50 000 solutions médico-sociales prévues dans la stratégie dédiée. Chaque enfant a droit à une scolarité protégée, adaptée à son rythme et à son histoire, d'où la nécessité de renforcer l'accompagnement scolaire dans le cadre des parcours d'aide sociale à l'enfance.

Je ne peux manquer d'évoquer les expérimentations menées avec la professeure Céline Greco, citée par Isabelle Santiago. Le premier dispositif entrera bientôt en vigueur à Paris – nous en avons posé la première pierre il y a quelques semaines. L'idée est d'étendre à d'autres départements l'accompagnement complet – médical, mais aussi scolaire, culturel et d'insertion professionnelle – des enfants de 3 à 12 ans. C'est une démarche tout à fait intéressante.

En matière d'insertion, il ne suffit évidemment pas de protéger l'enfant, il faut aussi lui permettre de se projeter dans une vie adulte autonome, libre et digne. C'est pourquoi, avec la ministre chargée du travail et de l'emploi, Astrid Panosyan-Bouvet, nous voulons mobiliser France Travail et les missions locales, renforcer le parrainage et le mentorat, et travailler à la valorisation de toutes les initiatives associatives, entrepreneuriales et institutionnelles qui permettent aux jeunes de choisir leur avenir. Le chantier est immense.

La semaine dernière, avec la préfète déléguée pour l'égalité des chances et la représentante du recteur de l'académie d'Aix-Marseille, je me suis rendue auprès de l'association départementale d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (Adepape). J'ai rencontré des jeunes, scolarisés ou étudiants, pour certains placés dans des familles. Leurs parcours scolaires et universitaires montrent l'importance de bénéficier d'un réseau et la difficulté de se projeter quand on n'en a pas ou quand on a décroché.

De ce point de vue, l'aide que nous apportons doit être améliorée pour construire des parcours adaptés aux histoires de vie. On ne peut accepter qu'à 17 ans on soit privé d'opportunités ou d'avenir parce qu'on n'a pas été en cours de l'année en troisième ou parce que finalement on n'aime pas la restauration ou les services à la personne.

Nous avons collectivement un devoir fondamental : celui de garantir la sécurité de l'enfant là où il est placé. Certains établissements et foyers sont le théâtre de violences ou de négligences parfois graves. Cela ne concerne pas que les foyers de l'aide sociale à l'enfance, car les enfants peuvent aussi être menacés dans les familles. La prévention des abus dans les structures d'accueil est une priorité absolue du gouvernement. Une première instruction a été diffusée en juillet 2024 pour renforcer les contrôles. Nous allons maintenant plus loin : d'ici la fin de l'année, des mesures seront consolidées, en lien avec les départements, afin de renforcer la fréquence et la qualité des inspections, la traçabilité des signalements et la transparence des conditions d'accueil.

Parmi les leviers envisagés, je pense notamment à l'information systématique du président du conseil départemental en cas de placement d'un enfant hors de son département d'origine. Pour rendre cette information systématique, nous recourrons au projet de loi. Vous avez raison, madame Santiago, cette voie est indispensable : certaines mesures sont réglementaires, mais de nombreuses autres méritent d'être inscrites dans un texte de loi.

La justice est également mobilisée. Il y a quelques semaines, le garde des sceaux Gérald Darmanin a demandé aux procureurs d'assurer une coordination plus fluide et réactive des contrôles. Nous avons par ailleurs confié à la procureure générale Dominique Laurens une mission pour renforcer le maillage des unités d'accueil pédiatrique pour l'enfance en danger. Cette mesure résulte de l'initiative de femmes et d'hommes qui s'engagent pour la protection de l'enfance, en particulier de Martine Brousse, présidente de la Voix de l'enfant. J'insiste sur ce point, car les associations effectuent un travail très intéressant, qui nous fait avancer.

De manière générale, nous renforcerons les plans de lutte contre les violences faites aux enfants. L'objectif est notamment de faire mieux connaître le numéro 119, qui permet de signaler les suspicions de maltraitance – une campagne d'information sera de nouveau lancée à l'automne. De plus, le travail de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) est prolongé jusqu'en octobre 2026 – nombre de ses propositions ont été validées. Enfin, nous porterons une vigilance accrue à la lutte contre la prostitution infantile. La stratégie nationale de lutte contre la prostitution comporte un axe dédié et nous avons renforcé les moyens de cette action dans le budget 2025.

Je mesure l'urgence et la nécessité d'offrir des réponses concrètes à tous les enfants protégés afin de les accompagner dans toutes les dimensions de leur vie vers l'autonomie. Je souhaite que chaque enfant protégé le soit réellement, qu'il soit entouré, soigné, écouté, scolarisé et préparé à l'avenir. Je mesure parfaitement ce qui se cache derrière ces mots : la réalité, la situation de chaque enfant, la nécessité parfois de réexaminer les normes pour tenir compte des cas particuliers.

Je pense à une enfant placée de 14 ans à qui l'on a dit qu'elle devait changer de famille parce que le couple qui l'accueille depuis sa petite enfance est devenu trop vieux. Elle veut rester avec eux, mais les textes ne le permettent pas, lui dit-on. Je vous parle avec une grande sincérité : chacun d'entre nous doit être conscient que nous examinons un sujet très lourd et que rien ne pourra changer d'un coup de baguette magique. Ce que nous proposons est probablement insuffisant, mais nous pourrons réussir à faire bouger les choses si nous travaillons ensemble, convaincus que certaines actions relèvent du court terme et d'autres du moyen terme – là est toute la difficulté.

Il y a une chose que nous devons à ces enfants – je leur dis à chaque fois que je les rencontre : nous devons tenir parole, parce que c'est la condition de la confiance.

M. le président
Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Joséphine Missoffe.

Mme Joséphine Missoffe (EPR)
Les enfants de la République sont nos enfants à tous. L'action publique et les investissements en faveur de la protection de l'enfance n'obéissent pas aux mêmes règles que les autres engagements de l'État. Protéger nos enfants ne relève pas d'un calcul budgétaire, politique ou moral. Protéger nos enfants n'est pas un choix, mais une responsabilité : nous n'essayons pas de protéger nos enfants, nous le faisons à tout prix.

Derrière la République, il y a tous ceux qui se lèvent pour participer à cette grande mission collective qu'est la protection de l'enfance. Il y a les femmes et les hommes avec qui j'ai partagé ma carrière d'infirmière puéricultrice, à l'école, en crèche et en PMI. Il y a les éducatrices et les éducateurs qui incarnent auprès des enfants protégés la main que tout le pays leur tend. Sans elles, sans eux, nous projetons nos enfants dans un vide dangereux, aux perspectives écrasées et au destin refusé.

Alors que nous devons protéger, valoriser et remercier ceux qui prennent soin de nous au quotidien, nous semblons les oublier. Comme dans presque tous les secteurs du médico-social, les employés sont en difficulté et l'emploi est en berne. Nous ne pouvons accepter passivement une société dans laquelle le combat pour le lien social manque d'attractivité et enferme dans la précarité. Le secteur de la protection de l'enfance peine à recruter et le recours à l'intérim explose. Nos enfants ont besoin d'un entourage républicain stable et disponible. Nous devons le leur offrir.

Madame la ministre, quelles actions prioritaires votre ministère envisage-t-il pour relancer l'attractivité du métier d'éducateur et des emplois du secteur médico-social auprès des enfants ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
La question de l'attractivité se pose en effet : 71 % des établissements du secteur du travail social rencontrent des difficultés de recrutement et 30 000 postes sont vacants. Nos priorités sont : de faire connaître ces métiers, grâce à la plateforme Prendresoin.fr, créée avec France Travail ; de mieux orienter, en lien avec le ministère de l'éducation nationale, compte tenu de l'augmentation du taux d'abandon des candidats à ces diplômes ; de former davantage en développant l'apprentissage et la validation des acquis de l'expérience (VAE) ; enfin, d'améliorer les conditions de réussite et de travail.

Je souhaite que les assistants familiaux tiennent une place plus importante auprès des enfants, mais leur métier est confronté à un manque d'attractivité. La pyramide des âges est un enjeu majeur : la moitié des assistants familiaux a plus de 55 ans et un quart a dépassé 60 ans. En avril 2025, nous avons revalorisé le diplôme d'assistant familial afin de mieux reconnaître les responsabilités assumées par ces professionnels. Le diplôme d'État est passé du niveau 3 au niveau 4, équivalent du baccalauréat. Le gouvernement souhaite maintenant aller plus loin par le biais du projet de loi que j'ai évoqué. Ce texte permettra d'autoriser le cumul de l'emploi d'assistant familial avec une autre activité et garantira le droit au répit, soit une véritable avancée pour les familles concernées.

Je le redis, la proposition de loi du Sénat est intéressante car elle promeut un principe simple : dans les familles d'accueil comme dans n'importe quelle famille, quand l'enfant est à l'école, les parents travaillent ; quand l'enfant sort de l'école, il retourne dans sa famille. L'assistant familial est là pour les moments en dehors du temps scolaire. Cette ouverture nous permettra d'élargir le champ de l'accueil familial.

M. le président
La parole est à Mme Joséphine Missoffe, pour une seconde question.

Mme Joséphine Missoffe
En avril dernier, la commission d'enquête sur les manquements de l'aide sociale à l'enfance a dressé le constat d'un système à bout de souffle. Parmi les maillons les plus fragiles de la chaîne, les pouponnières à caractère social sont en première ligne. Elles peuvent accueillir des nourrissons dès la sortie de la maternité. Ces derniers sont souvent marqués par les ruptures et les carences précoces. Les taux d'encadrement appliqués dans les pouponnières datent d'un décret de 1974 qui n'a fait l'objet d'aucune révision depuis un demi-siècle, alors même que nos connaissances en matière de développement de l'enfant ont considérablement évolué.

Madame la ministre, je sais que nous partageons la conviction que chaque enfant mérite un accompagnement bienveillant et sécurisant dès les premiers mois de sa vie. Vous avez annoncé, le 4 juin, une révision de ce décret d'ici fin juillet, en concertation avec les départements. Pouvez-vous nous confirmer que cette révision intégrera des normes d'encadrement revalorisées à la hauteur des besoins spécifiques des tout-petits ? Par ailleurs, dans une logique d'inclusion, ne pourrait-on pas imaginer que les enfants placés en pouponnière puissent être accueillis en journée dans les établissements d'accueil du jeune enfant, lorsque la situation le permet ? Cette mixité dès les premiers mois de vie serait un puissant levier d'égalité.

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
S'agissant de votre deuxième question, c'est déjà le cas : les nourrissons peuvent déjà être accueillis dans ces établissements. Quant à la révision du décret de 1974, elle prévoit de nouvelles normes d'encadrement pour la nuit et pour le jour – ce dernier point est important. L'objectif est de faire des pouponnières des sas d'accueil d'urgence et de maintenir autant que possible les structures familiales. C'est pourquoi nous souhaitons accueillir les parents dans ces établissements. Après tout, les parents ont peut-être juste besoin d'un coup de main. L'enfant pourrait éventuellement retourner chez eux si la situation le permet.

M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.

Mme Gabrielle Cathala (LFI-NFP)
Quand j'ai vu que ce débat était inscrit à l'ordre du jour, j'ai été assez surprise de lire qu'il était proposé par le groupe Ensemble pour la République. J'ai pensé que c'était peut-être l'heure pour ses députés de dresser le bilan des actions menées depuis 2017, l'heure du mea culpa sur la politique de l'enfance, l'heure de se rendre compte que les votes à l'Assemblée nationale ont des conséquences sur la vie de nombreuses familles et de leurs enfants.

Actuellement, 3 300 mesures de placement ne sont pas suivies d'effet parce que l'on manque de structures d'accueil et d'éducateurs de la PJJ. En France, plus de 2 000 enfants dorment dans la rue : leur nombre a augmenté de 120 % depuis quatre ans. L'éducation nationale est paupérisée comme jamais. Il y a deux jours, nous avons vécu un drame : une surveillante, Mélanie, a été assassinée par un élève de 14 ans. La santé psychique de tous les enfants doit nous alarmer, d'autant plus qu'on ne compte en France qu'un infirmier scolaire pour 1 600 élèves et un médecin scolaire pour 13 000 élèves. Comment prendre soin de la santé mentale des enfants, alors que la pédopsychiatrie est très précarisée et que l'éducation nationale est clochardisée ?

Le premier ministre ment sur un scandale pédocriminel depuis plusieurs mois. Il a de nouveau menti sous serment devant une commission d'enquête de l'Assemblée nationale…

M. Erwan Balanant
C'est faux !

Mme Gabrielle Cathala
…en minimisant une claque qu'il a mise à un enfant, dans le silence de la majorité – ou devrais-je dire de la minorité – présidentielle. Il continue à proférer des mensonges, qui sont immédiatement contredits par les articles de presse qui parlent de ce scandale, là aussi dans le silence de la plupart des députés du groupe macroniste.

Je me demande donc, puisque vous êtes si intéressés par la protection de l'enfance,…

M. le président
Merci de conclure.

M. Erwan Balanant
Il fallait poser votre question plus tôt !

Mme Gabrielle Cathala
…pourquoi vous n'écoutez jamais les associations, l'Unicef, les syndicats de la protection judiciaire de la jeunesse, les syndicats de magistrats. Pourquoi n'avez-vous pas écouté la Ciivise ? Pourquoi avez-vous essayé de la torpiller ? Pourquoi n'écoutez-vous pas toutes ces associations qui, elles, ont les solutions pour améliorer la situation des enfants et la protection de l'enfance dans notre pays ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Madame la députée, j'aurais écouté vos propositions avec beaucoup d'intérêt. (M. Erwan Balanant applaudit.) J'ai reçu Mme Adeline Hazan, la présidente d'Unicef France, avec plaisir et sans difficulté et j'ai eu avec elle un échange parfaitement constructif. Quant à la Ciivise, j'ai prolongé sa mission et retenu onze de ses quinze préconisations.

Mme Gabrielle Cathala
Il y en avait quatre-vingt-dix !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Pour le reste, je pense que vos propos n'appelaient pas de commentaires de ma part.

M. le président
La parole est à Mme Zahia Hamdane.

Mme Zahia Hamdane (LFI-NFP)
Ma question porte sur la situation des maisons d'enfants à caractère social (Mecs), qui apparaissent comme le dernier maillon d'un système dépassé, à la croisée des politiques du handicap et de la protection de l'enfance. Initialement, ces établissements avaient pour mission d'accueillir des enfants victimes de violences familiales ou de carences éducatives. C'était en tout cas leur objet quand j'ai commencé à exercer, en 1994, comme éducatrice spécialisée. Mais aujourd'hui, les Mecs hébergent de plus en plus d'enfants en situation de handicap, en raison d'un manque cruel de places dans les structures spécialisées : atteints de troubles psychiques, cognitifs, mentaux, ces enfants y sont souvent accueillis non par choix mais par défaut, faute de solutions adaptées. Leurs familles, souvent en grande détresse, sont laissées sans véritable soutien. Le fameux soutien à la parentalité n'existe que dans les discours : c'est une professionnelle de terrain qui vous le dit.

Dans les faits, les instituts médico-éducatifs (IME) et les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep) sont saturés, débordés, voire fermés aux urgences sociales. Le résultat est inquiétant. Selon une étude réalisée par l'Association nationale des maisons d'enfants à caractère social (Anmecs), le Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux (Gepso) et la Cnape, près de 30 % des enfants accueillis en Mecs le sont désormais sur notification de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Ce chiffre glaçant témoigne d'un système à bout de souffle : nous n'arrêtons pas de le dire et vous le reconnaissez vous-même, madame la ministre.

Chez moi, à Amiens, dans deux des quatre Mecs que je dirigeais avant de les quitter pour ma fonction de députée, jusqu'à 70 % des enfants qui nous étaient confiés bénéficiaient d'une notification de la MDPH. Mais les Mecs ne sont pas capables d'accueillir ces enfants, souvent très vulnérables. Leur organisation et leur fonctionnement doivent évoluer et leur plateau technique s'étoffer.

S'agissant du taux d'encadrement, pour dix enfants souvent porteurs de troubles complexes, on compte moins de huit adultes encadrants. Or ces enfants ont besoin de soins, d'attention, de stabilité. Un environnement sous-doté n'est pas favorable à leur développement psychologique. Pire encore, ce taux d'encadrement a baissé de 8 points depuis 2008.

M. le président
Merci de conclure.

Mme Zahia Hamdane
Je sais que mon temps de parole est écoulé, monsieur le président, mais j'aimerais poser mes questions.

M. le président
Faites-le rapidement, chère collègue !

Mme Zahia Hamdane
J'ai une pensée particulière pour les professionnels, les éducateurs et pour tous les enfants que j'ai accueillis et accompagnés durant mes quarante années d'exercice. Ma question est double. Que comptez-vous faire pour redonner aux Mecs les moyens d'assurer leurs missions, en particulier face à l'arrivée croissante d'enfants en situation de handicap ? Envisagez-vous de remettre à plat le système actuel en favorisant ces structures à taille humaine et en garantissant des taux d'encadrement normés et renforcés ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je partage votre analyse et il importe en effet de travailler avec les départements. Vous avez raison de souligner qu'il y a des endroits, même s'ils sont trop rares, où la réponse est adaptée au handicap des enfants accueillis. J'ai visité en banlieue parisienne deux maisons qui fonctionnent ensemble et qui accueillent chacune six enfants. Il faut, pour prendre en charge ces douze enfants, 25 équivalents temps plein (ETP) tant leurs difficultés et leurs besoins d'accompagnement sont grands.

Des établissements de ce type sont indispensables pour accueillir les enfants qui nécessitent un accompagnement massif. C'est pour cela que dans le plan "50 000 solutions", lancé par ma collègue Charlotte Parmentier-Lecocq, 400 millions d'euros sont dédiés aux solutions pour les enfants, dont 50 millions pour les enfants de l'aide sociale à l'enfance. Ce sont de places en IME dont ils ont besoin beaucoup plus qu'en Mecs : je suis tout à fait d'accord avec vous.

M. le président
La parole est à Mme Ayda Hadizadeh.

Mme Ayda Hadizadeh (SOC)
En avril 2024, je n'étais pas encore députée mais j'étais présente dans cette salle pour le lancement de la commission d'enquête sur les dysfonctionnements de l'aide sociale à l'enfance. J'y étais avec d'anciens enfants placés, membres du comité de vigilance des enfants placés. Nous tenions à être présents ; nous avions mis des chaises au centre de cette salle et nous avions invité tous les députés qui le souhaitaient à venir nous rencontrer. Sur des pancartes noires étaient écrits les noms des enfants morts à l'ASE : Lily, Jess, Nour, Anthony… Tous ces enfants qui sont morts alors qu'ils avaient été placés sous notre protection.

En France, tous les cinq jours, un enfant meurt sous les coups de ses parents. Toutes ces morts sont révoltantes, mais la mort des enfants qui sont placés à l'ASE, sous notre protection, l'est plus encore. Pendant que la commission d'enquête suivait son cours, d'autres enfants sont morts. La dernière en date, c'est la petite Ayden. Elle avait 7 ans, elle vivait en Polynésie française et avait été placée dans une famille d'accueil. Son corps était couvert d'ecchymoses et de bleus ; elle était dans un état cadavérique et n'avait sans doute pas mangé depuis plusieurs semaines. Elle n'allait plus à l'école depuis plusieurs mois. Pour Ayden, il n'y a pas eu de minute de silence dans l'hémicycle. Alors, sans aucune polémique, j'aimerais vous montrer son visage pour que nous le gardions en mémoire. (L'oratrice montre une grande photo d'Ayden.) Cette petite fille a souffert le martyre et est morte alors qu'elle était sous notre responsabilité.

Éric Woerth a dit que l'État n'était pas responsable, mais lorsque je lis l'histoire de ces enfants, je me sens responsable et j'ai honte. J'ai honte de ce que nous leur faisons subir. Il y a encore aujourd'hui, en France, des Thénardier. Je ne veux pas jeter l'opprobre sur toutes les familles d'accueil ; je connais trop bien les anciens enfants placés pour savoir que ceux qui s'en sortent, ceux qui ont des parcours de vie qui élèvent l'âme, le doivent souvent à leur famille d'accueil.

M. le président
Merci de conclure.

Mme Ayda Hadizadeh
Je crois en votre sincérité, madame la ministre, et je vous remercie de travailler à un projet de loi que nous examinerons à l'automne, mais si vous n'inscrivez pas dans votre texte la proposition de notre collègue Isabelle Santiago de créer un organisme de contrôle autonome et indépendant, nous n'y arriverons pas. Il ne faut plus confier ce contrôle aux départements. Mme Santiago a également retenu la proposition du Conseil économique, social et environnemental (Cese) de permettre aux enfants placés et aux anciens enfants placés de saisir cet organisme autonome.

M. le président
Chers collègues, je me dois de vous rappeler que les règles sont les mêmes en salle Lamartine que dans l'hémicycle.

Mme Béatrice Roullaud
Vous avez laissé parler une autre collègue près de trois minutes ! Les règles doivent être les mêmes pour tous !

M. le président
Je vous prie de ne pas m'interrompre, madame Roullaud.
Vous savez qu'il n'est pas autorisé de brandir des pancartes. Je vous remercie de respecter le règlement de cette assemblée et de respecter votre temps de parole.
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je crois moi aussi à votre sincérité et je vous remercie d'avoir montré le visage de cette petite fille. Personne ne peut être indifférent à de telles situations. Vous avez raison : dès lors qu'un enfant est sous notre responsabilité, nous nous en sentons responsables, et ce n'est pas se payer de mots que de dire cela.

Je suis très attachée à l'idée de créer du lien entre les anciens de l'aide sociale à l'enfance. Ils nous font progresser car ils sont beaucoup mieux placés que n'importe lequel d'entre nous pour nous parler de ce qu'ils connaissent et de ce qu'ils ont vécu. Je les écoute donc avec respect.
Il y a des histoires merveilleuses et il y en a d'autres beaucoup plus douloureuses, mais c'est précisément parce que les deux cas de figure se rencontrent que nous devons écouter ce que les uns et les autres ont vécu pour proposer des solutions.

Enfin, nous devons effectivement avancer sur la question du contrôle. Il faut probablement qu'il soit effectué de manière indépendante, comme n'importe quel contrôle.

M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.

Mme Anne Bergantz (Dem)
Je vous remercie, madame la ministre, pour toutes les réponses que vous nous apportez. Je crois, comme beaucoup de collègues ici présents, à votre très forte volonté d'agir pour la protection de l'enfance.

Ma première question concerne les conditions de sortie de l'ASE à 18 ans et les dispositifs qu'il convient de renforcer pour accompagner les jeunes vers l'autonomie en évitant les ruptures brutales et en favorisant l'insertion dans la vie professionnelle. Vous avez évoqué le mentorat. Il se trouve que j'ai rencontré récemment les représentants de la fondation – française – Break Poverty, qui travaille à un plan "1 jeune, 1 mentor" et qui a déjà aidé 150 000 jeunes en situation de vulnérabilité – ils ne sont pas tous issus de l'ASE.

Le mentorat semble être une réponse adaptée aux problèmes que connaissent ces jeunes. Que pensez-vous de ce dispositif ? Estimez-vous qu'il pourrait constituer une solution efficace et durable pour accompagner les jeunes vers l'autonomie ? Je précise que cette fondation travaille dans un cadre très territorialisé et avec des entreprises conscientes du rôle qu'elles ont à jouer auprès de ces jeunes.

J'aimerais par ailleurs revenir sur une réalité plus que préoccupante, que vous avez également abordée rapidement et que j'ai pu observer dans le cadre de mon activité professionnelle : je veux parler de la prostitution de certaines jeunes filles placées à l'aide sociale à l'enfance. Je dis "jeunes filles", car cela concerne plutôt les jeunes filles que les jeunes garçons.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Encore que…

Mme Anne Bergantz
Vous avez raison, madame la ministre, de jeunes garçons peuvent aussi être concernés, mais disons que statistiquement cela touche plutôt les jeunes filles, souvent déjà victimes de violences, fragilisées psychologiquement et ciblées sur les médias sociaux par des réseaux de proxénètes. Je sais que la réponse n'est pas simple, mais je veux tout de même vous la poser : comment faire pour mieux les protéger ? Certaines de ces jeunes filles sont très jeunes – certaines n'ont que 13 ans, mais prétendent évidemment être plus âgées –, elles sont complètement perdues, fuguent de foyer en foyer et rejettent toute aide en refusant d'admettre leurs difficultés. Les professionnels qui essaient d'intervenir sont complètement dépassés par la situation. Quelles sont vos pistes pour protéger ces jeunes filles ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
S'agissant des conditions dans lesquelles les jeunes, à 18 ans, sortent de l'ASE, la loi Taquet contient des mesures destinées à lutter contre le phénomène des sorties sèches : obligation pour les conseils départementaux de proposer une solution aux jeunes de 18 à 21 ans qui n'ont pas de ressources ou de soutien familial suffisant ; instauration d'un droit au retour ; priorisation de ce public dans l'accès au logement social ; organisation d'un entretien un an avant la majorité.

Nous avons longuement évoqué ce sujet avec Isabelle Santiago : il faut que nous intervenions bien plus tôt, car tout commence dès la sixième. Je repense au jeune Léo que j'ai mentionné tout à l'heure, qui n'allait plus en cours en troisième et qui se trouve maintenant dans une situation très compliquée. Il importe de faire le point à plusieurs reprises sur la vision qu'ont ces jeunes de leur avenir, en commençant lorsqu'ils sont encore au collège, puisque les perspectives d'orientation les aident à bâtir cet avenir. Je le répète, ce qui existe est intéressant, mais un peu tardif.

Nous étudions également la possibilité d'un entretien six mois après la sortie du jeune et la possibilité de le renouveler à la demande de celui-ci. J'en reviens à ce que je disais tout à l'heure : les associations d'anciens, les alumnis, pourraient offrir à ces jeunes un véritable réseau, leur difficulté résidant dans le sentiment de solitude et dans le fait d'avoir finalement très peu de références.

Il y a là un travail à faire, notamment parce que toutes les mesures sont appliquées de façon aléatoire selon les départements. S'agissant du projet de loi, je compte aller plus loin en matière de versement du pécule. J'ai deux idées en tête. La première, à laquelle nous sommes un certain nombre à réfléchir depuis longtemps, concerne les allocations familiales – je sais que ce sujet vous intéresse. L'autre a trait au complément du RSA pour motif familial : si le bénéficiaire du RSA ne s'occupe pas de son enfant, je ne vois pas pourquoi il continuerait de percevoir ce complément.

M. le président
Madae la ministre, merci de conclure.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Mon temps de réponse est donc aussi limité à deux minutes ?

M. le président
Je le crains, madame la ministre ! (Sourires.)
La parole est à Mme Katiana Levavasseur.

Mme Katiana Levavasseur (RN)
Depuis plusieurs années, notre pays est confronté à une progression préoccupante de l'islamisme radical (Murmures sur les bancs du groupe LFI-NFP), qui s'infiltre dans différents secteurs de la société. Le phénomène gagne à présent un domaine particulièrement sensible, celui de la protection de l'enfance. Ces derniers mois, des magistrats, des professionnels de terrain et des chercheurs ont tiré la sonnette d'alarme : la radicalisation islamiste concerne désormais aussi des jeunes pris en charge par l'ASE.

Alors que les foyers pour mineurs et les associations chargées de les protéger devraient constituer des lieux de sécurité, des jeunes sont sous l'influence de discours extrémistes. Certains d'entre eux sous emprise idéologique auraient même envisagé des actes violents. Un adolescent de 17 ans, interpellé dernièrement, projetait un attentat au sein de son lycée. Dans une structure de Toulouse, des pratiques discriminatoires, comme l'interdiction de cours de natation aux filles, ont été signalées. Les réseaux islamistes exploitent les failles d'un système de protection de l'enfance en crise et la précarité de ces jeunes pour diffuser leur idéologie.

Mme Zahia Hamdane
C'est une obsession !

Mme Katiana Levavasseur
Rappelons que selon le rapport public annuel publié en mars 2025 par la Cour des comptes, près de la moitié des sans-abri de 18 à 25 ans sont d'anciens bénéficiaires de l'ASE ! Souvent livrés à eux-mêmes à leur majorité, ces jeunes constituent des cibles idéales pour les discours des plus radicaux. Face à cette situation, le gouvernement doit agir de manière rapide et ferme. Il faut renforcer l'identification des signaux de radicalisation, écarter les personnes radicalisées des structures de l'aide à l'enfance et veiller à ce que le personnel soit correctement formé en vue de prévenir ces dérives.

Madame la ministre, pouvez-vous nous confirmer que le gouvernement prend pleinement la mesure de cette menace ? Par quelles actions concrètes et immédiates comptez-vous sécuriser ces structures et protéger les jeunes qui y sont accueillis ? Envisagez-vous, par exemple, de renforcer les contrôles tant des établissements que des personnels et des associations concernés ?

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Les jeunes vulnérables sont effectivement des proies faciles pour la radicalisation comme pour la prostitution. S'agissant de la première, je ne dispose pas de données permettant d'affirmer que les foyers de protection de l'enfance seraient, à ce jour, infiltrés. Le groupe d'appui neutralité, instauré dans le cadre de la protection de l'enfance, est toutefois censé jouer un rôle de veille et de prévention face aux atteintes à la laïcité et aux risques de radicalisation au sein de structures accueillant des mineurs. Des référents laïcité et citoyenneté figurent dans les directions interrégionales et territoriales de la PJJ, ainsi que dans son école nationale ; vous en trouverez également au niveau national, rattachés à la mission nationale de veille et d'information. Ils peuvent être saisis par les professionnels de terrain et analysent les situations signalées : nous disposons donc d'un instrument en mesure de prévenir les atteintes à la laïcité, de soutenir les professionnels et de promouvoir auprès des jeunes les valeurs républicaines.

Je profite de ce que nous évoquons les jeunes vulnérables pour ajouter quelques mots au sujet de la prostitution, autre attaque très importante qui ne cible d'ailleurs pas que les jeunes de l'ASE – entre 6 000 et 10 000 mineurs seraient victimes d'exploitation sexuelle dans notre pays. Concernant l'ASE, nous soutenons plus de quarante projets, ce qui représente, au titre du budget 2025, 6 millions d'euros. Il faut former les professionnels, développer des outils en lien avec la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), mener un travail de repérage lors de maraudes de rue et dans le monde numérique. Il faut éloigner les victimes des proxénètes en développant, dans tout le territoire, une offre d'hébergement, notamment grâce au réseau de l'association Koutcha ou encore, dans le Nord, à l'accueil Gaïa, qui propose aux victimes un accompagnement à 360 degrés, aussi bien sanitaire qu'éducatif.

M. le président
La parole est à Mme Béatrice Roullaud.

Mme Béatrice Roullaud (RN)
"La maltraitance subie par les enfants est un phénomène peu connu du grand public", pouvait-on lire dans la partie consacrée à la protection de l'enfance du "Projet pour la France de Marine Le Pen" en 2022. Peu de gens savent, en effet, que cinq enfants meurent chaque semaine en raison de maltraitances régulières. Ce chiffre de l'association L'Enfant bleu devrait être porté à deux par jour selon le professeur Bernard Hœrni, ancien président du Conseil national de l'Ordre des médecins.

Les enfants en danger ou victimes, parfois dès le plus jeune âge, sont mal et peu repérés, donc pris en charge tardivement. Un bébé de 2 mois tué à coups de poing par son père toxicomane, connu pour des faits de violences, avait ainsi été auparavant hospitalisé, puis remis à ses parents. Citons encore le petit Bastien, âgé de 3 ans, régulièrement maltraité, au sujet de qui les services sociaux avaient transmis maints signalements et informations préoccupantes – mort enfermé dans le tambour d'un lave-linge en marche ! De tels exemples montrent que l'État, pourtant informé de faits de violences, peine à protéger ces enfants.

Dans son projet pour 2022, Marine Le Pen avait proposé d'excellentes mesures : constituer dans chaque département une équipe chargée d'évaluer la situation sans avoir de liens antérieurs avec la famille, échappant ainsi au conflit moral qui est souvent celui des personnels sociaux ; rendre obligatoire un référentiel unique afin d'éviter les disparités entre départements et de permettre une évaluation objective ; mettre à l'abri, le temps de l'enquête, les enfants victimes ; les faire bénéficier de l'assistance d'un avocat ; favoriser le placement chez un membre de la famille autre que les parents ; recentraliser l'ASE et instaurer un droit de visite des parlementaires dans les établissements accueillant ces enfants.

Certaines de ces mesures ont été reprises par le législateur – la loi du 18 mars 2024 prévoit ainsi d'écarter l'enfant du parent violent durant le temps de la procédure. D'autres, comme le référentiel unique, attendent un décret d'application – peut-être a-t-il été publié. D'autres encore ont été préconisées par la commission d'enquête sur les manquements des politiques de protection de l'enfance, dont j'ai été vice-présidente.

M. le président
Merci de conclure, madame Roullaud.

Mme Béatrice Roullaud
Je finis, monsieur le président !
Il s'agit notamment de deux propositions : la première concerne la présence obligatoire de l'avocat, rémunéré au titre de l'aide juridictionnelle, devant les instances civiles et pénales,… (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l'oratrice, qui continue de parler.)

M. le président
La parole est à Mme la ministre.

Mme Catherine Vautrin, ministre
Je crois avoir évoqué dans mon propos liminaire le sujet de la recentralisation.

Mme Béatrice Roullaud
En effet !

Mme Catherine Vautrin, ministre
Le référentiel unique existe. Le placement auprès d'un membre de la famille proche a été rendu possible par la loi Taquet. La présence de l'avocat fait l'objet de discussions avec le ministère de la justice – sa présence dans le cadre d'un procès, mais aussi sa présence comme référent, accompagnant le jeune, à défaut d'un membre de la famille. En tout état de cause, la place de l'avocat mérite de faire l'objet d'une réflexion.

Je profite du temps de parole qui me reste pour répondre au dernier point de l'intervention de Mme Bergantz : nous connaissons d'autant mieux la fondation Break Poverty qu'elle a bénéficié de subventions financées par la direction générale de la cohésion sociale. Ce mentorat est tout à fait intéressant. Break Poverty propose une boîte à outils en lien avec l'accompagnement des jeunes de l'ASE.

Si ces initiatives sont indispensables, c'est qu'il est essentiel que les jeunes de l'aide sociale aient des adultes qui les soutiennent, les accompagnent, les guident dans leur réflexion, notamment dans leur recherche d'orientation et d'insertion. Nous devons poursuivre en ce sens avec la sphère associative et les entreprises, dont plusieurs sont très engagées – voyez Céline Greco : mentorat, parrainages, offres de stage, insertion, accès à la culture. Il importe toutefois que les personnes qui s'engagent soient un peu formées : elles ont une vraie responsabilité. Les choses ne sont pas toujours faciles avec ces enfants fracassés qui ont besoin d'être accompagnés. Que la société s'engage aux côtés de l'État et des collectivités constitue une très belle réponse.

M. le président
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 16 juin 2025