Déclaration de M. Bruno Retailleau, ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur la politique de l'immigration au sein de l'Union européenne, à Luxembourg le 13 juin 2025.

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Circonstance : Arrivée au Conseil "Affaires intérieures"

Texte intégral

Bonjour, je suis Bruno Retailleau, je suis ministre de l'Intérieur français et je suis très heureux de participer à ce Conseil Justice et Affaires intérieures. Je voudrais peut-être souligner trois points qui me semblent les plus importants et pour lesquels j'interviendrai dans quelques instants, pour lesquels j'ai déjà rencontré des homologues, notamment suédois et autres, et qui sont fondamentaux.

Le premier, c'est que la France vient d'envoyer à la Commission européenne sa déclaration pour le système qui va permettre de mieux contrôler les entrées et les sorties vis-à-vis des ressortissants des pays tiers, qu'on appelle EES. Vous savez que nous avions considéré il y a huit mois que le système n'était pas suffisamment au point, pas suffisamment robuste. Nous avions demandé à la Commission européenne une application progressive, nous considérons désormais que les choses sont en place et la France a dit oui et a adressé sa déclaration à la Commission pour qu'elle puisse participer à ce système qui nous permettra de mieux contrôler les flux migratoires.

Un des points les plus importants de cette journée, c'est la révision de la directive retour, ce qui sera demain, le règlement retour. Cela fait des mois que je me bats pour que cette directive retour, que j'appelais la directive anti-retour, puisqu'en réalité elle remettait le choix, c'est-à-dire d'un délai volontaire de départ entre les mains du clandestin. Donc ça ne pouvait pas fonctionner et depuis des mois et des mois avec mes collègues ministres de l'Intérieur nous sommes mobilisés pour que la Commission puisse mettre sur la table une proposition de législation, c'est fait. Il y aura donc non pas une directive mais un règlement retour qui va profondément changer les choses.

Je voudrais souligner trois points parce que je pense que c'est une avancée, c'est une vraie avancée pour mieux maîtriser la question migratoire et vous savez que tous les peuples européens sont unanimes, quel que soit leur gouvernement de droite ou de gauche, conservateur ou social-démocrate, tous les peuples nous demandent la même chose, c'est de reprendre le contrôle. Eh bien, nous avons là une opportunité historique avec le règlement retour de reprendre le contrôle, mais il faut que ce règlement aille dans le sens d'une plus grande fermeté. Nous insisterons pour ce qui concerne la France, sur trois points.

Le premier point, c'est de faire en sorte qu'on inverse la logique. Aujourd'hui, la logique, c'est qu'on donne au clandestin, qui est rentré donc par effraction, sur les territoires nationaux, on lui donne un délai volontaire de départ. Ils en profitent en règle générale pour s'évanouir dans la nature. La Commission a prévu qu'on garde ce principe de délai de départ volontaire mais qu'il y ait à peu près 80% des cas qui échappent à cette règle. Nous, nous disons tout simplement qu'il faut inverser les choses. Il faut que la règle ne soit plus le délai de départ volontaire mais que ce soit l'inverse. C'est-à-dire qu'il n'y ait plus de départ volontaire quitte à ce qu'il y ait 20 % d'exception. Ça, c'est fondamental, on inverse la logique pour que la charge de la preuve repose sur le clandestin et non pas sur les États membres.

Le deuxième point, c'est le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de retour. Nous pensons que c'est un principe qui est dangereux. Pourquoi ? Parce que lorsqu'on dissocie la prise de décision pour un retour de l'exécution de cette décision, en clair, les pays de première arrivée prendront des décisions de retour mais il y aura sûrement des effets de rebond et que ce sont d'autres pays qui devront appliquer ce que d'autres auront décidé. Ça, dans la vie, ça ne marche jamais bien. Le principe qui marche le mieux, c'est le principe de responsabilité. Celui qui prend la décision doit être celui qui fasse exécuter la décision. Ça, c'est un point sur lequel la France s'est mobilisée.

Le troisième point, qui est un point important, où je pense qu'il y aura une assez grande convergence, c'est la pénalisation du délit de séjour irrégulier. C'est une question de principe. Quand on entre par effraction dans votre maison, c'est un délit. Quand on entre par effraction sur un territoire national, ça doit être un délit. Mais c'est au-delà du symbole. C'est simplement en matière d'investigation, d'enquête, il nous faut avoir la capacité de fouiller les téléphones portables. Pourquoi ? Parce qu'on se rend compte quand on va dans les téléphones portables, il y a notamment des images qui trahissent des liens, par exemple avec le terrorisme. Ça nous est arrivé à plusieurs reprises en France. Et surtout, ça nous permet de retracer par les images, par un certain nombre de données, la trajectoire du clandestin, son pays d'origine, le pays de séjour, le pays de transit. Donc la question pour nous du délit de séjour irrégulier n'est pas seulement une question de principe ou de symbole. Ça nous permettra demain d'avoir des moyens d'investigation. C'est la raison pour laquelle on demande aussi qu'on puisse prévoir la fouille des téléphones portables si on veut être beaucoup plus efficace.

Et puis, dernière question, c'est la stratégie de sécurité intérieure. Il y a deux points sur lesquels j'insisterai parce qu'en France je me suis beaucoup mobilisé sur la question du narcotrafic. Le narcotrafic, c'est un tsunami de poudre blanche qui est en train de déferler sur les 27 pays européens. C'est la cause racine dans nos pays, dans les États membres, d'une violence qui est devenue hyperviolence, mais c'est aussi par le biais de la corruption une menace pour nos institutions, pour nos démocraties. Donc je me suis mobilisé et je pense que ces organisations criminelles ne connaissent pas les frontières. Donc il faut que nous nous organisions, notamment à travers l'alliance des ports, puisque on sait que les drogues désormais pénètrent dans nos pays à 80 % via les ports. Il y a déjà l'alliance entre nous pour les ports, mais je pense qu'on peut la rendre beaucoup plus ferme et beaucoup plus efficace. Et l'autre point, c'est le terrorisme, c'est l'islamisme. Je pense que trop souvent la Commission, en finançant des activités qui étaient liées, par exemple, aux Frères musulmans, s'est trompée de chemin. Nous avons en France publié un rapport de nos services qui montre la menace que constituent les Frères musulmans sur nos démocraties, sur nos institutions républicaines et sur notre cohésion nationale. Donc c'est un point sur lequel je pense que l'Europe et particulièrement la Commission doit se saisir pour avoir une politique beaucoup moins naïve et beaucoup plus ferme.


Question : Que pensez-vous des contrôles à la frontière allemande, que l'Allemagne a renforcés ?

Bruno Retailleau : J'en ai discuté à deux reprises avec mon homologue Alexander DOBRINDT. Je comprends que l'Allemagne doit donner des signes à son peuple de plus grande fermeté. Je lui ai indiqué que nous pouvions trouver des voies, par exemple avec des patrouilles mixtes qui nous permettent d'affirmer une volonté de fermeté sans pour autant bloquer notamment les déplacements pendulaires, quotidiens, transfrontaliers, pour les honnêtes gens qui vont travailler d'un pays à l'autre.

Question : [inaudible] il y a onze des vingt-sept pays européens qui ont déjà réintroduit des contrôles à la frontière, donc comment décririez-vous l'état de Schengen ?

Bruno Retailleau : Je pense qu'il faut refonder aujourd'hui un certain nombre de règles. Je pense que lorsque Schengen et d'autres règles ont été fondées, nous étions dans un autre monde. Aujourd'hui, les choses sont très simples. Nos peuples, tous nos peuples, dans tous les États membres, nous demandent de reprendre le contrôle de l'immigration. Si nous ne le faisons pas, ils nous chasseront et nous remplaceront par des partis d'extrême droite, par des partis populistes. Donc nous sommes des démocrates. Nous sommes des démocrates, nous sommes des démocraties. La démocratie, c'est d'écouter son peuple. Et précisément, puisque les choses ont changé, puisqu'on voit bien que l'immigration peut faire partie des armes de la guerre hybride. Mais j'ajoute qu'il faut aussi préserver une forme de solidarité. Le pacte asile et migration a trouvé un bon point d'équilibre entre la responsabilité et la solidarité. Mais la solidarité, ça n'est pas un menu à la carte. Je pense notamment au processus de Dublin. Cette solidarité ne pourra exister que pour les pays qui jouent, notamment le jeu avec les règles de Dublin. Ceux qui ne jouent pas le jeu ne devraient pas bénéficier de ces règles de solidarité.


Source https://ue.delegfrance.org, le 16 juin 2025