Texte intégral
Messieurs les présidents, je suis ravi de vous retrouver tous les deux. En vous voyant fonctionner, je me retrouve un peu avec mon collègue Olivier Jacquin. Nous avons mené beaucoup de combats communs, en particulier sur les moyens à donner aux transports dans notre pays, à travers les rapports budgétaires que nous avons portés et les amendements que nous avons réussi à faire voter, notamment sur le versement mobilité. Ces amendements sont d'actualité.
À l'heure où je vous parle, des arbitrages ont lieu pour savoir si les deux amendements concernant le versement mobilité seront maintenus dans la dernière copie de la commission mixte paritaire, qui se réunit jeudi. Une chose est sûre : nous avons besoin d'un budget et d'une certaine stabilité. Je dois être le quatrième ministre des Transports depuis l'année passée. Il n'y a rien de pire que cette instabilité politique, y compris pour déstabiliser un certain nombre de services. Je salue donc Rodolphe Gintz, à la tête de la direction générale des Infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), et ses équipes. J'espère que cet épisode budgétaire se terminera le mieux possible et que l'on aura une certaine stabilité, non pas en années comme on en avait l'habitude sous la Ve République, mais sur quelques mois, pour travailler sereinement.
La séquence de débat d'aujourd'hui recouvre avec acuité les priorités qui sont les miennes en tant que ministre des Transports, celles du gouvernement et notamment du Premier ministre. Ces priorités seront assurément les nôtres pour les mois et les années, à venir. Je souhaiterais saisir l'occasion pour revenir sur certaines d'entre elles, qui nourrissent la grande majorité de nos réflexions.
En premier lieu, comme vous le savez, les transports sont confrontés à de très lourds investissements dans les années à venir, avec des perspectives budgétaires peu réjouissantes et peu prévisibles. Nous devons avant tout assurer la décarbonation du secteur, qui est le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre. Il s'agit notamment d'assurer la transition écologique de la route, qui est et restera une infrastructure incontournable, aussi bien pour les personnes que pour les marchandises. Il s'agit, bien sûr, de proposer des solutions de report modal alternatives à son usage.
Ce ne sont pas les seuls défis qui nous attendent. Par exemple, l'adaptation au changement climatique doit nous amener à repenser nos infrastructures, leur conception comme leur entretien. En outre, nous ne devons pas éluder les nombreuses questions liées à la numérisation, à l'innovation, alors que, par exemple, des véhicules dit autonomes se déploient dans un certain nombre de pays. Enfin, nous avons un patrimoine exceptionnel, mais vieillissant, qu'il faut nous donner les moyens d'entretenir, de régénérer, d'adapter.
Ces actions, pour certaines, sont des mutations qui doivent se réaliser et devront bénéficier d'investissements et de financements à la hauteur des enjeux. C'est tout le sens de la réflexion que chacun d'entre vous porte depuis plusieurs années autour de l'avenir du réseau autoroutier. Situé au
cœur de notre système de mobilité, c'est aujourd'hui un mode de déplacement sûr, rapide, fiable, avec un niveau de service sincèrement reconnu dans toute l'Europe. C'est indéniablement un atout pour l'attractivité de notre pays, un élément de cohésion essentiel de nos territoires. Ce mode de déplacement est aussi confronté à des défis structurels, au-delà de la seule problématique de sa gestion. En effet, nous devons anticiper l'impact de nos choix en matière d'organisation et de définition du modèle de financement. Ces choix, qui engagent la puissance publique et l'ensemble du secteur, seront nécessairement courageux pour envisager des solutions pérennes, justes, responsables et en phase avec les ambitions climatiques du pays.
Cette question est centrale pour la politique nationale de transport dans les déplacements à venir. Dès l'automne 2023, TDIE avait déjà amorcé une réflexion particulièrement enrichissante sur le financement des infrastructures autoroutières et la maîtrise d'ouvrage des autoroutes. Plusieurs scénarios ont été esquissés. Tout d'abord, en matière de gestion, faut-il gérer le réseau directement par l'État ou maintenir des délégations de services publics ? Concernant les investissements, faut-il adopter un scénario minimaliste qui viserait simplement à maintenir le réseau en l'état, ou un scénario plus ambitieux qui inclurait des mesures pour la décarbonation du trafic routier ? Faut-il maintenir la tarification, l'adapter ou même la supprimer ? Comment financer ces évolutions dans un cadre budgétaire contraint ?
Ces questions forment le socle d'un débat important qui doit éclairer un défi plus grand encore, celui d'établir une tarification juste, acceptable, cohérente avec nos objectifs de décarbonation. Il ne s'agit pas simplement de trouver des solutions techniques, mais aussi de faire des choix politiques.
Concernant le débat politique, nous sommes très souvent frustrés au moment des grandes échéances politiques de notre pays de ne jamais entendre parler de mobilité dans le débat. J'ai l'espoir que, pour les grandes échéances que connaîtra notre pays, l'avenir des concessions autoroutières reviendra dans le débat, tellement important pour l'avenir de notre pays. Ce débat mérite toute notre attention parce qu'il engage le quotidien de nos concitoyens. Nous devrons donc l'aborder avant l'élection présidentielle, avec la plus grande rigueur et dans le plus grand sens de l'intérêt général.
Pour ces raisons, cette réflexion ne peut être menée " en chambre ". L'État doit être transparent sur ce sujet et associer tous les acteurs concernés, société civile, experts, parlementaires, mais aussi élus locaux, associations d'usagers et de professionnels. Nous ne pouvons pas, j'insiste, laisser ce débat être confisqué par des discours quelquefois démagogiques.
C'est tout le sens de cette conférence de financement des mobilités que je souhaite organiser dès le printemps prochain. Porter cette réflexion de long terme avec l'ensemble des acteurs du secteur est une nécessité. Je me réjouis qu'elle ait été confortée par le Premier ministre lors de la déclaration de politique générale.
Nos échanges auront pour objectif de définir de manière trans-partisane les grands scénarios à envisager concernant la gestion, la tarification et les investissements nécessaires pour adapter nos différents modes de transport à la transition énergétique tout en assurant la plus haute qualité de services à nos usagers.
Ils devront nous permettre de formuler les propositions à court terme, dès les prochaines lois de finance, telles que des mesures pour augmenter les recettes des autorités organisatrices de la mobilité.
C'est en train de se jouer en ce moment et je pèse de tout mon poids pour défendre ces amendements que je sais justes. Notre secteur a besoin d'un certain nombre de ressources supplémentaires. Malheureusement, l'Afit va prendre sa part à l'effort national d'économie, de manière très forte et pérenne. Le programme 203 ((Il s'agit du programme « Infrastructures et services de transport ») subira également un douloureux « coup de rabot ».
Néanmoins, j'espère qu'à travers les amendements que nous avons portés sur le versement mobilité, le secteur des transports pourra continuer à proposer une offre de qualité, notamment aux salariés et aux chefs d'entreprise, qui sont étroitement liés à son utilisation.
Cette recette est également fléchée et permettra, pour les régions et l'ensemble du territoire, une équité par rapport à ce qui s'est fait en Île-de-France l'an dernier. Comme l'a dit le Premier ministre, l'Île-de-France n'est pas tout le territoire national. Les projets très ambitieux d'un certain nombre de territoires et de régions doivent être accompagnés par les usagers à travers le paiement de leur titre de transport, mais également par l'État, les collectivités et les entreprises. Ceci nous permettra de formuler des propositions à envisager dès les prochaines lois de finances, telles que des mesures pour augmenter les recettes des Autorités organisatrices de la mobilité (AOM), mais aussi de nouvelles sources de financement.
Ces mesures permettront de compenser l'érosion des recettes issues de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Celle-ci connaît une érosion naturelle, du fait que le secteur se décarbone, mais aussi une érosion liée à Bercy, plus rapide que la décarbonation. Il nous faut assurer la pérennité du financement des mobilités dans un monde où la consommation de carburant fossile va inévitablement diminuer.
Les travaux que vous entamez aujourd'hui sont parfaitement alignés avec mes préoccupations de ministre et celles de l'ensemble de nos concitoyens usagers des transports. Je vous remercie pour votre contribution à ces débats. Je sais qu'ils seront éclairés, mais aussi éclairants pour notre travail à venir.
Ces mesures doivent compenser un certain nombre de recettes que nous allons perdre mais, si je peux vous demander quelque chose, ne travaillez pas trop bien ce matin ! Si vous trouvez toutes les solutions, la conférence de financement sera totalement inutile dans quelques mois…
Je vous propose de faire un constat et un certain nombre de propositions sans les divulguer immédiatement. En mai prochain, je suis sûr que vous répondrez à une partie de nos interrogations et prendrez une part importante à cette conférence de financement. Le travail trans-partisan que vous réalisez depuis des années, avec une véritable expertise, nous sera particulièrement utile.
Je vous souhaite, à tous et à toutes, mes meilleurs vœux et je vous remercie pour votre investissement dans ce secteur des transports, qui a plus besoin que jamais de solidarité. Si on se serre les coudes, si on est imaginatifs, solidaires, constructifs, on pourra préserver un système qui fait notre fierté. C'est notre bien commun.
Gilles Dansart : La conférence de financement se tiendra en avril ou mai après le PLF. Comment se déroulera-t-elle ? Quelle sera sa méthode ?
Philippe Tabarot : Je souhaite déjà que ce ne soit pas une conférence « au rabais ». Il ne s'agit pas de dire « il y a des problèmes de financement, on fait une conférence qui occupera tout le monde et fera gagner du temps ! » Je souhaite vraiment qu'il sorte quelque chose d'efficient et qu'on puisse faire des propositions équilibrées, notamment au Premier ministre et à Bercy. Je ne souhaite pas que ce soit une « grande messe » d'une journée, mais un travail de fond, qui puisse durer un certain nombre de mois et qui permettent de rassembler tous les travaux.
Je souhaite que le travail se fasse en commissions et que les personnes impliquées puissent se réunir régulièrement sur différents sujets, la route, le ferroviaire, l'aérien, les modes doux. Une grande partie de ce travail a déjà été réalisé, notamment à TDIE mais également au Gart, aux départements et aux régions de France. Nos services eux-mêmes ont un certain nombre de propositions à faire. Je souhaite que cela ne soit pas réservé à des spécialistes mais que l'on sollicite également des usagers, qui puissent nous faire part de solutions, qui peuvent nous paraître inapplicables, nous " spécialistes " du secteur, mais qui sont pleines de bon sens et peuvent avoir des répercussions intéressantes. Il y a parfois des choses évidentes qu'on n'arrive pas à voir et que les usagers peuvent proposer. La parole sera donc très libre et les débats ne seront pas guidés.
Si mon discours a posé des questions sans donner de réponses, c'est que je n'ai pas de réponse préparée à donner et qu'il faut du travail sur ces sujets et de l'expertise, afin de peser le pour et le contre puis de faire un relevé de décisions. Ce sera ensuite de ma responsabilité politique de le porter auprès de mes collègues, au gouvernement, et je ne vivrais plus ce que je vis actuellement, un budget que je subis.
Je rappelle que les 830 millions d'économies sur l'Afit ont été décidés sous le précédent gouvernement. La première partie du budget n'a pas été rediscutée. On discute uniquement de la deuxième partie, que j'ai défendue au banc la semaine dernière. Je ne veux plus vivre ces situations. Je ne veux pas être obligé de passer pour celui qui veut « martyriser les pauvres entreprises », qui sont déjà sollicitées financièrement par d'autres taxes.
Si le versement mobilité est utilisé, les entreprises seront les premières gagnantes, parce qu'elles pourront bien desservir leurs zones d'activités et qu'elles participeront au bien-être de leurs salariés. Ce sont ces idées que je veux faire passer et, pour revenir à la question sur la conférence de financement, il s'agit de proposer des choses concrètes et efficaces.
À moi ensuite, en tant que politique de les porter au plus haut niveau, c'est-à-dire à Bercy puis au Premier ministre, pour qu'on ne vive plus le budget comme on l'a vécu cette année mais avec l'espoir de pouvoir améliorer les choses.
Nous parlons souvent avec Olivier Jacquin de la révision du contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État. Là aussi, nous avons besoin de temps long. Dans les transports, le stop-and-go est assez difficile. Beaucoup d'industriels ont besoin de perspectives. On ne peut pas ne pas les donner. J'aurais rêvé d'une loi de programmation ferroviaire et j'ai tout fait pour la pousser, mais nous n'y sommes pas arrivés. Et, si nous l'avions fait voter, je ne sais même pas si elle aurait pu être respectée aujourd'hui.
Il faut donner des perspectives. Ce sont les objectifs de la conférence de financement. Il faut du travail, sur plusieurs mois, sur plusieurs thématiques, avec une synthèse, une présentation et surtout une défense auprès de mes collègues des finances et du Premier ministre, qui peut faire des arbitrages et se rendre compte que notre modèle de financement est à bout de souffle. Je pense qu'on peut partir de ce constat commun. On ne peut pas se permettre de tourner la tête. Nous avons besoin dans ce pays d'investir dans les transports et j'espère que cette conférence pourra nous permettre de le faire.
Gilles DANSART : Certains craignent que les péages autoroutiers soient remis en cause, puisque beaucoup d'investissements ont été faits et que les autoroutes sont aujourd'hui payées. Ne risque-t-on pas de perdre cette manne en mettant la question des péages autoroutiers sur la place publique, comme un enjeu politique grand public ?
Philippe TABAROT : Chacun a son idée sur la question des concessions autoroutières, qui seront également au cœur de la conférence de financement. Il y a eu un excellent rapport d'Olivier Jacquin (Rapport d'information de la délégation sénatoriale à la prospective, Mobilités dans les espaces peu denses en 2040 : un défi à relever dès aujourd'hui, Olivier Jacquin, 28 janvier 2021, 104 p.), d'autres collègues sénateurs comme Vincent Delahaye (Rapport fait au nom de la commission d'enquête sénatoriale Concessions autoroutières, Concessions autoroutières : des profits futurs à partager équitablement avec l'État et les usagers, Vincent Delahaye, 16 septembre 2020, 333 p.), comme Hervé Maurey (Sénat, rapport d'information fait au nom de la commission des Finances sur la préparation de l'échéance des contrats de concessions autoroutières, Hervé Maurey, 23 octobre 2024, 198 p.). Beaucoup de monde tourne autour de la manne financière que pourraient représenter les concessions autoroutières. Ce qui ressortira des différents travaux et des propositions sur ce sujet devra en priorité revenir au secteur des transports.
Nous travaillons en ce moment avec Rodolphe Gintz sur le premier aspect : gérer au mieux les fins de concession et rappeler à leurs obligations les concessionnaires sur les travaux qu'ils auront à réaliser d'ici de la fin de la concession. C'est notre présent. La plupart des concessions s'arrêtent entre 2031 et 2032. C'est donc maintenant que les choses se décident. Nous aurons plus de temps ensuite pour savoir ce que l'on souhaite en faire dans le futur. C'est un débat qui correspondra pratiquement avec l'élection présidentielle.
Pour répondre à la question posée, c'est un sujet dont vont probablement s'emparer les politiques. C'est pourquoi il n'est pas impossible qu'on entende enfin parler de transport entre les deux tours de l'élection présidentielle. J'ai des idées sur la question, mais je ne veux pas influencer le débat.
Le constat général est que l'on a des autoroutes en très bon état, qui font notre fierté et qu'il faut conserver cette excellence. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant des routes nationales, sans parler de notre réseau et de nos infrastructures ferroviaires, qui sont parmi les plus vieilles d'Europe. 16 % de nos rails sont en fin de vie et ils sont en moyenne deux fois plus âgés que dans les autres pays européens. Sur le transport fluvial, il y a aussi de vrais enjeux et il faudra accompagner et aider son développement.
Malgré tous les efforts sur le transport de marchandises, notamment au niveau ferroviaire (je me réjouis que, dans un budget tellement contraint, on ait pu augmenter l'aide au wagon isolé), la route va garder une part prépondérante et sa décarbonation a un coût. Si l'on repart sur un système concessif, il faut que les sociétés puissent gagner leur vie et faire remonter certains bénéfices potentiels à leurs actionnaires. On peut reprocher certaines choses au système concessif, mais on a de très belles autoroutes. Si l'État n'en a pas retiré la manne financière souhaitée, c'est peut-être que les contrats n'ont pas été bien négociés. Certains rapports peuvent le prouver.
Il faut que les usagers de la route puissent payer le juste prix, mais cette notion est très difficile à établir, par rapport au niveau de vie de ceux qui utilisent ce mode de transport. Si le système concessif est retenu, la situation idéale serait de faire des investissements, de payer le juste prix, de décarboner l'autoroute, de satisfaire des actionnaires et de satisfaire l'État, de façon à réinvestir sur d'autres modes de transport qui ont plus de difficultés à trouver des financements.
J'en ai beaucoup dit, mais rien de tout cela n'est arrêté. Je vous donne davantage le sentiment du parlementaire que j'étais encore il y a un mois que du ministre. Je sens que c'est un sujet qui va passionner les uns et les autres et nous serons très preneurs de vos avis. Loin de moi l'idée de vous influencer, au contraire. On vous écoutera avec beaucoup d'attention par le biais TDIE ou à titre personnel. Vous serez totalement associés à la démarche de cette conférence de financement.
Source https://tdie.eu, le 17 juin 2025