Déclaration de M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, sur l'amendement du protocole de Londres à la convention de 1972 concernant la prévention de la pollution des mers, à l'Assemblée nationale le 17 juin 2025.

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Intervenant(s) : 
  • Marc Ferracci - Ministre chargé de l'industrie et de l'énergie

Circonstance : Commission mixte paritaire

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi autorisant la ratification de la résolution LP.3(4) portant amendement de l'article 6 du protocole de Londres de 1996 à la Convention de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion de déchets et autres matières (no 1428).

(…)

La parole est à M. le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie.

M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie
Je vous le dis sans détour : nous ne pourrons pas atteindre la neutralité carbone sans recourir au stockage de CO2. Ce texte n'est donc pas un détail technique, il est une clé stratégique pour l'avenir de notre pays et de notre industrie.

Nos débats nous mettent face à une vérité exigeante : nos ambitions de long terme ne doivent pas devenir des alibis à l'inaction immédiate. À force de fixer l'horizon, on oublierait parfois de faire le premier pas.

Je souhaite dissiper tout malentendu : la capture du carbone ne se substituera pas à l'effort de décarbonation, ni maintenant ni plus tard. Elle constitue en revanche un outil indispensable à l'atteinte de nos objectifs et devrait représenter 8 % à 13 % de l'effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici 2050. En France comme en Europe, les différents scénarios envisagés pour réduire les émissions de GES comprennent la capture du carbone. Celle-ci est complémentaire, et non concurrente, à l'ensemble des moyens que nous consacrons déjà à réduire nos émissions.

Nous souhaitons conserver et développer l'industrie en France. La réduction des émissions ne peut reposer sur la désindustrialisation : il nous faut bâtir l'industrie de demain sans laisser tomber celle d'aujourd'hui ; nous engager pour la décarbonation tout en apportant visibilité et solutions à court, moyen et long terme.

Le texte que nous discutons aujourd'hui devrait emporter l'adhésion de toutes les sensibilités représentées au sein de cette assemblée. Ce que nous voulons, c'est donner à notre industrie lourde la possibilité de produire en France sans relâcher dans l'atmosphère le carbone qu'elle produit inévitablement. Ce combat, fédérateur, a trait à l'essentiel : notre climat, notre compétitivité, nos emplois et notre souveraineté.

Nous avons fixé un cap clair et nous le tiendrons. D'ici à 2035, nos émissions industrielles seront réduites de moitié. Cette exigence est climatique, mais également sociale : celle des territoires qui veulent encore produire et embaucher. Cet impératif n'appelle qu'une réponse, celle de l'action concrète, technologique et réaliste. Vous le savez, nos concurrents avancent vite et, souvent, ils ne jouent pas en suivant les mêmes règles que nous : ils subventionnent, ils contournent, ils ferment les yeux. Nous, nous avons choisi une voie exigeante : celle du multilatéralisme, du droit et de la concurrence équitable. Cette exigence néanmoins ne doit pas devenir une pénitence : nos choix ne doivent pas peser le plus lourdement sur ceux qui font la vitalité de notre nation. Décarbonation ne doit pas rimer avec désindustrialisation. Il y va de la survie de nos sites industriels et donc de l'emploi dans nos territoires. Des milliers de salariés comptent sur nous pour agir.

Regardons la réalité en face : même s'ils n'ont pas recours aux énergies fossiles, certains procédés industriels émettront toujours du CO2 –? le CO2 fatal, celui qu'on ne peut pas éviter mais qu'on peut capturer. Oui, il faut électrifier. Oui, il faut recycler. Oui, il faut être sobre. Voilà ce que mon ministère prône au quotidien et qui est au cœur des décisions d'investissement de l'État, au cœur du programme France 2030 qui a déjà permis de réduire de 11 mégatonnes les émissions annuelles de dioxyde de carbone de l'industrie.

M. Pierre-Yves Cadalen
Non, c'est le fait que vous avez détruit l'industrie de ce pays !

M. Marc Ferracci, ministre
Il faut aussi capturer le carbone résiduel, le stocker. Pour cela, il faut l'exporter –? c'est même nécessaire à court terme.

Voilà le cœur du projet de loi, voilà la vérité industrielle –? lucide, concrète et responsable. Derrière cette vérité industrielle, il y a une réalité humaine, celle de nos territoires, de nos usines, de nos salariés. Je pense à la cimenterie de Montalieu-Vercieu, à l'usine à chaux de Rety dans le Pas-de-Calais, au site de production d'engrais de Gonfreville-l'Orcher ou encore à la sucrerie de Bazancourt : tous ces sites ont un point commun, ils émettent du CO2 fatal et tous ont besoin de solutions pour continuer à produire en France. La capture du CO2 est, pour eux, un dernier recours.

Soyons lucides : si nous n'autorisons pas l'exportation du carbone, ces usines ne resteront pas, elles partiront.

M. Michel Herbillon
Absolument !

M. Marc Ferracci, ministre
Avec elles, des milliers d'emplois et des décennies de savoir-faire abandonneront les bassins de vie. Nous ne voulons pas d'un avenir dans lequel le béton serait chinois, les engrais russes et le sucre brésilien. Nous voulons un avenir dans lequel l'industrie française est souveraine, décarbonée et forte, où elle choisit la transition et ne se voit pas imposer l'exil. Pour cela, il faut agir vite, à l'horizon 2030, et non 2035.

Aujourd'hui, il n'y a pas de solution opérationnelle de stockage du carbone en France, que ce soit sur terre ou en mer. Demain, ce sera le cas, mais demain, ce n'est pas assez tôt : nos industriels n'ont pas le luxe d'attendre.

Les pays d'Europe du Nord, eux, n'ont pas attendu. La Norvège, le Danemark et les Pays-Bas disposent déjà de leurs sites de stockage et sont prêts à stocker notre CO2. Ils attendent notre feu vert, mais ils ne l'attendront pas éternellement. Je l'ai d'ailleurs moi-même vérifié, lors du forum franco-norvégien et de la visite d'État danoise au mois de mars : les alliances sont là, seule manque une décision. Le feu vert tant attendu, c'est ce projet de loi qui le donne. En ratifiant le protocole de Londres, il permettra aux industriels français de signer leurs contrats, d'engager leurs investissements et de ne pas perdre les 439 millions d'euros de financements européens qui sont en jeu. En effet, la décision n'est pas seulement industrielle, elle est aussi budgétaire et stratégique. Saint-Nazaire, Le Havre, Dunkerque : nos hubs industriels ont besoin de cette loi pour lancer le projet. Plusieurs de ces entreprises ont déjà signé des contrats de stockage de CO2 en Europe du Nord et ont obtenu un soutien public, européen ou national. Elles n'attendent donc que la ratification de cette convention diplomatique pour lancer leur projet de décarbonation.

Ne les faisons pas patienter plus, car pour chaque mois de perdu, c'est un contrat en moins. Demain, ce sont nos usines qui pourraient fermer, nos entreprises qui iraient s'installer à Anvers, à Rotterdam ou ailleurs. La course est lancée, partout en Europe, partout dans le monde. Si nous n'accélérons pas, nous serons distancés. Pour rester dans cette course, il faut donner à nos industriels la possibilité d'investir, ici et maintenant, dans les technologies de capture et de stockage du carbone.

Ne nous laissons pas piéger par de faux débats : les technologies sont là, elles sont connues, maîtrisées, éprouvées. On transporte du gaz et du pétrole, on stocke même du carbone depuis des décennies ! Ce que nous proposons n'a rien de hasardeux. Nos standards environnementaux sont parmi les plus exigeants au monde et nous n'enverrons notre carbone qu'à des pays qui les partagent.

Nous ne transigerons pas sur la sécurité, mais nous ne pouvons plus transiger sur le temps. La France ne peut plus retarder son départ dans la course que l'Europe a déjà lancée. Je comprends que la technologie du stockage de carbone soulève des questions : c'est sain, c'est légitime et le débat parlementaire est là pour ça. Toutefois, ne pas décider, c'est déjà renoncer. Ne pas agir, c'est accepter de fermer des usines.

Vous connaissez mon combat : ne pas céder à la résignation, ne rien lâcher. Avec mes équipes, nous obtenons chaque jour des solutions, site par site, usine par usine, emploi par emploi. Pour réussir la transition, il nous faut tout l'éventail des solutions. La capture et le stockage ne sont pas des coquetteries technologiques, mais les outils d'un pays engagé dans la transition énergétique, un pays qui veut encore produire et le faire proprement.

Produire, c'est aussi protéger nos bassins de vie, nos savoir-faire et nos emplois. L'écologie qui devrait nous rassembler est celle qui conjugue environnement et emploi.

C'est avec gravité que j'affirme que si nous n'autorisons pas l'exportation du carbone, d'autres le feront à notre place.

M. Pierre-Yves Cadalen
Avec cette logique, on va aller loin !

M. Marc Ferracci, ministre
Nos industries iront là où on les autorise à respirer, mais voulons-nous vraiment d'une France qui consomme ici ce qui est fabriqué ailleurs ? D'une France qui se drape dans la vertu pendant que d'autres fabriquent des champions avec pragmatisme et volontarisme ?

Mme Clémence Guetté
Quel cynisme !

M. Marc Ferracci, ministre
Je laisse au débat parlementaire le soin de répondre à ces questions. Pour ma part, je refuse la résignation.

Nous partageons une ambition forte, celle de faire de la France un champion de la transition écologique et d'atteindre la neutralité carbone en 2050. À cette fin, nous allons commencer à stocker du carbone dès 2030, mais à court terme, il est essentiel d'autoriser l'exportation des fûts de carbone. Ce projet de loi est un texte de cohérence, un texte pour celles et ceux qui, chaque jour, produisent ; celles et ceux qui croient que la transition ne consiste pas à renoncer mais à transformer. Il s'intègre dans le combat pour la décarbonation de nos industries, pour l'emploi et l'avenir de nos territoires. Je vous appelle donc, au nom du gouvernement, à voter en faveur de ce projet de loi –? pour le climat, pour l'industrie, pour l'emploi et pour notre avenir commun. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)


source https://www.assemblee-nationale.fr, le 19 juin 2025