Déclaration de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, sur le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte et le projet de loi organique relatif au département-région de Mayotte, à l'Assemblée nationale le 23 juin 2025.

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Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte (n° 1470, n° 1573) et du projet de loi organique relatif au département-région de Mayotte (n° 1471, n° 1574).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

La parole est à M. le ministre d'État, ministre des outre-mer.

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer
Mayotte, c'est l'histoire d'un lien indéfectible avec la France. L'île est française depuis 1841, c'est-à-dire avant Nice et la Savoie. Dès le 2 novembre 1958, chefs de village, dignitaires religieux et responsables politiques se réunissaient pour manifester leur attachement à la France et appeler à la départementalisation, lors du célèbre Congrès des notables, à Tsoundzou. Lors des référendums de 1974 et 1976, les Mahorais ont chaque fois massivement voté pour le maintien au sein de la République française. En 2009, enfin, 95 % d'entre eux ont dit oui à la départementalisation, mouvement qui drainait d'immenses espoirs. C'est ainsi que, le 31 mars 2011, Mayotte est devenue le 101e département français.

Malgré toutes ces étapes, les nombreux plans mis sur la table et des améliorations évidentes, nos compatriotes mahorais ont exprimé et expriment encore une forme de sentiment d'abandon. Quelque chose de particulièrement important se joue donc à Mayotte : la restauration de la crédibilité de la parole publique et, à travers elle, celle du lien de confiance entre la population du territoire et l'État. À l'heure des ingérences étrangères et de la volonté de déstabiliser la France, il est plus que jamais nécessaire d'agir pour concrétiser la promesse républicaine à Mayotte. L'enjeu est aussi d'affirmer notre souveraineté dans le canal du Mozambique. Prenons collectivement conscience de l'importance du débat que nous entamons.

Au Sénat, devant les commissions, et ce matin encore en conférence de presse, j'ai eu l'occasion de balayer ce que j'estime être une contre-vérité : non, l'État n'a pas abandonné Mayotte. Dès mon arrivée au ministère des outre-mer, conformément à la mission que m'avait confiée le premier ministre, j'ai fait de la situation de l'archipel l'une des grandes priorités de mon action, à traiter d'urgence. Manière symbolique de rappeler mon engagement : entre le mois de décembre 2024 et aujourd'hui, je me suis rendu quatre fois dans l'archipel, dont une fois avec le premier ministre, le 30 décembre 2024, et une autre fois avec le président de la République, il y a quelques semaines, en avril.

Surtout, j'ai pu suivre, au plus près du terrain, l'état d'avancement des différentes phases : gestion de l'urgence, stabilisation, enclenchement de la reconstruction. Si de nombreux défis sont encore devant nous et qu'en tout état de cause, le retour à une situation semblable à celle que nous connaissions avant Chido n'est pas satisfaisant – je pense en particulier à la question de l'accès à l'eau –, il serait malhonnête de ne pas reconnaître que des signes de reprise sont perceptibles.

La mobilisation des services de l'État a été massive dans la phase de gestion de crise – je tiens notamment à souligner l'implication personnelle du préfet François-Xavier Bieuville. L'intensité du cyclone Chido, catastrophe naturelle la plus importante dans l'histoire contemporaine de notre pays, a provoqué des dommages considérables : près de 90 % des bâtiments ont été endommagés ; les réseaux d'infrastructures électriques et téléphoniques ont été détruits ; les installations de production d'eau ont été mises en péril. L'État s'est pleinement mobilisé pour protéger, secourir la population et rétablir les fonctions vitales afin de stabiliser la première phase de réponse à la crise : nous avons rétabli les capacités en eau, en électricité et en télécommunications.

Un mot sur l'eau : le taux de remplissage des deux retenues collinaires s'est amélioré à la fin de la saison des pluies ; 2 millions de bouteilles d'eau ont été livrées ; 2 millions de litres d'eau ont aussi été acheminés par voie maritime au cours du mois de mai. Notre capacité de production habituelle a été restaurée, à hauteur de 38 000 mètres cubes par jour, ce dont nous ne pouvons évidemment pas nous satisfaire – loin de là ! –, puisqu'il s'agit de notre capacité antérieure à Chido. En effet, un écart persiste entre l'offre et la demande d'eau. Nous agissons d'ores et déjà : des travaux de réparation des fuites sont en cours ; ceux de la future station d'épuration de Mamoudzou sud ont commencé ; s'agissant de la future usine de dessalement d'Ironi Bé, l'arrêté autorisant les travaux de construction a été signé pour la partie terrestre du chantier. Le rapport annexé au présent projet de loi précise notre ambition future dans ce domaine.

Je souligne aussi que l'objectif de résorption complète, d'ici août 2025, des dépôts de déchets résultant du passage de Chido sera tenu – je serai en tout cas particulièrement vigilant sur ce sujet.

En matière de santé – élément critique –, plus de 1 000 professionnels ont été projetés sur place ; l'hôpital fonctionne à plus de 80 % de ses capacités et connaîtra d'importants travaux de réparations et de sécurisation, qui s'achèveront courant 2026. Sept des huit dispensaires sont ouverts, ainsi que tous les centres médicaux de référence ; encore faut-il veiller à ce que des médecins et des personnels de santé y soient présents.

Les rentrées scolaires de mars et de mai ont eu lieu, ce qui n'était pas évident. Comme pour l'adduction d'eau, nous sommes revenus à la situation prévalant avant Chido, ce dont nous ne pouvons pas davantage nous satisfaire. Les rotations scolaires sont inacceptables en République. Le rapport annexé fixe donc l'objectif d'en finir à l'horizon 2031.

En ce qui concerne la reconstruction, j'entends dire qu'elle n'aurait pas véritablement démarré – critique que je peux entendre. Qui peut sérieusement prétendre reconstruire en quelques semaines, voire quelques mois, un territoire dévasté – les chiffres que j'ai rappelés l'attestent – et présentant autant de difficultés structurelles ?

La stabilisation de la situation permet déjà la réalisation de projets structurants qui étaient engagés avant Chido : extension d'une mairie à Chiconi ; crèche municipale à Sada ; maison de santé à Passamainty ; premières voies, en site propre, du Caribus. Néanmoins, pour approfondir et accélérer l'effort de reconstruction, il est nécessaire de nous doter des outils adéquats et de nous assurer que l'ensemble des maillons de la chaîne seront opérationnels. C'est dans cet esprit que le général Pascal Facon a été nommé le 9 janvier 2025. Son rôle est d'élaborer une stratégie quinquennale qui détaillera les actions concrètes devant concourir à la reconstruction et à la refondation de Mayotte d'ici à 2031.

L'ordonnance créant l'établissement public chargé de coordonner les travaux de reconstruction a été publiée le 23 mai 2025. Elle prévoit notamment d'en confier la présidence au président du conseil départemental. La phase de recrutement du directeur général est en cours ; nous visons une nomination au 15 juillet 2025. Le conseil d'administration du futur établissement public se réunira dès le mois de septembre.

La stratégie m'a été présentée. Les élus du territoire en prendront connaissance et participeront à une concertation – qui a d'ailleurs déjà commencé –, avant sa présentation lors du comité interministériel des outre-mer du 10 juillet prochain. J'y insiste, cette stratégie est une déclinaison concrète, par phases, de ce dont nous sommes en train de discuter ; elle est le fruit d'un travail de planification dans le temps.

La loi d'urgence pour Mayotte, que vous avez adoptée à l'unanimité et qui a été promulguée le 24 février 2025, a fourni les principaux outils nécessaires à l'enclenchement de la phase de reconstruction. Le soutien financier a aussi été au rendez-vous. Dans le contexte difficile que nous connaissons, l'État a agi ; il a dépensé, non pas sans compter – je n'oserais pas parler ainsi devant Charles de Courson –, mais de manière utile : 500 millions d'euros de dépenses d'urgence entre décembre et janvier ; un fonds d'amorçage de 100 millions pour les collectivités ; 15 millions destinés à la filière agricole par l'intermédiaire du fonds de secours pour les outre-mer ; 22,8 millions d'euros d'aides pour les entreprises.

Je pense aussi à toutes les mesures que vous avez votées dans le cadre de la loi d'urgence, notamment l'activité partielle : 1 311 demandes d'indemnisation ont été validées pour 996 138 heures, donnant lieu à 9,1 millions d'euros d'indemnités. Enfin, le prêt à taux zéro, désormais proposé par l'ensemble des établissements bancaires habilités, aidera les particuliers à reconstruire leur toit. La France a aussi reçu une avance de 23,7 millions d'euros au titre du Fonds de solidarité de l'Union européenne.

Nous sommes donc en train – je le dis avec modestie – de poser les bases et de créer les conditions nécessaires à l'enclenchement d'une dynamique durable et solide de reconstruction. Néanmoins, sans une action plus fondamentale de refondation, nous reviendrons, au mieux, à la situation très insatisfaisante, sinon inacceptable dans certains secteurs, de l'avant-Chido. C'est pourquoi, dès le 30 décembre 2024, le premier ministre s'engageait à ce que le Gouvernement présente un projet de loi de programmation. J'en viens donc à la refondation.

Avec ce projet de loi, qui comporte désormais cinquante-sept articles contre trente-quatre initialement, l'État défend, avec le Parlement, une ambition politique sans précédent pour Mayotte. L'affirmation de cette ambition est en tout cas attendue – nous nous sommes appuyés sur les travaux antérieurs, notamment les réflexions engagées par mon prédécesseur Philippe Vigier, rapporteur général du présent projet de loi, et la proposition de loi déposée par Mme Estelle Youssouffa. Depuis des années, pour ne pas dire des décennies, les Mahorais attendent ce texte qui doit répondre à leur aspiration à l'égalité réelle et parachever la départementalisation. J'ose dire que nous y sommes.

Le projet de loi procède d'un premier constat, implacable : si nous ne nous attaquons pas avec force à l'immigration illégale, aux bidonvilles et à l'insécurité, nous reconstruirons Mayotte sur du sable. C'est pourquoi le titre II vise à lutter contre l'immigration clandestine et le titre III à protéger les Mahorais – je salue Philippe Gosselin, rapporteur pour ces deux titres.

Les articles 2 à 9 tendent à durcir les conditions d'accès au séjour pour motif familial et à améliorer les dispositifs de lutte contre les reconnaissances frauduleuses, de paternité notamment. Au regard du poids des titres liés à l'immigration familiale à Mayotte, la portée de ces dispositifs sera très importante.

À l'initiative des quatre rapporteurs, la commission des lois a adopté un nouvel article, l'article 2 bis A, prévoyant l'abrogation du titre de séjour territorialisé à compter du 1er janvier 2030. Il s'agit d'une demande forte et historique des Mahorais – des élus comme des habitants. Comme vous le savez, le Gouvernement n'y était pas favorable – le ministre de l'intérieur s'était exprimé à ce sujet –, mais je salue le cadre transpartisan dans lequel la commission a pu avancer et je considère que le délai de cinq ans permettra de limiter préalablement les flux migratoires vers Mayotte.

En revanche, la commission des lois a supprimé les articles 7, 8, 9 et 11 du projet de loi. Nous aurons l'occasion d'en débattre à nouveau, lorsque nous examinerons les amendements tendant à les rétablir. Nous avons besoin de ces mesures pour protéger les Mahorais – je le dis en toute sincérité. Pour atteindre l'objectif de 35 000 éloignements par an, la montée en gamme du dispositif de surveillance et d'interception sur terre, en mer et par voie aérienne est nécessaire. C'est tout l'enjeu du "mur de fer", pour lequel l'État prend des engagements concrets dans le rapport annexé au projet de loi, monsieur le rapporteur général, cher Philippe Vigier. En complément de l'action opérationnelle, il est primordial d'entretenir des rapports fondés sur la fermeté avec les États à l'origine des flux migratoires, au premier rang desquels les Comores.

L'article 10 du projet de loi prévoit par ailleurs des dispositions qui doivent faciliter l'action des services de l'État visant à résorber les bidonvilles – nous y reviendrons avec vous, monsieur le rapporteur, cher Frantz Gumbs.

Sur le plan social, les Mahorais expriment depuis longtemps leur aspiration à l'égalité réelle. Bien évidemment, les questions d'immigration et de sécurité comme les investissements dans les équipements sont essentiels, mais je tiens à souligner que la priorité majeure au cœur de ce texte de loi est la convergence sociale, qui répond à une attente réelle. L'article 15 du projet de loi – qui fait partie du titre IV, rapporté par Agnès Firmin Le Bodo – doit permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnance, dans un délai maximal de douze mois, pour agir en tenant compte du dialogue social, lequel a déjà été engagé, notamment par le préfet Bieuville et par le général Facon.

L'année 2031 constitue une échéance, non un point de départ. La première étape de la convergence sociale interviendra dès le mois de janvier 2026 ; c'est désormais clairement inscrit dans le texte, à l'initiative de vos rapporteurs. Mon objectif, que nous partageons, est la prospérité de Mayotte, ce qui implique de donner la priorité au travail et à la valeur travail. Le préalable à l'alignement des allocations de solidarité sera donc celui du smic net.

Depuis la départementalisation, c'est la première fois que le Gouvernement inscrit dans la loi la convergence sociale. C'est un effort inédit, massif, mais c'est un enjeu de justice et d'égalité.

Sur le plan institutionnel, madame la rapporteure, chère Estelle Youssouffa – je vous salue à cette occasion, même si vous interviendrez, je le sais, sur d'autres sujets –, le projet de loi consacre le département-région, collectivité unique, avec un mode de scrutin adapté. Le projet de loi organique assure les coordinations nécessaires du point de vue de la légistique.

En ce qui concerne la réalisation des infrastructures prioritaires et essentielles au développement de l'archipel, ce qui n'était qu'annonces et promesses devient des dispositions législatives.

S'agissant des infrastructures portuaires, le Gouvernement défend, aux côtés du rapporteur Vigier, un amendement qui permettra de donner au port de Longoni le statut de grand port maritime, ainsi que les rapporteurs l'ont souhaité et inscrit dans le rapport annexé.

S'agissant de l'aéroport, le président de la République a décidé d'implanter une piste longue sur Grande-Terre. Du fait de la suppression des articles 19 bis et 19 ter par la commission des affaires économiques, madame la présidente Trouvé, les travaux ne pourraient commencer qu'à la fin 2028, au plus tôt – vous l'entendez, le Gouvernement émet à ce sujet un avis empreint de modestie. Je souhaite là aussi que ces articles soient réintroduits, grâce à l'adoption des amendements de rétablissement déposés.

Le projet de loi porte, enfin, un engagement financier sans précédent, à hauteur de près de 4 milliards d'euros sur six ans. Fin des coupures d'eau et des rotations scolaires – c'est indispensable –, développement de l'intermodalité, gestion durable des déchets, lutte contre l'insécurité et construction d'un nouvel aéroport : ces investissements, parmi d'autres – on pourrait mentionner la construction du deuxième hôpital –, auront un impact direct sur la vie quotidienne des Mahorais. C'est ce que nous recherchons.

Vous le voyez, l'État et le Gouvernement sont mobilisés pour Mayotte et les Mahorais. L'étape de refondation que nous engageons par ces textes est historique – sans galvauder les mots. Il nous faut atteindre ces objectifs, pour que nos compatriotes mahorais le constatent très concrètement.

Une fois encore, je me souviens de ma rencontre marquante, en début d'année à Mtsamboro, avec l'un des élus historiques de Mayotte, qui avait participé aux événements des années 1950 et 1960. Il a prononcé ces mots : "La France, c'est la liberté."

L'attachement des Mahorais à la République est à l'image de la beauté de son lagon, de la ferveur de sa jeunesse et de l'éclat de ses traditions : formidable et source de fierté pour la France. Avec ces textes, grâce au travail engagé au Sénat et au sein des commissions de l'Assemblée nationale, grâce aux améliorations que nous lui apporterons – je n'en doute pas – au cours de cette semaine, il nous revient, plus que jamais, de concrétiser la promesse républicaine. Pour cela, il n'existe qu'une méthode : l'action. (M. le président de la commission des lois, M. Philippe Vigier, rapporteur général, MM. Charles de Courson et Frantz Gumbs, rapporteurs, applaudissent. – Mme Anne Bergantz applaudit également.)

(…)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d'État, ministre des outre-mer.

M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer
Je voudrais à mon tour remercier les présidents de commission qui se sont exprimés, l'ensemble des rapporteurs, qui ont beaucoup travaillé sur ce texte, ainsi que les orateurs des groupes. Au-delà des différences, des nuances, des oppositions, je crois que nous partageons tous le même but, celui de reconstruire, de refonder Mayotte et de lui redonner un avenir. Il est vrai que nous avons déjà beaucoup discuté de ce territoire à l'occasion de l'examen du premier texte qui y a été consacré ; vous avez ensuite travaillé sur le présent texte en commission des lois, après les sénateurs qui l'ont voté il y a quelques semaines en première lecture, et voilà que nous nous apprêtons à poursuivre ce débat tout au long de la semaine.

L'excellent Philippe Vigier qui, comme vous avez pu le constater, connaît parfaitement le dossier – merci pour vos mots, monsieur le rapporteur général –, a dit l'essentiel. J'aurai l'occasion d'y revenir au fur et à mesure du débat, lorsque nous examinerons les articles et les amendements, mais je voulais tout de même répondre sur certains points, afin d'éclairer les discussions que nous aurons à partir de ce soir.

S'agissant de la mise en œuvre de la loi d'urgence, sur laquelle la présidente Trouvé mais aussi Estelle Youssouffa, je crois, sont revenues, je voudrais rappeler qu'elle a habilité le Gouvernement à agir par ordonnance pour transformer l'Epfam – établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte. L'ordonnance relative au nouvel établissement public, je l'ai dit tout à l'heure, a été publiée le 23 mai 2025. Le recrutement du directeur général est en cours, madame Youssouffa : il sera nommé le 15 juillet. Si vous avez connaissance d'une loi qui aurait mis sur pied aussi rapidement un établissement public – je reconnais qu'il y a urgence et qu'il fallait aller vite –, je veux bien que vous m'en fassiez part !

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure
Les JO !

M. Manuel Valls, ministre d'État
Le conseil d'administration du nouvel établissement public sera présidé par le président du conseil départemental, à la suite d'une demande formulée par le conseil départemental lui-même. Quand j'entends dire que les élus ne sont pas associés, je crois donc qu'on se trompe ou alors qu'on a mal lu le texte ! Il se réunira en septembre.

La loi entérine des outils qui permettent d'accélérer la reconstruction et qui sont déjà mis en œuvre, notamment l'assouplissement des règles de la commande publique et des normes de construction. Il n'y a aucun doute sur le fait que l'établissement public, les collectivités locales et les entreprises se saisiront de ces outils. La loi prévoit également des mesures de soutien économique et social déjà appliquées, en particulier le PTZ qui est déployé dans cinq établissements bancaires en plus d'Action logement ; onze dossiers viennent d'être approuvés pour 1,6 million d'euros, et ce montant est évidemment amené à augmenter. S'agissant ensuite de l'activité partielle, près de 9 millions ont déjà été versés aux entreprises.

Les mesures prévues dans la loi sont donc déjà mises en œuvre ; on peut toujours aller plus vite, mais je remarque que des résultats sont déjà visibles.

Je ne reviendrai pas sur l'article 19, car nous en débattrons et je rejoins sur ce point ce qui vient d'être dit par Philippe Vigier. Cependant, j'ajoute qu'on ne peut pas en même temps déplorer que les chantiers mettent une éternité à se réaliser et refuser l'adaptation du droit quand elle permettrait de ne pas perdre un temps précieux dans la réalisation d'infrastructures. Je me permets de le dire aux deux députées de Mayotte, avec tout le respect que je leur dois, parce que je sais qu'elles portent avec passion et de manière concrète les aspirations des Mahorais : il ne s'agit pas d'une expropriation ! Dire cela ne correspond pas à la réalité.

Mme Estelle Youssouffa, rapporteure
C'est marqué noir sur blanc dans le texte, à l'article 19 : "expropriation" ! Il faut lire, hein !

M. Manuel Valls, ministre d'État
Que des peurs et des craintes s'expriment et qu'il y ait eu des interrogations par le passé, je le comprends tout à fait, mais ce n'est pas la réalité – Philippe Vigier vient de le redire. Quand il s'agira de construire l'aéroport, sur des terrains que vous connaissez très bien, madame Bamana, il nous faudra y travailler – et nous aurons toute la semaine pour en discuter.

Ensuite, madame Youssouffa, avec tout le respect et toute l'amitié que je vous dois, je veux rappeler que le rapport qui traite de la convergence sociale a été envoyé à tous les rapporteurs le samedi 7 juin et qu'il a été officiellement transmis au Parlement le 12 juin. On ne peut donc pas dire que le Parlement ne l'a pas reçu.

Madame Bamana, dire qu'il n'y a pas eu de concertation avec les élus est – pardon de vous le dire, je n'attendais pas cela de vous – un faux procès. La porte du ministère a été ouverte dès le début et l'est toujours ; plusieurs échanges ont eu lieu rue Oudinot, en visioconférence et bien sûr sur place, à Mayotte – vous-même y étiez régulièrement présente. Concernant les cinq priorités à propos desquelles nous serions selon vous sans réponse, je veux porter cinq éléments à votre connaissance.
Pour ce qui est de l'immigration, d'abord, 52 millions sont dédiés à la montée en gamme du dispositif de surveillance et d'interception.

M. Yoann Gillet
C'est trop peu !

M. Manuel Valls, ministre d'État
Nous prévoyons – je l'ai dit et cela a d'ailleurs été critiqué à l'instant par une autre partie de l'hémicycle – le durcissement des conditions de délivrance des titres de séjour pour motif familial. L'abrogation du titre de séjour territorialisé a dans un premier temps fait débat, mais nous avons trouvé une réponse satisfaisante.

En ce qui concerne la sécurité, nous apportons aussi des réponses : sont prévus un engagement ferme en faveur d'un renforcement des effectifs, des visites domiciliaires aux fins de rechercher des armes et l'autorisation donnée aux forces de sécurité intérieure de traverser des bangas.

S'agissant de l'eau, 730 millions d'euros sont prévus sur six ans. Ils permettront de lancer les travaux de l'usine de dessalement d'Ironi Bé, d'acquérir du foncier pour construire la troisième retenue et d'équiper Mayotte de dispositifs de récupération des eaux de pluie grâce à un plan d'action concret. France 2030 permettra de déployer des fontaines à eau atmosphérique. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)

Là aussi, c'est imparfait, mais au moins apportons-nous des réponses. C'est sans doute ce qui vous ennuie parfois : que nous essayions de trouver des solutions concrètes. D'autre part, je le répète, 2 millions de bouteilles d'eau ont été acheminées grâce à une chaîne logistique organisée par l'État et distribuées à la population depuis des "hubs" installés dans toutes les communes.

S'agissant du foncier, nous prévoyons des mesures pour faciliter les procédures liées aux titres de propriété à l'article 20 et pour lutter contre les bidonvilles à l'article 10. Là encore, nous apportons des réponses. Quant à l'égalité sociale, le texte habilite pour douze mois le Gouvernement à agir par ordonnances, dans le respect du dialogue social, afin de faire converger les droits sociaux. Ainsi, des engagements concrets ont été pris pour faire évoluer le smic dès janvier 2026. Madame Bamana, nous pouvons dialoguer et travailler ensemble sur bien des dossiers mais je regrette sincèrement que vous ayiez pu tenir de tels propos, car ils ne correspondent pas à la réalité. Je dirais même qu'ils sont caricaturaux. Même si je reconnais bien volontiers, après Philippe Vigier et d'autres, qu'il y a un passif, est-il bien nécessaire, au fond, d'alimenter ce sentiment de méfiance envers l'État alors que malheureusement, à cause du cyclone Chido, la situation a encore empiré ?

Je suis au contraire très fier d'être le ministre des outre-mer qui vous soumet deux projets de loi ambitieux susceptibles – du moins, je l'espère de tout cœur – de répondre à des attentes fortes. Ce qui vous ennuie, c'est que ce soit précisément ce Gouvernement qui soutienne de tels textes.

M. Yoann Gillet
Vous disiez la même chose il y a dix ans !

M. Manuel Valls, ministre d'État
Je dirai à présent quelques mots de la convergence sociale. Je veux articuler progression du smic et compétitivité des entreprises mahoraises. Notre objectif est la prospérité de Mayotte. Si la convergence est bien menée, ce vers quoi nous devons tendre, elle doit y contribuer. C'est le sens du calendrier progressif que nous avons prévu pour offrir de la visibilité aux entreprises ; c'est le sens de la concertation que le préfet et le général Pascal Facon mènent avec les acteurs économiques et sociaux depuis le 22 mai. Nous ne pourrons accélérer le calendrier, madame la rapporteure, qu'en accord avec les acteurs économiques et sociaux – ce sont les entreprises qui paient les salariés chaque mois.

Enfin, dès le 1er janvier 2026, le smic net sera revalorisé pour atteindre 87,5 % du montant du smic net en vigueur dans l'Hexagone. Tous les 1er janvier, jusqu'en 2031, il continuera à augmenter jusqu'à atteindre les 100 %.

J'ajouterai, pour répondre à M. Ratenon qui a évoqué la convergence des minima sociaux, que la portée sociale de ce texte est réelle : le 1er janvier 2027 marquera la première étape du relèvement de l'allocation aux adultes handicapés. Pour tenir compte des conclusions de la concertation, entre le 1er janvier 2027 et le 1er janvier 2029, le RSA sera relevé pour atteindre 71 % du montant national. Dès le 1er janvier 2029, l'AAH sera alignée. Au 1er janvier 2030, ce sera au tour de l'allocation de rentrée scolaire de l'être, et au 1er janvier 2031, celui du RSA. Je voudrais aller plus vite, mais – le rapporteur général a eu raison de le souligner – il faut garder la maîtrise de cette évolution. Je comprends parfaitement que l'attente soit difficile à supporter pour les Mahorais, mais nous avons défini un calendrier et c'est sur notre capacité à le tenir que nous serons jugés.

Madame la présidente K/Bidi, dans le projet de loi initial, huit articles se rapportaient à l'immigration et quatre à la sécurité – je ne pense pas que vous fassiez l'amalgame. Cela signifie que pas moins de vingt-deux articles traitent de tout autre chose que les questions migratoires ou les problématiques de sécurité, qui n'en existent pas moins, ce que vous savez très bien. Rappelons que sept compagnies de gendarmerie sont déployées à Mayotte, sans compter les forces de police nationale, et que cela ne suffit pourtant pas à éradiquer la violence et l'insécurité. Ce sont donc vingt-deux articles que nous avons consacrés aux mesures de convergence sociale, à l'attractivité, au recensement, à l'offre de soins, à l'institutionnel, et j'en passe.

De surcroît, dans le tableau de programmation financière, la lutte contre l'immigration irrégulière ne représente que 52 millions d'euros sur les 4 milliards engagés. S'il ne faut pas nier que ce combat ainsi que celui contre les bidonvilles sont essentiels, car si nous ne les menons pas, c'est sur du sable que nous reconstruirons Mayotte, n'oublions pas que c'est la convergence sociale qui est au cœur de ce projet de loi, au même titre que la reconstruction ou le financement des grands équipements. Nous nous attacherons à vous le prouver année après année, mais d'ores et déjà, le fait que le Parlement, Sénat et Assemblée nationale réunis, ait pris l'engagement d'inscrire 4 milliards, devrait vous rassurer : c'est le meilleur gage que nous puissions donner aux Mahorais. (M. le rapporteur général et M. le président de la commission des lois applaudissent.)

Mme la présidente
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 26 juin 2025