Déclaration de M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice, sur la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, au Sénat le 20 octobre 2025.

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Circonstance : Adoption au Sénat d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, présentée par MM. Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Hervé Marseille, Mme Muriel Jourda et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 317 [2024-2025], texte de la commission n° 28, rapport n° 27).

(…)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de vous retrouver aujourd'hui.

M. Roger Karoutchi. Nous aussi !

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. La petite histoire retiendra que j'aurai été, la même année, nommé trois fois garde des sceaux. C'est, me semble-t-il, un record… (Sourires.)

Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. L'année n'est pas finie… (Nouveaux sourires.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Il est des débats qui touchent, comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur, au cœur même de notre pacte national.

Il est aussi des débats où il s'agit non pas simplement de droit, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président Darnaud, mais de la manière dont nous voulons vivre la République, et finalement la France. Celui qui nous occupe est sans aucun doute de ceux-là et le Gouvernement salue l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de loi constitutionnelle.

En effet, au travers de ce texte, la question essentielle que vous nous posez est celle de notre appartenance commune à la République, au-delà de nos origines, de nos croyances, de nos histoires personnelles, de nos appartenances particulières, alors que notre société est en effet minée – peut-être un peu moins que les autres, mais minée quand même – par les replis individuels et communautaristes.

Depuis plus de deux siècles, notre Constitution, comme notre histoire, repose sur une idée puissante, car évidente : celle en vertu de laquelle il n'y a pas de liberté sans loi, pas de République sans règles communes, pas de nation sans unité civique.

C'est cette exigence sans cesse désirée, mais aussi sans cesse attaquée, que la proposition de loi que vous déposez veut rappeler, dans une époque où les fractures sont identitaires et où les séparatismes de toutes sortes menacent le lien républicain.

Le Gouvernement soutiendra donc l'initiative juste et nécessaire du Sénat.

Le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'affranchir de la norme commune est déjà, il est vrai, au cœur de notre droit. Il est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ou encore à l'article 1er de la Constitution de 1958, celle du général de Gaulle, qui proclame l'égalité de tous devant la loi, sans distinction d'origine ou de religion.

Mais, nous le savons tous, comme élus locaux et comme citoyens : rappeler ce qui fonde notre unité n'est jamais superflu. Pour la République aussi, il n'y a que des preuves d'amour, et ce chantier est sans cesse ouvert à l'effort, tant il est difficile – « Que Marianne était jolie », dit la chanson, mais après cinq Républiques se pose encore la question de son unité…

En tant que ministre de l'intérieur, j'ai moi-même mesuré à quel point ce rappel devait être concret, quotidien, vivant, et j'ai pu défendre devant vous des textes qui partagent la philosophie de celui que vous proposez – je songe évidemment à la loi dite Séparatisme, la loi confortant le respect des principes de la République, texte que le Sénat a largement soutenu, amendé et voté.

Votre proposition de loi constitutionnelle s'inscrit dans cette logique.

Initialement, elle visait, comme l'a très bien dit M. le rapporteur, à graver dans la Constitution une affirmation solennelle : aucune appartenance, aucune conviction ne peut justifier de s'exonérer de la loi applicable. Évidemment, le Gouvernement partage pleinement cette affirmation.

En commission, vous avez souhaité modifier la portée de votre texte en visant non plus " les règles applicables ", mais la " règle commune ".

Cette modification n'est pas neutre – c'est plus qu'une nuance : certes, elle ouvre des pistes nouvelles de travail, mais j'appelle l'attention de la Haute Assemblée sur la nécessité d'en mesurer dès à présent les effets s'il s'agit d'empêcher partout les dérogations à la loi républicaine, alors même que le Gouvernement soutient les mesures d'adaptation locales que vous appelez par ailleurs vous-mêmes de vos vœux : nous allons au-devant de quelques difficultés…

Cette interrogation ne doit cependant pas bloquer le débat. Elle doit l'éclairer et je ne doute pas que c'est en ce sens que la commission a souhaité orienter les discussions de ce jour. Il vous appartient donc de préciser ce qui doit l'être.

Au fond, ce que nous devons rechercher ensemble, c'est la République claire et forte, qui ne confond pas tolérance et renoncement, respect et complaisance. Cela étant, mesdames, messieurs les constituants, gare à ce que votre plume n'empêche pas l'atteinte d'objectifs que nous visons par ailleurs – je pense à l'initiative locale et à d'éventuels textes sur la décentralisation ou la déconcentration.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous trouverez le Gouvernement, qui s'exprime ici par ma voix, au soutien de votre objectif et de votre exigence de clarté républicaine.

L'heure n'est sans doute plus à la complaisance ; elle est encore moins à la résignation. Et, si notre Constitution doit, par votre travail, porter plus haut encore les valeurs d'unité et de cohésion, alors le débat qui s'ouvre aujourd'hui sera digne et nécessaire. (MM. Mathieu Darnaud, Roger Karoutchi et Francis Szpiner applaudissent.)


source https://www.senat.fr, le 30 octobre 2025