Interview de M. Jean-Pierre Farandou, ministre du travail et des solidarités, à France 2 le 12 novembre 2025, sur les carrières longues incluent dans la suspension de la réforme des retraites et le projet de loi de lutte contre les fraudes sociales et fiscales.

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Média : France 2

Texte intégral

GILLES BORNSTEIN
Bonjour Jean-Pierre FARANDOU. Les retraites au menu de l'Assemblée nationale aujourd'hui, les carrières longues pourront bénéficier de la suspension de la réforme des retraites. Concrètement, ça veut dire quoi ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Ça veut dire qu'effectivement, quand on a fignolé l'article qui va être proposé aux députés cet après-midi dans le cadre de la suspension de la réforme des retraites, on est revenu, en fait, à ce qu'avait dit le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, et donc on a intégré les carrières longues, donc c'est un dispositif de départ anticipé. On a aussi intégré ce qu'on appelle les catégories actives et super actives de la fonction publique.

GILLES BORNSTEIN
C'est qui précisément, concrètement ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Alors là, ce sont des métiers difficiles. Donc on pense aux policiers, on pense aux pompiers, on pense aux égoutiers, on pense aux pompiers professionnels, on pense aux contrôleurs aériens, donc des métiers soumis.

GILLES BORNSTEIN
Donc des gens qui pourront partir plus tôt ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Ce sont des gens qui pourront partir plus tôt, qui bénéficieront aussi de la suspension de la réforme, donc qui gagneront un trimestre, donc c'est important. C'est à peu près 20 % de personnes supplémentaires, donc voilà, c'est un ajustement. Et on revient exactement, ou quasiment exactement, au cadre qu'avait défini le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale.

GILLES BORNSTEIN
Comment cette nouvelle mesure est-elle financée ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Alors d'abord, on va rappeler que l'amendement il a été déposé donc, c'est fait, on l'a déposé à 8 heures, on est en plein dans l'actualité. Le financement, c'est une question importante, parce qu'effectivement, devant une dépense, alors cette dépense, elle est évaluée à 300 millions d'euros pour l'année prochaine, et en 2027, 1,9 milliard.

GILLES BORNSTEIN
Alors qu'au début, ça devait coûter 100 millions, pour cette année, finalement, ça devra coûter 400 millions ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
300.

GILLES BORNSTEIN
Et l'année prochaine, au lieu de coûter 1 milliard 6, 4 ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
4, 4, on passe à 1 milliard 9.

GILLES BORNSTEIN
1 milliard 9, d'accord.

JEAN-PIERRE FARANDOU
C'est ça, voilà les chiffres. Donc, de ce côté-là, vous savez que la semaine dernière, le Parlement, en fait l'Assemblée nationale, a voté la partie recette, le projet de loi de finances sur la sécurité sociale pour l'an prochain. Il y a 1,4 point de CSG supplémentaire, qui rapporte 2,7 milliards. Donc je pense que ce financement complémentaire sera de nature à être utilisé.

GILLES BORNSTEIN
Donc concrètement, ce ne sont pas les retraités eux-mêmes qui vont payer cet aménagement, tous les Français, grâce à une augmentation de la fiscalité sur le patrimoine ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
C'est ça, la CSG patrimoine, on va être sollicité à hauteur d'un point 4 supplémentaire, et ça permettra de financer donc la suspension de cette réforme jusqu'au 1er janvier 2028.

GILLES BORNSTEIN
La suspension en général, carrière longue ou pas carrière longue, le citoyen FARANDOU que j'ai en face de moi, il est convaincu ou il dit que c'est un mal nécessaire ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Je pense que cette suspension de la réforme des retraites, clairement, c'est d'abord un acte de stabilité politique. On voit bien que c'était une condition nécessaire.

GILLES BORNSTEIN
Donc vous n'êtes pas très convaincu. Il le faut, mais enfin bon.

JEAN-PIERRE FARANDOU
Non, mais la stabilité, je suis convaincu de la stabilité.

GILLES BORNSTEIN
Bien sûr.

JEAN-PIERRE FARANDOU
Il n'y a pas que moi, il y a en gros 61 % des Français qui ont besoin de cette stabilité. Ils ont bien compris qu'il faut qu'un Gouvernement puisse travailler pour répondre à leurs attentes. Il faut un budget pour la France, à la fois le budget général comme pour la sécurité sociale. Donc cet argument de stabilité, il est très fort. C'est aussi un temps utile. On va se servir du temps de la suspension. On a déjà amorcé une séquence de dialogue social par une conférence travail-retraite.

GILLES BORNSTEIN
Sans MEDEF.

JEAN-PIERRE FARANDOU
La porte est ouverte. Donc cette séquence de dialogue social est importante. On va beaucoup parler de travail. C'est peut-être l'élément qui manquait lors des deux présentes réformes. Et puis c'est aussi un temps de débat politique. Vous avez vu que certains partis commencent à arriver avec des propositions. Donc ce temps va être utile pour du dialogue social d'un côté, du débat politique de l'autre.

GILLES BORNSTEIN
Revenons sur les deux. Une conférence sans le MEDEF, c'est-à-dire il y a les syndicats patronaux, il y a les syndicats syndicaux. Là, il n'y a pas de patronat. À quoi ça sert ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Vous l'avez dit, il y a quand même deux syndicats patronaux qui sont là. Et il y a tous les syndicats représentant les salariés. Donc ce n'est pas rien. Quand vous les avez autour d'une table, vous savez, c'est important. Le MEDEF fait le choix pour le moment avec des arguments de nature politique, critiquant ce qui se passe au niveau du budget, de dire à cause de ça, on ne viendra pas. Moi, je suis convaincu que la place du MEDEF est autour de la table, bien évidemment. D'ailleurs, même la thématique exposée par son président autour du modèle productif fait partie des thèmes qui peuvent être dans la conférence.

GILLES BORNSTEIN
Mais là, ce que vous voulez dire, c'est que le MEDEF, au lieu de faire son métier, fait de la politique.

JEAN-PIERRE FARANDOU
Il choisit le MEDEF. Moi, je n'ai pas à commenter ce que fait le MEDEF. Moi, ce que je lui dis au MEDEF, bien sûr que votre place doit être là. Vous représentez des entreprises, des TPE, des PME, des grandes entreprises, je pense que vos représentants ont envie d'en parler, notamment du travail et des retraites, et de l'emploi. Vous voulez parler du modèle productif de la France ? Mais chiche, venez, si vous ne venez pas, on ne pourra pas en parler. Si vous venez, on en parlera.

GILLES BORNSTEIN
Le Sénat se penche à partir d'aujourd'hui. Vous avez une double activité, les retraites à l'Assemblée nationale et un texte au Sénat. Un projet de loi de lutte contre les fraudes sociales et fiscales. Vous espérez en tirer deux milliards d'euros. Ça paraît beaucoup.

JEAN-PIERRE FARANDOU
D'abord, sur la fraude, c'est important, parce que, moi, je suis du côté des Français et la plupart des Français, ils respectent les règles, aussi bien les employeurs que les salariés, ils respectent les règles. Une toute petite minorité triche et ne respecte pas les règles. Je crois que c'est notre devoir, en étant au Gouvernement, d'aller les repérer, les sanctionner et recouvrer ce qu'ils doivent. Parce qu'à la fin, on cherche de l'argent aussi. On estime que la fraude sociale, à treize milliards d'euros par an, c'est considérable. Il y a un objectif à deux milliards, mais pourquoi pas plus ? En tout cas, nous allons renforcer, à travers cette loi, nos moyens pour mieux repérer les fraudeurs, les sanctionner et recouvrer l'argent.

GILLES BORNSTEIN
Ça vous plaît, la politique ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Moi, je ne suis pas un homme politique. Vous le savez bien, je suis en entreprise publique. J'ai passé 45 ans à la SNCF, donc j'ai modestement essayé de bien faire tourner les trains dans ce pays. J'ai eu cette opportunité de plonger dans la chose publique. Vous savez, je suis très citoyen, je suis très républicain. Je préfère être acteur, modeste et humble, plutôt que spectateur.

GILLES BORNSTEIN
Je ne vous sens pas d'un enthousiasme délirant vis-à-vis de la politique ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
Parce que je ne suis pas un politicien, tout simplement. Je ne vais pas le devenir à 68 ans. Par contre, travailler pour les Français, essayer d'arranger... Dans le travail, il y a beaucoup de choses à faire. L'emploi des jeunes, l'emploi des seniors, les conditions de travail. Vous voyez, la tâche est immense. Si je peux la faire progresser pendant l'année, l'année et demie, où je serai ministre, peut-être, peut-être, je le ferai de tout mon cœur et avec toute mon énergie.

GILLES BORNSTEIN
Mais les députés, par exemple, disent qu'ils votent des amendements sans aucune étude d'impact, c'est-à-dire qu'ils votent des amendements sans savoir soit ce que ça va coûter, soit ce que ça va rapporter. De telles méthodes à la SNCF, c'était possible ? Un tel amateurisme en entreprise, ça existe ?

JEAN-PIERRE FARANDOU
C'est sûr que dans l'entreprise, on fait très attention aux comptes, mais je fais aussi attention aux comptes en tant que ministre du Travail, puisqu'avec mon collègue ministre de la Santé, on est responsable des comptes de la sécurité sociale. Ils nous inquiètent, ces comptes. Dans le projet de loi qu'on a présenté, on devait ramener le déficit à 17 milliards en partant de 23. Quand on a terminé la partie recette la semaine dernière, on était à vingt milliards.

GILLES BORNSTEIN
Il en manque trois.

JEAN-PIERRE FARANDOU
J'espère que la partie dépenses sera sérieuse et que nous arriverons ensemble à améliorer les comptes de la sécurité sociale, qui est un bien commun pour les Françaises et les Français, qui protège les Françaises et les Français, et qui normalement devrait tendre vers l'équilibre.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 novembre 2025