Déclaration de M. Sébastien Lecornu, Premier ministre, sur la décentralisation et la clarification à l'occasion de la clôture du 107e Congrès de l'Association des maires et présidents d'intercommunalité de France, Paris le 20 novembre 2025.

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Texte intégral

Monsieur le Maire,
Monsieur le Président,

Mon cher David et à travers vous, je salue l'ensemble des membres du bureau de l'Association des maires de France qui ont organisé ce magnifique congrès dans un moment si particulier et si singulier.

Si vous me le permettez, je ne vais pas lire le discours qui m'a été préparé. Je vais réagir sur plusieurs points que vous avez cités. On a commencé par entendre notre collègue Vittori depuis la jolie commune de Bouleau-Paris, dans la grande banlieue de Nouméa. Il faut savoir qu'en Nouvelle-Calédonie, il y a cette tradition (plus qu'une tradition, elle fait partie du rite coutumier) qui consiste à avoir un mot d'accueil pour celles et ceux qui viennent vous visiter. Et en retour, vous devez prononcer un peu le mot du cœur. Et au fond, dans la situation politique particulière, fragile, précaire, dans laquelle je me trouve et se trouvent les membres du Gouvernement, cela m'autorise paradoxalement à une forme de liberté.

D'autant plus, cher François Baroin, que lorsque j'avais 27 ans et que j'ai été élu maire de Vernon, que je me suis retrouvé ici pour la première fois pour ce congrès des maires et que j'ai voté pour vous, évidemment, monsieur le maire de Troyes, comme président de l'AMF, j'étais loin de me douter que plusieurs années plus tard, je me retrouverais ici comme Premier ministre.

Et à mon tour, je veux saluer Jacques Pélissard, dont tout le monde connaît le travail, l'investissement, la droiture, l'honnêteté. Si vous me permettez, j'aimerais qu'on l'applaudisse, puisqu'on lui doit beaucoup et que dans cette société dans laquelle, au fond, plus grand-monde regarde derrière soi, ne respecte pas toujours l'héritage, les racines, il ne faut jamais oublier que tout n'est pas facile, mais que, avant nous, tout un chacun s'est mobilisé pour faire du mieux qu'il pouvait pour améliorer la vie de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

Bon, ça a été dit 2020-2026. En 2020, en plus, j'étais votre ministre des Collectivités locales. Pour quel mandat ? Mandat de crise sanitaire du covid, économique et sociale, inflation, crise énergétique, guerre en Ukraine. André l'a rappelé dans la motion du bureau : climatique, sécheresse, incendie, inondation, crise agricole, et à mon tour, [je viens] saluer la particularité de ce travail en outre-mer où les catastrophes s'enchaînent, se multiplient, avec beaucoup de difficultés et de rigueur.

Et puis, bien sûr, les crises sécuritaires. Vous avez rappelé, M. le Maire, M. le Président, mon cher David, l'impulsion que l'association a donnée à la lutte contre le narcotrafic, qui est un combat qui va durer, auquel il va falloir s'adapter, adapter les moyens de l'État, la réponse locale, face à un adversaire qui, lui, est en train de muter. On aura l'occasion d'y revenir, notamment puisque le groupe socialiste à l'Assemblée nationale a sollicité un débat extraordinaire qu'on appelle le 50-1 à l'Assemblée nationale, que nous allons organiser. Et au fond, la première leçon que j'essaie de tirer à la fois comme élu local moi-même et comme membre du Gouvernement depuis quelques années : pourquoi, lorsqu'on est en crise, notre puissance publique fonctionne bien, État, collectivité locale, sécurité sociale, et lorsque la mer est calme, les difficultés, les rigidités réapparaissent ? On ne peut pas dire que lorsqu'on est en crise, il n'y a pas de la résilience. On ne peut pas dire que lorsqu'on a eu toutes ces crises, il n'y a pas eu d'efficacité. Et puis, j'invite à se comparer avec d'autres pays qui nous entourent, sans donner d'exemple, pour éviter un problème diplomatique inutile. Mais enfin, force est de constater que dans les crises que nous avons traversées, nous avons su nous organiser et trouver les mesures d'exception que vous avez décrites pour arriver à le faire. Et puis, quand les choses vont mieux, eh bien plusieurs esprits… et c'est culturel, je vais y revenir dans un instant, il y a quelque chose qu'il va nous falloir traiter en profondeur, et ça prendra du temps, mais qui fait qu'à un moment donné les choses se grippent au sein des puissances publiques, au pluriel. Et ça, je crois que c'est un point pour nous parce que c'est un congrès des maires particulier.

C'est la fin du mandat. Ça nous oblige donc à tirer quelques conclusions et à faire le bilan pour essayer de ne pas reproduire les mêmes erreurs à l'avenir pour le mandat qui va s'ouvrir entre 2026 et 2032. Mais pourquoi, lorsque la mer est calme, les difficultés réapparaissent-elles ? Ça, c'est la première question que je veux poser là et qui nous amène à dire que quelques conclusions, heureusement, ont été trouvées, parce que j'ai un peu cette antériorité en dépit de mon jeune âge. Je vois bien qu'il y a quelques années encore, on avait quelques hurluberlus qui nous auraient expliqué que la commune, c'était de l'histoire ancienne, que globalement, on peut faire 5 000 communes en France et basta, qu'on fera des économies avec tout ça. Heureusement, ce mouvement qui est fondamentalement contre-nature à notre histoire et à l'histoire de la République, à notre géographie, est derrière nous. Et on revient en quelque sorte un peu à Mirabeau en 1789. Chaque paroisse ou communauté de campagne devra se doter d'une municipalité. Et ça, je crois qu'on a réussi à le faire collectivement grâce à l'impulsion donnée par l'AMF, grâce aux travaux du Sénat, sur les correctifs de la loi NOTRe, qui, rappelez-vous, au début de ce mandat en 2020, plongeait la relation entre communes et intercommunalités dans des niveaux de rigidité inégalés. Et je note que nous n'avons pas parlé d'eau et d'assainissement, ce qui tend à démontrer tout de même que quelques solutions ont été trouvées au fur et à mesure du temps. Pareil sur la question des communes nouvelles où certains, là aussi, auraient aimé peut-être que ce mouvement soit brutal, obligatoire, et sur lequel je tiens à le réaffirmer ici : les communes nouvelles ne peuvent être décidées que par la volonté locale, que par la volonté des conseils municipaux. Et ça aussi, il faudra le défendre à l'avenir, et ne pas céder à toute forme d'impulsion un tout petit peu technocratique venue d'en haut, en forçant les regroupements locaux, comme si tout cela permettait véritablement de faire des économies.

L'autre conclusion que je crois que nous avons réussi à tirer collectivement, c'est que parfois, les plus belles des réformes, la manière de repenser le service public, la manière d'inventer de nouvelles politiques publiques se font par le terrain. Les exemples sont connus, mais je les cite tout de même : cœur de Ville, France services. J'ai vu Jacqueline Gourault consacrer un temps infini à convaincre l'ensemble des opérateurs de l'État, les CAF, les collectivités, les associations, la Poste, pour arriver justement à (je salue sa nouvelle présidente) être capable de faire un décloisonnement qui repart du terrain, qui s'adapte à nos concitoyennes et nos concitoyens, et non pas demander à la puissance publique, elle, de rigidifier encore davantage les choses pour nos concitoyennes et nos concitoyens qui sont parfois les plus du service public.

Je pense que la deuxième leçon, c'est qu'il ne faut pas réinventer la roue. Et pour ne pas réinventer la roue, il faut décloisonner. Et pour décloisonner, il faut repartir du terrain. Et comme c'est la bonne méthode, je vous propose aussi qu'on la mette là pour l'ensemble des politiques publiques à venir. Et merci pour ce qui a été dit et du soutien qui est affiché pour France santé dans un moment où la démographie médicale et l'accès aux soins restent plus que critiques, dans un moment ou l'offre de soins va se redévelopper grâce aux décisions qui ont pu être prises, notamment sur la fin du numerus clausus. Il est temps enfin de donner les compétences, les moyens, des budgets pour permettre aux élus locaux d'organiser cette offre de soins de proximité, notamment en lien avec nos pharmaciens. Cœur de ville, on le voit bien avec les polémiques récentes sur ces plateformes commerciales venues de Chine, avec un débat un peu surréaliste cette nuit à l'Assemblée nationale sur les petits colis. On voit bien qu'il va falloir imaginer une deuxième vague de Cœur de ville qui doit s'appuyer davantage sur la redynamisation des commerces de centre-ville, parce que là aussi, la mutation commerciale est brutale.

Je ne veux pas être trop long, parce que je ne veux pas couvrir tous les sujets, mais sachez que sur France santé, j'ai demandé à la ministre Gatel et à la ministre de la Santé, Stéphanie Rist, de revenir tout prochainement, monsieur le Président, devant le bureau de l'AMF pour arrêter une méthodologie qui permettra à chaque élu au début du prochain mandat de pourvoir aux besoins de France santé dans ses collectivités, ses intercommunalités. Pareil pour ce Cœur de ville deuxième vague que j'annonce devant vous cet après-midi, où les ministres Fournier et Papin auront la charge aussi d'imaginer ces dispositifs.

Après ces six dernières années, je n'ai pas la langue de bois, il y a des ratés. Et le principal raté, je pense que vous l'avez bien décrit, cher David, notamment en ayant le courage d'afficher cette liberté sur l'ensemble des murs du Congrès et en essayant de la réhabiliter, parce qu'elle fait partie de notre devise républicaine. Mais on voit bien qu'au fond, on perd peu à peu en liberté, tout simplement parce qu'on n'a plus à faire simple, et que le corollaire de la liberté, c'est aussi une forme d'humilité et de simplicité. Ça nous amène quand même au constat : pourquoi autant de normes ? Pas que parce qu'il y aurait des petits hommes gris dans les ministères qui auraient du plaisir à édicter des règles pour "emmerder" le monde. Il peut y en avoir quelques-uns. Mais ce sont comme les poissons volants, ce ne sont pas les espèces les plus courues.

La réalité, elle est plus profonde. Et à mon avis, elle dépasse le seul cadre de ce Congrès. Et elle doit épouser l'ensemble du débat public des temps à venir, y compris de la prochaine campagne présidentielle. La première des choses, évidemment, c'est qu'il y a une demande sociale, sociétale, très forte de protection en permanence : une crise, une loi. Et vous en savez quelque chose, parce que dans vos communes, dès qu'il arrive quelque chose, on se précipite dans le bureau du maire pour demander un arrêté municipal, pour demander une délibération. Et ce que vous vivez, vous, à l'échelle locale, il est évident qu'à l'échelle du pays, ce besoin de protection prend des tournures complètement gigantesques avec, au fond, une relation à l'État, à l'État au sens de la puissance publique dans son ensemble, qui est une relation tout à fait singulière, parce que dans notre pays, l'État a précédé la nation. Et de cela, dans la relation que le citoyen entretient avec l'ensemble des acteurs de la puissance publique, il en reste quelque chose.

La deuxième des choses, je pense qu'il faut la traiter avec calme et méthode, mais vous l'avez dit, mon cher David, c'est évidemment la question de la judiciarisation et la question du risque administratif. Si les règlements à tous les niveaux deviennent plus longs, plus rigides, plus précis, c'est tout simplement que tous les acteurs de la chaîne de la puissance publique agissent en défensif, et pas seulement les maires ou les fonctionnaires territoriaux, auxquels j'aimerais rendre un hommage, parce que derrière nos collectivités, départements, régions, intercommunalités, communes, il y a les agents, évidemment, qui rendent ce service public et qui ont choisi cet engagement, mais c'est vrai aussi des membres du corps préfectoral, dont une soixantaine d'entre eux connaissent les difficultés de nature judiciaire sur les actes qu'ils ont pu signer. Et donc, il ne s'agit absolument pas de remettre en cause l'autorité judiciaire ou l'État de droit, comme certains voudraient le faire, certains démagogues, mais c'est juste de se dire que le magistrat est là pour appliquer la loi de la République. Cela veut dire que si certaines lois sont mal écrites, il faut donc que les parlementaires pourvoient à leur modification et à leur clarification. Mais il est une évidence que cette question de la judiciarisation du risque pénal est quelque chose qui nous bloquera, y compris dans notre mouvement de décentralisation. Et ce qui est vrai pour le décideur public est vrai aussi pour le responsable associatif ou le chef d'entreprise. Et ça, ça demande courage, méthode et refus de toute forme de démagogie et de remise en cause de l'État de droit et de l'autorité judiciaire. J'insiste sur ce point.

L'autre raison, évidemment, c'est que chaque échelon rajoute une strate à chaque fois sans jamais la supprimer. Ça pose aussi la question, évidemment, de la surtransposition des directives européennes, qui est un mal parfois français, pas toujours. Et puis, mettons les pieds dans le plat, il y a quand même une forme de jacobinisme parisien dans la culture du pays, qui tente à se transformer, mesdames et messieurs les élus locaux, en jacobinisme régional depuis que les grandes régions existent, dans lequel on dit qu'il ne faut plus que ce soit Paris qui s'en occupe. Moyennant quoi, ce n'est plus Paris qui s'en occupe, mais ce n'est pas forcément non plus le local qui s'en occupe. Et ça, c'est un point de préoccupation, me semble-t-il, important, parce que l'histoire du pays, c'est l'État, et d'ailleurs l'élection présidentielle est l'élection favorite de nos concitoyens, avec l'élection municipale, parce que c'est l'élection communale. Et au fond, on revient à cette organisation du pays qui correspond à notre histoire.

Cela veut dire, et c'est ma troisième leçon : on y arrivera, et on n'y arrivera qu'avec deux grands changements culturels. Le premier, c'est d'arriver, enfin, à trancher ce débat entre liberté et égalité. Est-ce qu'on est prêts vraiment à accepter que les choses soient gérées différemment à Troyes, à Cannes ou à Vernon ? Tout le monde dit que oui. Dès qu'on se retrouve dans l'Hémicycle de l'Assemblée nationale ou du Sénat, on voit que plus personne n'est d'accord. Et cette question, ce débat entre liberté et égalité, est un très vieux débat dans la République. C'est quasiment un débat d'élection présidentielle. Mais enfin, il est clair que pour avancer, je vais y revenir dans un instant, sur la relation entre l'État et les collectivités locales, jusqu'à quel point on est prêt à consentir à une différenciation ?

Comme ancien ministre des outre-mer (François l'a été aussi) on le voit bien que l'histoire a fait son chemin, et pour cause. Quelle histoire ! Nous avons dû faire ce chemin. Dans l'Hexagone, c'est une autre question qui se pose. Et je pense qu'il faut la traiter le plus calmement possible. Mais c'est le nœud gordien, à mon avis, qu'il faut dénouer de la plupart des points que vous avez cités dans votre discours.

Et puis la deuxième des choses, vous l'avez dit, c'est confiance ou défiance. Et ça, c'est malheureusement, à mon avis, un changement culturel encore plus profond, parce que dans une société dans laquelle tout le monde se méfie de l'autre, dans laquelle on le voit bien, diviser est plus facile qu'additionner, de dire "ce n'est pas moi, c'est les autres", ici, c'est la faute de la mairie, ici, c'est la faute du département, là, c'est la faute de l'intercommunalité, là, c'est la faute de l'Europe, là, c'est la faute de l'État, là, c'est la faute de la justice. De ce climat, il en sort évidemment quelque chose qu'il va nous falloir rompre, en tout cas rompre avec urgence, parce que le prochain mandat municipal sera un enfer si nous ne sommes pas capables de recréer les conditions de la confiance.

Alors concrètement, qu'est-ce qu'on peut faire ? Moi, je l'ai dit depuis mes premiers jours à Matignon : je ne suis pas un Premier ministre complètement comme les autres, par la précarité, disais-je, de la situation politique, par la gestion de crise que nous devons gérer avec les membres du Gouvernement, avec les parlementaires.

Mais entre le grand soir et les grandes annonces non suivies des faits et quelques mesures, me semble-t-il, pleines de bon sens, je pense qu'on peut y arriver. On peut y arriver, déjà, le premier point : sur la décentralisation. Et merci de la motion qui a été lue par André, car André, dans son discours d'ouverture du Congrès, a dit que la décentralisation pouvait être un mirage. Et c'est vrai que, parfois, ce fut potentiellement un début de mirage. Je pense que la question désormais est posée de comment on prend ce débat de la décentralisation. Qu'est-ce que l'on attend de l'État ? Et je pense que c'est la première question qu'il faut se poser au moment où on le voit bien avec la lutte que nous devons avoir contre les narcotrafiquants, le besoin de réarmement, comme ancien ministre des Armées, je peux en témoigner, où nos forces armées vont avoir besoin de plus en plus de moyens, y compris parce que nous devons défendre notre indépendance, c'est-à-dire ne dépendre ni de Moscou, ni de Pékin, ni de Washington pour produire nos armes, tout cela va forcément avoir un coût important. Et donc pour défendre cette indépendance, il va falloir se poser la question essentielle : quelle est la première des choses que l'on attend de l'État ? Et donc derrière, évidemment, c'est le principe de subsidiarité. C'est le premier point qu'il faut évidemment mettre sur la table, qui va nous permettre de réhabiliter la proximité.

Puis, la deuxième des choses, c'est évidemment la clarification. Et plutôt que de faire un grand soir d'une décentralisation conceptuelle et théorique, je vous propose de repartir de certaines politiques publiques. Vincent JEANMBRUN, ancien maire d'une commune francilienne bien connue, est parmi nous comme ministre du Logement : "il est une évidence que la compétence logement, les politiques publiques autour du logement doivent faire l'objet d'une grande clarification". Ça a été dit. PLU, PLUi, SCoT, zonage fiscaux, rénovation thermique, instruction évidemment des autorisations d'urbanisme, logement social. Pour être direct, il y a "trop de cuisiniers dans la cuisine", et on ne sait plus qui fait quoi. Et moyennant quoi, on le voit bien, on a une attente très forte de nos concitoyens en matière de logement parce qu'il en va évidemment de la vie de notre filière BTP. Il en va évidemment de la question du pouvoir d'achat, parce qu'on ne peut pas parler de la question du pouvoir d'achat des Françaises et des Français sans traiter évidemment la question du logement. Puis, il en va même du cœur même de la responsabilité du Conseil municipal et des élus locaux, parce qu'aménager la commune, c'est le sens même de la décentralisation. Est-ce qu'on peut attendre l'élection présidentielle pour dénouer cette question du logement ? Je ne le pense pas. Je ne le pense pas. Et c'est pour cela que, après la proposition de loi d'un député qui s'appelle Monsieur HUWART, je souhaite que ce projet de loi portant décentralisation et clarification puisse être inscrit au Conseil des ministres avant Noël. Parce que la réalité, c'est qu'il y a de la place et il y a un chemin au Parlement et au Sénat et à l'Assemblée nationale pour entamer un début de cette réforme de l'État que nous appelons tous de nos vœux et qui nous permettra un début de clarification, notamment sur quelques politiques publiques qui sont urgentes pour le prochain mandat municipal. On ne va pas expliquer aux nouveaux élus, de mars de l'année prochaine, qu'on va encore prendre un an ou deux pour réfléchir ou pour travailler alors qu'on sait tous globalement par quel bout il faut prendre cette affaire. Donc ça, c'est une proposition évidemment que je fais.

Et puis la deuxième des raisons pour la décentralisation, et ça a été très bien dit pendant ces jours de congrès : le pouvoir doit circuler dans le pays. Ce qui est vrai pour la démocratie locale vaut également pour la démocratie sociale, le paritarisme, la relation entre les syndicats représentant les travailleurs et les organisations patronales. Ce centralisme-là, ce sentiment de confiscation du pouvoir est en train de bloquer le pays et de bloquer en grande partie la croissance. Et d'aucuns diront que oui, ça fait plusieurs années que ça dure. La réalité, c'est que ça fait 20 ou 30 ans que, lentement, culturellement, politiquement, cette centralisation est en train de se refaire. Est-ce que, oui ou non, on croit encore dans les grands fondamentaux, notamment ceux que le Général DE GAULLE nous a laissés, en matière de démocratie sociale, et même dans les grands prémices d'une nouvelle organisation du pays telle qu'il l'avait dessinée ? On y revient. C'est la réforme de l'État.

La deuxième des choses que je vous propose, c'est enfin de se faire confiance et de supprimer, d'élaguer la plupart des normes, en tout cas celles qui dépendent du pouvoir réglementaire, c'est-à-dire du Gouvernement. Je peux m'y engager dès maintenant devant vous. Je vois plusieurs pistes pour avancer et répondre précisément à la motion et à vos attentes. La première, c'est que certaines normes sont pavées de bonnes intentions, notamment environnementales. Il ne faut pas chercher à dégrader l'ambition, parce que nous sommes par ailleurs largement attendus sur le sujet. Sauf que la manière de les mettre en œuvre, les moyens pour les mettre en œuvre, et pire que cela, le calendrier pour les mettre en œuvre, sont complètement déconnectés de toute forme de réalité. Je vais vous prendre un exemple : ce qu'on appelle le décret tertiaire qui est le décret d'obligation pour l'automatisation de tout ce qui relève du chauffage et de la climatisation. Est-ce qu'il faut aller vers un meilleur pilotage des énergies dans les bâtiments municipaux ? Oui, c'est une évidence. C'est même une source d'économie, et c'est bon pour la planète. Mais tel que le décret est écrit aujourd'hui, l'obligation va tomber sur l'ensemble des communes en 2027, c'est-à-dire un an après le début du mandat municipal. Quelle équipe municipale renouvelée, ou pire ou mieux, je n'en sais rien, qui va s'installer dans les conseils municipaux en mars prochain, peut, dès la première année, dire : "voilà, on va consacrer toute notre énergie à appliquer une norme qui descend". Eh bien ça, je vais modifier ces décrets tertiaires conformément à votre demande, monsieur le Président LISNARD, pour réétaler l'ensemble de la pente de ces normes. Ce qu'on va faire sur le décret tertiaire, on va le faire sur l'ensemble des autres normes, pour tout simplement à nous de nous adapter à la réalité du mandat municipal, c'est-à-dire 2026-2032, et de faire en sorte, par exemple (mais vous serez consulté), que cette obligation tombe en 2030. La commande publique... [Applaudissements].

La commande publique : 100 000 euros le seuil pour les marchés de travaux. C'était une dérogation, et normalement, l'année prochaine, c'est terminé. Pourquoi mettre fin à cette dérogation ? Et donc là aussi, je vais prolonger ce seuil à 100 000 euros pour l'ensemble des marchés de travaux. C'est du bon sens ! [Applaudissements]. Le seuil à 40 000 euros pour les acquisitions de fournitures, qui est fondamentalement un acte d'achat récurrent, quelle que soit la taille des collectivités territoriales. Pourquoi 40 000 euros, alors que le maximum peut être mis à 60 000 euros ? Je vais donc prendre un décret pour mettre à 60 000 euros le seuil pour les marchés publics, pour les achats de fournitures [applaudissements]. Et puis, si on va plus loin, pas besoin de recommander des rapports. Pas besoin d'aller chercher encore à gagner du temps ou à en perdre. Vous avez des missions, celles du maire de Charleville-Mézières, Boris RAVIGNON, la mission de l'ancien ministre Éric WOERTH, le travail, cher Gilles CARREZ, du Comité national d'évaluation des normes. Toutes les pistes sont déjà sur la table. Et je me suis fait sortir, justement, quelques exemples. Quelques exemples qui pourraient nous permettre de prendre d'ici à Noël un premier méga-décret, en quelque sorte, qui va nous permettre d'élaguer beaucoup de normes et beaucoup de décrets qui me semblent complètement surréalistes. Alors celles et ceux qui vont nous écouter à l'extérieur, qui ne sont pas élus locaux, vont sans doute trouver ça un peu bizarre. Je tiens tout de suite à les prévenir. Mais : autoriser la réunion des Commissions départementales de coopération intercommunale, les CDCI, en visioconférence ; ne pas organiser les élections au Comité des finances locales lorsqu'une seule liste est candidate ; autoriser la fusion de tous les registres de délibération des collectivités locales ; supprimer l'obligation de signature des formulaires CERFA pour les autorisations du droit du sol ; fin de l'obligation d'impression des documents d'urbanisme pour diffusion ; réduire les délais de la Commission départementale d'aménagement commercial et l'autoriser, c'est révolutionnaire, sa réunion en visioconférence ; supprimer l'obligation de contrôle bimensuel des incinérateurs (vous en parliez) ; ne plus transmettre obligatoirement certains actes de ressources humaines mineures des collectivités au contrôle de légalité ; considérer de facto que les établissements publics d'une commune, le CCAS entre autres, sont régis par la même strate démographique que leur commune de rattachement ; autoriser la réunion d'un conseil de discipline ailleurs qu'au centre de gestion ; fusionner tous les bilans annuels sociaux en un seul document à présenter à l'assemblée délibérante ; assouplir les conditions de délégation entre les présidents d'un CCAS et le maire ; relever le seuil de déclenchement de la procédure de concours d'architectes ; supprimer certaines obligations de formation pour des agents les ayant déjà suivis dans leur poste antérieur et ma préférée ; suppression de l'obligation annuelle de vidange des piscines municipales. [Applaudissements].

Ça peut paraître dérisoire, ça peut paraître simple, c'est la vie quotidienne de nos élus, des 500 ou 600 000 élus locaux du pays qui connaissent justement ces rigidités, et donc, je vais prendre un décret pour prendre l'ensemble de ces mesures tout prochainement, les 30 premières en décembre, et, monsieur le Président LISNARD, vous serez saisi d'un certain nombre de propositions de simplification, notamment pour 70 nouvelles mesures entre janvier et février.

Je souhaite que le début du prochain mandat municipal puisse se faire dans la plus grande des simplicités, en tout cas à la mesure de ce que le Gouvernement peut faire avec son pouvoir réglementaire. Et là, ça s'appelle se faire confiance, mais il faudra être solidaire, parce que j'entends déjà ceux qui vont nous dire : "Mais qu'est-ce qui va se passer dans telle commune dans laquelle le maire n'ira pas faire la vidange municipale ?" Eh bien, le maire sera battu parce que c'est la démocratie locale. Et ceux qui ne sont pas contents, ils n'ont qu'à être candidats aux élections municipales en mars prochain. Parce que c'est ça la démocratie locale. C'est d'accepter avec humilité d'aller devant les électeurs et de faire confiance à celles et ceux qui sont le mieux placés pour prendre ces décisions. Dans les ratés, je dois bien avouer qu'il y a aussi le manque de lisibilité de toutes les questions qui tiennent aux finances locales. À court terme, ça a été dit, et j'y souscris, il y a de l'inquiétude sur la copie du projet de loi de finances pour l'année prochaine. Et ça a été dit en bonne intelligence, comme toujours, avec le président Gérard LARCHER. J'ai donné mandat au ministre, avec le président LARCHER, avec le rapporteur général HUSSON, avec les commissions compétentes au Sénat, de trouver le meilleur équilibre entre rétablissement de nos finances publiques, mais surtout, ne pas, d'une part, manquer à la parole de l'État (ça a été dit sur le Dilico). Et d'autre part, s'assurer d'avoir une bonne visibilité, une clarté financière pour l'année prochaine.

Mais si vous me permettez, deux commentaires : je pense qu'on est quand même au bout d'un cycle. Plus personne ne comprend rien à la manière dont notre organisation fonctionne. Plus personne n'est capable d'expliquer comment la DGF est calculée. Plus personne n'est capable de justifier la péréquation de cette DGF entre la DSU et la DSR. Pardon, la DSU pour les communes urbaines les plus fragiles, la DSR pour les communes rurales les plus fragiles. Le débat encore agité par quelques démagogues sur la taxe foncière depuis deux jours, sur les assiettes de cette taxe foncière qui, quand même, date de 1959. Donc, on ne peut pas faire semblant de découvrir hier la manière dont ça fonctionne. Est-ce que c'est satisfaisant ? Est-ce que c'est encore adapté à la manière de faire ? La réponse est non. Est-ce qu'il faut sans doute réviser la manière dont on calcule les bases des valeurs locatives ? Sans doute. Est-ce que c'est simple ? Non, parce que sinon nos prédécesseurs l'auraient déjà fait. Mais en revanche, on ne peut pas balayer cette question d'un revers de main.

Et puis, un autre commentaire tout de même, parce que je ne voudrais pas qu'on fasse semblant : il y a les mesures qui sont dans le budget. Et il y a les impacts pour les collectivités territoriales de l'absence de budget. Et je ne voudrais quand même pas évoquer devant vous en responsabilité et avec la plus grande des transparences ce que pourrait produire l'absence totale de budget pour l'année prochaine pour les collectivités, en plus année électorale. Je parlais de péréquation des dotations de l'État, zéro péréquation. On se parle de DETR ou de décile. En cas d'absence de budget pour l'année prochaine, ça sera : aucune dotation d'investissement. Donc entre un budget non acceptable pour les collectivités locales, je viens de le dire, je l'entends parfaitement, je l'ai compris, et je le mesure, vous le savez, et de l'autre côté, l'absence de budget, je pense que le chemin de responsabilité doit être quelque part entre les deux. Et je suis à peu près certain qu'on arrivera à le trouver.

La dernière chose, ce n'est pas un raté, cher David, mais je pense que c'est un angle mort de toute la période récente : c'est le maire comme agent de l'État. Et ça a été dit sur les différentes crises. J'avais oublié que si les maires, tout à l'heure, madame la maire d'arrondissement et le maire de Saint-Denis, ont porté leur écharpe sur la tribune, si les maires peuvent porter cette écharpe depuis le décret du 20 mars 1790, le lendemain de la Révolution française, c'est parce qu'ils sont agents de l'État dans la Commune, et que le tricolore, l'autorisation de porter le tricolore pour un maire et un adjoint, ce n'est pas parce qu'ils sont chefs d'une collectivité territoriale décentralisée, c'est parce qu'ils sont agents de l'État, officiers de police judiciaire et officiers d'État civil. Et au fond, ça pose toute la question de ce que vous appelez, cher David, le pouvoir réglementaire local. Moi, je vais plus loin. J'appelle cela renforcer le pouvoir de police, parce que depuis l'Empire, depuis le 22 janvier 1801, vous avez un arrêté toujours en vigueur qui confie , de l'État au préfet, et du préfet au maire, des pouvoirs qui sont sans comparaison avec les pouvoirs qui peuvent être donnés à d'autres élus locaux dans d'autres démocraties européennes. Et cela pose au fond la question d'ouvrir ce chantier qui est un chantier de subsidiarité. C'est un chantier qui doit permettre de mettre les élus davantage au cœur des préoccupations régaliennes. Mais pour cela, il faut leur en donner les moyens. Et là, je vous propose, sans attendre, de répondre aussi à une demande forte de l'AMF depuis de nombreuses années. La plus récente, c'est de voir inscrit le plus rapidement possible le projet de loi sur les polices municipales, qui est un texte qui a été travaillé par les ministres Bruno RETAILLEAU et François-Noël BUFFET, et donc j'ai souhaité non seulement qu'il soit délibéré en Conseil des ministres, il sera inscrit prochainement, et je souhaite qu'il puisse être voté avant les élections municipales pour permettre à toutes les communes de France, non seulement pour leurs polices municipales, mais aussi pour leurs gardes champêtres, d'avoir des moyens nouveaux pour ce faire.

Et la deuxième des choses, c'est qu'on ne peut pas demander au maire, agent de l'État, de prendre sans cesse plus de risques sans voir ce risque reconnu. Et donc j'ai demandé au ministre de travailler un principe de prime régalienne qui ferait écho au fond à notre histoire, une prime qui pourrait représenter 500 euros par an pour chaque maire, quelle que soit la taille de la commune, pour justement venir le reconnaître et sécuriser sa capacité à prendre un certain nombre d'actes au nom de l'État, comme agent de l'État, et c'est aussi une proposition que je vous fais au bureau de l'AMF, c'est de réfléchir aussi par cette réforme de l'État, à la place que le maire doit occuper à l'avenir pour ce sujet.

Enfin, et ce sera ma conclusion, j'ai pris des notes pendant que vous parliez, et j'en avais pris pendant ces derniers jours, sachant que j'intervenais devant vous : on sent quand même tous qu'il y a quelque chose de grave qui se passe, et quelque chose qui peut nous dépasser. Et à mon tour, je veux dire : "Bienheureuses et bienheureux celles et ceux qui s'engagent". Et merci à celles et ceux qui se sont engagés et qui vont bientôt effectivement raccrocher l'écharpe. Bienheureuses et bienheureux celles et ceux qui vont pousser la porte d'un conseil municipal en mars prochain. Et à mon tour, je veux vraiment saluer le travail de Françoise GATEL sur ce statut pour les élus. Ça fait 20 ans que l'on parle d'un statut pour les élus locaux. Et enfin, grâce à l'accord trouvé entre l'Assemblée nationale et le Sénat, on a ce statut des élus locaux, singulièrement des élus municipaux, pour le prochain mandat 2026-2032, pour avoir des conseils municipaux qui ressemblent aux Françaises et aux Français d'aujourd'hui et de demain, pour avoir des outils de protection contre les violences, des outils de protection notamment sur le terrain juridique, pour concilier la vie professionnelle, personnelle et municipale, et là aussi permettre une plus juste reconnaissance des mandats locaux.

Et en fond, on le voit bien, derrière ce statut de l'élu qui n'est pas une récompense, qui n'est pas quelque chose pour dire merci. En fait, on est en train de jouer progressivement quelque chose de beaucoup plus grave et, je le crois en tout cas, de beaucoup plus important. C'est, au fond : est-ce qu'on est encore capable de sauver la démocratie représentative, du conseil municipal, évidemment, jusqu'à la démocratie parlementaire ? Et ce que je cherche à faire, et ce n'est pas facile, depuis maintenant plus de deux mois et demi, c'est faire en sorte que, coûte que coûte, l'Assemblée nationale et le Sénat, mais singulièrement en ce moment, vous le savez, l'Assemblée nationale, puisse fonctionner. Parce que je ne vois pas beaucoup de bonnes nouvelles pour le pays issues du désordre politique. Je ne vois pas beaucoup de progrès social qui peut sortir du désordre politique. Je ne vois pas non plus beaucoup d'avancées pour les collectivités territoriales, les services publics de proximité, pour celles et ceux qui vont s'engager demain pour leur territoire dans un désordre politique. Et puis quelque part, on le voit tous bien, dans un moment si dur sur le terrain géopolitique, la France ne peut pas se permettre un déclin uniquement sur fond de désordre politique. Et cela, coûte que coûte, il faut y arriver, arriver à sauver la démocratie représentative, arriver à faire en sorte qu'un chemin de compromis puisse être trouvé, non pas tellement pour la stabilité ou la survie de votre serviteur. À vrai dire, on s'en moque un peu (en tout cas, il faut savoir s'en moquer), mais parce qu'on sent tous très très bien que quelque chose de grave peut advenir et que plus que jamais, les élus locaux, les élus nationaux, les ministres, le président de la République, bref, toutes celles et ceux qui ont décidé de s'engager, quelles que soient nos opinions politiques, on donne le meilleur de nous-mêmes pour faire en sorte que la République puisse avancer.

Vive la liberté, vive les communes de France, vive la République et vive la France !


Source https://www.info.gouv.fr, le 24 novembre 2025