Texte intégral
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup, Monsieur le Chancelier, cher Friedrich, pour l'accueil et pour l'organisation de ce sommet, pour les mots que vous venez de prononcer.
Je ne veux pas ici paraphraser ce que le Chancelier vient de dire, mais ce sommet est une concrétisation de ce que nous avons ensemble décidé et de ce réflexe franco-allemand pour faire avancer à la fois nos écosystèmes, nos économies et notre Europe. C'est un peu la même démarche qu'on veut avoir quand on parle d'automobile ou quand on parle d'espace, c'est-à-dire une action concrète où l'Allemagne et la France bâtissent de commun des convergences et portent aussi un agenda commun en Europe.
Monsieur le Chancelier vient de le dire, notre premier objectif, et je crois que c'était confirmé par la discussion qu'on vient d'avoir avec des entrepreneurs et des investisseurs, c'est de poursuivre un agenda de simplification que nous poussons depuis plusieurs mois. On est en train de continuer à pousser pour simplifier des règles qui sont trop contraignantes dans notre Europe et qui pèsent sur la compétitivité de nos entreprises. C'est ce qu'on fait sur CSRD, CS3D et d'autres.
C'est aussi ce qu'on veut faire pour simplifier et approfondir notre marché unique, c'est-à-dire lever des règles qui entravent la réalité de ce que devrait être le marché unique, c'est-à-dire un marché de 450 millions d'habitants. Ensemble, nous poussons pour avoir un marché unique du numérique beaucoup plus intégré, et ça a été rappelé par nous deux tout à l'heure, par un marché des capitaux et donc de l'épargne et de l'investissement beaucoup plus intégré en Europe ce qui est absolument vital si on veut réussir la bataille du numérique, qu'il s'agisse de l'intelligence artificielle ou du quantique, parce qu'elle requiert beaucoup d'investissements publics et privés. Donc, il faut avoir justement cette simplification européenne. De manière plus spécifique, ce sommet a permis de bâtir deux convergences franco-allemandes qu'on va relayer au niveau européen maintenant. On demande ensemble à la Commission européenne le report d'un an des dispositions du règlement sur l'intelligence artificielle concernant les systèmes d'IA à haut risque, ce qui était un point important pour nos systèmes d'innovation. Nous demandons ensemble une simplification du règlement général sur la protection des données, là aussi pour avoir une approche plus proportionnée. Évidemment, on tient beaucoup à cette réglementation, mais on a ensemble sorti un texte qui permet d'avoir une approche beaucoup plus proportionnée et d'évaluation, justement, des risques.
Ensuite, sur l'innovation, deuxième chose après la simplification, si nous voulons plus de souveraineté européenne, il faut des acteurs européens qui innovent et qui proposent des solutions pleinement compétitives. On a aujourd'hui deux écosystèmes très forts, avec des grands groupes, mais des acteurs émergents également, une offre complète d'infrastructures, et donc, on veut continuer notre agenda d'innovation. 1) Nous avons confirmé plusieurs programmes de formation, on les a dans nos stratégies respectives, pour continuer d'avancer, de former des talents et de les échanger. 2) On a besoin d'infrastructures critiques, en particulier infrastructures de calcul, laboratoires de recherche de pointe et autres. Là, c'est tout ce que nous faisons pour les supercalculateurs. Par exemple, ce qui est fait de commun, et c'est une bonne avancée aussi de ce sommet, entre le supercalculateur Alice Recoque en France et Jupiter en Allemagne, ce sont aussi des initiatives qu'on a avec AI Factory et AI Gigafactory lancées par la Commission européenne. Et c'est le sens de l'initiative annoncée sur l'IA dite de frontière qui doit permettre la reconnaissance des meilleurs centres de recherche en IA en Europe. S'appuyant d'ailleurs sur ce qu'on a pu faire dans nos différents pays. On a mis en place des clusters IA en France ces dernières années qui vont totalement dans ce sens.
Donc, pour l'innovation, c'est l'accélération de nos formations, des centres d'excellence allemands-français, franco-allemands et communs, et des infrastructures de calculs indispensables en plus grand nombre et consolidées ensemble. Nous continuerons à porter le même agenda d'innovation au niveau européen. Ça vaut pour l'IA, ça vaut aussi pour le quantique, les semi-conducteurs, les architectures de réseau.
Le troisième point, c'est ce que j'appellerais la protection. On a besoin, si on veut avoir en effet une plus grande souveraineté européenne, de protéger d'abord nos données. C'est pour ça qu'on soutient un agenda commun, justement, de préservation de nos données en Europe et de protection à l'égard des lois extraterritoriales ou de ce qui peut les menacer. Donc la certification de la cybersécurité pour les services de cloud est à cet égard un agenda très important et une initiative importante à venir.
Ensuite, nous voulons ensemble agir pour avoir une préférence européenne, et c'est exactement ce que nous avons fait — et je trouve que c'est l'un des débouchés très concrets de ce sommet — en matière de services et d'intelligence artificielle pour nos administrations. On a deux grands champions, un champion historique du logiciel qui est SAP en Allemagne, un champion des modèles et de l'IA générative, qui est Mistral AI en France, ils se sont mis ensemble pour justement permettre d'avoir de l'apport, du soutien et d'avoir une solution franco-allemande.
On a signé une lettre d'intention ensemble, faisant que nos gouvernements s'engagent, à prendre l'offre commune Mistral-SAP. C'est l'illustration d'un agenda franco-allemand où on met l'IA en commun avec des entreprises puissantes européennes et où on décide de bâtir un agenda franco-allemand d'achat, une préférence européenne. Il y a d'autres solutions qui sont non européennes, mais on avance ce faisant. Je pense que cet exemple est extrêmement important, comme plusieurs autres, qui sont la concrétisation de ce que nous venons de faire, plus les régulations pour protéger les offres européennes.
Je ne veux pas être plus long. Mais voilà, simplification, innovation et protection par la préférence européenne sont à mes yeux des axes très importants qui ressortent de ce sommet et qui nous permettent d'avancer sur ce réflexe franco-allemand, cette convergence entre nos deux pays pour bâtir un agenda commun d'abord pour nos écosystèmes et nos économies, mais également pour pousser ensemble le même agenda au niveau européen.
Merci beaucoup.
Journaliste
Une question sur le service numérique européen. Vous voulez établir une définition. Qu'est-ce que, vu d'aujourd'hui, vous considérez comme souverain, notamment pour le cloud souverain ? Ça doit répondre à quels critères et dans quelles mesures le but est notamment d'éviter des perturbations comme celles qu'on a vécues aujourd'hui avec Cloudflare ?
Emmanuel MACRON
Alors, nous voulons donc mettre en place une préférence européenne. La difficulté qu'on a eue quand on est rentré dans la technique de certains sujets, c'est qu'il n'y a pas de définition établie, en effet, du service numérique européen. C'est pour ça que, très concrètement, on lance un groupe de travail franco-allemand qui doit aller assez vite, mais qui va permettre de bâtir des définitions concrètes, c'est-à-dire est-ce que c'est 100% d'offres — c'est des questions très pratico-pratiques — mais est-ce que c'est 100 % d'européens ou est-ce qu'on accepte des partenariats non européens ? Est-ce que ça couvre les infrastructures ou simplement les services ?
Il y a des tas de questions très technique, pour avoir une définition franco-allemande qu'on poussera ensuite au niveau européen. Le fait que cette définition même n'existe pas dit à quel point on est en retard sur un agenda de préférence européenne, parce qu'on n'a pas construit la définition qui permettrait de bâtir le droit pour avantager, protéger un acteur européen quand il y a une offre concurrente non européenne.
Donc ça, c'est ce qu'on doit bâtir dans les prochaines semaines. On ne va pas préempter cette réponse aujourd'hui. Elle est très technique. Aller, si je puis dire, segment par segment. Ce qu'on veut faire, c'est très clairement de dire, quand il y a une offre européenne, elle doit être préférée et privilégiée. Pour ce qui est du cloud, on n'est pas sur des offres totalement fermées. Ce qu'on a avec S3NS ou avec Bleu, par exemple, ce sont des offres où il y a des participants non européens. Mais il y a des infrastructures européennes et un minimum de contenu européen qui permet de se dire que c'est beaucoup plus solide que des gens qui ne le sont pas. Et c'est aussi pour ça, ce qui vous permet de dire, quand vous avez des acteurs qui refusent de rentrer dans le cahier des charges que vous donnez, que d'autres s'y joignent, on a raison de favoriser les acteurs non européens qui se joignent à nos cahiers des charges. Donc par rapport à ça, est-ce que ça veut dire que ça nous immunisera totalement des attaques cyber ou des défaillances ? Restons prudents. En tout cas, ça nous mettra mieux en capacité de les prévenir, de nous protéger des risques cyber.
Et l'un des buts de la préférence européenne, c'est de mieux maîtriser, c'est d'être protégé de certaines formes de risques cyber et c'est d'être protégé de l'extraterritorialité de certaines décisions et de certaines lois, ce qui sera aussi un problème. Donc là, on a vraiment mis en place une méthode commune, ce qui est pour moi une des grandes avancées de ce sommet.
Journaliste
Vous avez reçu ce matin à l'Élysée Boualem Sansal. Tout d'abord, comment va-t-il ? Et puis ensuite, puisque vous avez abordé la coopération franco-allemande sur ce point, est-ce que vous estimez aussi que cette libération peut entraîner un réchauffement des relations avec l'Algérie ? Est-ce que vous allez rencontrer ce week-end, en marge du G20, le Président Abdelmadjid Tebboune. Et puis, très rapidement, la coopération allemande sur ce point a été importante. La coopération européenne aussi sur le narcotrafic. Vous avez, ce matin, organisé une réunion. Est-ce que vous considérez qu'aujourd'hui, comme votre prédécesseur, d'ailleurs, François Hollande, le narcotrafic est le principal danger pour la République, au même titre que le terrorisme ? Merci beaucoup.
Emmanuel MACRON
D'abord, c'était une joie de pouvoir accueillir Monsieur Boualem Sansal et son épouse. Ils étaient émus, heureux de revenir en France, et ils étaient en bonne forme. Et je veux ici leur dire toute l'affection de la nation. C'était un moment important, et ce qui a expliqué le retard que nous avons eu ici, je m'en suis excusé auprès de Monsieur le Chancelier.
Je veux ici redire ma gratitude à l'égard de l'Allemagne, sa diplomatie, Monsieur le Chancelier et les ministres compétents, et du président Steinmeier pour vraiment les bons offices qui ont été faits par l'Allemagne pour nous aider à mener ce chemin qui a permis de sortir d'un an d'emprisonnement. Et donc c'est vraiment une étape importante, à la fois à titre personnel, mais pour le pays et pour un écrivain auquel nous sommes attachés. Maintenant, vous savez quelle est ma position depuis toujours sur ce sujet.
Je pense que nous, nous voulons des résultats pour notre pays. Et donc, moi, je tiens à ce que la France soit respectée et à ce qu'elle mène un dialogue sérieux, calme et exigeant. Et nous, nous sommes respectueux de tout le monde. Et donc si ces conditions sont remplies et qu'on peut obtenir des résultats, moi je suis disponible évidemment à tout échange à mon niveau. Et je l'ai eu par le passé. Et donc nos équipes diplomatiques et nos équipes resserrées sont en train de travailler à cela. Et mon souhait, c'est que nous puissions avancer pour à la fois être plus efficaces sur les grandes questions économiques, sécuritaires, migratoires, afin d'œuvrer ensemble et de défendre chacun dans notre rôle, pour ma part, les intérêts de la France, et pour ce qui est du Président Tebboune, les intérêts de l'Algérie.
Pour ce qui est du narcotrafic, j'ai tenu ce matin une réunion à la fois sur la question de Marseille spécifiquement, et pour faire un point sur une lutte que nous avons commencée il y a plusieurs années. Je rappelle qu'en 2018, on a mis en place l'OFAST, qui a rassemblé nos services, des opérations de harcèlement. On a fortement augmenté les moyens, à la fois police, gendarmerie et douane, Tracfin et justice, et on a harcelé véritablement les réseaux avec des vrais résultats, avec aussi des réseaux très dangereux qui se sont criminalisés, qui ont accéléré leur évolution avec des drames comme celui qui est advenu le 13 novembre dernier à Marseille. Et je pense évidemment ici à toute la famille et aux Marseillaises et aux Marseillais. Nous avons une action qui va du local à l'international.
Et donc, pour ce volet-là, l'approche que nous avons adoptée sur la lutte contre le terrorisme est celle que nous continuons de décliner, c'est-à-dire une animation locale par nos services pour que les dossiers soient tous examinés, avec la complémentarité de tous les moyens mis en place par toutes les administrations. On a mis en place avec la loi narcotrafic un état-major de la lutte contre la criminalité organisée et maintenant un parquet spécialisé qui s'installera en tout début d'année prochaine. Et puis nous avons accru les coopérations internationales et d'ailleurs, nous avons lancé ensemble avec plusieurs collègues une coalition au niveau de la communauté politique européenne contre justement les trafics et la criminalité organisée avec beaucoup de collègues allant des Balkans jusqu'au Royaume-Uni, qui va nous permettre de mieux articuler les coopérations européennes.
Puis il y a quelques pays clés avec lesquels on doit mieux travailler dans le pourtour méditerranéen et au-delà pour décapiter les réseaux. Parce que le narcotrafic aujourd'hui pourrit la vie de certains quartiers, tue des enfants, mais il a son épicentre, en tout cas des complicités, parfois au bout du monde. Et donc, en effet, il faut une approche totalement intégrée. Et ce qui a été fait est plutôt réussi, et même réussi dans la lutte contre le terrorisme, c'est ce que nous devons faire. Sur le narcotrafic, permettez-moi d'avoir un dernier mot.
Il faut aussi parler des consommateurs. Et on ne peut pas avoir un débat national dans tous nos pays si on oublie que s'il y a du trafic, s'il y a des enfants qui se font tuer, s'il y a des réseaux de criminalité organisés qui prospèrent, c'est qu'à la fin, il doit y avoir des gens qui achètent de la drogue. Et je voudrais que chacun dans nos pays ait bien le sens des responsabilités. Acheter de la cocaïne, du cannabis, ce n'est pas simplement un plaisir qu'on peut s'offrir, il est déjà interdit, c'est, de fait, être complice et donner du financement à des réseaux de criminalité organisés. Il faut que chacun en soit conscient dans nos pays aussi.
Journaliste
Monsieur le Président, Monsieur le Chancelier fédéral, on parle de coopération très étroite. Pour le SCAF, c'est un sujet où ça ne marche pas trop bien. Est-ce que vous pouvez nous dire la situation actuelle ? Et peut-on avoir une réaction des deux par rapport aux attentats récents en Pologne contre les voies ferrées ? On pense que ça pourrait être la Russie.
Emmanuel MACRON
Sur ce qu'il s'est passé en Pologne, évidemment, nous le condamnons avec la plus grande fermeté et je veux redire ici toute notre solidarité à la Pologne, à son Président et à son Gouvernement, et le Premier ministre Donald Tusk a exprimé avec clarté la condamnation. Je pense qu'il faut que la clarification sur les responsabilités soit établie, mais il est évident que cela vient entraver aujourd'hui les chaînes logistiques, et donc, nous sommes en plein soutien et déjà des réponses sont apportées. Mais ça redit la constance qui doit être la nôtre et le soutien à, évidemment, l'Ukraine dans toutes les capacités.
Sur ce qui est du SCAF, quand je lis la presse, j'ai parfois le sentiment, en effet, que rien ne va. Et vous savez, c'est normal, parce que si c'était facile de faire exactement ce qu'a rappelé d'ailleurs Monsieur le Chancelier tout à l'heure, et encore avec les entrepreneurs, ça se serait fait sans nous. De quoi a besoin notre Europe, en matière de défense comme en matière de numérique, d'ailleurs ? Je reprends les mots du Chancelier plusieurs fois dits, et pardon de cette paraphrase, Friedrich : " scale, simplification, standard " et il a parfaitement raison. Si on veut que l'Europe soit plus forte, plus souveraine, il faut qu'on soit à l'échelle, il faut qu'on simplifie, il faut qu'on ait des standards communs.
En matière de défense, nous croyons, l'un et l'autre, à une politique beaucoup plus intégrée. Le problème qu'on a vu l'un et l'autre, c'est que quand on regarde les standards dans tous les domaines du jeu, des missiles aux avions en passant, il y a beaucoup plus de standards en Europe qu'il y en a aux États-Unis. Donc, au moment où on va, nous, dépenser beaucoup plus, il faut qu'on arrive à standardiser notre offre et qu'on ait une offre plus européenne. À cet égard, la décision qu'on a prise sur le char de combat du futur et l'avion de combat du futur, ça fait partie des décisions les plus structurantes en matière de standardisation européenne. Donc, je pense que la décision politique est bonne.
Est-ce qu'elle est simple à mettre en œuvre ? Non, parce qu'on demande à des gens qui sont, à des industriels, qui sont des compétiteurs tout le reste de la journée de faire quelque chose ensemble. Donc qu'il y ait des frottements, ça ne me surprend pas. Qu'il y ait après des gens, selon le fait qu'il y ait de l'activité qui soit mise à tel endroit, sur telle circonscription ou sur telle autre, qui disent : c'est bien, ce n'est pas bien ou qui jouent le jeu des industriels, ça ne me surprend pas davantage.
Nous, notre responsabilité, c'est de regarder l'intérêt général supérieur, celui de l'Allemagne, celui de la France, celui de l'Europe. Notre intérêt, c'est de mener à bien nos projets communs. Si on ne mène pas à bien nos projets communs, comment voulez-vous qu'on aille dire ensuite qu'il faut faire davantage de standardisation, de simplification ou aller plus loin ? C'est notre test de crédibilité. Donc, nous, on y croit, on avance et on va passer les messages qu'il faut aux industriels, aux structures de pilotage : obligation de résultat, voilà, obligation de résultat. Et après, on prendra nos responsabilités pour régler les débats ou les questions forcément secondaires. Je pense à l'avenir et à ce qu'on doit faire pour nos pays.
[propos du Chancelier]
Emmanuel MACRON
On part par là. Merci Messieurs, Dames.