Déclaration de M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État, sur le thème : " Agences, opérateurs et organismes consultatifs d'État : quelle gouvernance, quelles priorités et quelles missions pour une action publique efficace et lisible ? ", à l'Assemblée nationale le 26 novembre 2025.

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  • David Amiel - Ministre délégué, chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État

Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " Agences, opérateurs et organismes consultatifs d'État : quelle gouvernance, quelles priorités et quelles missions pour une action publique efficace et lisible ? "
Ce débat a été demandé par le groupe Les Démocrates. La conférence des présidents a décidé de l'organiser en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence des personnalités invitées, d'une durée d'une heure, qui donnera lieu à une séquence de questions-réponses ; puis, après une intervention liminaire du gouvernement, nous procéderons à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

(…)

La parole est à M. le ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État.

M. David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État
Je vous remercie d'avoir organisé ce débat qui va nous permettre de prendre le temps de réfléchir à un sujet qui peut sembler technique, alors qu'il est profondément politique. Il semble toucher à l'organisation interne, voire à la cuisine de l'État, alors qu'il concerne la capacité même de déployer des politiques publiques. Ce débat doit nous permettre de déterminer quel État nous voulons et ce que les citoyens sont en droit d'attendre de lui.

Je commencerai par rappeler quelques principes qui me paraissent essentiels : une action publique n'est démocratique que si elle est lisible. Ce qui alimente les critiques contre nos institutions et fragilise la légitimité de l'action publique, c'est le sentiment de morcellement, voire de démembrement de l'État, donc d'impuissance de l'action publique.

Depuis de nombreuses années, nous répondons aux crises en ajoutant des structures, des instances, des dispositifs et cette accumulation suscite souvent un sentiment de confusion. Pour remettre de l'ordre, trois questions doivent guider notre action. Qui décide ? Qui fait ? Pour quoi faire ? Ce n'est pas un problème de compétences, puisqu'il y en a évidemment beaucoup dans nos administrations, ni de bonne volonté, puisque l'immense majorité des fonctionnaires, des contractuels et des agents publics en sont animés. C'est une question d'organisation.

D'abord, qui décide ? Quand plusieurs acteurs interviennent sur un même sujet sans coordination claire, l'État se fragilise, comme le démontrent des rapports récents, notamment celui de M. Ravignon, avec qui vous échangiez à l'instant. La transition écologique, en particulier, à laquelle il a consacré un développement essentiel, fait apparaître ce défaut : trop de structures, trop de décisions dispersées, trop de responsabilités diluées.

Une gouvernance efficace repose sur un principe simple : celui qui conçoit une politique doit la diriger et celui qui l'exécute doit être clairement identifié. C'est essentiel pour pouvoir ensuite rendre des comptes à nos concitoyens. C'est une condition clé de l'exercice démocratique. Dans les domaines de la santé ou de la transition écologique, les strates s'empilent, les délais sont trop longs, les décisions sont trop complexes et la responsabilité est trop diffuse. À la fin, les usagers se perdent dans un système trop compliqué, l'agent public doit compenser les incohérences d'une organisation qu'il subit plutôt qu'il ne la maîtrise, et le citoyen ne sait plus qui est responsable de quoi.

Cela m'amène à ma deuxième question : qui est responsable ? Nous devons désormais faire des choix en la matière : clarifier ce qui relève de l'État, supprimer les structures qui se chevauchent, simplifier les chaînes de décision et redonner un rôle clair aux représentants de l'État dans les territoires. C'est tout à fait essentiel.

Enfin, pour quoi faire ? Une action publique lisible exige que chaque mission corresponde à des priorités identifiées et à un responsable clairement désigné. Quand tout devient prioritaire, plus rien ne l'est vraiment.

On a coutume de parler du millefeuille territorial, au point d'en avoir fait l'expression convenue pour désigner l'empilement des compétences. En réalité, on est plutôt face à un spaghetti territorial –? pardonnez-moi l'expression –, parce que les strates ne s'empilent pas, elles se confondent à cause de financements croisés, de responsabilités partagées, d'organismes dont on ne sait plus à qui ils répondent.

L'État doit se recentrer sur ce qu'il est le seul à pouvoir faire : la stratégie, la régulation, la garantie de l'équité territoriale. Les services déconcentrés doivent incarner l'État sur le terrain, avec une chaîne d'autorité réaffirmée. Or ils ont été fragilisés par le mouvement qui, au cours des trente dernières années, a consisté à concentrer les postes de décision, non seulement à Paris, comme on le dit souvent, mais aussi dans les capitales régionales. Cela s'est fait au détriment de l'action déconcentrée au plus près du terrain.

Les opérateurs doivent exécuter, et non créer leurs propres normes ou définir eux-mêmes leurs priorités. Il est essentiel de ne pas créer des vassalités dans l'action publique. Ce principe semble évident, mais il ne l'est plus dans la pratique, puisque seuls 43% des opérateurs sont couverts par un contrat d'objectifs –? ce qui suscite des interrogations légitimes chez nombre d'entre vous. Beaucoup d'opérateurs avancent par ailleurs avec des mandats flous, des financements hybrides et des tutelles multiples.

Retrouver des missions claires, c'est retrouver la maîtrise. Soyons lucides. À force d'externaliser, l'État perd la main sur des compétences essentielles : l'ingénierie locale, l'expertise technique, la planification écologique, la formation, la production de la norme –? et sans doute le déploiement futur de l'intelligence artificielle à travers les différentes strates de l'action publique. Ces fonctions sont fragmentées, dispersées et cela nuit à l'action publique.

Un État qui sait, qui peut et qui décide, c'est un État qui ne délègue pas par défaut, mais qui confie en conscience, maîtrise en amont et assume en aval. On débat souvent de la centralisation et de la décentralisation ; or il ne s'agit ni de décentraliser pour décentraliser,  ni de déconcentrer pour déconcentrer, mais de construire un État efficace et de savoir qui fait quoi –? j'y insiste, au risque de me répéter, car c'est essentiel.

Ces trente dernières années, un grand démembrement de l'action publique a eu lieu. Désormais, un grand travail de remembrement doit être fait : il s'agira d'identifier et de concentrer les politiques publiques autour d'un ou deux responsables clairement identifiés.

Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Jean-Paul Mattei.

M. Jean-Paul Mattei (Dem)
Depuis plusieurs années, notre groupe insiste sur la nécessité de revoir en profondeur les relations entre l'État et ses opérateurs. Les constats sont largement partagés : alors que le nombre de structures augmente et qu'on en compte désormais 1 150, leur hétérogénéité et leur pilotage parfois insuffisant nuisent à l'efficacité ainsi qu'à la lisibilité de l'action publique et diluent la responsabilité politique. Tout cela pèse lourdement sur les dépenses de l'État.

Dès 2021, nous avions souligné, avec Lise Magnier, le besoin urgent d'une doctrine claire pour un État stratège ; un rapport du Sénat, ainsi que celui de M. Boris Ravignon, viennent aussi de le faire. C'est pour la même raison que notre groupe a choisi d'inscrire ce débat à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Nous avons tous noté la confusion des missions, l'absence de vision consolidée des effectifs et des flux financiers, le caractère trop formel des contrats d'objectifs et de performance (COP), qui sont peu suivis, ou encore l'existence de structures redondantes –? pour ne citer que quelques symptômes.

Monsieur le ministre, nous souhaitons vous entendre sur trois attentes qui nous paraissent prioritaires. Premièrement, il importe de rationaliser la cartographie des opérateurs, ce qui suppose des fusions lorsque les missions se recoupent ou des suppressions lorsque la valeur ajoutée n'est plus démontrée ainsi qu'une revue des opérateurs tous les cinq ans. Deuxièmement, il convient de renforcer le pilotage de l'État : les COP doivent devenir des outils contraignants, évalués chaque année par des lettres de mission et un dialogue de gestion formalisé lorsque l'État finance à plus de 50%. Celui-ci doit disposer de la majorité au conseil d'administration : c'est une question de cohérence et de responsabilité. Troisièmement, il faut faire contribuer les opérateurs à la maîtrise de la dépense publique : lorsque les postes vacants dépassent 1 % des emplois autorisés, les plafonds doivent être ajustés, les fonctions support mutualisées et les économies identifiées. Plus de 500 millions d'euros doivent être saisis.

Monsieur le ministre, vous avez réaffirmé l'importance d'un État stratège : comment le gouvernement entend-il poursuivre cette ambition ? Derrière ces réformes, il y a une exigence démocratique : celle d'un État qui assume ses responsabilités et qui rend des comptes.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué
Je remercie le groupe Les Démocrates d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour, et pour les travaux qu'il mène sur ce sujet depuis plusieurs années.

Je tâcherai de répondre brièvement à toutes les questions importantes que vous avez posées, en commençant par la rationalisation du paysage des opérateurs. Il faut remédier à cet éparpillement. Le gouvernement a mené à cet effet une revue interministérielle sous l'égide du premier ministre, appelée mission État efficace. Elle fait suite aux travaux menés durant l'année écoulée sous l'égide du gouvernement de François Bayrou, lesquels visaient à identifier les redondances et à reconstruire une architecture lisible. C'est un gage d'efficacité.

Mon prédécesseur, Laurent Marcangeli, avait annoncé et initié une réforme des instituts régionaux d'administration (IRA). Je l'ai poursuivie en annonçant dès cette semaine la création d'un établissement unique destiné à coordonner l'action des IRA, jusqu'ici trop morcelée, car dispersée entre de nombreux établissements qui ont pourtant les mêmes missions de formation pour les mêmes postes. C'est un exemple à souligner.

Vous avez parlé du pilotage et je ne peux qu'agréer vos propos. Vous l'avez rappelé, il y a trop peu de contrats d'objectifs et de performance et le risque, quand un tel contrat existe, c'est qu'il soit davantage un document de conformité que de gouvernance et qu'il ne soit pas pensé comme un outil de pilotage. Au-delà de la généralisation des COP –? un objectif très important –, il faut réfléchir à leur utilisation et s'assurer de la présence effective de l'État au sein des conseils d'administration de ses opérateurs, soit à son niveau le plus politique. Ils doivent être un instrument de gouvernance pour les ministères qui en ont la tutelle. C'est absolument central.

L'horloge tourne, mais nous aurons sûrement l'occasion de revenir sur ce que vous disiez quant aux dépenses publiques. Vous avez vu dans le projet de loi de finances que les opérateurs sont l'un des plus gros contributeurs au titre des dépenses générales de l'État.

Mme la présidente
La parole est à M. Joël Bruneau.

M. Joël Bruneau
Lorsqu'on a créé, il y a une dizaine d'années, ces différents opérateurs et agences, c'était avec l'idée qu'ils répondraient aux besoins de l'action publique de façon plus véloce et plus réactive en échappant à certaines lourdeurs supposées des administrations. Depuis le transfert de certaines compétences aux collectivités locales, on se retrouve avec un fatras –? vous avez utilisé l'image du sphaghetti – qui aboutit à un constat partagé : tout le monde s'occupe de tout –? parce que tout le monde veut évidemment être partout.

La multiplication des instances, les procédures obligatoires et les normes qui ne disent pas leur nom ont abouti à un retour du contrôle a priori de l'action des collectivités locales, alors que les lois Defferre avaient prévu un contrôle a posteriori. Cela se fait sournoisement –? je l'ai constaté en tant qu'élu local.

Puisque nous partageons tous ce constat, et que vous n'êtes plus député, mais ministre –? donc au cœur de la machine –, pouvez-vous nous dire où est le blocage ? Qu'est-ce qui empêche le changement ? Qui veut que rien ne change ?

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué
Le diable, s'agissant de ces réformes, est évidemment dans les détails. C'est pourquoi, en matière de réforme de l'action publique, il y a beaucoup de déclarations d'intention suivies de peu de réalisations.

Il y a des bons débats et des faux débats. En usant de démagogie, en donnant le sentiment que par la suppression d'un opérateur ou d'une agence, on supprimerait la politique publique sous-jacente, on est dans un faux débat. Certains s'en servent comme prétexte pour ne pas toucher à l'agence ou à l'opérateur, alors que d'autres s'en servent comme étendard pour prétendre faire des milliards d'économie en supprimant telle agence. En réalité, ce ne sont pas les frais de fonctionnement de la structure qui représentent la part la plus importante de la dépense publique, mais la politique publique qui est derrière. Il faut partir de là pour dresser un constat –? et nos travaux permettent d'y contribuer.

En la matière, la question essentielle n'est pas celle des finances publiques, mais celle de l'efficacité et de la redevabilité de l'action des opérateurs et des agences, autrement dit celle de son morcellement et de sa fragmentation. C'est mon premier constat.

Le deuxième, c'est qu'il ne faut pas viser un jardin à la française. Il faut aborder les choses politique publique par politique publique. Si l'on prend la santé ou la transition écologique, l'on constate que ce sont des domaines dans lesquels les responsabilités s'amoncellent de plus en plus. Vous parliez de l'accumulation des normes et de la déresponsabilisation des élus locaux ; il me semble que c'est particulièrement le cas pour la planification écologique.

Je donnais l'exemple de la réforme des IRA. Elle fait partie de celles que mène mon ministère au titre de l'efficacité de l'action publique ; elle permettra d'assurer une formation homogène aux futurs étudiants des IRA.

Mme la présidente
La parole est à Mme Sandra Marsaud.

Mme Sandra Marsaud (EPR)
La gouvernance des agences et des opérateurs publics est effectivement au cœur des débats actuels. J'aimerais aborder un exemple précis –? je vous prie par avance de me pardonner, mais j'espère que vous aurez des choses à en dire.

Je veux vous parler de l'Europe des projets architecturaux et urbains (EPAU), un groupement d'intérêt public (GIP) qui a été créé pour rapprocher autour de la transformation des villes et des territoires l'État, les collectivités –? notamment les mairies –, les opérateurs publics et les acteurs privés. L'EPAU est devenu un véritable laboratoire de politique publique innovante, qui réunit 220 projets, 900 chercheurs, 450 concepteurs et 83 départements.

Ce GIP a déjà subi des contraintes budgétaires, montré qu'il pouvait diversifier ses recettes et réduit ses frais de structure. Sa suppression, si elle est toujours d'actualité –? et j'espère que ce n'est pas le cas –, n'apporterait pas d'économie réelle, puisque l'on est dans l'opérationnel, dans la recherche-action jusqu'à la construction pour certains projets de logement.

Dans la réflexion actuelle sur la gouvernance et l'efficience de nos agences, comment préserver et valoriser des structures qui sont hybrides –? à la fois légères et stratégiques ? Ce ne sont pas des agences avec un budget dédié, contrairement à d'autres. Elles fédèrent l'État, les collectivités et la société civile autour d'objectifs communs et locaux et produisent des études de cas qui permettent de monter en généralité. Ne pensez-vous pas qu'elles peuvent être l'une des clés d'une action publique mieux pilotée et plus lisible pour nos concitoyens ?

Mme la présidente
La parole est à M. David Amiel, ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué
Je ne me hasarderai pas à entrer ici dans le détail de chaque agence ou de chaque opérateur. Ils sont très nombreux et chacun mérite, à lui seul, un débat et une réflexion approfondis.

Pour revenir à votre question, il ne s'agit pas de porter un jugement sur des structures juridiques en tant que telles. Vous évoquiez les structures hybrides : elles peuvent être très utiles lorsqu'elles fédèrent des acteurs autour d'un objectif stratégique clair, à condition qu'elles ne constituent pas un doublon par rapport à l'administration centrale ou aux collectivités locales et qu'elles s'inscrivent dans une chaîne de pilotage lisible. C'est ce qui doit guider notre réflexion : structure par structure, agence par agence, opérateur par opérateur, GIP par GIP, il faut s'assurer de l'absence de doublons et savoir qui décide et qui tranche.

Rien n'est plus désespérant pour des agents publics –? et c'est le ministre de la fonction publique qui le dit – que de se voir contre-arbitrés par d'autres administrations, d'autres agences ou d'autres opérateurs. C'est aussi la crédibilité de la parole de l'État et de l'action publique qui est en jeu.

Notre grille d'analyse ne doit donc pas être la structure juridique en tant que telle. Je l'ai déjà dit, il faut se garder, en la matière, de viser un jardin à la française. Selon les sujets, les structures juridiques peuvent être différentes, du moment qu'un principe fondamental est respecté : pour chaque politique publique, il doit y avoir un responsable politique clairement identifié, et respecté.

Mme la présidente
La parole est à M. Arnaud Saint-Martin.

M. Arnaud Saint-Martin (LFI-NFP)
Il est tout de même cocasse que le groupe Les Démocrates soit à l'origine de ce débat sur l'efficacité des agences et opérateurs de l'État. Les Démocrates, dernier soutien de l'État macroniste, ont, entre autres réalisations inefficaces, contribué à recréer le haut-commissariat à la stratégie et au plan –? mais l'ont laissé en plan. C'est un énorme gâchis, car la planification de l'action publique est nécessaire. Un certain François Bayrou y avait été placé en 2020, mais il n'a rien accompli de significatif, malgré un budget de 15 millions d'euros et d'importants moyens humains. Il n'en reste qu'un gaspillage d'argent public, et des notes sans effet.

Nous ne sommes pas surpris : le néolibéralisme, dans sa variante macroniste, porte en lui une réforme de l'État façon start-up, accompagnée d'une surenchère de gadgets sans lendemain et d'une suradministration sous couvert d'agilité et de souplesse. Des pratiques directement inspirées de la gestion d'entreprise se diffusent dans la société, les administrations et les services publics, à la mode du New Public Management.

Max Weber dénonçait déjà, avec justesse, la bureaucratisation et la rationalisation des sociétés modernes. L'État macroniste s'en est emparé pour engendrer de nouveaux monstres d'aliénation de l'action publique, perceptibles dans le travail des agents et serviteurs de l'État.

J'ai évoqué ces petites créatures pseudo-efficaces et fort onéreuses que sont les start-up d'État : une déperdition de puissance publique, un démembrement systématique. Pour autant, je relativise : tout cela participe d'une histoire aussi ancienne que l'administration française, laquelle produit ses inerties et ses excroissances périphériques, créant et empilant les structures dès que quelque chose ne fonctionne pas ou plus.

Alors, que faire ? Au lieu de chercher l'efficacité à tout prix –? ce mantra autoporteur qui ne veut plus rien dire –, cherchons une autre voie : celle du gouvernement par les besoins –? partir de ce que nous voulons, de ce à quoi nous tenons, de ce qui est juste, de ce qui construit utilement l'action publique, puis organiser, hiérarchiser, planifier et, bien sûr, contrôler.

Plutôt que de sortir la tronçonneuse libertaro-fasciste ou de multiplier les projets de loi de simplification qui suppriment à tout va, il s'agit de repenser l'action publique de la cave au grenier, de lui redonner de la puissance et de mettre fin aux frais de prestations de conseil extérieur, qui représentaient en 2024 environ 100 millions d'euros, en hausse de 31% par rapport à 2023.

La commission mixte paritaire qui doit examiner le projet de loi de simplification de la vie économique a été récemment reportée à la mi-janvier. D'ici là, le gouvernement prendra-t-il la mesure de la refonte qu'il reste à mener, ou persistera-t-il dans l'inflation incapacitante de démarches et d'initiatives sans lendemain, à l'image du Conseil national de la refondation, dont la finalité était précisément de débattre sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui ?

Mme la présidente
La parole est à M. David Amiel, ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué
Merci pour ces réflexions nuancées. Il est difficile d'y répondre, car elles présentent de nombreuses contradictions. Vous critiquez sévèrement le New Public Management –? qui fait l'éloge du morcellement de l'État, de la multiplication des agences et des opérateurs, au détriment des ministères. Le groupe Les Démocrates nous interpelle précisément sur ces dérives, et vous lui reprochez d'avoir demandé ce débat. Si vous étiez cohérent, vous devriez au contraire saluer cette démarche.

Vous évoquez ensuite le haut-commissariat à la stratégie et au plan. Là encore, venant d'un groupe politique qui plaide plutôt pour la planification, vous auriez dû saluer le fait que l'État conduise des travaux de prospective à moyen et long termes. D'ailleurs, ces derniers mois –? pour ceux qui s'intéressent au rapprochement des opérateurs –, le gouvernement de François Bayrou a engagé une fusion entre France Stratégie et le haut-commissariat au plan, afin de rationaliser le paysage.

Nous avons besoin d'une expertise publique capable de faire dialoguer l'État, la recherche universitaire, les intellectuels, les experts, la société civile et syndicale ainsi que les acteurs économiques, afin de projeter l'action publique sur les défis des prochaines décennies. C'est pourquoi j'ai du mal à comprendre le procès intenté à ces travaux, qui me paraissent très utiles –? comme à tous ceux qui ont le souci du temps long.

Enfin, vous avez commencé par une dénonciation de la bureaucratie. Je ne suis pas certain de votre interprétation de Max Weber, mais peu importe. Il reste paradoxal de se plaindre de la bureaucratie, tout en critiquant ensuite les réflexions menées en faveur de la simplification.

Mme la présidente
La parole est à Mme Anne-Laure Blin.

Mme Anne-Laure Blin (DR)
Le constat, vous l'avez dressé. Les Français le partagent, et nous le partageons également. Les dépenses publiques représentent plus de 50% du PIB, ce qui montre que le modèle soutenu est devenu insoutenable. Le maillage administratif est incontrôlable et le budget des opérateurs continue globalement d'augmenter. Pourtant, l'efficacité n'est pas au rendez-vous.

Quelles lignes vous fixez-vous pour rationaliser les opérateurs de l'État ? J'y insiste, ils se multiplient, ils sont peu efficaces et incontrôlables. M. Ravignon nous a dit qu'il y avait toujours une tutelle politique. Comment est opéré le pilotage politique de l'ensemble –? je dis bien de l'ensemble – des opérateurs de l'État ?

En évoquant la formation des fonctionnaires au sein des IRA, vous avez immédiatement parlé de la création d'un nouvel établissement public, ce qui n'est pas de nature à nous rassurer. Quelles sont vos perspectives ? Comment rendre l'État et la gouvernance de nos opérateurs plus efficients et plus efficaces ?

L'examen du projet de loi de simplification se fait attendre. Comment vont se concrétiser les mesures soumises au débat ? Que comptez-vous faire, à la tête de votre ministère, pour rendre l'action publique lisible ? Les Français ont droit à cette lisiblité, dans la mesure où c'est le fruit de leur travail qui finance l'action publique.

Mme la présidente
La parole est à M. David Amiel, ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué
S'agissant des IRA, j'ai certes évoqué la création d'un établissement public, mais il en remplacera cinq ! C'est donc un signal très fort que j'envoie en tant que ministre de la fonction publique. L'exemple me semble parlant.

Vous me demandez des exemples concrets de pilotage des opérateurs. Actuellement, plus de la moitié d'entre eux n'ont même pas de contrat d'objectifs et de performance –? seuls 47% en disposent. Comment piloter des opérateurs dans ces conditions ? Il faut que 100% des opérateurs en soient dotés et il ne doit pas s'agir de contrats remplis pour la forme, uniquement pour satisfaire une procédure. Ils doivent servir de base à une évaluation directe des opérateurs par l'État. En outre, les ministères doivent être systématiquement présents, et au plus haut niveau, dans les conseils d'administration, afin de garantir que ces contrats soient effectivement respectés.

Vous m'avez interrogé, enfin, sur l'agenda et les perspectives. Dans le cadre du projet de loi de finances, des efforts budgétaires importants sont engagés. Par la suite, le projet de loi de clarification des compétences annoncé par le premier ministre devra être le véhicule de l'ambition politique que je viens de décrire. Il faudra désigner un responsable pour chaque politique publique.

Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Claude Raux.

M. Jean-Claude Raux (EcoS)
La gouvernance des agences et des opérateurs publics, ainsi que la répartition des compétences, sont au cœur d'une action publique claire et efficace –? vous l'avez vous-même rappelé.

En matière de santé, l'enjeu n'a jamais été aussi crucial. Partout, nos concitoyens s'interrogent sur leur capacité à accéder aux soins. Dans ce contexte, les annonces du premier ministre ont suscité de fortes inquiétudes : elles laissent entrevoir une suppression des agences régionales de santé (ARS) et un transfert massif de leurs compétences vers les préfets.

Je ne vais pas mentir : je n'ai pas été le dernier à critiquer les ARS, à regretter leur lourdeur administrative ou leur éloignement des réalités de terrain. Pourtant, elles jouent aussi un rôle –? certes perfectible, mais structurant – de pilotage de l'offre de soins, de régulation sanitaire, d'anticipation et de gestion de crise. Les affaiblir, c'est sans doute prendre le risque d'« éclater la santé en 101 politiques locales différentes », pour reprendre les termes des fédérations hospitalières et médico-sociales. Les politiques sanitaires doivent être coordonnées, et non fragmentées.

Les missions des ARS relevaient autrefois des préfets ; leur transfert vers ces derniers constituerait donc un retour en arrière dans la mise en œuvre territoriale des politiques de santé. Comment le gouvernement entend-il améliorer la cohérence nationale des politiques de santé, assurer un pilotage territorial stable et garantir le droit d'accès aux soins, sans recréer les dysfonctionnements que les ARS devaient précisément corriger ?

Mme la présidente
La parole est à M. David Amiel, ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué
Nous avons commencé ce débat en nous demandant pourquoi, alors que le constat des effets pervers de la fragmentation de l'action publique est aussi largement partagé, nous ne passions jamais aux actes. Votre question est éloquente et illustre bien notre difficulté : une fois les principes généraux établis, dès que l'on entre dans une politique publique donnée –? en l'occurrence, celle de la santé –, le diable se niche dans les détails.

Vous avez évoqué deux points importants. D'abord, les dysfonctionnements qui ont présidé à la création des ARS, lesquelles avaient vocation, à l'époque, à rapprocher la politique publique de santé du terrain –? les instructions partant préalablement des ministères. Leur création répondait donc à une double nécessité : celle de la coordination et celle de la déconcentration d'une politique publique nationale.

Ensuite, vous avez souligné les dysfonctionnements propres aux ARS, en rappelant qu'elles étaient parfois trop éloignées du terrain. C'est précisément à ce problème qu'il faut remédier et ma collègue, la ministre de la santé, y travaille d'arrache-pied. Il s'agit de distinguer ce qui relève des politiques publiques nationales, ce qui doit être conduit au niveau régional –? c'est le rôle des ARS – et ce qui doit être mené au plus près du terrain.

Nous n'avons pas le temps, ici, d'entrer dans tous les détails. Mais votre question illustre bien la nécessité d'aborder les choses politique publique par politique publique, même si l'exercice est plus difficile.

Mme la présidente
La parole est à M. Marc Fesneau.

M. Marc Fesneau (Dem)
Je remercie notre collègue Insoumis pour son propos tout en nuance : sa capsule vidéo étant enregistrée, nous pouvons passer à autre chose. Je remercie également M. le ministre pour ses réponses sur ce sujet complexe ; affirmer que tout fonctionne serait, en effet, contraire à la réalité.

Première remarque : nous parlons souvent des agences, des opérateurs et des offices, comme si c'était la même chose. Or ce n'est pas le cas : leurs missions, leurs modes de fonctionnement et leurs statuts diffèrent. Quelles distinctions établissez-vous entre ces trois types de structure ?

Comme la question précédente l'a souligné, nos concitoyens ressentent un éloignement croissant de leurs interlocuteurs. J'ajoute un élément : contrairement à ce que vous affirmez au sujet des ARS, certaines structures paraissaient plus proches des citoyens il y a vingt ans, lorsque leurs circonscriptions étaient départementales. De surcroît, avec treize régions au lieu de vingt-deux, l'éloignement des structures régionales ne peut que s'accentuer.

Dans ces conditions, comment recréer de la proximité ? Nous en parlions à l'instant avec le collègue Bruneau : peut-être faut-il faire des collectivités le bon niveau d'interface avec les citoyens. L'usager qui cherche une information sur MaPrimeRénov', ou le maire sur le fond Vert, ne trouve pas toujours d'interlocuteur. Je vous invite à tenter d'appeler les opérateurs ou les agences : obtenir une réponse est une gageure. C'est un vrai problème d'efficacité pour nos concitoyens, et cela pose la question de l'échelon le plus pertinent.

Enfin, qui contrôle et qui pilote les opérateurs ? Pour préparer le déploiement d'un dispositif, des réunions sont organisées chez l'opérateur en présence de représentants du ministère compétent –? j'en ai moi-même fait l'expérience. Mais qui, et à quel moment, se permet de dire que le dispositif est trop complexe, ou qu'une nouvelle norme a été ajoutée subrepticement ?

J'ai souvent eu le sentiment que les agences ou les opérateurs de l'État créaient leur propre circuit de décision et d'application, sans que les ministères concernés –? c'est-à-dire le politique – disposent réellement d'un droit de regard.

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué.

M. David Amiel, ministre délégué
J'ajoute à votre diagnostic un point essentiel : l'État est parfois plus faible que les structures qu'il est censé superviser ou contrôler. Plus faible en ressources humaines, en compétences, en expertise opérationnelle sur le terrain. Cette situation découle notamment de la plus grande souplesse de recrutement et de rémunération dont disposent les agences –? et parfois les opérateurs ; elles peuvent ainsi attirer des profils qui, autrefois, auraient rejoint la fonction publique d'État.

Au niveau préfectoral, en particulier, nous assistons à une véritable déperdition des compétences en matière d'ingénierie territoriale. C'est un enjeu absolument central. Ce constat m'amène d'ailleurs, dans le prolongement de l'intervention de la députée Blin, à formuler une réflexion plus large.

Ces dernières années, l'État s'est beaucoup concentré sur la gestion de la haute fonction publique –? sujet certes important. Mais un autre enjeu fondamental se joue ailleurs : celui des cadres de proximité. Nous parlions tout à l'heure des IRA, qui forment ces agents de terrain des administrations publiques, lesquels portent l'État à bout de bras. La question de leur formation et de l'attractivité de leurs métiers est cruciale, d'autant que, bien souvent, l'État lui-même fait moins le poids que les agences ou les opérateurs qu'il est censé encadrer.

Il en va de même au niveau ministériel : cela nous ramène à la question du pilotage des agences, qui deviennent parfois plus puissantes que les ministères eux-mêmes.

Mme la présidente
Le débat est clos.


(Source : https://www.assemblee-nationale.fr, le 28 novembre 2025