Interview de Mme Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics, à France Inter le 3 décembre 2025, sur le débat parlementaire concernant le budget pour 2026.

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Média : France Inter

Texte intégral

BENJAMIN DUHAMEL
Bonjour Amélie DE MONTCHALIN.

AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.

BENJAMIN DUHAMEL
Merci d'être avec nous ce matin sur France Inter. Vous avez la responsabilité d'une mission quasi impossible, marier les contraires et faire adopter le budget. Et ce n'est pas franchement bien parti. Edouard PHILIPPE a indiqué qu'en l'état, ses députés Horizons ne pouvaient pas voter le budget de la Sécurité sociale. Ils hésitent entre un vote contre et une abstention. On parle là de vos propres alliés, Amélie DE MONTCHALIN. Ils vous lâchent en rase campagne ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, ce qui est en jeu, ce n'est pas de savoir si on lâche ou pas le Gouvernement. Ce qui est en jeu, c'est est-ce qu'on lâche les Français et est-ce qu'on lâche le déficit ? Je m'explique. On parle d'un budget de la Sécurité sociale. On vient de parler de démographie, on vient de parler de natalité, on vient de parler de retraite, c'est l'édito qui vient de se terminer. Le budget de la Sécurité sociale, il fait deux choses. D'abord, il permet d'avoir plus de moyens pour des droits que les Français et des besoins que les Français ont. Je pense à l'hôpital, 3,4 milliards de plus de moyens pour l'hôpital, pour les soignants, pour les infirmières. On parle du handicap, on parle de l'autonomie, on parle des EHPAD, on parle des retraites des femmes. Ça, c'est ce qu'on peut faire avec le budget. Et surtout, ce budget, s'il n'est pas voté, et je veux le dire avec beaucoup de calme, mais surtout de gravité, c'est 29 milliards de déficit. S'il est voté, c'est 6 à 9 milliards de déficit en moins. Donc ceux qui s'intéressent au déficit doivent bien voir que sans budget, il y a plus de déficit.

BENJAMIN DUHAMEL
On va parler de ce qu'il y a dans ce budget de la Sécurité sociale, mais sur le fait que celui qui a été votre Premier ministre, Edouard PHILIPPE, dise : " On ne peut pas voter ce budget ", qu'est-ce que vous lui dites ? Qu'est-ce que ça dit que celui qui est censé être l'un de vos principaux alliés ne votera pas, dit à ses députés : " Ne votez pas le budget de la Sécurité sociale ? "

AMELIE DE MONTCHALIN
Vous savez, j'ai été la ministre d'Edouard PHILIPPE. J'ai été aussi la députée qui a porté, à l'époque, j'étais beaucoup plus jeune, les premiers budgets d'Edouard PHILIPPE en 2017-2018. Il y a une chose que je sais qu'il a vraiment au fond de lui, c'est l'importance d'avoir des comptes publics en ordre. Et ce que je peux dire ce matin, c'est que ceux qui veulent réduire le déficit savent que s'il n'y a pas de budget de la Sécurité sociale, il y aura plus de déficit. Donc on ne peut pas vouloir réduire le déficit et ne pas voter ce budget.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais donc c'est quoi ? C'est de l'irresponsabilité ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, vous voyez, le vote, il est mardi prochain. Il est mardi prochain pour l'année prochaine. Et donc ça veut dire que d'abord, on a beaucoup de temps pour continuer à négocier, améliorer, faire des propositions.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc vous espérez faire changer d'avis ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Faire des propositions, heureusement. Le débat, vous voyez, il a commencé hier. On en a pour jusqu'à la semaine prochaine. Donc moi, je ne prends pas les déclarations du début de l'examen.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc vous espérez faire changer d'avis à Edouard PHILIPPE ?

AMELIE DE MONTCHALIN
J'espère, mais pas que lui. Que l'ensemble de l'hémicycle voit bien que... Vous savez où est-ce que je vois une majorité, moi ? Dans la rue. Des Français. Tous les Français, majoritairement, nous disent : " Mettez-vous d'accord. Occupez-vous de nous maintenant ". 2027 viendra. Dans 18 mois, on aura les grands débats. On aura les grands choix. On aura les grandes confrontations. Mais là, on est à un moment de clarification. Est-ce qu'aujourd'hui, dans l'hémicycle, il y a une majorité pour s'occuper de la France, et des Français, et des soignants, et du handicap, et des retraites, aujourd'hui ? Ou est-ce que tout le monde se dit : " Finalement, on ne fait rien, on attend 2027 " et entre-temps, le déficit est beaucoup plus grand que ce qu'il serait sans budget ?

BENJAMIN DUHAMEL
Amélie DE MONTCHALIN, vous réussissez avec une forme de talent à ne pas répondre sur Edouard PHILIPPE. C'est un homme qui veut être président de la République, qui est candidat à l'élection présidentielle. Est-ce que, quand on veut exercer les plus hautes fonctions, on peut dire : " On ne vote pas le budget de la Sécurité sociale " dans le moment dans lequel on est ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Moi, je vais répondre à Edouard PHILIPPE et à votre question. Si on veut être candidat à la présidentielle, il faut que les élections présidentielles se passent et le débat présidentiel se passe dans un pays quand même en ordre. Et je pense que si nous n'avons pas de budget l'année prochaine, si nous avons un déficit qui est fil, si nous avons des soignants qui sont encore plus en manque de moyens, l'élection présidentielle, le débat présidentiel ne se passera pas bien.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc c'est un facteur de désordre.

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est certain, c'est que si on veut avoir un débat dans de bonnes conditions sur des grands choix, il faut qu'il y ait de l'ordre. Il faut qu'il y ait de l'ordre dans les comptes et ce budget y contribue un peu, peut-être pas assez. J'entends que certains disent qu'on devrait aller plus loin. Très bien, c'est le moment pour ça.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc s'il ne le vote pas, il contribuera au désordre.

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est certain, c'est qu'il faut qu'on ait de l'ordre, oui.

BENJAMIN DUHAMEL
Un mot avant de parler du fond de ce budget. Comment est-ce que vous pouvez espérer une seule seconde convaincre les Socialistes, les Ecologistes de faire un geste en votre faveur si celui qui est, là encore, votre principal allié dit lui-même : " Je ne peux pas voter " ? C'est-à-dire que vous dites aux Socialistes : « Votez ce budget que même celui avec lequel je travaille ne veut pas voter ».

AMELIE DE MONTCHALIN
Je le redis et vraiment, ce n'est pas une figure de style. Ce qui est en jeu, ce n'est pas faire un geste pour nous. Ce n'est pas faire un geste pour Sébastien LECORNU, Amélie DE MONTCHALIN. Les Français sûrement, vous voyez, ont d'autres choses ce matin dans leur radio à écouter que de savoir ce qu'ils pensent de nous. C'est qu'est-ce qu'on fait pour eux ? Qu'est-ce qu'on fait ? Je peux vous faire la liste, pour le congé de naissances. On vient d'en parler. On a un problème démographique. Est-ce que, oui ou non, les femmes l'année prochaine ont plus de temps avec les jeunes pères et les jeunes mères pour accueillir les enfants pour précisément soutenir les jeunes familles ? Est-ce que, oui ou non, on lance un plan massif de prévention des maladies chroniques ? On a 14 millions de Français pour une maladie chronique. Est-ce que, oui ou non, on a ce plan de prévention ? Donc ce n'est pas nous le sujet.

BENJAMIN DUHAMEL
Amélie DE MONTCHALIN, je vous propose qu'on comprenne un point très précis justement qui concerne l'action du Gouvernement sur la question des franchises médicales. Il s'avère que pour que les Socialistes se décident éventuellement à voter pour le budget de la Sécurité sociale, ils disent : " Nous, on est prêts à regarder ça, notamment à condition que le Gouvernement renonce formellement à doubler les franchises médicales, c'est-à-dire ce qu'il vous reste à payer quand vous allez chez le médecin ou quand vous achetez des médicaments ". Est-ce que ce matin sur France Inter, vous êtes en capacité de dire : " On les a entendus, on ne doublera pas par décret, je précise, ces franchises médicales ? "

AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que je peux vous dire, c'est que pourquoi on prendrait des décrets et pourquoi on serait obligés de les prendre ? C'est s'il n'y a pas de budget. Donc ce que je peux vous dire, c'est que si on a un budget, on a beaucoup moins de besoin de prendre ces décrets, alors que s'il n'y a pas de budget voté…

BENJAMIN DUHAMEL
Oui, sauf que si vous ne dites pas qu'il n'y aura pas de doublement, il n'y aura peut-être pas de budget.

AMELIE DE MONTCHALIN
Oui, mais vous voyez, les franchises, on a bien compris, il y a un débat de fonds, c'est qui les paie ? Aujourd'hui, il y a 18 millions de Français qui ne paient pas les franchises. Ce sont les mineurs, ce sont les personnes qui ont des très faibles revenus, ce sont les personnes qui sont éligibles aux minima sociaux, ce sont les femmes enceintes. Moi, je trouve qu'un bon débat, c'est est-ce que, par exemple, les jeunes, on veut aller jusqu'à 21 ans, jusqu'à 25 ans pour ne pas payer les franchises ?

BENJAMIN DUHAMEL
Donc vous ne pouvez pas dire ce matin, Amélie DE MONTCHALIN, on renonce à doubler les franchises médicales ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Je peux vous dire qu'on peut discuter de beaucoup de choses. Mais ce qui est certain, c'est que s'il n'y a pas de budget, à la fin, et je pense que c'est très antidémocratique et que ce serait un mauvais choix pour le pays, s'il n'y a pas de budget, je ne peux pas vous dire : " Les franchises, il n'y en aura jamais. Elles ne seront jamais doublées ". Parce que, je le redis, s'il n'y a pas de budget, si le déficit va vers 29 milliards d'Euros, qu'est-ce qu'on va faire, nous, Gouvernement, dans nos responsabilités ? Eh bien, on sera obligés de prendre des décrets. Ce sera très antidémocratique, mais ce sera la seule solution. Moi, je pense que dans une démocratie, les parlementaires sont là pour voter, et qu'ils ont, dans leurs mains, mardi prochain, un bulletin de vote qui a une immense valeur. Est-ce que oui ou non, justement peut-être qu'on évite ces mesures, peut-être qu'on les remplace par d'autres économies ?

BENJAMIN DUHAMEL
Donc s'il y a un budget, vous ne doublerez pas les franchises médicales ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Je dis que si on s'engage dans une négociation, et qu'à la fin, on fait d'autres choix par le vote, et qu'on construit autre chose par un compromis, on peut effectivement faire autrement. S'il n'y a pas de budget, je le redis, que les Français comprennent, si les parlementaires ne votent pas, s'ils disent : " Au fond, on ne prend pas nos responsabilités, on laisse le Gouvernement se débrouiller ", et oui, le déficit va vers 30 milliards. Qu'est-ce qu'on fera, nous ? Je vous le dis, on sera obligés de faire des choses par décret. Et ça ne me semble pas être la bonne manière de gouverner le pays.

BENJAMIN DUHAMEL
Je suis frappé, Amélie DE MONTCHALIN, par le discours que vous tenez ce matin sur les risques que court la France si ce budget n'est pas voté. Vous avez dit aussi : " S'il y a une loi spéciale, c'est-à-dire si le budget est reconduit de 2025 à 2026, on risque une crise financière et économique très grave ". Il y a un an, Elisabeth BORNE disait : " S'il n'y a pas de budget, si c'est une loi spéciale, les cartes Vitale, elles arrêteront de fonctionner au 1er janvier ". Est-ce que c'est le discours du Gouvernement de dire que ça va être une pluie de sauterelles et une catastrophe pour l'économie si le budget n'est pas voté ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Je ne vous parle ni des sauterelles ni des cataclysmes. Je vous parle de ce qui ne se passera pas s'il n'y a pas de budget. Ce qui ne se passera pas, c'est que l'hôpital, je ne pourrai pas, et je n'aurai pas le droit constitutionnel d'y mettre les 3,5 milliards d'Euros qui sont nécessaires.

BENJAMIN DUHAMEL
Qu'est-ce qui s'est passé il y a un an ?

AMELIE DE MONTCHALIN
Il s'est passé qu'on a eu un budget en février. On a eu ensuite un budget en mars. Et vous savez que le budget de la Sécurité sociale…

BENJAMIN DUHAMEL
Donc là, si le budget est voté en décembre, ce n'est pas forcément une catastrophe ?

AMELIE DE MONTCHALIN
C'est là qu'il faut qu'on explique aux gens. Ce qui s'est passé entre monsieur BARNIER et monsieur BAYROU, c'est que le Gouvernement est tombé, mais lui, le budget, il est resté à l'Assemblée. Et on a repris, vous vous souvenez, en janvier, les discussions sur ce texte. Si là, dans les prochains jours, les députés rejettent le texte, il n'y aura plus rien sur la table. Ça veut dire qu'on commencera l'année sans budget, mais qu'il faudra qu'il y ait un Gouvernement qui réécrive toute une proposition, qui aille ressaisir le Conseil d'État, tous les Hauts-Conseils. Et ça veut dire qu'on n'aura pas de budget avant le mois de mars, le mois d'avril. Et oui, je peux vous dire, que si la France, le 1er janvier, se réveille, en disant : " On a rejeté les textes, on n'a aucune perspective de comment on va faire ", oui, ce jour-là, nos créanciers et nos partenaires et les Français, oui, on aura une crise, un affaiblissement et qui se réjouira ? Eh bien, ceux qui veulent notre échec. Et je pense qu'on voit bien tous que ce n'est pas ce que nous pouvons et nous devons faire. Nous avons la responsabilité de réussir.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 décembre 2025