Texte intégral
GERALD DARMANIN
Bonjour,
APOLLINE DE MALHERBE
Vous êtes le garde des Sceaux, ministre de la Justice. De très nombreuses questions à vous poser. Parce qu'en plus votre parole est de plus en plus rare, désormais. Vous vous faites discret sur les questions politiques, mais là, il y a vraiment du boulot, et notamment sur le front de la justice pénale. Vous venez notamment nous détailler votre projet de loi. Je cite le titre de votre projet de loi : " Un projet de loi visant à assurer une sanction utile, rapide et effective ", en gros, une justice plus ferme. Est-ce que cela veut dire qu'en creux, vous reconnaissez qu'aujourd'hui, les sanctions ne sont ni utiles, ni rapides, ni effectives ?
GERALD DARMANIN
Alors la justice est lente et c'est, je pense, la grande injustice de notre pays, le temps trop important que la victime, que l'accusé attend, que la société attend pour la sanction, ça c'est sûr, et cette lenteur de la justice, ça vaut dans la justice pénale, ça vaut aussi dans la justice civile, on attend trop souvent son divorce, la garde de ses enfants, la tutelle, son problème immobilier qu'on doit régler. Est-ce que la justice est efficace ? Elle l'est en partie, mais elle ne l'est pas totalement. La moitié des peines de prison prononcées par les tribunaux, les gens ne vont pas une seule journée en prison. Est-ce que c'est efficace de prononcer des peines de prison qu'on ne fait jamais ? Autant ne pas les prononcer et faire celles que l'on prononce. Et puis, est-ce que c'est utile ? Il y a 70% de récidives dans notre pays. Quand les détenus sortent de prison, ils récidivent 7 fois sur 10. Ça montre que notre système n'est pas efficace.
APOLLINE DE MALHERBE
Quand je vous écoute, c'est un constat terrible.
GERALD DARMANIN
C'est un constat terrible parce que la justice est très importante pour l'égalité entre les femmes et les hommes. Ça cimente évidemment la démocratie. Ça nourrit le populisme que de voir une justice inefficace. Je constate malheureusement que tous les pays européens ont les mêmes difficultés, parce que nous avons basé notre système de justice sur le fait qu'il fallait être très récidiviste pour pouvoir être sanctionné lourdement.
APOLLINE DE MALHERBE
Au fond, ça laissait entendre qu'on pouvait, pendant un temps relativement long, agir impunément.
GERALD DARMANIN
En tout cas, sans que les sanctions ne soient ni rapides ni dissuasives. Et donc, les gens qui vont en prison, l'immense majorité des gens qui vont en prison, ce sont des gens qui ont commis beaucoup d'actes. Et alors là, les policiers, les gendarmes, ils en arrêtent les personnes. Ils ne vont jamais en prison. Vous connaissez cette formule, j'ai été ministre de l'Intérieur, je l'ai constatée, je l'ai vue. On a des juges, des magistrats qui disent : " Mais alors, moi, j'ai quelqu'un qui est très récidiviste, qui a déjà des addictions à la drogue et à l'alcool, qui est déjà très désocialisé. À quoi ça sert que je le mette en prison ? Ça ne va pas arranger sa socialisation. S'il a des maladies psychiatriques, il ne devrait pas aller en prison, il devrait aller ailleurs ".
APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que les juges s'autocensurent ?
GERALD DARMANIN
Non, ça veut dire que les magistrats ont malheureusement un code pénal qui ne les aide pas. Par exemple, dans le code pénal, il est écrit qu'une peine, c'est égal à six mois de prison et autant d'amendes. Et il y a dans le même code pénal un article qui dit qu'à six mois de prison, on ne fait pas de prison. Il y a un aménagement de peine obligatoire.
APOLLINE DE MALHERBE
Donc tout ça est totalement contradictoire ?
GERALD DARMANIN
C'est absurde. Il y a des dispositions législatives qui ont été rajoutées au fil du temps qui sont absurdes. Aujourd'hui, la quasi-intégralité des personnes qui sont condamnées à moins d'un an de prison ne font pas du tout de prison. Alors le projet-loi que je porte…
APOLLINE DE MALHERBE
Ça va changer ?
GERALD DARMANIN
Exactement. Il met fin à l'aménagement de peine obligatoire. Le juge pourra prononcer des courtes peines, comme c'est le cas dans d'autres pays. Je pense notamment aux Pays-Bas ou en Angleterre. Les courtes peines, c'est quoi ? Ce sont des peines d'un mois, deux mois, trois mois, quatre mois de prison. Ce qui compte, ce n'est pas la grandeur de la peine. Ce qui compte, c'est la certitude de la peine. C'est d'être certain qu'au premier ou au deuxième fait, en tout cas après un carton jaune, il doit y avoir un carton rouge, on puisse avoir une sanction claire, rapide, qui montre à la victime, à l'accusé, à la société que la justice fait quelque chose.
APOLLINE DE MALHERBE
Donc, création de courtes peines, voire d'ultra-courtes peines. C'est-à-dire que vous preniez l'exemple de la Hollande. En Hollande, on peut même aller pour quelques jours en prison.
GERALD DARMANIN
On laissera le juge totalement libre de fixer la peine qu'il doit fixer. Et donc en effet, il peut y avoir des peines d'un mois. Aujourd'hui, elles sont interdites dans le code pénal, c'est tout à fait possible. On va adapter notre immobilier carcéral, nos prisons à ça. On ne va pas envoyer des gens qui font deux mois de prison dans les maisons d'arrêt classiques, qui sont déjà surpeuplées. On aura l'occasion d'en reparler. Mais oui, il y aura des courtes peines possibles prononcées par le juge.
APOLLINE DE MALHERBE
Peine obligatoire pour chaque condamnation, c'est-à-dire que chaque condamnation, il y aura une peine. Parce que parfois, aujourd'hui, on peut être condamné sans qu'il n'y ait vraiment de peine à proprement parler.
GERALD DARMANIN
Vous avez tout à fait raison. Ce n'est que quelques centaines de cas par an. Il ne faut pas faire croire aux Français qu'il n'y a aucune peine. Mais parfois, la peine n'est pas du tout proportionnée à la difficulté que nous connaissons. Et donc, il y a notamment dans le texte de loi que je propose, quelque chose de très nouveau, qui est une peine minimale. Ce n'est pas de la peine planchée. La peine planchée, c'était une peine qu'on appliquait quand il y avait les récidives. Là, c'est une peine minimale, y compris au premier fait. Et en l'occurrence, la première peine minimale qu'on propose, c'est tous ceux qui attaquent les policiers, les gendarmes, tous ceux qui sont dépositaires de l'autorité publique, les agents pénitentiaires, les magistrats, tous ceux qui représentent l'autorité. Par exemple, c'est une peine minimale. La proposition que je fais dans le texte de loi, c'est d'un an de prison. Donc, il y aura une peine maximale et une peine minimale. Et le juge y fixera entre cette peine minimale et maximale.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a, aujourd'hui, beaucoup d'aménagements. D'aménagements pour un certain nombre de profils de personnes condamnées, notamment pour les OQTF. Est-ce que demain, vous vous dites qu'il faut quelque chose de spécifique là-dessus ? Est-ce que vos expériences, vos premières expériences, à la fois d'abord pendant longtemps au ministère de l'Intérieur et aujourd'hui à la justice, vous dites qu'il y a un problème là et qu'il faut le régler ?
GERALD DARMANIN
Alors, aujourd'hui, il y a 25% d'étrangers dans nos prisons. Et une partie de ces étrangers doivent partir de nos prisons pour purger leur peine dans leur pays d'origine. Alors, nous avons beaucoup augmenté depuis le début de l'année. J'ai augmenté de quasiment 100 % les expulsions des étrangers qui sont dans nos prisons. Il y a une partie d'Européens et il y a trois quarts qui ne sont pas Européens. Et puis ensuite, il y avait dans notre Code, en effet, des choses un peu bizarres. Par exemple, des aménagements de peine, donc, des sorties de prison possibles pour réinsertion. Ça peut très bien se comprendre pour des détenus qui trouvent un travail, qui retrouvent leur famille et qui ont un projet de vie, qui doivent sortir de la prison pour se réinsérer. Il faut que nous le fassions. La réinsertion, c'est très important. Simplement, quelqu'un qui est sous OQTF qui ne devrait pas être sur notre territoire national.
APOLLINE DE MALHERBE
Non mais attendez, vous êtes en train de me dire que ça s'appliquait aux OQTF ?
GERALD DARMANIN
Exactement. Dans la loi aujourd'hui, les agents pénitentiaires, exactement, les agents pénitentiaires, les magistrats sont obligés d'appliquer la loi qui était mal écrite. C'est tout, c'est comme ça, il faut la changer, ce n'est pas de leur faute, faisait des aménagements de peine pour des OQTF. Alors que ces aménagements de peine, le seul aménagement de peine possible pour un OQTF, c'est qu'il soit expulsé. Moi, je suis d'accord pour que les OQTF sortent de prison s'ils sont expulsés dans leur pays d'origine, mais pas pour retrouver un travail ou pour retrouver une famille qu'ils ne devraient pas retrouver puisqu'ils sont étrangers en situation irrégulière et qu'ils ont été condamnés.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous venez de dire, Gérald DARMANIN, qu'il y avait 25% d'étrangers dans nos prisons, dont les trois quarts de ces étrangers extra-européens. Est-ce que, comme certains, vous estimez qu'il y a une relation entre immigration et délinquance ?
GERALD DARMANIN
Il y a une partie de relation entre immigration et délinquance. Tous les étrangers, évidemment, ne sont pas délinquants. L'immense majorité d'entre eux respectent notre pays, travaillent, envoient leurs enfants à l'école, veulent mieux vivre. Mais les étrangers sont surreprésentés dans la délinquance française. J'ai non seulement été ministre de l'Intérieur, mais j'ai été maire, maire de ma commune et même citoyen. Les citoyens voient bien qu'il y a, par une mauvaise intégration, par des difficultés extrêmement fortes, qui sont liées parfois à la pauvreté, parfois au trafic de drogue, parfois au trafic d'êtres humains. Les étrangers sont plus auteurs que les autres d'actes de délinquance. Ils sont aussi plus victimes que les autres d'actes de délinquance. Par exemple, les femmes étrangères sont plus victimes de violences que les femmes qui sont françaises, même s'il y a beaucoup de femmes françaises qui sont victimes de violences. Donc oui, il y a un certain lien qu'il faut combattre, et notamment par une immigration beaucoup mieux contrôlée et beaucoup mieux intégrée, et surtout une justice plus ferme avec les étrangers qui commettent des actes de délinquance.
APOLLINE DE MALHERBE
Une justice plus ferme. On va revenir aussi à la question du narcotrafic. Vous voulez que le régime contre les narcotrafics soit proche de celui des terroristes. Mais vous avez évoqué la question des lieux dans lesquels ces gens sont incarcérés. Et récemment, il y a eu aussi la question de ce qu'il se passe à l'intérieur des prisons. Est-ce que ces prisons sont désormais des états de non-droit ? Je voudrais que vous puissiez regarder ce document. Je vais le commenter évidemment pour ceux qui nous écoutent sur RMC. Cette vidéo que BFM TV s'est procuré, elle a été tournée le 9 novembre dernier. C'est une scène d'une violence inouïe qui se passe au sein de la prison de Nantes. On y voit un détenu entièrement nu, ensanglanté, traîné sur le bitume de la cour intérieure de la prison. En réalité, c'était deux groupes de détenus qui se battaient lors d'une promenade. Et pourtant, aucun gardien n'est intervenu parce qu'ils ont considéré que c'était trop dangereux. Quand les gardiens eux-mêmes ne peuvent même plus intervenir alors qu'on est au sein d'un lieu qui est un lieu normalement dans lequel on fait régner la loi.
GERALD DARMANIN
Oui, il faut rétablir l'ordre dans nos prisons, c'est incontestable. Et ça fait 11 mois que je suis ministre de la Justice et que j'essaye de le faire. Et je pense avec une certaine réussite. D'abord, les prisons de haute sécurité qu'on a construites en cinq mois. En cinq mois, on a su faire en France des prisons que d'ailleurs les étrangers viennent visiter, qui montrent qu'il n'y a pas de téléphone portable, pas de drogue, pas de clé USB pour les gens les plus dangereux. Ceux qui sont capables de s'évader, de commander d'assassinats, et notamment une grande partie des narcotrafiquants à la suite de l'affaire AMRA. Moi, je veux regarder les victimes de l'affaire AMRA dans les yeux et leur dire que je peux faire. J'ai fait des choses pour la sécurité des agents pénitentiaires et des Français. Mais il y a tout le reste, toutes les autres prisons où on sait que le téléphone portable, le sheet, des couteaux par drone, par le parloir, par corruption aussi, rentrent. Là, nous faisons des fouilles, en ce moment, qui n'avaient jamais été faites de cette ampleur dans les prisons. On a 80 fouilles, on a encore une centaine de prisons à fouiller.
APOLLINE DE MALHERBE
Ces fameux fouilles XXL, j'y reviens dans un instant, mais sur ces images, quand vous les avez découvertes, j'imagine que vous les aviez avant que nous, à BFMTV, nous ne les ayons. Mais elles sont saisissantes parce qu'on se dit au fond, ça, c'est au sein d'une prison. Si les gardiens eux-mêmes ne peuvent pas intervenir.
GERALD DARMANIN
Elles ne me surprennent pas vraiment, puisque c'est le cocktail affreux de : « Il manque des agents pénitentiaires ». Moi, j'en rajoute 1 000 au prochain budget. Il manque 4 000 agents pénitentiaires dans nos prisons. Donc, ce sont des gens très courageux, mais ils ne sont pas assez nombreux. Donc moi, je comprends très bien qu'ils aient aussi parfois peur. Et moi, je veux les soutenir. Et l'année prochaine, il y a 1 000 agents supplémentaires de plus.
APOLLINE DE MALHERBE
S'il est voté, enfin, ça j'y reviendrai.
GERALD DARMANIN
Je crois que vous voyez, devant les difficultés que notre pays a, on ne peut pas se priver de policiers, de gendarmes, d'agents pénitentiaires ou de magistrats. L'année prochaine, il y a 1 000 agents supplémentaires de plus. Nous construisons désormais 3 000 places de prison par an. On a repris la reconstruction de places de prison qui avait été en partie arrêtée. Et nous manquons de places de prison en France. Il y a 86 000 détenus, 65 000 places, grosso modo. Et troisièmement, il y a dans nos prisons beaucoup de gens qui ne devraient pas y être non plus. C'est à dire, je pense aux gens qui sont atteints psychiatriquement, 25% des détenus ont des maladies psychiatriques.
APOLLINE DE MALHERBE
Avant même de rentrer ou qui développent une fois qu'ils sont rentrés ?
GERALD DARMANIN
Avant même de rentrer, évidemment, une fois qu'ils sont en prison, une cellule de 9 mètres-carrés n'arrange pas votre pathologie. Mais 25% des gens qui sont emprisonnés sont touchés par une maladie psychiatrique. Ils ne devraient pas y être, ils devraient être en hôpital psychiatrique. Et donc, les agents pénitentiaires, la prison gèrent toutes les difficultés de la France. En pire, l'analphabétisation, les addictions à la drogue et à l'alcool très importantes et des maladies psychiatriques ou une mauvaise intégration des étrangers.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous venez de parler de ces fouilles. BFMTV et RMC ont d'ailleurs pu assister, ces derniers jours, à un certain nombre de ces fouilles. Fouilles, objectifs, zéro portable, ça a duré encore cette nuit. Est-ce que vous avez un premier bilan à nous faire de ce que vous avez trouvé dans ces cellules ?
GERALD DARMANIN
Oui, donc sur ces grandes fouilles que nous organisons avec des centaines d'agents, la police, la gendarmerie, les douanes que je remercie, avec des chiens qui viennent regarder si on trouve des téléphones portables ou de l'argent ou de la drogue. Sur les 80 premières prisons que nous avons fouillées, il y en a à peu près 200 en France, on a trouvé 1 100 portables, quasiment 10 kilos de drogue et à peu près 1 500 objets interdits. Je pense à des couteaux, par exemple, à des objets électroniques. J'ai vu à la prison de Nanterre, de mes yeux vus, parce que je participe la nuit avec une partie des agents pénitentiaires à ces fouilles, des lunettes connectées, par exemple.
APOLLINE DE MALHERBE
Des lunettes connectées, mais comment ça rentre ?
GERALD DARMANIN
Ça rentre de partout, ça rentre parce qu'il y a des drones qui viennent livrer des colis, ça rentre parce qu'il y a ce qu'on appelle des projections. Ceux qui habitent près des prisons voient qu'on lance parfois des choses à travers les murs. Ça rentre par le parloir, parfois par les familles. Ça rentre aussi par la corruption d'agents pénitentiaires, ça peut arriver. Et donc, on voit bien qu'on a laissé faire des choses.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous avez dit deux fois le mot corruption. J'y reviendrai, mais Gérald DARMANIN, quand vous dites sur ces saisies de portables, de drogue, il y a aussi le sentiment qu'il y a une forme de provocation. Et donc, s'il y a provocation, il y a sentiment d'impunité. Il y a 10 jours, il y a eu deux détenus qui s'échappaient de la prison de Dijon. L'un d'eux, me semble-t-il, a été rattrapé. L'autre court toujours, d'ailleurs. Oui, Gérald DARMANIN, on découvre à posteriori que l'un de ces deux avait un compte TikTok, un téléphone internet donc, un compte TikTok où il se filmait en direct de sa cellule et où il vendait même via TikTok de la drogue et des téléphones portables. Et puis, à la prison de Châteaudun, et ça, on peut voir les images, il y a un détenu, en ce moment même, semble-t-il, qui a deux comptes TikTok, qui cumule, à lui tout seul, plus de 60 000 followers. Il s'exprime sous le titre de " Le déjanté ". Comment est-ce que c'est possible ? C'est-à-dire que non seulement ça veut dire qu'ils ont un portable, qu'ils ont Internet, mais ça veut aussi dire qu'ils n'ont peur de rien, puisqu'ils le font à visage totalement découvert. Nous, on floute parce qu'on respecte la loi, mais en réalité, ils le font à visage découvert, c'est-à-dire qu'ils n'ont peur de rien. On sait où ils sont, on peut les retrouver sur TikTok ou alors vous êtes naïf et vous ne regardez pas TikTok quand vous travaillez dans les prisons.
GERALD DARMANIN
Je pense que je suis tout sauf naïf et que justement, je remets de l'ordre dans les prisons. Il y a 80 000, 86 000 détenus et il y a 200 prisons et nous sommes en train de rétablir l'ordre dans chacune d'entre elles. Évidemment, ça prend du temps. Je le fais avec beaucoup de fermeté. Je pense qu'une partie de ce que vous évoquez n'existe plus. Et quand on aura l'occasion d'en reparler, on pourra aussi dire que pendant la loi, et je pense dès le début du mois de janvier, je prendrai une disposition réglementaire, c'est-à-dire sans passer par la loi, qui met fin aux remises de peine lorsqu'on trouve un téléphone portable dans une prison. Parce qu'aujourd'hui, quand on trouve un téléphone portable dans une prison…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc, tous ces téléphones que vous avez trouvés, ça a comme conséquence immédiate qu'ils n'auront pas de remise de peine.
GERALD DARMANIN
Je change en ce moment le règlement parce que qu'est-ce qui se passe aujourd'hui quand on trouve un téléphone dans une prison ? La plupart du temps, on le jette, point. Il y a parfois du quartier disciplinaire, pendant 10 jours, 5 jours, 12 jours, les détenus vont dans le quartier disciplinaire, mais il ne se passe pas grand-chose. Bon, donc là, il faut qu'on arrête cette naïveté. Je vais changer le règlement, je vais changer nos textes de loi très rapidement pour le début du mois de janvier, pour dire que ceux qui ont un téléphone portable et que l'on trouvera une fouille et qu'on les trouvera... Fallait-il faire des fouilles jusqu'à présent ? On ne le faisait pas forcément à ce niveau. Ils n'auront pas de remise de peine.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que ces fouilles vont avoir lieu une fois ou est-ce qu'elles vont désormais être répétées régulièrement ?
GERALD DARMANIN
Exactement. Je mets en place une police pénitentiaire, c'est-à-dire des gens dont le travail sera de faire ces fouilles de façon systématique. Évidemment, elles seront très largement mises en place, mais aussi les fouilles au parloir, parce qu'une partie de ces objets rentrent par les parloirs. Et je constate que dans certaines prisons d'Ile-de-France, les fouilles sont systématiques au parloir tous les jours. Et c'est une très bonne chose. On ne trouve plus de drogue. Si je prends l'exemple de la maison d'arrêt de Nanterre, le contrôle qui a été encore fait au parloir hier par le préfet des Hauts-de-Seine, que je remercie, montre que nous avons rétabli, me semble-t-il, des gens qui acceptent d'aller voir les détenus sans apporter de drogue, sans apporter de téléphone.
APOLLINE DE MALHERBE
Autre contradiction parmi ce que vous avez pointé, Gérald DARMANIN, la prison de Vendin-le-Veil, c'est une des prisons que vous avez souhaitées, comme des prisons de haute sécurité, comme on dit, avec des détenus sélectionnés comme étant parmi les plus dangereux du pays. Pas de téléphone, pas de contact avec l'extérieur. Et pourtant, le 24 novembre dernier, l'un des détenus de cette nouvelle prison de haute sécurité a obtenu une permission de sortir par le juge des libertés, contrairement à ce qu'avait demandé justement le directeur de la prison et le parquet. Et donc, il est passé d'une prison où vous êtes, vous le dites encore ce matin, il est censé être coupé du monde, de ne pas avoir accès à un téléphone portable, a, tout d'un coup, une journée où il a pu traverser la France, prendre le TGV, utiliser à volonté le téléphone de sa femme, il y a quand même un problème, c'est-à-dire qu'il y a une contradiction manifeste.
GERALD DARMANIN
Le juge d'application des peines l'a décidé, moi je ne critique pas une décision indépendante d'un juge.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous la critiquez un peu quand même.
GERALD DARMANIN
Non, parce qu'il applique la loi. La loi est donc mal faite, on va changer la loi. Personne ne comprend quelqu'un qui soit en régime carcéral de haute sécurité. C'est le même régime qu'Antimafia en Italie. La France n'invente rien, elle a copié la fermeté italienne qui a fonctionné dans la lutte antimafia. Évidemment, quand vous êtes dans un quartier de haute sécurité, vous ne pouvez pas, alors que votre libération est supposée dans trois ans, avoir un entretien d'embauche physique. On aurait pu le faire d'ailleurs en vidéo, en visio, c'était tout à fait possible d'ailleurs, par l'application d'une règle qui est totalement absurde.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais ça, pardon, le juge pouvait tout à fait en décider, il aurait pu dire : " J'autorise cet entretien d'embauche en plus, un entretien d'embauche potentiel avec un futur employeur, je l'autorise mais par visio ".
GERALD DARMANIN
Il n'a pas souhaité le faire, comme il faut que l'on puisse mettre…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc ce n'est pas juste une question de loi, c'est aussi une question à un moment de choix d'application.
GERALD DARMANIN
On va changer la loi. S'il y a une telle interprétation possible qui choque à ce point les Français et qui rend en effet…
APOLLINE DE MALHERBE
Qui vous a choqué vous ?
GERALD DARMANIN
Ça rend absurde un système de haute sécurité si quelqu'un en effet peut dans la journée sortir, et c'est même insultant pour le travail des agents pénitentiaires qui prennent des risques très importants contre ces personnes potentiellement très dangereuses, qui sont d'ailleurs envoyées dans les prisons par avis du juge d'instruction, je veux dire, ce n'est pas, le ministre de la Justice qui tout seul décide ses affectations. C'est le service des renseignements, les policiers et les gendarmes et les magistrats. Donc, c'est quand même de ces collègues, des collègues qui le décident, le juge d'application des peines, et cette décision a été confirmée en appel. Donc il y a eu deux décisions de justice qui permettaient à cette personne de pouvoir avoir cet entretien. On va changer la loi si la loi permet cet entretien. Et cette loi, elle va permettre en effet de faire un parallèle entre ce que nous faisons contre l'activité terroriste et les activités narcotrafics. Le narcotrafic, il tue parfois même beaucoup plus que le terrorisme en France. Alors évidemment, c'est très choquant ce que je peux dire, mais tous les jours, il y a des tentatives de meurtre, il y a des corruptions actives…
APOLLINE DE MALHERBE
Mais le terrorisme, ce n'est pas le nombre de morts qui est le problème.
GERALD DARMANIN
Non, je ne compare pas les deux choses.
APOLLINE DE MALHERBE
C'est évidemment dramatique, mais c'est aussi la puissance de ce que ça dit de notre société.
GERALD DARMANIN
Oui, je pense que quand une jeune fille qui révise toute seule dans un immeuble à Marseille se prend une balle perdue, je pense que ça touche aussi notre société très profondément. Je pense que quand le frère de quelqu'un qui est un lanceur d'alerte écologiste est assassiné de plusieurs balles dans la tête devant sa mère, je pense que ça dit quelque chose de notre société. Et donc moi, je ne peux pas être quelqu'un qui dit : " bon, c'est comme ça et puis c'est tout ". Le narcotrafic est une menace pour la sécurité intérieure de notre pays.
APOLLINE DE MALHERBE
Ce meurtre, vous évoquez le meurtre du frère d'Amine KESSACI, c'était il y a bientôt un mois. Pour vous, c'est un tournant. Est-ce qu'il s'agit en effet d'une forme de terrorisme au sens terroriser ? Tous ceux qui voudraient parler remettre de l'omerta, est-ce qu'il y a de cela ?
GERALD DARMANIN
Mais c'est incontestable que dans l'acte de terreur, il y a l'assassinat, il y a la démonstration qu'on ne s'en prend pas simplement à celui qui tient le point de deal ou celui qui veut reconquérir votre territoire. Jusqu'à présent, c'était un peu ça. Moi, j'ai souvent entendu : " Ils se tuent entre eux ". J'ai trouvé une phrase que j'ai détesté parce qu'on voit bien qu'ensuite…
APOLLINE DE MALHERBE
Dans ce cas-là, ça nous au fond, finalement, bon, ça ne nous regarde pas quoi.
GERALD DARMANIN
Exactement, mais pendant longtemps, je pense que les Gouvernements, quels qu'ils soient, se sont dit : " Bon, bah, voilà c'est des règlements entre voyous ". Mais on voit bien qu'aujourd'hui, ça touche des lanceurs d'alerte, des journalistes. Il y a en Belgique et aux Pays-Bas des avocats de vos confrères qui font des enquêtes sur les mafias…
APOLLINE DE MALHERBE
Qui sont menacés.
GERALD DARMANIN
Qui sont même assassinés dans les rues d'Amsterdam, de Rotterdam ou de Bruxelles. Il y a des magistrats qui sont assassinés et il y a, on le sait, une volonté de lutter contre même l'autorité de l'État. Donc oui, c'est un acte de terreur.
APOLLINE DE MALHERBE
Il y a le mot que vous avez lâché, corruption. Vous l'avez dit à deux reprises spontanément depuis le début de cet entretien. Deux jeunes agentes administratives, on l'a appris il y a deux jours, du tribunal judiciaire de Marseille ont été mises en examen pour la consultation illégale de fichiers qu'ensuite, elles monnayaient plus ou moins à un interlocuteur qui était proche de la DZ MAFIA. Est-ce que ça veut dire que désormais, l'État est corrompu ?
GERALD DARMANIN
L'État n'est pas corrompu, mais l'État doit lutter contre la corruption de certains de ses agents parce qu'il met en danger, d'ailleurs, les autres agents. C'est vrai dans l'administration pénitentiaire. C'est vrai dans la magistrature. C'est vrai dans les agents qui travaillent pour les magistrats. Et d'ailleurs, je me félicite, même si on verra bien si ces personnes sont coupables à la fin. Je mets du conditionnel. Elles ont la présomption d'innocence, mais que ces personnes ont été confondues par la cellule anticorruption que nous avons mis en place au parquet de Marseille. Puisque désormais, nous devons regarder les choses en face. Et je pense que le ministère de la Justice est la seule vraie administration, avec les Douanes peut-être, qui regarde en face la corruption possible.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous laissez entendre que cette question, elle s'est posée aussi dans la Police, elle se pose dans la Gendarmerie.
GERALD DARMANIN
Elle se pose au service des impôts. Elle se pose aussi chez les élus locaux, dans l'administration locale, parce qu'il y a…
APOLLINE DE MALHERBE
Donc, il faut se pencher là-dessus, aujourd'hui, toutes les administrations se penchent là-dessus.
GERALD DARMANIN
Exactement, mais je pense qu'il faut bien comprendre que les narcotrafiquants, ils ont une surface financière extrêmement importante. Cet argent qui courant jusqu'au coeur des hommes, disait le président MITTERRAND, cet argent, il permet de pouvoir acheter tout le monde. Et monsieur AMRA, au bout de quelques mois de cavale, et ça coûte très cher, une cavale. Monsieur AMRA, il a su proposer 2 millions d'euros aux policiers roumains qui venaient l'arrêter après autant de mois de cavale. Imaginez ce qui se passe dans les prisons, chez les services enquêteurs, chez les gens qui travaillent auprès des magistrats, qui ont des informations, parfois des élus locaux, à qui on dit de fermer les yeux pour ne pas installer la caméra de vidéosurveillance.
APOLLINE DE MALHERBE
Et non seulement on leur donne de l'argent, mais on menace aussi leurs proches.
GERALD DARMANIN
Alors, la corruption, elle a plusieurs facettes. Ça peut être aussi quelqu'un, moi j'ai un agent pénitentiaire dont je me rappelle très bien le visage, qui m'a expliqué qu'un détenu, ça m'a d'ailleurs convaincu de faire les prisons de sécurité, souhaitait l'anniversaire de sa petite fille qu'il ne connaissait pas en l'appelant par son prénom.
APOLLINE DE MALHERBE
Sous-entendu, je sais qui est votre fille, je sais où est-ce qu'elle habite et je sais son travail d'adolescence.
GERALD DARMANIN
Et notre travail c'est de protéger les agents aussi de ça.
APOLLINE DE MALHERBE
Gérald DARMANIN, le protoxyde d'azote, vous avez reçu hier la famille de Mathis, c'est ce jeune de 20 ans qui a été fauché à Lille par un chauffard qui fuyait un contrôle de police, n'avait plus le permis et conduisait sous protoxyde d'azote. Est-ce que le protoxyde d'azote sera mis sur la liste des stupéfiants ?
GERALD DARMANIN
Oui, je le souhaite. Avec Laurent NUNEZ, on a reçu la famille, la maman très digne, et je pense au papa évidemment de Mathis, je le souhaite. Le protoxyde d'azote doit être vu comme un stupéfiant. Et par ailleurs, je veux aussi dire que c'est aussi le drame de la récidive, la mort de Mathis. Le chauffard avait 11 condamnations.
APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce qu'il y aura une interdiction officielle de détention et de consommation du protoxyde d'azote au volant ?
GERALD DARMANIN
Je le souhaite et je souhaite aussi qu'on puisse saisir le véhicule lorsqu'on trouve du protoxyde d'azote dans le véhicule. Et je souhaite que ce soit une circonstance aggravante lorsqu'il y a des accidents et lorsqu'il y a des assassinats involontaires. On appelle ça désormais un homicide routier, selon la loi qu'on vient de faire adopter. Je souhaite qu'effectivement, le protoxyde d'azote soit vu comme la drogue.
APOLLINE DE MALHERBE
1 000 nouveaux agents dans le prochain budget, avez-vous dit ? Encore faudrait-il qu'ils soient votés ? C'est toute la question. Est-ce qu'aujourd'hui, vous considérez que votre famille politique, c'est toujours ce qu'on appelait initialement le socle commun, quand on voit que ni LR ni Horizon n'ont voté pour, au contraire du PS ?
GERALD DARMANIN
Une partie d'Horizon et une partie de LR ont voté pour... Le budget de la Sécurité sociale n'est pas le meilleur budget que l'on ait fait. C'est un budget qui met parfois plus d'impôts, parfois plus de dépenses et qui ne fait pas la réforme des retraites.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous ne l'auriez pas voté vous-même ?
GERALD DARMANIN
Je me suis exprimé publiquement pour dire que je l'aurais voté parce que dans la situation politique dans laquelle on est, c'est ça où la dissolution. Donc, je comprends le travail très important, très courageux qu'a fait Sébastien LECORNU de compromis pour la stabilité de notre pays. Est-ce que c'est le budget rêvé pour la Sécurité sociale ? La réponse est non. Moi, je ne pense pas du tout qu'il faille augmenter les impôts, augmenter les dépenses et pas faire la réforme des retraites. Et je trouve qu'Édouard PHILIPPE a eu raison d'alerter sur les comptes publics. Mais une fois qu'on a dit ça, je constate aussi la responsabilité d'Édouard PHILIPPE et de tous ceux qui ont accompagné ce budget.
APOLLINE DE MALHERBE
Qui à la fin, n'ont pas appelé à voter contre.
GERALD DARMANIN
Le budget n'a pas été retoqué. C'est une très bonne chose, le budget de la Sécurité sociale. Maintenant, il faudra que dans la campagne présidentielle qui arrive et notamment dans la prochaine majorité, dans désormais plus d'un an, on puisse en effet retrouver un schéma qui baisse les dépenses, qui baisse les impôts, qui encourage entreprises et qui explique aux Français qu'il faut travailler. Non pas tous davantage, parce que beaucoup de Français travaillent beaucoup, mais un certain nombre ne travaillent pas assez. Et c'est ça qu'il faudra faire.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous vous êtes engagé officiellement, au moins le temps que vous soyez ministre, à ne pas être à proprement parler dans l'arène politique des ambitions de 2027. Ça vous coûte ?
GERALD DARMANIN
Non, parce que je fais des choses utiles pour les Français, vous venez de le dire. Je pense que nous remettons droit à la maison-justice, qu'on remet droit à les prisons. Je me bats pour ça et je me bats pour donner à la France ce qu'elle veut, c'est-à-dire je crois en une justice juste, digne, humaine, mais ferme. Et puis, après, lorsque j'aurai rempli ma mission, comme je l'ai fait aux impôts avec l'impôt à la source, comme je l'ai fait à l'intérieur avec les Jeux olympiques, nous verrons ce que je ferai pour notre pays collectivement, soit à ma simple place d'élu local à Tourcoing, soit pour contribuer au débat national. Et quand on est un homme politique, je pense qu'on aime son pays, on a envie qu'il aille mieux. Et j'aime mon pays et je souhaite qu'il aille mieux.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 décembre 2025