Dans ses observations définitives publiées le 29 novembre 2024 sur le déploiement et l'utilisation des compteurs Linky, la Cour des comptes évalue les suites données à une première publication sur le sujet en 2018.
L'institution rappelle la fragilité de l'équation économique de départ du projet Linky, destiné :
- d'une part, à améliorer le fonctionnement du réseau électrique et à en réduire les coûts de gestion ;
- d'autre part, à favoriser l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence ;
- à quoi est venu s'ajouter un objectif de maîtrise de la demande d'énergie.
Un déploiement de masse globalement réussi
La plupart des acteurs reconnaissent le succès du déploiement de masse des compteurs Linky, opéré sur la période 2016-2021, pour un coût de 4,6 milliards d'euros. Au 31 décembre 2021, 34 millions de compteurs ont été posés ; depuis lors, un "déploiement résiduel" se poursuit (2,3 millions d'anciens compteurs restent à remplacer).
Les contentieux liés à l'exposition aux ondes électromagnétiques ou à la protection des données individuelles se sont progressivement apaisés.
Les coûts d'investissement ont été inférieurs aux prévisions (18% de moins qu'anticipé), hormis pour le système d'information, qui a fait l'objet d'un surcoût "significatif", bien que l'impact sur le coût global du projet ait été limité. Un système de comptage performant représentait un élément essentiel pour concrétiser les gains initialement prévus. La Cour observe à ce titre qu'Enedis a rapidement obtenu des performances satisfaisantes :
- pour la collecte et la publication des index de consommation ;
- pour les télé-opérations (évitant le déplacement d'un technicien).
Un financement favorable pour Enedis
En 2018, la Cour avait mis en cause, comme suite aux directives de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), "le niveau élevé de la rémunération d’Enedis" ainsi que des incitations prévues pour mener à bien le déploiement du compteur communicant. Elle jugeait notamment "complexe et coûteux" un système de différé tarifaire destiné à reporter la couverture des coûts du projet Linky par les consommateurs, jusqu’à la concrétisation des gains attendus du projet.
Selon la Cour, il revient désormais à la CRE de s’assurer que les gains perçus par Enedis du fait du régime spécifique de rémunération des actifs Linky "seront employés au financement de son programme d’investissement dans les réseaux."
Des bénéfices pour la gestion du réseau, moins pour le marché
La Cour des comptes pointe les "objectifs initiaux mal hiérarchisés et pas toujours clairs" du projet Linky. L'équilibre économique reposait sur des externalités positives, "dont certaines difficiles à appréhender", comme les gains potentiels pour le consommateur. Or, certaines s'avèrent inférieures aux attentes.
Les gains liés à la diminution des coûts de relève (relevés désormais à distance), à la baisse des pertes techniques, à la réduction des fraudes et erreurs de facturation, sont en partie rétrocédés aux producteurs et consommateurs (baisse du coût de certaines prestations ou des charges d’exploitation couvertes par le tarif de distribution d’Enedis...).
Au niveau du marché, un certain nombre de gains étaient attendus pour les fournisseurs. Ainsi, Linky permet l'intégration des énergies renouvelables, le même compteur pouvant opérer en soutirage comme en injection. Il est également "essentiel au développement de l'autoconsommation collective."
Grâce à Linky, les pouvoirs publics ont pu prendre des mesures, durant l'hiver 2022-2023, qui ont permis de maintenir l'équilibre offre-demande d'électricité, évitant ainsi le recours à des coupures exceptionnelles lors d'un pic de consommation. Mais, le but poursuivi était l'intérêt général "et non l'intérêt immédiat du consommateur".
Or, la Cour relève, côté innovations commerciales des fournisseurs d'électricité, un bilan "décevant". Si Linky peut aider à faire des économies d'énergie, grâce à des factures plus détaillées, "on peine à voir dans cette contribution technique une "innovation" du marché concurrentiel". Quant à la modulation tarifaire horosaisonnière, elle est mise en avant par des offres aux prix variables, "difficiles à maîtriser", et qui semblent plus adaptées aux clients industriels qu'aux ménages. Le succès des offres à prix fixe tient au fait qu'elles sont faciles à comparer "préalablement au choix du fournisseur."