La loi est inspirée de deux rapports parlementaires de 2023 de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) et d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Ces rapports ont souligné les fragilités de la France en matière d'ingérences étrangères. Ces menaces, qui proviennent principalement de Russie, de Chine, de Turquie et d’Iran, se situent désormais à un niveau élevé dans un contexte de nouvelle "ère froide". Elles sont facilitées par les outils numériques (espace cyber).
Pour les auteurs du texte, le statut de grande puissance de la France "l’expose à des agressions ou tentatives de déstabilisations protéiformes émanant de l’étranger". Les outils qui existent aujourd'hui pour les contrer, bien qu'efficaces, "demeurent parfois insuffisants au regard de l’intensification de la menace que font peser les ingérences étrangères sur l’exercice de la souveraineté nationale". C'est pourquoi, de nouveaux dispositifs sont proposés. Ils ont été enrichi par les parlementaires au cours de l'examen du texte.
Création d'un registre des activités d'influence étrangère
La loi prévoit la mise en place auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) d'un registre numérique des activités d'influence étrangère. Il sera distinct du registre sur les représentants d'intérêts (lobbies) créé par la loi dite "Sapin 2" de 2016.
Ce registre recensera, après déclaration auprès de la Haute autorité, les activités des personnes agissant pour le compte d'un "mandant étranger" : puissances ou entités étrangères ou partis ou groupes politiques étrangers hors Union européenne. Ces activités devront avoir pour but d'influer sur la décision publique (notamment la fabrique de la loi) ou sur la conduite des politiques publiques, y compris sur la politique européenne ou étrangère de la France. Elles pourront consister à :
- entrer en communication avec des élus ou décideurs publics (candidats déclarés à une élection nationale ou aux Européennes, dirigeant d'un parti politique, ministres, conseillers ministériels ou du chef de l’État, parlementaires, exécutifs régionaux et départementaux, maires des communes de plus de 20 000 habitants, anciens présidents de la République ou ministres pendant cinq ans après la fin de leurs fonctions…) ;
- ou/et réaliser des actions de communication ;
- ou/et collecter de l'argent ou en verser sans contrepartie.
Les entités ou partis politiques étrangers qui agissent afin de promouvoir leurs intérêts ou ceux d'un État étranger devront aussi déclarer leurs activités.
Ainsi, toute personne physique ou morale, peu importe sa nationalité, qui promeut les intérêts d’une puissance étrangère auprès des pouvoirs publics français ou du grand public, sera soumise à une obligation déclarative. En seront toutefois dispensés le personnel diplomatique et consulaire en poste en France et les fonctionnaires des États étrangers.
Ce répertoire des activités d'influence étrangère sera public et sera commun à la HATVP, à l'Assemblée nationale et au Sénat.
La création de ce registre s'inspire de la législation en vigueur aux États-Unis (loi sur l’enregistrement des agents étrangers ou FARA pour Foreign Agents Registration Act) et au Royaume-Uni (loi sur la sécurité nationale de 2023 instaurant un registre relatif aux influences étrangères, le Foreign Influence Registration Scheme ou FIRS).
Les personnes qui refuseraient de transmettre à la HATVP des informations (sur leur identité, leurs actions d'influence, les personnes approchées…) risqueront trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. Les peines prévues pour les personnes morales sont plus lourdes : 225 000 euros d’amende, interdiction de percevoir une aide publique…
Le dispositif entrera en vigueur au plus tard le 1er juillet 2025. Un décret d'application est prévu.
Le texte a été complété pour imposer aux laboratoires d'idées (think tanks) et aux instituts de déclarer auprès de la HATVP les dons et versements étrangers (hors UE).
De plus, le contrôle sur la reconversion professionnelle dans le privé des anciens ministres, exécutifs locaux et membres d'une autorité indépendante est renforcé. Ce contrôle, réalisé actuellement par la HATVP en matière de conflits d'intérêts, est étendu aux risques d'influence étrangère et ce sur cinq ans.
Technique de l’algorithme et gel des avoirs
La loi autorise, à titre expérimental jusqu'au 30 juin 2028, les services de renseignement à utiliser la technique algorithmique pour détecter des connexions susceptibles de révéler des ingérences étrangères ou des menaces pour la défense nationale (par exemple des cyberattaques). L'usage de cette technique est aujourd'hui uniquement permis pour détecter des menaces terroristes, et ce à titre pérenne depuis la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
Le gouvernement devra remettre un rapport intermédiaire et un rapport final évaluant cette extension de la technique algorithmique.
Par ailleurs, la procédure de gel des avoirs financiers, autorisée en matière de terrorisme, est étendue aux affaires d'ingérences étrangères. Les personnes se livrant à de tels actes, les incitant ou les finançant pourront ainsi voir leurs fonds et ressources gelés en France. L'acte d'ingérence est défini dans ce cadre dans le code monétaire et financier comme un "agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d’une puissance étrangère et ayant pour objet ou pour effet, par tout moyen, y compris la communication d’informations fausses ou inexactes, de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, au fonctionnement ou à l’intégrité de ses infrastructures essentielles ou au fonctionnement régulier de ses institutions démocratiques".
Meilleure information du Parlement
La loi prévoit la remise par le gouvernement, avant le 1er juillet 2025, puis tous les deux ans, d’un rapport au Parlement sur l’état des menaces pesant sur la sécurité nationale, notamment en matière d’ingérences étrangères. Ce rapport pourra faire l’objet d’un débat au Parlement.
De plus, la publication par le gouvernement des données annuelles sur le contrôle des investissements étrangers en France (IEF) pourra être suivie d'un débat au Parlement.
Dispositif pénal renforcé
Une nouvelle circonstance aggravante est créée dans le code pénal lorsqu'une atteinte aux biens ou aux personnes est commise pour le compte d’une puissance ou d'une entité étrangère ou sous contrôle étranger. Les peines encourues seront donc plus lourdes. Dans de telles affaires, il pourra être recouru aux techniques spéciales d'enquête (écoutes…).
La loi est applicable outre-mer, notamment en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française.
À savoir : un nouveau rapport du Sénat intitulé "Lutte contre les influences étrangères malveillantes. Pour une mobilisation de toute la Nation face à la néo-guerre froide" a été présenté le 25 juillet 2024. Il est issu des travaux de la commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d’influences étrangères, dont certaines des auditions sont visibles en ligne.
Cette page propose un résumé explicatif du texte pour le grand public. Elle ne remplace pas le texte officiel.
Sources
-
Légifrance :
LOI n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France (version initiale) -
Légifrance :
LOI n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France (version consolidée) -
Conseil constitutionnel :
Décision n° 2024-871 DC du 24 juillet 2024 / Loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France -
Conseil constitutionnel :
Décision n° 2024-870 DC du 10 juillet 2024 / Loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France -
Légifrance :
Dossier législatif : Prévenir les ingérences étrangères en France