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© Britta Kromand / Stock-adobe.com

Danemark : une politique d'asile et d'immigration de plus en plus restrictive

Temps de lecture  24 minutes

Par : Cyril Coulet

Le Danemark a progressivement mis en place une des politiques les plus restrictives d’Europe en matière d'accès des étrangers à la citoyenneté et au droit d’asile. Le pays serait-il devenu précurseur d’un mouvement plus général en Europe sur la question migratoire ?

Depuis plusieurs années, le Danemark attire régulièrement l’attention en raison de sa position très restrictive concernant l’accueil des demandeurs d’asile et des immigrés, ainsi qu’en matière d’accès à la nationalité danoise. Les statistiques officielles danoises annoncent que 15,4% de la population serait désormais d’origine étrangère, en croissance continue depuis le début des années 1990. Ces données comptabilisent toutefois les ressortissants de l’Union européenne, des pays nordiques et d’Amérique du Nord dont l’établissement n’est pas permanent et qui représentent 59% de la proportion totale des étrangers établis au Danemark. La part des ressortissants "non occidentaux" au sein de la population danoise s’établirait donc à 6,3% de la population en 2023, soit à un niveau relativement faible comparé à d’autres pays européens.

Cette évolution démographique est néanmoins venue bouleverser une société qui s’est construite sur la valorisation de sa singularité. La domination politique exercée par la paysannerie indépendante dans le sillage de la défaite face à la Prusse en 1864 avait présidé à la constitution d’un État-nation caractérisé par une forte homogénéité. Depuis trente ans, la progression du nombre de ressortissants venus de pays non occidentaux installés sur le territoire a dès lors été perçue comme une menace pour la société danoise. La campagne de presse menée par le tabloïd Ekstra Bladet à l’encontre des Somaliens immigrés au Danemark à compter de 1997 a notamment joué un rôle déterminant dans la diffusion de l’idée que des réfugiés trop éloignés de la culture danoise seraient impossibles à intégrer. 

La question de l’immigration s’est donc graduellement imposée comme l’une des principales préoccupations des électeurs danois. Alors que 8% des électeurs danois estimaient que cette thématique était la plus importante en 1994, cette proportion passa à 14% en 1998 puis à 20 % en 2001. Le Parti populaire danois (Dansk Folkeparti) – créé en 1995 avec un programme politique fondé sur le nativisme – a vu dès lors ses résultats électoraux régulièrement augmenter, avec 7,4% des suffrages recueillis aux élections parlementaires de 1998 et 12% à celles de 2001. 

Dans son programme de 2001, il énonçait ainsi que : "Le Parti populaire danois (…) s’opposera à toute tentative de création d’une société multiethnique ou multiculturelle au Danemark, c’est-à-dire une société dans laquelle un groupe important est détenteur d’une culture différente de la nôtre. (…) Nous pouvons influencer un nombre limité de personnes venues de cultures étrangères mais une immigration d’une importance telle que nous l’avons connue ces vingt dernières années ne peut pas conduire à l’intégration".

Dès lors, la rhétorique du parti nationaliste s’est rapidement imposée dans l’espace politique danois pour s’étendre progressivement à l’ensemble des partis politiques et façonner une politique parmi les plus restrictives d’Europe concernant l’accès au territoire et à la nationalité. 

Le Parti populaire danois, catalyseur de la radicalisation danoise

À l’occasion des élections parlementaires de novembre 2001, le Parti libéral (Venstre, Danmarks Liberale Parti) arriva en tête et put constituer un gouvernement minoritaire avec le Parti conservateur. Le Parti populaire danois monnaya son soutien à cette coalition gouvernementale en contrepartie des premières mesures restreignant l’accès au territoire danois. Il aspirait à la mise en œuvre de son programme politique qui indiquait : "La loi sur les étrangers doit être abrogée de telle sorte que le Danemark ne reçoive que les étrangers qui disposent du droit d’asile en application de la convention des Nations Unies [de 1951 relative au statut des réfugiés]. Le droit au regroupement familial doit être aboli pour tous les étrangers qui ne relèvent pas du statut de réfugié selon la convention. L’accès au regroupement familial doit être réservé aux citoyens danois qui peuvent subvenir aux besoins de leur conjoint. Les peines pour la conclusion de mariages blancs doivent être renforcées".

Les trois partis conclurent en mai 2002 un accord sur le renforcement des conditions d’accès à la citoyenneté qui prit la forme d’une circulaire sur la naturalisation en date de juin 2002. Cette circulaire a relevé de deux ans la condition de résidence pour prétendre à la nationalité – soit neuf ans pour un immigré de droit commun – et a introduit un examen linguistique ainsi que des conditions de bonne conduite. Ainsi, tout personne condamnée à plus de deux ans de prison ne pouvait plus prétendre à la naturalisation. Elle abolit également toute possibilité de regroupement familial pour les étrangers âgés de plus de 60 ans. Ces nouvelles mesures eurent pour effet de réduire le nombre des naturalisations qui passèrent de 17 727 en 2002 à 6 184 en 2003. Cette évolution fut complétée par une importante réforme de la loi sur la citoyenneté en 2003, encore amendée en 2004. 

Antérieurement à cette réforme, l’acquisition de la nationalité danoise pour les descendants d’immigrés était quasiment automatique, puisque les seules conditions étaient d’avoir résidé dix ans au total au Danemark et de ne pas avoir de casier judiciaire. La réforme de 2004 a abrogé cette modalité d’acquisition de la nationalité danoise pour lui substituer les modalités d’acquisition de la nationalité applicables aux immigrés de la première génération.

En parallèle, le gouvernement de centre-droit fit adopter en 2002 – avec le soutien du Parti social-démocrate danois – la première modification de la loi sur les étrangers. Cette dernière avait pour ambition de préciser la notion de réfugié en lui donnant la définition la plus restrictive qui soit dans le respect des conventions internationales. Elle introduisit la règle dite des 24 ans (24-års-reglen) qui limite la possibilité offerte aux étrangers de pouvoir accéder à un statut de résident danois à travers le mariage. Ainsi, les personnes domiciliées au Danemark ne peuvent être désormais unies selon la loi danoise qu’à condition que les deux membres du couple soient âgés de plus de 24 ans et que leur durée cumulée de résidence sur le territoire danois soit au moins supérieure à la durée de résidence dans le pays d’origine.

Des critères matériels ont également été introduits. Les revenus du couple devaient être au moins supérieurs à deux fois le niveau des prestations d’aide sociale et les membres ne devaient pas avoir perçu d’aide sociale pendant trois ans. En outre, le futur couple devait être propriétaire ou locataire d’un appartement suffisamment vaste pour contenir deux personnes par pièce soit au moins 40 m2. Consécutivement à l’application de ces nouvelles règles, le nombre de mariages entre des étrangers et des jeunes femmes de la deuxième génération établies au Danemark, âgées de 18 à 23 ans, ne représentait plus que 3% du nombre total des mariages en 2007 contre 22% en 2000.

En dépit de ces évolutions, le Parti populaire danois fit à nouveau campagne sur le thème de l’immigration en novembre 2005 en indiquant que : "Grâce au Parti populaire danois, beaucoup de choses positives se sont déjà produites en ce qui concerne l’immigration, mais nous devons aller plus loin ! Nous devons améliorer les rapatriements et les renforcer en réponse à l’immigration. Ainsi les étrangers doivent respecter les us et coutumes danois ainsi que nos lois et règlements sinon ils doivent partir. Il est toujours trop facile d’obtenir la naturalisation ; nous devons encore durcir les conditions".

Le parti obtint 13,3% des voix et la coalition gouvernementale fut reconduite dans les mêmes termes qu’à l’issue des élections de 2001. Un nouvel accord fut conclu entre le Parti libéral, le Parti conservateur et le Parti populaire danois sur les naturalisations en décembre 2005. Ce dernier fut repris dans une circulaire sur la naturalisation de janvier 2006 qui vint durcir les conditions de la précédente circulaire. Ainsi, l’accès à la nationalité danoise devint interdit à tout étranger ayant fait l’objet d’une condamnation de plus de 60 jours pour atteinte à la sécurité ou à l’indépendance de l’État ou pour acte de terrorisme, ainsi que pour tout étranger ayant fait l’objet d’une condamnation de plus de 18 mois pour tout autre motif. 

De même, tout étranger prétendant à la citoyenneté danoise devait désormais démontrer son indépendance financière en ne bénéficiant d’aucune aide sociale pendant plus d’une année sur les cinq précédant la demande d’accession à la nationalité danoise. Enfin, le niveau linguistique exigé pour accéder à la nationalité danoise fut relevé des niveaux B1 à B2 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) et un questionnaire sur la culture, l’histoire et la société danoises fut instauré. 

L’ensemble de ces mesures ayant pour ambition de restreindre l’accès à la nationalité danoise alla au-delà des attentes de la coalition au pouvoir, comme en atteste l’évolution du nombre d’étrangers naturalisés par le parlement danois (Folketing). La tendance à la baisse fut encore accentuée du fait que des étrangers apatrides se retrouvèrent privés de leur possibilité de solliciter la citoyenneté danoise faute d’une information complète et impartiale. La révélation de cette situation conduisit à la démission du ministre de l’intégration en 2011. Les élections parlementaires de 2011 clôturèrent cette séquence en consacrant la victoire d’une coalition électorale de centre-gauche conduite par le Parti social-démocrate.  

Le revirement social-démocrate

La constitution du nouveau gouvernement s’accompagna d’un assouplissement des dernières mesures prises par la précédente coalition en matière de droit des étrangers et d’accès à la citoyenneté. L’objectif affiché était de faciliter l’accès à la citoyenneté pour les étrangers établis de longue date sur le territoire danois et dont l’intégration était estimée satisfaisante. Ainsi, le permis à points créé en 2011 pour autoriser le mariage d’un étranger avec une personne établie sur le sol danois fut révoqué, et le montant des sommes nécessaires pour établir un ménage au Danemark fut ramenée de 100 000 à 50 000 couronnes danoises (soit de 13 400 à 6 700 euros). Les exigences en matière de compétence linguistique furent également revues à la baisse pour revenir au niveau B1. 

L’évolution la plus significative portée par le nouveau gouvernement fut toutefois la réaffirmation du droit du sol pour les descendants des immigrés contenue dans la loi du 18 décembre 2014. Cette loi autorisa la double nationalité, qui traditionnellement n’existait pas au sein des pays nordiques, et permit aux étrangers nés sur le sol danois de prétendre à la nationalité. Ainsi, les enfants nés au Danemark et issus de parents obtenant la nationalité danoise pouvaient désormais l’acquérir automatiquement à condition de remplir les conditions suivantes :

  • avoir obtenu le diplôme de fin d’études à l’issue de la scolarisation obligatoire à l’âge de 16 ans ;
  • ne pas être âgé de plus de 19 ans ;
  • résider ou avoir résidé au Danemark pendant au moins 12 ans dont cinq ans parmi les six dernières années ;
  • ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation judiciaire.

Le nouveau gouvernement participa en 2013 à la réactualisation du règlement de Dublin de l’Union européenne sur les demandeurs d’asile. À l’occasion, il ne revint toutefois pas sur la clause d’exemption (opt out) en matière d’immigration et de politique d’asile que le Danemark avait négocié lors du traité de Maastricht (1993) et qu’il avait consolidé à l’occasion du traité de Lisbonne (2009). 

Le gouvernement social-démocrate adopta une réponse ambivalente face au défi migratoire posé par la guerre en Syrie. D’une part, il introduit en février 2015 un nouveau statut temporaire pour les réfugiés dont la situation dans leur pays d’origine est caractérisée par des actes de violence arbitraires et des attaques sur les civils. Ce nouveau statut autorisait la présence sur le territoire danois, pour une année, reconductible deux fois, avec la possibilité d’une ultime reconduction pour une période de deux ans, sans toutefois donner droit à l’asile. Le nouveau statut ouvrait ainsi l’accès au territoire danois à des personnes qui ne pouvaient prétendre à l’asile politique, mais au prix d’une plus grande précarité.

D’autre part, ce même gouvernement décida d’augmenter les peines concernant l’immigration clandestine et de renforcer les contrôles aux frontières.

Les élections parlementaires de 2015 mirent fin à l’expérience du gouvernement de centre-gauche dirigé par les sociaux-démocrates. Avec plus de 21 % des voix, le Parti populaire danois s’affirma comme la deuxième force politique du pays, et le Parti libéral se trouva à nouveau en situation de former un gouvernement avec l’appui de la formation populiste et nationaliste de droite. 

Sa défaite amena pour sa part le Parti social-démocrate à revisiter sa doctrine en matière d’accueil des étrangers au cours de sa période dans l’opposition. Il adopta un nouveau programme dont l’objectif était de concurrencer le Parti populaire danois en vue de reconquérir les électeurs perdus. On y trouvait notamment la mention suivante : "La population au Danemark a changé très rapidement. En 1980, seul 1 % de la population danoise n’avait pas d’origines occidentales alors qu’aujourd’hui c’est le cas de 8 %. C’est une évolution qui s’est produite sur une génération seulement. On n’est pas une mauvaise personne si l’on ne souhaite pas voir son pays totalement transformé. Et on n’est pas naïf si l’on veut bien aider d’autres personnes à accéder à une meilleure vie. La société danoise a bénéficié de la contribution de bon nombre d’entre eux au cours du temps. […] Mais malheureusement, trop nombreux sont ceux qui viennent au Danemark sans devenir une part du Danemark. Cette évolution doit être modifiée. Ce défi que nous devons relever est malheureusement appelé à durer. Cela contraint notre modèle d’État providence, notre faible niveau d’inégalité et notre mode de vie […]".

Un changement radical

La constitution du nouveau gouvernement sous l’égide du Parti libéral se traduisit par de nouvelles restrictions concernant l’accès au territoire danois. Les prérogatives de la police furent étendues et les règles relatives au regroupement familial furent durcies pour les personnes disposant du statut de protection temporaire. Le contrôle aux frontières fut rétabli à la frontière avec l’Allemagne à compter de juin 2016 – il a fait depuis l’objet de renouvellements continus pour des motifs divers. 

Afin de dissuader les candidats à l’immigration au Danemark, une campagne de presse orchestrée par le gouvernement fut lancée au Liban pour informer les réfugiés en provenance du Moyen-Orient des conditions drastiques d’installation sur le sol danois. Une loi fut adoptée permettant de confisquer les biens des immigrés – y compris les biens à valeur sentimentale – lorsqu’ils excédaient 3 000 couronnes danoises (soit 400 euros), afin de financer leur séjour sur le territoire danois. 

L’accès à la citoyenneté danoise fut en outre subordonné, par une loi de juin 2018, à l’accomplissement d’une cérémonie dite constitutionnelle, à l’issue de laquelle le nouveau citoyen doit serrer la main d’un représentant de la commune, généralement une femme pour s’assurer que les personnes d’origine étrangère acceptent les règles en vigueur au Danemark en matière d’égalité entre les sexes.

Le cœur même du changement du modèle danois réside dans l’accord conclu entre le gouvernement et le Parti populaire danois en novembre 2018, qui donna lieu à une révision de la loi sur les étrangers en mars 2019. L’objet de cette réforme était de faciliter la révocation des autorisations de résidence sur le territoire danois accordées aux immigrés en s’appuyant sur le statut temporaire de 2015. 

Ce dernier se situe en effet en dehors du champ de la Convention de Genève de 1951, qui n’autorise le retour des réfugiés qu’à partir du moment où un changement durable s’est produit dans leur pays d’origine. Le statut temporaire autoriserait ainsi le retour des immigrés quand bien même les conditions dans ce pays restent préoccupantes, fragiles et imprévisibles, en contradiction avec le principe de non-refoulement contenu dans la Convention internationale de 1951. 

Le changement de modèle s’est accompagné d’un affaiblissement de la notion d’attachement au pays d’accueil. Préalablement à la réforme, cette notion était particulièrement importante pour apprécier l’impact de la révocation du titre de séjour et y faire obstacle si l’impact était jugé trop important. Désormais, cette notion s’est vue relativisée pour favoriser la décision de mettre fin au séjour. La durée du séjour de l’immigré, l’inscription d’un enfant dans la société danoise, le fait de maîtriser le danois ou d’avoir un emploi ont vu leur poids être réduit pour faciliter la révocation du droit de séjour.

Ce profond changement d’orientation introduit par la nouvelle coalition fut rapidement mis en œuvre lors de l’examen du renouvellement des titres de séjour temporaires accordés aux réfugiés syriens. Le projet Damas, lancé en 2019 pour réexaminer la situation des réfugiés syriens, fut conduit de juin 2019 à décembre 2021. Sur la période considérée, 1 115 situations furent examinées conduisant à 376 décisions de révocation du droit de séjour. Ces décisions firent l’objet d’un recours automatique en appel auprès du conseil d’appel des réfugiés mais 99 décisions de fin de séjour furent confirmées. Le Danemark fut ainsi le seul pays de l’Union européenne, avec la Hongrie, à révoquer le titre de séjour de ressortissants syriens. 421 réfugiés syriens ont fui le Danemark pour trouver refuge en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Suède. 

L’arrivée au pouvoir d’une coalition conduite par les sociaux-démocrates en 2019 n’infléchit en rien la position danoise. La Première ministre Mette Frederiksen déclara devant le Parlement en janvier 2021 que son objectif était que le Danemark ne reçoive plus aucun demandeur d’asile et qu’elle entendait privilégier l’octroi d’un statut temporaire pour faciliter la reconduite dans le pays d’origine. La seule inflexion fut l’abandon du projet de déporter sur l’île inhabitée de Lindholm les demandeurs d’asile déboutés de leur demande et les immigrés ayant un casier judiciaire. 

En octobre 2021, le gouvernement social-démocrate s’inscrivit dans le camp des pays déterminés à éviter toute immigration de réfugiés syriens depuis la Biélorussie en offrant quinze kilomètres de fil barbelé à la Lituanie. Il se joignit en outre à onze autres États européens afin de solliciter la possibilité de mobiliser les fonds communautaires pour financer la construction de murs anti-migratoires aux frontières de l’Union européenne.

En parallèle, le gouvernement social-démocrate entreprit de réformer l’accès à la nationalité danoise en vue de rendre son accès encore plus complexe. Cette réforme a pu sembler d’autant moins nécessaire que le taux de descendants d’immigrés obtenant la nationalité danoise avait commencé à chuter à partir de 2018 pour atteindre 65%. Le durcissement des conditions, déjà drastiques, a été opéré par la circulaire du mai 2021 et contient les évolutions suivantes :

  • toute condamnation pénale – y compris avec sursis – proscrit l’accès à la citoyenneté ;
  • toute condamnation civile sous forme d’une amende d’un montant d’au moins 400 euros pour infraction aux règles sociales, aux règles d’immigration ou fraude aux aides sociales entraîne l’interdiction de solliciter la citoyenneté danoise pendant six ans ;
  • toute condamnation pénale pour crime en bande organisée entraîne la déchéance de nationalité ;
  • le test de citoyenneté est augmenté de cinq questions portant sur les valeurs danoises et l’articulation entre la loi et la religion ;
  • un délai supplémentaire de latence de deux ans est instauré après l’octroi d’un titre de séjour permanent avant de pouvoir demander la citoyenneté danoise ;
  • le candidat doit être titulaire d’un emploi ou exercer une activité indépendante au moment de la demande et avoir été en situation d’activité professionnelle au cours de trois ans et demi sur les quatre dernières années ;
  • le candidat ne doit pas avoir de dettes envers l’État pour quelque motif que ce soit : emprunt, prêt étudiant, amende, aide sociale ou frais de procédure d’un montant d’au moins 400 euros ;
  • le candidat doit avoir réussi le test de langue d’un niveau B2 ou avoir réussi un test de langue de niveau B1 sans avoir perçu d’aide sociale pendant plus de six mois sur les neuf dernières années.

Ainsi la coalition de gauche conduite par le Parti social-démocrate s’est résolument inscrite dans la continuité de la coalition de centre droit et a repris les thématiques portées par le Parti populaire danois.

Le Danemark à la lisière du droit international

Le gouvernement social-démocrate a franchi une nouvelle étape en faisant adopter le 3 juin 2021 par le Parlement un amendement à la loi sur les étrangers permettant le transfert des demandeurs d’asile vers un pays tiers à l’Union européenne en vue d’assurer l’instruction de la demande d’asile et la protection des réfugiés. Le porte-parole du Parti social-démocrate danois en charge de la politique sur les étrangers a déclaré à cette occasion : "Si vous sollicitez l’asile au Danemark, vous savez que vous serez refoulé vers un pays extérieur à l’Europe (…) et nous espérons donc que les gens cesseront de solliciter l’asile au Danemark".

Cet amendement est jusqu’ici resté très flou puisqu’il n’a pas précisé quel pays serait responsable de la conduite de l’instruction de la demande d’asile, ni à quelle juridiction le centre installé dans le pays tiers serait soumis. L’accord conclu en avril 2021 entre le Danemark et le Rwanda lançant une coopération en matière d’immigration et d’asile n’apporta pas de réponse à ces interrogations. Les modifications introduites par cet amendement pourraient ainsi constituer la tentative la plus ouverte de remise en question des principes du droit international et du droit communautaire en matière d’immigration. 

À ce titre, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) a exprimé son opposition "aux efforts visant à externaliser ou à sous-traiter l’asile et les obligations de protection internationale à d’autres pays. De tels efforts visant à se soustraire aux responsabilités vont à l’encontre de la lettre et de l’esprit de la Convention internationale de 1951 sur le statut des réfugiés". 

De même, le porte-parole de la Commission européenne a prévenu que le Danemark risquait de "saper les fondations du système international de protection des réfugiés" et a ajouté que cet amendement "n’était pas possible au regard des règles en vigueur au sein de l’Union européenne ou des propositions dans le cadre d’un nouveau pacte pour l’immigration et l’asile". 

Ces avertissements n’ont pas empêché le Danemark de conclure en septembre 2022 un nouvel accord avec le Rwanda. Si ce dernier reste depuis encore vague dans son contenu, il fut accompagné de déclarations laissant entendre que 1 000 demandeurs d’asile par an pourraient être transférés du Danemark vers le Rwanda sur la base du volontariat. 

Le Rwanda, en sa qualité de pays hôte, serait alors chargé de l’accueil, de l’instruction de la demande d’asile et de la reconduite à la frontière en cas de rejet. Le gouvernement social-démocrate s’est trouvé conforté dans sa stratégie par sa victoire aux élections parlementaires de novembre 2022 (27,5 % des suffrages), alors que le Parti populaire danois ne ralliait plus que 2,6 % des suffrages.

Fort de cette victoire – et sous la menace de la défaillance du Parti social-libéral –, le gouvernement danois a annoncé suspendre la mise en application de sa convention avec le Rwanda et rechercher un accord avec l’Union européenne en vue de rendre compatible l’existence d’un centre d’accueil pour demandeurs d’asile au Rwanda avec les dispositions du règlement Dublin III. 

Les juristes du gouvernement danois s’appuient sur une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour faire reconnaître que le renvoi d’un demandeur d’asile vers un pays tiers sûr est compatible avec la réglementation européenne. L’accord du 13 juin 2023 du Conseil des ministres de l’Union européenne sur la nouvelle politique en matière d’immigration et d’asile réitère le droit de chaque État membre à envoyer un demandeur d’asile vers un pays tiers sûr. Le gouvernement danois espère donc que sa position sera soutenue par un nombre suffisant d’États membres dont certains ont déjà indiqué leur intérêt pour la création de centres d’accueil de demandeurs d’asile situés en dehors de l’Union européenne.

Le gouvernement danois souhaite, d’une part, éviter que le pays ne se trouve placé au ban de l’Union européenne sur la question migratoire et, d’autre part, conserver une position intransigeante sur l’accès à la résidence permanente et à la citoyenneté. C’est ainsi que le Danemark a conduit une politique d’accueil favorable aux Ukrainiens tout en restreignant leur possibilité de s’établir durablement sur le territoire danois. Seuls 4 % des Ukrainiens accueillis au Danemark disposent en effet d’un statut juridique ouvrant la possibilité d’une installation sur le territoire.

 

La situation danoise démontre combien les thématiques portées par l’extrême droite ont su se diffuser à l’ensemble de la classe politique, conduisant régulièrement les gouvernements successifs à tester en permanence les limites du droit international au risque de se retrouver régulièrement condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).

La politique danoise a fait des émules en Europe, comme en atteste le plan britannique consistant à établir une convention avec le Rwanda pour l’accueil des demandeurs d’asile. Ce projet a toutefois été rejeté par la Cour suprême britannique le 15 novembre 2023 au motif que le Rwanda ne pouvait être considéré comme un pays sûr. De même, le gouvernement suédois a lancé un ensemble réformes visant à limiter l’octroi de l’asile et à limiter le regroupement familial au cours du mois d’octobre 2023, marquant une forte inflexion dans sa tradition d’accueil sous l’influence du parti des démocrates de Suède.

La reprise des thèses du Parti populaire danois par les autres partis de gouvernement a permis de réduire pour l’heure son assise électorale. En revanche, la question de la viabilité du modèle économique et social danois peut être posée alors que le taux de fécondité des femmes danoises s’établit à 1,6 et que la structure de la population danoise se modifie avec l’augmentation continue de la part des personnes âgées de plus de 74 ans et la diminution de celle des moins de 15 ans.

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