La crise du multilatéralisme (3/3)

L'Actualité de la vie publique - Podcast - N° 63

Temps de lecture  10 minutes 27 secondes

Par : La Rédaction

Podcast

Réunion du Conseil de sécurité de l'ONU

Quelles sont les causes de la crise du multilatéralisme ? Pourquoi certains acteurs du système multilatéral remettent-ils en cause l’ordre international ? Quelles sont les réformes proposées pour rééquilibrer les pouvoirs au sein des grandes organisations ? Les nouvelles formes de coopération peuvent-elles refonder les relations internationales ?

La crise du multilatéralisme (3/3)

Léa : Bonjour à toutes et à tous,

Bonjour « Patrice »

Patrice : Bonjour « Léa » 

Léa : Depuis plusieurs années, le modèle d’organisation des relations internationales mis en place au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale fondé sur la coopération entre les États et le respect de règles communes fait face à une crise profonde. 

80 ans après la création d’institutions internationales majeures telles que l’Organisation des Nations unies qui étaient garantes de l’ordre international, voici une nouvelle série de « L’Actualité de la vie publique » consacrée au multilatéralisme.

Au sommaire de ce troisième et dernier épisode : 

« La crise du multilatéralisme ».

Léa : Première question Patrice, pourquoi parle-t-on aujourd’hui d’une crise du 
multilatéralisme ? Quels en sont les principaux symptômes ? Sachant que désormais certains experts vont jusqu’à imaginer la fin de l’ordre international mis en place après 1945.

Patrice : Alors ce que l’on observe, Léa, c’est que le système multilatéral universel 
fondé sur la coopération étatique et des institutions globales, comme l’ONU, le FMI, l’OMS ou l’OMC – après avoir connu véritablement son âge d’or dans la seconde 
moitié du XXe siècle - a amorcé un déclin progressif au tournant du XXIe siècle. Et 
depuis quelques années, cette crise à laquelle le multilatéralisme est confronté s’est 
effectivement aggravée. Cette érosion du système on la constate  notamment à travers les derniers grands traités à vocation universelle conclus dans le premier quart du siècle. Ils ne contiennent que des déclarations d’intention sans aucun engagement réel pour les États. C’est le cas de l’accord de Paris sur le climat de 2015, du Traité sur 
l’interdiction des armes nucléaires de 2017 ou encore du Pacte mondial sur les 
migrations de 2018. 

Léa : Y a-t-il d’autres exemples qui illustrent cette dégradation du multilatéralisme ?

Patrice : Oui ! Par exemple, on observe que dans de nombreuses situations les 
principes les plus élémentaires du droit international sont de moins en moins 
respectés. De même, le fonctionnement des institutions multilatérales est de plus en plus compliqué car elles font face à de nombreux blocages. Les relations entre les blocs géopolitiques se dégradent. Et on assiste à un retour des logiques unilatérales ou bilatérales dans les relations entre États.

Léa : Mais qu’est-ce qui explique cette évolution des relations internationales ? Quelles sont les causes de la crise du multilatéralisme ?

Patrice : D’abord Léa, on assiste à la montée en puissance partout dans le monde de gouvernements nationalistes ou souverainistes qui rejettent le modèle multilatéral et en affaiblissent la logique coopérative. Même un pays qui a été un pilier du 
multilatéralisme, comme les États-Unis, le remet en cause depuis la première élection de Donald Trump et son projet politique « America First ».  Ensuite, le durcissement des relations internationales, que l’on observe aussi depuis quelques années, est une autre explication de la crise. Une nouvelle configuration géopolitique s’est en effet mise en place qui se traduit par la fragmentation du monde. Ce monde devenu 
multipolaire accentue les tensions, en particulier entre les États-Unis, la Chine et la Russie. Ces deux dernières puissances critiquent régulièrement l’universalisme des 
organisations créées par les occidentaux et n’hésitent pas à en contourner les règles.

Léa : D’ailleurs le retour d’un conflit majeur sur le sol européen depuis 1945, la guerre en Ukraine, est vraiment révélateur de la crise du système, n’est-ce pas ? 

Patrice : Oui ! Parce qu’outre le fait que cette guerre constitue une violation grave de la Charte des Nations unies par la Russie, un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. On a aussi pu constater, qu’à cette occasion, certains pays 
africains ou asiatiques ne se sont pas positionnés clairement en faveur du camp 
occidental, contrairement à ce qui aurait été autrefois la norme dans une telle 
situation. 

Léa : Mais pourquoi ces pays ont-ils adopté un positionnement différent cette fois ?

Patrice : En fait, les pays dits du Sud global dénoncent depuis longtemps déjà les 
déséquilibres de représentation au sein des institutions internationales, que ce soit à l’ONU ou au FMI par exemple. Ils jugent en effet que cette représentation est biaisée en faveur des grandes puissances et des pays occidentaux. Avec la montée en 
puissance sur la scène diplomatique, des grands pays émergents comme le Brésil, l’Afrique du Sud ou l’Inde, ils estiment que les organisations internationales ne 
reflètent plus la réalité du monde tel qu’il est aujourd’hui. De la même manière, ces pays du Sud global ne sont plus disposés à accepter, ce qu’ils considèrent comme un « double standard » pratiqué par les pays occidentaux en matière de droit 
international par exemple.  Selon eux, les occidentaux ont tendance à ne promouvoir les valeurs universelles portées par le multilatéralisme qu’en fonction de leurs propres intérêts. Tout cela finit par alimenter dans les pays du Sud global un sentiment 
d’injustice et de méfiance à l’égard de l’ordre multilatéral.

Léa : Quelles sont aujourd’hui les conséquences de cette situation pour l’ordre 
international et les grandes organisations ?

Patrice : Alors dans le cas de conflits majeurs en cours comme les guerres en Ukraine ou à Gaza, les veto russes et américains paralysent totalement le Conseil de sécurité et empêchent ainsi tout règlement par les Nations unies de ces conflits et cela, malgré les multiples résolutions adoptées par la majorité des membres de l’Assemblée générale. Autre dossier celui du commerce international, l’OMC est de plus en plus impuissante face à la multiplication des différends commerciaux, notamment entre les États-Unis et la Chine, face aussi aux multiples accords bilatéraux conclus ces dernières années, mais également face au retour du protectionnisme, une politique assumée ouvertement par les États-Unis depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Cette situation met le système commercial multilatéral sous forte tension à un moment où l’OMC cherche à s'adapter aux nouvelles réalités des échanges internationaux comme le 
commerce numérique ou les chaînes de valeurs mondiales et à mettre en œuvre les 
réformes qui permettraient de rééquilibrer les échanges et de garantir que les règles commerciales bénéficient équitablement à tous les pays, en particulier les plus 
vulnérables. Enfin, la dénonciation par les États-Unis, de certains accords 
internationaux comme l’accord de Paris sur le climat ou leur retrait de certaines 
organisations internationales comme le Conseil des droits de l’homme des Nations unies ou l’OMS fragilisent clairement le bloc occidental.

Léa : Est-ce que les formats plus restreints qui se sont multipliés ces dernières années sont une conséquence des difficultés rencontrées par les organisations internationales dans le fonctionnement du système multilatéral ? 

Patrice : Oui ! C’est en effet une des conséquences de cette situation de blocage des instances internationales. Les États ont tendance face à l’érosion des mécanismes 
multilatéraux à privilégier des formats plus souples ou exclusifs comme le G20 - 
qui regroupe dix-neuf des pays aux économies les plus développées plus l’Union 
européenne - ou les BRICS+ un groupe géopolitique rassemblant dix pays du Sud 
global et des puissances régionales comme l’Iran ou la Russie. Si ces formats 
permettent en théorie une action plus rapide, dans le même temps ils fragilisent 
l’universalité des règles internationales. Enfin des pays comme la Chine ou la Russie, dans leur volonté de remise en cause de l’ordre international, créent de nouvelles 
organisations de coopération qui sont concurrentes du système multilatéral et qui contribuent là-aussi à fragmenter la gouvernance mondiale.

Léa : Quelles sont les évolutions positives que l’on observe néanmoins aujourd’hui concernant le système multilatéral ? 

Patrice : Le paradoxe aujourd’hui c’est que l’affaiblissement du multilatéralisme 
survient à un moment où des défis globaux comme la crise climatique, les pandémies ou les vagues migratoires nécessitent tous des réponses multilatérales. La majorité des États en ont d’ailleurs bien conscience et poursuivent leurs efforts pour apporter une réponse collective face à toutes ces crises. On le voit par exemple dans le cas de la lutte contre le changement climatique avec les COP. Même si celles-ci manquent 
souvent de mécanismes contraignants pour être vraiment efficaces. Autre exemple, dans le domaine sanitaire, le récent accord conclu dans le cadre de l’OMS sur la 
prévention, la préparation et la réponse aux pandémies montre là aussi - qu’en dépit des fractures persistantes entre les pays du Nord et du Sud - un consensus multilatéral est encore possible aujourd’hui sur certaines questions. Ce traité a en effet été adopté par les 194 États membres de l’OMS, à l’exception des États-Unis et du Costa Rica.

Léa : Et quelles sont les réformes les plus urgentes à mettre en œuvre pour redonner toute sa légitimité et son efficacité au système multilatéral ? 

La première réforme que mettent en avant de nombreux experts des relations 
internationales pour que le système retrouve sa crédibilité est celle du Conseil de 
sécurité des Nations unies. Cette instance qui n’a connu depuis sa création que très peu de changement ne reflète plus aujourd’hui l’état du monde. Si l’élargissement du Conseil de sécurité à de nouveaux pays comme l’Allemagne, le Brésil, l’Inde ou le Japon ou des pays africains a été soutenu selon les cas par les actuels membres 
permanents, aucune réforme n’a jusque-là abouti. L’autre grande question concerne la révision du droit de veto puisque celui-ci constitue, comme on l’a vu, un problème 
majeur pour le fonctionnement de l’ONU.

Certains acteurs du système multilatéral qui y jouent un rôle essentiel comme l’Union européenne, le Canada, le Japon ou certains pays africains soutiennent également des réformes qui permettraient de rééquilibrer les pouvoirs au sein des institutions 
internationales et d’instaurer un ordre mondial plus équitable et coopératif.

Léa : Un nouveau concept qui vise à repenser les relations internationales en 
dépassant le quasi-monopole des États a émergé ces dernières années : le 
polylatéralisme. Est-ce que ce concept pourrait être une solution à la crise du 
multilatéralisme ? 

Patrice : Depuis quelques années de nouveaux modèles d’action collective se 
développent en effet à l’échelle internationale. Ils associent des acteurs nouveaux au côté des États. Ces formes hybrides de coopération intègrent notamment des ONG, des multinationales et des grandes collectivités locales, par exemple des métropoles comme Paris ou New-York dont l’influence internationale peut dépasser parfois celle de certains États. L’idée est que pour apporter des réponses efficaces aux grands défis globaux comme la transition écologique, la gestion des pandémies ou de l’économie mondiale, l’approche inter-gouvernementale classique n’est plus suffisante. Ces 
formats associant des acteurs diversifiés publics et privés apparaissent comme 
complémentaires de l’action multilatérale traditionnelle. Le Forum de Paris sur la Paix, dont l’objectif est de repenser la gouvernance internationale et le multilatéralisme, est une plateforme ouverte qui regroupe une multiplicité d’acteurs et de coalitions 
porteurs de projets à vocation mondiale. Cette initiative est un exemple assez fidèle de mise en œuvre du polylatéralisme. 

Léa : L’ONU, quant à elle, ne reste pas inactive puisque le Pacte pour l’avenir, une 
initiative adoptée lors de l’Assemblée générale des Nations unies de septembre 2024 se fixe comme objectif de faire prendre un nouveau départ au multilatéralisme. 

L’objectif est de renforcer le système multilatéral et ses institutions afin de les adapter à un monde en mutation et être ainsi en mesure de relever les nombreux défis que doit affronter aujourd’hui la communauté internationale.

Merci beaucoup « Patrice » ! C’est la fin de notre série. 

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On se retrouve très bientôt ! Au revoir « Patrice », au revoir à toutes et à tous !

Patrice : Au revoir !

Sources

· Badie B. et Devin G., sous la dir., (2007), Le multilatéralisme. Nouvelles formes de l’action 
internationale, TAP/relations internationales, La Découverte
· Bernard P. (2025), « Entre une Russie autoritaire et des États-Unis en pleine reconfiguration illibérale, l’Europe doit reprendre le flambeau du monde libre », Le Monde, 16 mars.
· Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe, Sorbonne Université, www.ehne.fr/fr
· De Montbrial T. et David D., sous la dir., (2024), « Entre puissances et impuissance », Ramsès 2025, IFRI, Dunod, septembre
· De Montbrial T. et David D. (2021), « Rivalités de puissance, idéologies et multilatéralisme », Revue Défense Nationale, n° 838, 8 mars
· De Montbrial T. (2006), « Le système international. Approches et dynamiques », Politique étrangère, n° 4
· Fernandez J. et Holeindre J.-V. (2022), Nations désunies ? La crise du multilatéralisme dans les relations internationales, collBiblis Inédit, CNRS Éditions, avril
· Grosser P. (2019), « Les trajectoires du multilatéralisme. Un monde à la polarité incertaine », Ramsès 2020, IFRI, Dunod, septembre
· Guilbaud A., Petiteville F., Ramel F. (2023), Crisis of Multilateralism ? Challenges and Resilience, coll. The Sciences Po Series in International relations and Political Economy, Palgrave Mac Millan (www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/la-resilience-du-multilateralisme , Sciences Po Centre de recherches internationales)
· Jaldi A. (2023), « The Crisis of Multilateralism viewed from the Global South », Policy Paper, Policy Center for the New South, mai
· Kauffmann S. (2024), « C’est toute l’architecture de la gouvernance mondiale qui est remise en cause, puisque l’ordre juridique qu’elle est chargée d’administrer est piétiné », Le Monde, 20 mars
· Lamy P. (2021), « Répondre à la crise du multilatéralisme par le polylatéralisme », La revue européenne du droit, n° 2, mars
· Lorot P. (2013), « Que reste-t-il de l’hyperpuissance ? », Entretien avec H. Védrine, Géoéconomie, 3, n° 66
· Moreau-Defarges P. (2004), « Le multilatéralisme et la fin de l’histoire », Politique étrangère, automne
· Nabli B. (2017), « Le statut de l’État en droit international », in L’État : droit et politique
chapitre 8, coll. U, Armand Colin
· Questions internationales (2023), Fracturation(s)20 ans de relations internationales, La Documentation française, n° 122, décembre-janvier 
· Questions internationales (2022), À quoi sert l’OTAN ?, La Documentation françaisen° 111, janvier-février 
· Questions internationales (2021), Insécurité collective : la crise du multilatéralisme, La Documentation françaisen° 105, janvier-février 
· Sur S. (2019), « A quoi sert le droit international ? », www.vie-publique.fr/parole-dexpert/38777-quoi-sert-le-droit-international , 4 juillet
· Zwahlen J. (2020), Multilatéralisme : crises et perspectives, coll. Débats et documents, Fondation Jean Monnet pour l’Europe, juillet
· https://www.un.org/fr/global-issues/multilateral-system

 

 

 

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