Texte intégral
J.-P. Elkabbach.- Il y a une étrange coïncidence : la délinquance progresse - on le dit et on le répète aujourd'hui, vous avez entendu les journaux d'Europe 1 - et aujourd'hui se réunit à Paris la deuxième Rencontre nationale des grands projets de ville. C'est un instrument de l'Etat pour sauver, ou en tout cas aider, les banlieues défavorisées. Et on dit qu'en 13-14 ans, 40 milliards d'euros de fonds publics ont été accordés par tous les gouvernements. Est-ce que cela veut dire que l'argent, en l'occurrence, ne sert à rien ou en tout cas pas à grand chose ?
- "Il y a une mauvaise gouvernance de la sécurité en effet, parce que la proximité n'est pas partie prenante. Cet argent est envoyé par des procédures bureaucratiques et beaucoup de lourdeur. Et finalement, sur le terrain, les choses n'arrivent pas. Cette explosion de l'insécurité est d'autant plus préoccupante qu'on est en plein programme Vigipirate. Finalement, ce qui apparaît clairement, c'est que les autorités locales, que ce soit les autorités de justice, de police, finalement, ne sont pas en liaison avec les élus locaux. Il faut injecter de la proximité dans la sécurité. Parce que les élus locaux connaissent exactement les familles menaçantes et les familles menacées. On a fait un certain nombre de calculs aujourd'hui : il y a à peu près 20.000 jeunes qui empoisonnent la vie de 700 quartiers ..."
Et qui coûtent cher...
- "... et qui coûtent très cher. Et finalement, il n'y a pas d'efficacité de cette politique aujourd'hui."
Les chiffres de la délinquance vous ont provoqué un choc, mais ils ne vous surprennent pas. Est-ce qu'ils ne traduisent pas aussi la crise, l'échec, des policiers, des gendarmes, des magistrats et aussi de vous, les élus ?
- "Je pense que l'on n'a pas pris en compte aujourd'hui, suffisamment cette priorité. D'abord, regardez les budgets : quand vous faites le total du budget justice, gendarmerie, police, nous sommes à 84 milliards de francs dans le budget 2002. C'est-à-dire que par rapport aux 35 heures, par rapport à d'autres budgets, le budget de la sécurité en France est globalement modeste. Ce n'est pas une priorité. Je pense que c'est une question politique. Si on veut aujourd'hui faire de la sécurité une des premières libertés des Français, il faut injecter davantage de moyens et changer la gouvernance, en injectant de la proximité et aussi de l'humanité."
Vous augmenterez de combien les budgets de la police, de la justice ?
- "Il faut réorganiser les choses. Je pense qu'il y a trois niveaux de débat. Il y a le niveau politique de la pédagogie nationale. C'est un effort qu'il nous faut faire pour bien expliquer la responsabilité individuelle."
Qui fait cet effort ?
- "Personne ne le fait aujourd'hui vraiment."
Qui devra le faire ?
- "Je pense que c'est aux politiques, notamment aux dirigeants de ce pays, de bien expliquer, notamment aux jeunes aujourd'hui, qu'ils sont responsables de leurs actes, ils ne sont pas innocents d'eux-mêmes. Je crois que là il y un vrai débat de type philosophique, si vous permettez, entre l'humanisme et le déterminisme. Je ne crois pas que la violence soit simplement dans nos équations génétiques. Je pense que ma dignité, c'est ma liberté. Donc, il faut que le primo-délinquant soit puni sévèrement. Pourquoi ? Pour qu'il ait conscience de la règle. Si on ne respecte pas les règles, si les jeunes n'ont pas conscience quand ils franchissent la ligne jaune que c'est une faute grave, la sécurité ne peut pas être établie dans ce pays."
Vous seriez peut-être moins sévère à l'encontre des récidivistes que des primo-délinquants. Dans le livre que vous avez écrit, qui est très intéressant parce que vous citez beaucoup de philosophes, de savants, "Pour une nouvelle gouvernance" collection Archipel, vous dites : "impunité zéro". C'est-à-dire un peu comme à l'américaine, avec la "tolérance zéro" ?
- "C'est en fait la conscience de la première faute. Le primo-délinquant, je pense que c'est là la clé. Aujourd'hui, dans une société qui ne respecte pas la règle, on ne peut pas avoir conscience de son libre-arbitre. C'est un débat philosophique contre le déterminisme : est-ce que je suis innocent de moi, suis-je père de mes actes, ou est-ce que c'est finalement l'inconscient, disait Freud..."
D'accord, d'accord ...
- "Mais c'est très important !"
D'accord. Mais au plan concret - vous avez des responsabilités régionales, vous aurez peut-être des responsabilités gouvernementales -, si la droite et votre candidat gagnent ? Concrètement ? Parce que quand on dit "l'impunité zéro" et "la tolérance zéro", aux Etats-Unis, seul le centre-ville est protégé : les banlieues restent aussi dangereuses, les prisons abritent aujourd'hui plus d'1 million de détenus. C'est-à-dire,, est-ce que nous avons aujourd'hui la capacité de 250.000 places pour des détenus, soit cinq fois plus que les prisons actuelles ?
- "Il faut prendre le problème très en amont, le faire avec un vrai principe d'humanité. Quand je vous disais aujourd'hui qu'on connaît les jeunes délinquants, cela veut dire deux choses : d'une part, il faut revoir l'ordonnance de 1945. Je reproche au Gouvernement de ne pas avoir vu la réalité en face..."
A droite, vous n'êtes pas tous d'accord sur ce point. Mettez-vous d'accord...
- "Oui. Il y a quand même, vous le verrez le 23 février, à Toulouse, un vrai consensus unitaire sur ces sujets, notamment sur la création, par département, d'un Centre d'éducation renforcée pour placer ces jeunes délinquants. Et pour cela, il nous faut en effet des moyens, mais il nous faut aussi une autre gouvernance, c'est-à-dire injecter cette proximité, département par département, pour maîtriser ces jeunes délinquants."
Jean-Pierre Chevènement... Euh, Jean-Pierre Raffarin !!
- "Oui, s'il vous plaît !"
Jean Pierre Raffarin ! Tenez, à propos de J.-P. Chevènement, il paraît qu'il a dîné avec P. de Villiers. A qui cela profite-t-il ?
- "Je pense qu'à force de vouloir ratisser partout, il finira par ne parler à personne. Donc, c'est une dispersion de son message."
Ce que je voulais dire tout à l'heure, c'est si vous saviez quelle est l'une des seules régions où la délinquance ne monte pas ?
- "Non."
La Corse. Elle est au 7ème rang aujourd'hui parmi les 22 régions en matière de délinquance. C'est intéressant à signaler.
- "Vous avez vu quand même que la montée, notamment en milieu rural, est très préoccupante. C'est devenu un problème général. Ce n'est plus un problème simplement de logique urbaine, c'est devenu un problème de société."
L'insécurité va-t-elle faire son entrée dans la campagne présidentielle et à qui cela va-t-il profiter ?
- "L'insécurité - l'explosion de l'insécurité - est l'échec impardonnable de L. Jospin. Je pense qu'il n'a pas pris conscience de ce problème et que notre cohésion sociale, notre tissu social aujourd'hui, est menacé par cette explosion. Et donc il faut une autre méthode, je veux dire plus de proximité. Pour la justice par exemple, une justice de paix pour que la petite délinquance soit traitée très vite et n'encombre pas les tribunaux ; qu'on puisse associer les autorités locales aux actions de police, de manière à ce que l'information puisse circuler. Donc, une autre gouvernance, d'autres moyens et des actions qui anticipent notamment ce qui concerne la délinquance des jeunes."
"Gouvernance" est un mot qui revient souvent chez vous. Il faut préciser ce que vous appelez par là : c'est l'art de gouverner ?
- "C'est la méthode en effet, c'est l'organisation, c'est ce qui ne marche pas dans ce pays aujourd'hui. Il y a trop d'impuissance publique. Au fond, on a des bonnes paroles, mais que ce soit dans le social, que ce soit dans la sécurité, on voit le discours du ministre de l'Intérieur ou du ministre des Affaires sociales, et sur le terrain, moi qui suis un décentralisateur, je ne vois pas les choses bouger."
Vous avez travaillé, avant de faire la politique, dans le marketing de la communication, avec B. Krieff, avec J. Séguéla qui conseille aujourd'hui L. Jospin. Vous dites dans votre livre qu'ils vous ont beaucoup appris, sans doute le sens du moment, de la formule. Au futur candidat Chirac qui prend son temps et qui s'organise, que dites-vous et qu'est-ce qu'il doit faire maintenant ?
- "Il doit préparer le projet qu'il va présenter aux Français. Nous ne sommes pas aujourd'hui dans le temps de la campagne. N'oublions pas que ce pays a des échéances électorales jusqu'à la mi-juin. Donc, ne paralysons pas l'ensemble du temps qui est devant nous par une campagne électorale anticipée. Il faut au contraire préparer le débat. C'est ce que le président dit d'ailleurs à ses amis et aux élus qu'il rencontre. Il leur dit : nous sommes dans le temps du débat, veillez à ce que ce débat, comme je viens de le faire sur la sécurité, soit un débat de projet, un débat d'avenir, un débat qui intéresse les Français, un débat constructif."
Donc, c'est vous, ses amis, ses élus, ses proches, qui intervenez dans le débat, pas encore lui ? Quelquefois on vous voit photographié avec le président de la République. Vous êtes comme cela penché vers son oreille. Apparemment, il écoute ?
- "Il est très attentif aux autres."
Et qu'est-ce que vous lui dites ?
- "Quand il était en Charente - ce sont souvent des photos quand il était sur le terrain -, j'ai eu cette proximité avec lui. Quand je le vois observer des agriculteurs, quand je le vois parler aux familles, quand je le vois parler aux artisans, quand je le vois parler à ce qui fait la vie de la France, j'ai la même proximité que lui. C'est en fait ce principe d'humanité qui l'habite que j'aime beaucoup en lui."
Mais alors, quand vous vous penchiez, peut-être samedi, vers lui, à l'Elysée, qu'est-ce que vous lui disiez, avec les autres - N. Sarkozy, F. Fillon, A. Juppé, etc. ?
- "Nous disons que nous avons confiance aujourd'hui dans la situation du pays, parce qu'aujourd'hui, on voit bien que les échecs socialistes sont patents - on parle de l'insécurité, on parle de l'échec social. Il y a un fort mécontentement par rapport à la politique de L. Jospin. Nous voyons que pour nous, il faut faire un certain nombre de propositions, que ce soit pour l'économie, que ce soit pour la sécurité. Donc, si nous sommes capables de formuler vraiment nos propositions de manière concrète et opérationnelle, l'avenir peut, pour ce pays, se présenter de manière très positive. C'est ce message de confiance..."
Sur une des photos, on vous voit avec les deux poings en avant, en chemise et cravate. C'est sympathique comme portrait. Vous dites dans le livre : "J'ai côtoyé V. Giscard d'Estaing. Il représente pour moi le modèle de l'intelligence pure, celle de l'horizon, et j'ai souvent regretté que l'intelligence giscardienne ne soit pas suffisamment en phase avec l'autre intelligence - de situation - qui anime la droite depuis plusieurs décennies, celle de J. Chirac".
- "Je pense en effet qu'ils sont deux méthodes de pensée qui sont différentes. Giscard, il est un peu toujours sur le Puy-de-Dôme, il regarde la plaine de la Limagne, il regarde l'avenir, il construit des scénarios, il regarde loin, et puis, quelquefois, il a trébuché parce qu'il ne faisait pas assez attention à ce qu'il y avait de plus près. J. Chirac il est dans la situation, il est dans la pâte humaine, il est dans l'énergie. Dans une situation donnée, il dégage le maximum d'énergie pour sortir de la situation, pour tracer une route. Ce sont deux formes d'intelligence qui sont très différentes : cette pâte humaine, ce goût de l'horizon. C'est pour cela que pendant un certain nombre d'années..."
Et aujourd'hui, on a besoin de la pâte humaine ou de l'horizon, pour l'Europe, pour la mondialisation, pour le pays, pour la sécurité, pour l'éducation, pour la justice ?
- "Je pense que quand la pâte humaine est associée avec l'expérience, nous avons en J. Chirac un bon candidat pour la France."
Et aujourd'hui, vous allez adresser à V. Giscard d'Estaing un bouquet de fleurs et d'hommage, puisqu'il y a un colloque de la Fondation des Sciences politiques sur le septennat de Giscard d'Estaing. Peut-être lui rendra-t-on justice ?
- "Puis-je vous dire quand même que pour quelqu'un comme moi, pouvoir être giscardien et chiraquien à la fois, après la nomination de Giscard en Europe, c'est quand même quelque chose de confortable et de satisfaisant."
Mais comment vous faites ? C'est de l'acrobatie ?
- "Non, puisque tous les deux, pour le moment, travaillent à la construction de l'Europe."
Est-ce que J. Chirac viendra à ce colloque sur Giscard ?
- "Je ne le pense pas."
Non ?
- "Je ne suis pas informé de cet emploi du temps."
Dernière question : pourquoi dites-vous de temps en temps que vous vous sentez un peu comme une balle de ping-pong, parce qu'on parle de vous, parce que vous voyez votre photo parmi les "premier-ministrables" - je n'aime pas poser ce genre de question -, mais pourquoi avez-vous ce sentiment d'être un peu ballotté ? Est-ce parce que vous servez de leurre, est-ce un jeu et d'abord, qui est derrière et qui l'organise ?
- "Je pense en effet que dans la vie politique aujourd'hui, il y a ce jeu des pronostics qui est un peu épuisant, parce qu'on nous met dans des rôles. Je suis un élu enraciné, je suis attaché à Poitou-Charentes, j'ai une expérience de terrain. Donc, ce que je propose dans le débat politique, c'est mon expérience de terrain, ce ne sont pas des calculs sophistiqués..."
Alors, pourquoi le ping-pong ?
- "C'est qu'à un moment ou à un autre, on voit des jeux qui s'installent. Alors, on vous oppose un jour avec Sarkozy, alors que je vois des propositions très intéressantes de N. Sarkozy ; un autre jour, avec P. Douste-Blazy, qui est un ami authentique. Tout ce jeu qui consiste à avoir une ambition personnelle... J'ai joué au rugby quand j'étais jeune, et j'aime le collectif. Mon rêve est donc un peu cette équipe de 1974, quand Giscard gagne, tout ce vent de réformes qui est passé. Je souhaite que le printemps 2002 soit pour nous un printemps de réformes et qu'on puisse jouer collectif."
D'accord, mais vous préférez qu'on vous cite au fait qu'on ne vous cite pas ?
- "Je préfère être cité dans une équipe et pas simplement pour une ambition personnelle."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 29 janvier 2002)
- "Il y a une mauvaise gouvernance de la sécurité en effet, parce que la proximité n'est pas partie prenante. Cet argent est envoyé par des procédures bureaucratiques et beaucoup de lourdeur. Et finalement, sur le terrain, les choses n'arrivent pas. Cette explosion de l'insécurité est d'autant plus préoccupante qu'on est en plein programme Vigipirate. Finalement, ce qui apparaît clairement, c'est que les autorités locales, que ce soit les autorités de justice, de police, finalement, ne sont pas en liaison avec les élus locaux. Il faut injecter de la proximité dans la sécurité. Parce que les élus locaux connaissent exactement les familles menaçantes et les familles menacées. On a fait un certain nombre de calculs aujourd'hui : il y a à peu près 20.000 jeunes qui empoisonnent la vie de 700 quartiers ..."
Et qui coûtent cher...
- "... et qui coûtent très cher. Et finalement, il n'y a pas d'efficacité de cette politique aujourd'hui."
Les chiffres de la délinquance vous ont provoqué un choc, mais ils ne vous surprennent pas. Est-ce qu'ils ne traduisent pas aussi la crise, l'échec, des policiers, des gendarmes, des magistrats et aussi de vous, les élus ?
- "Je pense que l'on n'a pas pris en compte aujourd'hui, suffisamment cette priorité. D'abord, regardez les budgets : quand vous faites le total du budget justice, gendarmerie, police, nous sommes à 84 milliards de francs dans le budget 2002. C'est-à-dire que par rapport aux 35 heures, par rapport à d'autres budgets, le budget de la sécurité en France est globalement modeste. Ce n'est pas une priorité. Je pense que c'est une question politique. Si on veut aujourd'hui faire de la sécurité une des premières libertés des Français, il faut injecter davantage de moyens et changer la gouvernance, en injectant de la proximité et aussi de l'humanité."
Vous augmenterez de combien les budgets de la police, de la justice ?
- "Il faut réorganiser les choses. Je pense qu'il y a trois niveaux de débat. Il y a le niveau politique de la pédagogie nationale. C'est un effort qu'il nous faut faire pour bien expliquer la responsabilité individuelle."
Qui fait cet effort ?
- "Personne ne le fait aujourd'hui vraiment."
Qui devra le faire ?
- "Je pense que c'est aux politiques, notamment aux dirigeants de ce pays, de bien expliquer, notamment aux jeunes aujourd'hui, qu'ils sont responsables de leurs actes, ils ne sont pas innocents d'eux-mêmes. Je crois que là il y un vrai débat de type philosophique, si vous permettez, entre l'humanisme et le déterminisme. Je ne crois pas que la violence soit simplement dans nos équations génétiques. Je pense que ma dignité, c'est ma liberté. Donc, il faut que le primo-délinquant soit puni sévèrement. Pourquoi ? Pour qu'il ait conscience de la règle. Si on ne respecte pas les règles, si les jeunes n'ont pas conscience quand ils franchissent la ligne jaune que c'est une faute grave, la sécurité ne peut pas être établie dans ce pays."
Vous seriez peut-être moins sévère à l'encontre des récidivistes que des primo-délinquants. Dans le livre que vous avez écrit, qui est très intéressant parce que vous citez beaucoup de philosophes, de savants, "Pour une nouvelle gouvernance" collection Archipel, vous dites : "impunité zéro". C'est-à-dire un peu comme à l'américaine, avec la "tolérance zéro" ?
- "C'est en fait la conscience de la première faute. Le primo-délinquant, je pense que c'est là la clé. Aujourd'hui, dans une société qui ne respecte pas la règle, on ne peut pas avoir conscience de son libre-arbitre. C'est un débat philosophique contre le déterminisme : est-ce que je suis innocent de moi, suis-je père de mes actes, ou est-ce que c'est finalement l'inconscient, disait Freud..."
D'accord, d'accord ...
- "Mais c'est très important !"
D'accord. Mais au plan concret - vous avez des responsabilités régionales, vous aurez peut-être des responsabilités gouvernementales -, si la droite et votre candidat gagnent ? Concrètement ? Parce que quand on dit "l'impunité zéro" et "la tolérance zéro", aux Etats-Unis, seul le centre-ville est protégé : les banlieues restent aussi dangereuses, les prisons abritent aujourd'hui plus d'1 million de détenus. C'est-à-dire,, est-ce que nous avons aujourd'hui la capacité de 250.000 places pour des détenus, soit cinq fois plus que les prisons actuelles ?
- "Il faut prendre le problème très en amont, le faire avec un vrai principe d'humanité. Quand je vous disais aujourd'hui qu'on connaît les jeunes délinquants, cela veut dire deux choses : d'une part, il faut revoir l'ordonnance de 1945. Je reproche au Gouvernement de ne pas avoir vu la réalité en face..."
A droite, vous n'êtes pas tous d'accord sur ce point. Mettez-vous d'accord...
- "Oui. Il y a quand même, vous le verrez le 23 février, à Toulouse, un vrai consensus unitaire sur ces sujets, notamment sur la création, par département, d'un Centre d'éducation renforcée pour placer ces jeunes délinquants. Et pour cela, il nous faut en effet des moyens, mais il nous faut aussi une autre gouvernance, c'est-à-dire injecter cette proximité, département par département, pour maîtriser ces jeunes délinquants."
Jean-Pierre Chevènement... Euh, Jean-Pierre Raffarin !!
- "Oui, s'il vous plaît !"
Jean Pierre Raffarin ! Tenez, à propos de J.-P. Chevènement, il paraît qu'il a dîné avec P. de Villiers. A qui cela profite-t-il ?
- "Je pense qu'à force de vouloir ratisser partout, il finira par ne parler à personne. Donc, c'est une dispersion de son message."
Ce que je voulais dire tout à l'heure, c'est si vous saviez quelle est l'une des seules régions où la délinquance ne monte pas ?
- "Non."
La Corse. Elle est au 7ème rang aujourd'hui parmi les 22 régions en matière de délinquance. C'est intéressant à signaler.
- "Vous avez vu quand même que la montée, notamment en milieu rural, est très préoccupante. C'est devenu un problème général. Ce n'est plus un problème simplement de logique urbaine, c'est devenu un problème de société."
L'insécurité va-t-elle faire son entrée dans la campagne présidentielle et à qui cela va-t-il profiter ?
- "L'insécurité - l'explosion de l'insécurité - est l'échec impardonnable de L. Jospin. Je pense qu'il n'a pas pris conscience de ce problème et que notre cohésion sociale, notre tissu social aujourd'hui, est menacé par cette explosion. Et donc il faut une autre méthode, je veux dire plus de proximité. Pour la justice par exemple, une justice de paix pour que la petite délinquance soit traitée très vite et n'encombre pas les tribunaux ; qu'on puisse associer les autorités locales aux actions de police, de manière à ce que l'information puisse circuler. Donc, une autre gouvernance, d'autres moyens et des actions qui anticipent notamment ce qui concerne la délinquance des jeunes."
"Gouvernance" est un mot qui revient souvent chez vous. Il faut préciser ce que vous appelez par là : c'est l'art de gouverner ?
- "C'est la méthode en effet, c'est l'organisation, c'est ce qui ne marche pas dans ce pays aujourd'hui. Il y a trop d'impuissance publique. Au fond, on a des bonnes paroles, mais que ce soit dans le social, que ce soit dans la sécurité, on voit le discours du ministre de l'Intérieur ou du ministre des Affaires sociales, et sur le terrain, moi qui suis un décentralisateur, je ne vois pas les choses bouger."
Vous avez travaillé, avant de faire la politique, dans le marketing de la communication, avec B. Krieff, avec J. Séguéla qui conseille aujourd'hui L. Jospin. Vous dites dans votre livre qu'ils vous ont beaucoup appris, sans doute le sens du moment, de la formule. Au futur candidat Chirac qui prend son temps et qui s'organise, que dites-vous et qu'est-ce qu'il doit faire maintenant ?
- "Il doit préparer le projet qu'il va présenter aux Français. Nous ne sommes pas aujourd'hui dans le temps de la campagne. N'oublions pas que ce pays a des échéances électorales jusqu'à la mi-juin. Donc, ne paralysons pas l'ensemble du temps qui est devant nous par une campagne électorale anticipée. Il faut au contraire préparer le débat. C'est ce que le président dit d'ailleurs à ses amis et aux élus qu'il rencontre. Il leur dit : nous sommes dans le temps du débat, veillez à ce que ce débat, comme je viens de le faire sur la sécurité, soit un débat de projet, un débat d'avenir, un débat qui intéresse les Français, un débat constructif."
Donc, c'est vous, ses amis, ses élus, ses proches, qui intervenez dans le débat, pas encore lui ? Quelquefois on vous voit photographié avec le président de la République. Vous êtes comme cela penché vers son oreille. Apparemment, il écoute ?
- "Il est très attentif aux autres."
Et qu'est-ce que vous lui dites ?
- "Quand il était en Charente - ce sont souvent des photos quand il était sur le terrain -, j'ai eu cette proximité avec lui. Quand je le vois observer des agriculteurs, quand je le vois parler aux familles, quand je le vois parler aux artisans, quand je le vois parler à ce qui fait la vie de la France, j'ai la même proximité que lui. C'est en fait ce principe d'humanité qui l'habite que j'aime beaucoup en lui."
Mais alors, quand vous vous penchiez, peut-être samedi, vers lui, à l'Elysée, qu'est-ce que vous lui disiez, avec les autres - N. Sarkozy, F. Fillon, A. Juppé, etc. ?
- "Nous disons que nous avons confiance aujourd'hui dans la situation du pays, parce qu'aujourd'hui, on voit bien que les échecs socialistes sont patents - on parle de l'insécurité, on parle de l'échec social. Il y a un fort mécontentement par rapport à la politique de L. Jospin. Nous voyons que pour nous, il faut faire un certain nombre de propositions, que ce soit pour l'économie, que ce soit pour la sécurité. Donc, si nous sommes capables de formuler vraiment nos propositions de manière concrète et opérationnelle, l'avenir peut, pour ce pays, se présenter de manière très positive. C'est ce message de confiance..."
Sur une des photos, on vous voit avec les deux poings en avant, en chemise et cravate. C'est sympathique comme portrait. Vous dites dans le livre : "J'ai côtoyé V. Giscard d'Estaing. Il représente pour moi le modèle de l'intelligence pure, celle de l'horizon, et j'ai souvent regretté que l'intelligence giscardienne ne soit pas suffisamment en phase avec l'autre intelligence - de situation - qui anime la droite depuis plusieurs décennies, celle de J. Chirac".
- "Je pense en effet qu'ils sont deux méthodes de pensée qui sont différentes. Giscard, il est un peu toujours sur le Puy-de-Dôme, il regarde la plaine de la Limagne, il regarde l'avenir, il construit des scénarios, il regarde loin, et puis, quelquefois, il a trébuché parce qu'il ne faisait pas assez attention à ce qu'il y avait de plus près. J. Chirac il est dans la situation, il est dans la pâte humaine, il est dans l'énergie. Dans une situation donnée, il dégage le maximum d'énergie pour sortir de la situation, pour tracer une route. Ce sont deux formes d'intelligence qui sont très différentes : cette pâte humaine, ce goût de l'horizon. C'est pour cela que pendant un certain nombre d'années..."
Et aujourd'hui, on a besoin de la pâte humaine ou de l'horizon, pour l'Europe, pour la mondialisation, pour le pays, pour la sécurité, pour l'éducation, pour la justice ?
- "Je pense que quand la pâte humaine est associée avec l'expérience, nous avons en J. Chirac un bon candidat pour la France."
Et aujourd'hui, vous allez adresser à V. Giscard d'Estaing un bouquet de fleurs et d'hommage, puisqu'il y a un colloque de la Fondation des Sciences politiques sur le septennat de Giscard d'Estaing. Peut-être lui rendra-t-on justice ?
- "Puis-je vous dire quand même que pour quelqu'un comme moi, pouvoir être giscardien et chiraquien à la fois, après la nomination de Giscard en Europe, c'est quand même quelque chose de confortable et de satisfaisant."
Mais comment vous faites ? C'est de l'acrobatie ?
- "Non, puisque tous les deux, pour le moment, travaillent à la construction de l'Europe."
Est-ce que J. Chirac viendra à ce colloque sur Giscard ?
- "Je ne le pense pas."
Non ?
- "Je ne suis pas informé de cet emploi du temps."
Dernière question : pourquoi dites-vous de temps en temps que vous vous sentez un peu comme une balle de ping-pong, parce qu'on parle de vous, parce que vous voyez votre photo parmi les "premier-ministrables" - je n'aime pas poser ce genre de question -, mais pourquoi avez-vous ce sentiment d'être un peu ballotté ? Est-ce parce que vous servez de leurre, est-ce un jeu et d'abord, qui est derrière et qui l'organise ?
- "Je pense en effet que dans la vie politique aujourd'hui, il y a ce jeu des pronostics qui est un peu épuisant, parce qu'on nous met dans des rôles. Je suis un élu enraciné, je suis attaché à Poitou-Charentes, j'ai une expérience de terrain. Donc, ce que je propose dans le débat politique, c'est mon expérience de terrain, ce ne sont pas des calculs sophistiqués..."
Alors, pourquoi le ping-pong ?
- "C'est qu'à un moment ou à un autre, on voit des jeux qui s'installent. Alors, on vous oppose un jour avec Sarkozy, alors que je vois des propositions très intéressantes de N. Sarkozy ; un autre jour, avec P. Douste-Blazy, qui est un ami authentique. Tout ce jeu qui consiste à avoir une ambition personnelle... J'ai joué au rugby quand j'étais jeune, et j'aime le collectif. Mon rêve est donc un peu cette équipe de 1974, quand Giscard gagne, tout ce vent de réformes qui est passé. Je souhaite que le printemps 2002 soit pour nous un printemps de réformes et qu'on puisse jouer collectif."
D'accord, mais vous préférez qu'on vous cite au fait qu'on ne vous cite pas ?
- "Je préfère être cité dans une équipe et pas simplement pour une ambition personnelle."
(Source http://Sig.premier-ministre.gouv.fr, le 29 janvier 2002)