Texte intégral
Justice internationale et Mondialisation
Après la fin des sommets de Porto Alegre et de Davos à New York, je vous propose de parler de la mondialisation et de l'idée de justice dans la mondialisation.
Nous étions peut-être les seuls, mais nous avons choisi de n'être ni à Porto Alegre, ni à New-York. Parce que chacun de ces sommets est un simplisme et va vers une caricature, comme s'il y avait d'un côté les adorateurs du marché et de l'autre les zélateurs de l'anti-mondialisation.
Or le monde que nous avons à construire ne se résume ni à l'une, ni à l'autre de ces deux voies.
Chaque forum a sa logique. D'un côté au Forum économique mondial, l'efficacité, c'est-à-dire le développement de la production et des échanges, une croissance du monde qui avoisine cette année 4,5 % et même une amélioration économique de certains pays intermédiaires comme l'Inde et de nombreux Etats asiatiques.
Mais il y a aussi dans le monde une immense demande de justice et Porto Alegre a raison de porter des questions dans cette logique.
Cette situation de justice non entendue est très dangereuse. On vient de vivre le 11 septembre et l'intégrisme fait son miel sur l'indifférence des puissants. L'injustice que nous avons sous nos yeux est criante. Sur les six milliards d'habitants de la planète, 2,8 milliards, soit presque la moitié, ont moins de 2 dollars par jour pour vivre. Et près de 1 milliard souffre de la faim. Presque 40 millions de personnes sont atteintes du Sida, dont 1,3 million sont des enfants de moins de 15 ans. L'inégalité entre les sexes persiste. L'investissement délaisse les pays pauvres et la scolarisation régresse L'aide publique au développement reçue par l'Afrique a diminué d'environ 6 % par an sur les quatre dernières années.
Aujourd'hui, la justice et l'efficacité doivent vivre ensemble. On ne sauve l'efficacité que par la justice et l'on obtient la justice que par l'efficacité. Voilà notre ligne. Pour moi, le premier bien qui doit faire l'objet d'échanges dans le monde globalisé, c'est la justice.
1) Des institutions internationales réformées
J'ai une certitude. Si l'on veut que le monde ne soit pas une jungle, il revient à la politique de l'organiser. C'est la raison pour laquelle les grandes organisations multilatérales sont le seul moyen de construire et d'imposer la justice. L'OMC, la Banque mondiale, l'ONU et d'une certaine manière le FMI en tentant d'éviter les crises jouent un rôle indispensable dans la société internationale.
Il est vrai que ces vingt dernières années, on a vu s'affaiblir le monde ancien des équilibres et des institutions de l'après-guerre, et les institutions du monde nouveau tardaient à naître. Or devant les problèmes que nous devons affronter aujourd'hui sont d'une telle complexité, qu'il s'agisse de la lutte contre l'effet de serre, de la déforestation, de l'épuisement des ressources, de la pauvreté, des grandes pandémies, des rapports nord-sud, il est urgent de réformer ces institutions internationales. La première mesure à prendre est d'instituer une parité équitable au sein des instances politiques internationales entre les pays riches et les pays pauvres. Le G8, par exemple, devra se transformer en s'élargissant, pas seulement à de grandes unités politiques comme l'Inde ou la Chine, mais il devra associer à ses travaux des représentants des pays en voie de développement. Un G8 devenu G20 équilibré, c'est l'exemple des grandes réformes qu'il faut introduire dans les instances internationales pour que les pays pauvres y aient leur place et y fassent entendre leur voix autant que les pays riches.
Car un monde un monde soumis à une hégémonie ne peut pas être un monde de justice.
2) Un monde plus équilibré, sans hégémonie - l'Europe puissante
L'hégémonie américaine est insupportable, non parce qu'elle est américaine, mais parce quelle est une hégémonie. Nous avons la chance que le seul pays en position d'être le gendarme du monde soit une démocratie et un allié. Mais le reste du monde acceptera de moins en moins que les seuls Etats-Unis ou l'occident derrière l'armée américaine s'érige en seul législateur, juge et gendarme de l'univers.
Mais cette situation n'est pas la responsabilité des Américains, elle est la nôtre, et en particulier notre responsabilité à nous Français.
Nous avons entre les mains, nous Français, une clé de ce nouvel ordre mondial à construire, en proposant une vraie et non pas une fausse Europe. La différence entre la vraie et la fausse Europe, c'est une Europe capable de porter un message dans le monde en parlant d'une seule voix. Dans les dernières années les seuls domaines où nous avons parlé d'égal à égal avec les Etats-Unis sont ceux où l'Europe a parlé dune seule voix, par exemple pour le commerce au sein de l'OMC, et pour l'environnement au moment de Kyoto.
Pour l'avenir, cette Europe parlant d'une seule voix ne pourra se réaliser que si son message est politiquement et démocratiquement élaboré. Autrement, notre place dans le concert des nations nous rangera aux côtés des puissances moyennes de deuxième rang, divisées entre elles et donc marginalisées.
Pour la France et pour le monde, particulièrement pour le monde en voie de développement, la vraie réponse à Davos-New-York et à Porto Alegre, c'est à Strasbourg et à Bruxelles quelle se trouve. La clé qui est à portée de notre main, c'est la construction dune véritable Europe.
Pour ceux qui, en France, veulent une mondialisation juste et maîtrisée, la seule réponse efficace c'est l'Europe.
Je prends l'exemple de l'OMC. C'est une idée européenne et seule l'Europe unie a pu l'imposer aux Américains qui s'y opposaient depuis cinquante ans. Grâce aux Européens, les premières années de fonctionnement de l'OMC ont permis d'obtenir des résultats inimaginables. Les Etats-Unis, condamnés par l'OMC, vont être obligés de renoncer à leur principal régime d'aide fiscal à l'exportation, qui concerne toutes les grandes entreprises américaines et représente plusieurs milliards de dollars. À Doha, grâce à l'Europe, les pays en développement ont obtenu la reconnaissance du bien fondé de leurs trois demandes principales : un engagement des pays développés de supprimer progressivement leurs subventions à l'exportation des produits agricoles, un engagement des mêmes pays à supprimer progressivement les pics tarifaires sur les textiles, et surtout la garantie que la protection de la propriété commerciale ne fera pas obstacle à l'approvisionnement des pays les plus pauvres en médicaments indispensables contre les grandes pandémies.
Tout cela est un début, encore insuffisant. L'OMC doit encore progresser sur la voie du démantèlement des barrières douanières qui protègent encore les marchés les plus solvables parce que les droits de douane poussent en effet les pays pauvres à produire moins cher en faisant travailler les enfants ou en ne respectant pas l'environnement.
3) L'aide au développement doit devenir plus efficace Que faudrait-il pour que l'aide au développement aujourd'hui si faible devienne plus efficace ? Nous prendre par la main ! Les quatre cinquièmes de la population du monde vivent aujourd'hui dans les pays en voie de développement et un cinquième (1,3 milliard de personnes) vit dans une situation d'extrême pauvreté, avec moins de 1 dollar par jour.
Dans ces conditions, il est scandaleux de constater que l'aide au développement en France est passée en cinq ans, sous la responsabilité de la gauche au pouvoir, de 0,6 % à 0,3 % du PIB ! Je veux rappeler que l'objectif fixé internationalement est 0,7 %. Beaucoup en sont loin.
De 1996 à 2001, l'aide française aura diminué de plus de 500 m (3 milliards de francs) soit 10 % de moins en euros constants. Elle est passée de 5 Mds (33,4 Mds F) - hors TOM - en 1996 à 4,6 Mds (30,1 Mds F) en 2001. Entre 1999 et 2000, l'aide française aura encore régressé de près de 14 % alors que l'évolution moyenne des pays de l'OCDE s'est limitée à moins de 2 % et que le Royaume-Uni a progressé de plus de 40 %. Le Royaume-Uni a par exemple majoré de 5,5 % le budget du department for international development qui est désormais autonome du ministère des affaires étrangères.
De surcroît, l'aide française en régression va de moins en moins aux pays les plus pauvres. Les Pays les moins avancés perçoivent en effet, moins du quart de l'aide française, soit exactement autant que les pays à revenu intermédiaire. Les crédits inscrits pour 2002 au budget des affaires étrangères le montrent clairement. L'action extérieure ne figure plus au rang des priorités nationales : aucune évolution pour l'aide alimentaire, l'aide humanitaire et l'aide d'urgence, l'aide aux sorties de crise, -5,6 % pour la coopération militaire, - 20 % pour la coopération technique et au développement.
Il faut faire du développement le sujet d'un débat national et européen pour que s'exprime une volonté nationale et européenne. Si je suis élu, j'inviterai à Paris, dans le cadre dune Conférence du Développement nos partenaires, notamment Africains, nos partenaires européens, les institutions européennes et les organisations non-gouvernementales, pour réécrire, au XXIe siècle, la vision française dune politique nouvelle du développement.
Pour que se forme la volonté européenne, la voix de la France doit de nouveau se faire entendre.
4) Une ressource financière indépendante. Tout ce que nous constatons montre que l'égoïsme des Etats, lorsque c'est d'eux que dépend l'aide au développement, fait que les ressources ou les moyens des plus pauvres ne sont pas garantis. Ma conviction est que nous devons aujourd'hui trouver d'autre ressources. Pour ma part, je soutiens l'idée d'une ressource financière indépendante des États.
Tel est le vrai sujet des débats biaisés sur la taxe Tobin.
La vraie question est celle-ci : est-il juste et légitime de rechercher pour le développement des pays les plus pauvres, pour lutter contre le Sida, pour la scolarisation, pour l'accès à l'eau, une ressource qui serait pérenne, et à l'abri de l'égoïsme naturel des États ? Je me prononce pour une telle ressource. La création d'une ressource indépendante des Etats consacrée au développement serait une première pour la planète, une démarche vers une conscience de l'humanité et les moyens politiques qui portent cette conscience.
La forme que doit prendre cette ressource est une question non pas secondaire, mais seconde.
Certains ont proposé la taxe Tobin . J'ai toujours pensé qu'il fallait approfondir les études sur ce sujet, et j'ai voté en ce sens. D'autres idées ont été avancées, qui vont dans le même sens. Certains, Michel Camdessus par exemple, a proposé une taxe sur les ventes d'armes, d'autres une taxe sur les carburants polluants. Je n'ai pas de doute que d'autres idées seront avancées. Mais je le répète la question principale n'est pas le comment , mais le pourquoi !
Devant l'indifférence des États, je rappelle qu'aux Etats-Unis la part consacrée au développement se limite à 0,1 % seulement du PNB, c'est la question de la nécessité de la ressource qui prime.
À quoi utiliser cette ressource et qui pourrait la gérer ? Trois priorités : la lutte contre les grandes pandémies et notamment le Sida, la scolarisation, et l'accès à l'eau.
La lutte contre le Sida
J'utilise souvent cette formule : nous devrions lutter contre le Sida même par égoïsme, car si leurs enfants ont le sida, nos enfants auront le Sida. Et notre indifférence ou notre impuissance sur ce sujet est scandaleuse. Aujourd'hui près de quarante millions de personnes sont atteintes du virus dans le monde. On compte parmi elles 1,3 million d'enfants de moins de 15 ans. La grande majorité d'entre eux sont nés de femmes séropositives ayant contracté le virus pendant la grossesse, à la naissance ou pendant l'allaitement.
L'épidémie fait des ravages particulièrement étendus en Afrique subsaharienne, une région qui abrite 10 % de la population mondiale et 70 % de toutes les personnes séropositives. Cest là que sont enregistrés 80 % des décès dûs au SIDA et que vivent 90 % des orphelins dûs au Sida.
L'épidémie et la pauvreté sont profondément liées : la pauvreté aggrave la crise sanitaire et la maladie vide les coffres des pays. On estime qu'en 2005 le coût du traitement et des soins liés au Sida pourraient représenter un tiers de toutes les dépenses publiques de l'Éthiopie, plus de la moitié de celles du Kenya et près de deux tiers de celles du Zimbabwe.
Pourtant, ceux qui baissent les bras en disant qu'une telle lutte coûterait trop cher, se trompent. Il y a un an, une trithérapie coûtait 11000 dollars/an, elle coûte aujourd'hui 280 dollars seulement. Il est donc tout à fait envisageable de les aider.
Qui pourrait gérer une ressource indépendante liée à la lutte contre le Sida ? ONUSIDA.
La scolarisation et notamment la formation des femmes.
Je voudrais insister sur l'éducation des femmes. Dans les pays où la scolarisation des femmes est la plus faible, le PNB par habitant est plus bas de 25 % environ que dans les autres pays. Il y a un lien direct entre la scolarisation des femmes et le développement d'un pays. On a calculé qu'une augmentation de 1 % de la scolarisation secondaire féminine se traduit par une augmentation de 0,3 % de la croissance économique.
L'accès à l'eau
Il est inadmissible qu'un habitant sur trois de l'Afrique n'ait pas aujourd'hui accès à l'eau potable. On a calculé qu'un investissement de l'ordre de 10 Mds de dollars par an, c'est-à-dire le prix d'un porte-avions équipé, suffirait pour que ce problème trouve vraiment une amélioration.
Qui peut gérer la scolarisation et l'accès à l'eau s'il y avait une ressource indépendante ? La Banque mondiale.
5) Des mesures d'allégement de la dette adéquates
Je suis favorable à la remise de la dette aux pays dont on aura vérifié qu'ils luttent vraiment contre la pauvreté et qu'ils ne détournent pas les fonds. L'effacement de la dette est à la fois une nécessité et une exigence.
6) L'exception culturelle
Si la mondialisation est justice, c'est en particulier en matière culturelle que cette justice doit se faire sentir.
Ce qui caractérise la nouvelle économie, la convergence des technologies liée au numérique, le commerce électronique, c'est que le commerce n'est plus essentiellement industriel comme au siècle mais essentiellement culturel.
La propriété intellectuelle est devenue le pétrole du XXIe siècle.
Ce n'est pas pour rien que l'on voit émerger à coups de fusions/acquisitions deux ou trois grands géants des médias dont la stratégie est de contrôler à terme à la fois le contenu (ce qui passera dans les tuyaux) et l'accès des usagers via les fichiers d'abonnés. Ces groupes expliquent qu'ils seront tout à fait capables d'assurer eux-mêmes la diversité culturelle sans que qui que ce soit d'autre sen mêle.
Cela ne suffira pas. Le rôle du politique, son devoir, c'est d'imaginer et de concrétiser les moyens techniques et juridiques pour préserver et promouvoir cette diversité : vitalité de la création, possibilité de choix et donc liberté du citoyen de construire sa propre identité.
La politique d'exception culturelle à la française a fait que cette année, on bat tous les records avec 40 % des places de cinéma vendues en France pour des films français et 60 % des chansons françaises sur les ondes et dans les ventes.
Pour ceux dont l'objectif est la liberté et l'équilibre des cultures, la régulation est un impératif.
C'est de cela qu'il est question dans le grand débat sémantique auquel personne ne comprend rien, entre exception et diversité. Pour moi l'exception c'est l'outil, c'est-à-dire la possibilité pour chaque Etat de soutenir et de promouvoir sa culture et sa langue, et la diversité c'est l'objectif.
J'indique trois volontés pour ne pas rester dans la bataille des mots :
- inscrire dans la Constitution européenne et, avant, dans le Traité de l'Union européenne le principe de la diversité culturelle, c'est-à-dire la possibilité pour les Etats de réguler les industries culturelles et soutenir la création.
- mettre en place un instrument international multilatéral chargé de la diversité culturelle, non seulement à l'UNESCO mais aussi à l'OMC.
- limiter les excès de la concentration en fixant des objectifs aux règles de concurrence qui ne soient pas seulement la protection de l'individu dans sa dimension de consommateur (le prix le plus bas) mais aussi la protection de l'individu dans sa dimension de citoyen (la qualité).
Conclusion :
La mondialisation n'est pas seulement un fait. Elle est une exigence et une chance. À une seule condition : que la politique fasse en sorte que la mondialisation porte avec elle l'idée d'une nouvelle justice pour le monde.
(source http://www.bayrou.net, le 12 février 2002)
Après la fin des sommets de Porto Alegre et de Davos à New York, je vous propose de parler de la mondialisation et de l'idée de justice dans la mondialisation.
Nous étions peut-être les seuls, mais nous avons choisi de n'être ni à Porto Alegre, ni à New-York. Parce que chacun de ces sommets est un simplisme et va vers une caricature, comme s'il y avait d'un côté les adorateurs du marché et de l'autre les zélateurs de l'anti-mondialisation.
Or le monde que nous avons à construire ne se résume ni à l'une, ni à l'autre de ces deux voies.
Chaque forum a sa logique. D'un côté au Forum économique mondial, l'efficacité, c'est-à-dire le développement de la production et des échanges, une croissance du monde qui avoisine cette année 4,5 % et même une amélioration économique de certains pays intermédiaires comme l'Inde et de nombreux Etats asiatiques.
Mais il y a aussi dans le monde une immense demande de justice et Porto Alegre a raison de porter des questions dans cette logique.
Cette situation de justice non entendue est très dangereuse. On vient de vivre le 11 septembre et l'intégrisme fait son miel sur l'indifférence des puissants. L'injustice que nous avons sous nos yeux est criante. Sur les six milliards d'habitants de la planète, 2,8 milliards, soit presque la moitié, ont moins de 2 dollars par jour pour vivre. Et près de 1 milliard souffre de la faim. Presque 40 millions de personnes sont atteintes du Sida, dont 1,3 million sont des enfants de moins de 15 ans. L'inégalité entre les sexes persiste. L'investissement délaisse les pays pauvres et la scolarisation régresse L'aide publique au développement reçue par l'Afrique a diminué d'environ 6 % par an sur les quatre dernières années.
Aujourd'hui, la justice et l'efficacité doivent vivre ensemble. On ne sauve l'efficacité que par la justice et l'on obtient la justice que par l'efficacité. Voilà notre ligne. Pour moi, le premier bien qui doit faire l'objet d'échanges dans le monde globalisé, c'est la justice.
1) Des institutions internationales réformées
J'ai une certitude. Si l'on veut que le monde ne soit pas une jungle, il revient à la politique de l'organiser. C'est la raison pour laquelle les grandes organisations multilatérales sont le seul moyen de construire et d'imposer la justice. L'OMC, la Banque mondiale, l'ONU et d'une certaine manière le FMI en tentant d'éviter les crises jouent un rôle indispensable dans la société internationale.
Il est vrai que ces vingt dernières années, on a vu s'affaiblir le monde ancien des équilibres et des institutions de l'après-guerre, et les institutions du monde nouveau tardaient à naître. Or devant les problèmes que nous devons affronter aujourd'hui sont d'une telle complexité, qu'il s'agisse de la lutte contre l'effet de serre, de la déforestation, de l'épuisement des ressources, de la pauvreté, des grandes pandémies, des rapports nord-sud, il est urgent de réformer ces institutions internationales. La première mesure à prendre est d'instituer une parité équitable au sein des instances politiques internationales entre les pays riches et les pays pauvres. Le G8, par exemple, devra se transformer en s'élargissant, pas seulement à de grandes unités politiques comme l'Inde ou la Chine, mais il devra associer à ses travaux des représentants des pays en voie de développement. Un G8 devenu G20 équilibré, c'est l'exemple des grandes réformes qu'il faut introduire dans les instances internationales pour que les pays pauvres y aient leur place et y fassent entendre leur voix autant que les pays riches.
Car un monde un monde soumis à une hégémonie ne peut pas être un monde de justice.
2) Un monde plus équilibré, sans hégémonie - l'Europe puissante
L'hégémonie américaine est insupportable, non parce qu'elle est américaine, mais parce quelle est une hégémonie. Nous avons la chance que le seul pays en position d'être le gendarme du monde soit une démocratie et un allié. Mais le reste du monde acceptera de moins en moins que les seuls Etats-Unis ou l'occident derrière l'armée américaine s'érige en seul législateur, juge et gendarme de l'univers.
Mais cette situation n'est pas la responsabilité des Américains, elle est la nôtre, et en particulier notre responsabilité à nous Français.
Nous avons entre les mains, nous Français, une clé de ce nouvel ordre mondial à construire, en proposant une vraie et non pas une fausse Europe. La différence entre la vraie et la fausse Europe, c'est une Europe capable de porter un message dans le monde en parlant d'une seule voix. Dans les dernières années les seuls domaines où nous avons parlé d'égal à égal avec les Etats-Unis sont ceux où l'Europe a parlé dune seule voix, par exemple pour le commerce au sein de l'OMC, et pour l'environnement au moment de Kyoto.
Pour l'avenir, cette Europe parlant d'une seule voix ne pourra se réaliser que si son message est politiquement et démocratiquement élaboré. Autrement, notre place dans le concert des nations nous rangera aux côtés des puissances moyennes de deuxième rang, divisées entre elles et donc marginalisées.
Pour la France et pour le monde, particulièrement pour le monde en voie de développement, la vraie réponse à Davos-New-York et à Porto Alegre, c'est à Strasbourg et à Bruxelles quelle se trouve. La clé qui est à portée de notre main, c'est la construction dune véritable Europe.
Pour ceux qui, en France, veulent une mondialisation juste et maîtrisée, la seule réponse efficace c'est l'Europe.
Je prends l'exemple de l'OMC. C'est une idée européenne et seule l'Europe unie a pu l'imposer aux Américains qui s'y opposaient depuis cinquante ans. Grâce aux Européens, les premières années de fonctionnement de l'OMC ont permis d'obtenir des résultats inimaginables. Les Etats-Unis, condamnés par l'OMC, vont être obligés de renoncer à leur principal régime d'aide fiscal à l'exportation, qui concerne toutes les grandes entreprises américaines et représente plusieurs milliards de dollars. À Doha, grâce à l'Europe, les pays en développement ont obtenu la reconnaissance du bien fondé de leurs trois demandes principales : un engagement des pays développés de supprimer progressivement leurs subventions à l'exportation des produits agricoles, un engagement des mêmes pays à supprimer progressivement les pics tarifaires sur les textiles, et surtout la garantie que la protection de la propriété commerciale ne fera pas obstacle à l'approvisionnement des pays les plus pauvres en médicaments indispensables contre les grandes pandémies.
Tout cela est un début, encore insuffisant. L'OMC doit encore progresser sur la voie du démantèlement des barrières douanières qui protègent encore les marchés les plus solvables parce que les droits de douane poussent en effet les pays pauvres à produire moins cher en faisant travailler les enfants ou en ne respectant pas l'environnement.
3) L'aide au développement doit devenir plus efficace Que faudrait-il pour que l'aide au développement aujourd'hui si faible devienne plus efficace ? Nous prendre par la main ! Les quatre cinquièmes de la population du monde vivent aujourd'hui dans les pays en voie de développement et un cinquième (1,3 milliard de personnes) vit dans une situation d'extrême pauvreté, avec moins de 1 dollar par jour.
Dans ces conditions, il est scandaleux de constater que l'aide au développement en France est passée en cinq ans, sous la responsabilité de la gauche au pouvoir, de 0,6 % à 0,3 % du PIB ! Je veux rappeler que l'objectif fixé internationalement est 0,7 %. Beaucoup en sont loin.
De 1996 à 2001, l'aide française aura diminué de plus de 500 m (3 milliards de francs) soit 10 % de moins en euros constants. Elle est passée de 5 Mds (33,4 Mds F) - hors TOM - en 1996 à 4,6 Mds (30,1 Mds F) en 2001. Entre 1999 et 2000, l'aide française aura encore régressé de près de 14 % alors que l'évolution moyenne des pays de l'OCDE s'est limitée à moins de 2 % et que le Royaume-Uni a progressé de plus de 40 %. Le Royaume-Uni a par exemple majoré de 5,5 % le budget du department for international development qui est désormais autonome du ministère des affaires étrangères.
De surcroît, l'aide française en régression va de moins en moins aux pays les plus pauvres. Les Pays les moins avancés perçoivent en effet, moins du quart de l'aide française, soit exactement autant que les pays à revenu intermédiaire. Les crédits inscrits pour 2002 au budget des affaires étrangères le montrent clairement. L'action extérieure ne figure plus au rang des priorités nationales : aucune évolution pour l'aide alimentaire, l'aide humanitaire et l'aide d'urgence, l'aide aux sorties de crise, -5,6 % pour la coopération militaire, - 20 % pour la coopération technique et au développement.
Il faut faire du développement le sujet d'un débat national et européen pour que s'exprime une volonté nationale et européenne. Si je suis élu, j'inviterai à Paris, dans le cadre dune Conférence du Développement nos partenaires, notamment Africains, nos partenaires européens, les institutions européennes et les organisations non-gouvernementales, pour réécrire, au XXIe siècle, la vision française dune politique nouvelle du développement.
Pour que se forme la volonté européenne, la voix de la France doit de nouveau se faire entendre.
4) Une ressource financière indépendante. Tout ce que nous constatons montre que l'égoïsme des Etats, lorsque c'est d'eux que dépend l'aide au développement, fait que les ressources ou les moyens des plus pauvres ne sont pas garantis. Ma conviction est que nous devons aujourd'hui trouver d'autre ressources. Pour ma part, je soutiens l'idée d'une ressource financière indépendante des États.
Tel est le vrai sujet des débats biaisés sur la taxe Tobin.
La vraie question est celle-ci : est-il juste et légitime de rechercher pour le développement des pays les plus pauvres, pour lutter contre le Sida, pour la scolarisation, pour l'accès à l'eau, une ressource qui serait pérenne, et à l'abri de l'égoïsme naturel des États ? Je me prononce pour une telle ressource. La création d'une ressource indépendante des Etats consacrée au développement serait une première pour la planète, une démarche vers une conscience de l'humanité et les moyens politiques qui portent cette conscience.
La forme que doit prendre cette ressource est une question non pas secondaire, mais seconde.
Certains ont proposé la taxe Tobin . J'ai toujours pensé qu'il fallait approfondir les études sur ce sujet, et j'ai voté en ce sens. D'autres idées ont été avancées, qui vont dans le même sens. Certains, Michel Camdessus par exemple, a proposé une taxe sur les ventes d'armes, d'autres une taxe sur les carburants polluants. Je n'ai pas de doute que d'autres idées seront avancées. Mais je le répète la question principale n'est pas le comment , mais le pourquoi !
Devant l'indifférence des États, je rappelle qu'aux Etats-Unis la part consacrée au développement se limite à 0,1 % seulement du PNB, c'est la question de la nécessité de la ressource qui prime.
À quoi utiliser cette ressource et qui pourrait la gérer ? Trois priorités : la lutte contre les grandes pandémies et notamment le Sida, la scolarisation, et l'accès à l'eau.
La lutte contre le Sida
J'utilise souvent cette formule : nous devrions lutter contre le Sida même par égoïsme, car si leurs enfants ont le sida, nos enfants auront le Sida. Et notre indifférence ou notre impuissance sur ce sujet est scandaleuse. Aujourd'hui près de quarante millions de personnes sont atteintes du virus dans le monde. On compte parmi elles 1,3 million d'enfants de moins de 15 ans. La grande majorité d'entre eux sont nés de femmes séropositives ayant contracté le virus pendant la grossesse, à la naissance ou pendant l'allaitement.
L'épidémie fait des ravages particulièrement étendus en Afrique subsaharienne, une région qui abrite 10 % de la population mondiale et 70 % de toutes les personnes séropositives. Cest là que sont enregistrés 80 % des décès dûs au SIDA et que vivent 90 % des orphelins dûs au Sida.
L'épidémie et la pauvreté sont profondément liées : la pauvreté aggrave la crise sanitaire et la maladie vide les coffres des pays. On estime qu'en 2005 le coût du traitement et des soins liés au Sida pourraient représenter un tiers de toutes les dépenses publiques de l'Éthiopie, plus de la moitié de celles du Kenya et près de deux tiers de celles du Zimbabwe.
Pourtant, ceux qui baissent les bras en disant qu'une telle lutte coûterait trop cher, se trompent. Il y a un an, une trithérapie coûtait 11000 dollars/an, elle coûte aujourd'hui 280 dollars seulement. Il est donc tout à fait envisageable de les aider.
Qui pourrait gérer une ressource indépendante liée à la lutte contre le Sida ? ONUSIDA.
La scolarisation et notamment la formation des femmes.
Je voudrais insister sur l'éducation des femmes. Dans les pays où la scolarisation des femmes est la plus faible, le PNB par habitant est plus bas de 25 % environ que dans les autres pays. Il y a un lien direct entre la scolarisation des femmes et le développement d'un pays. On a calculé qu'une augmentation de 1 % de la scolarisation secondaire féminine se traduit par une augmentation de 0,3 % de la croissance économique.
L'accès à l'eau
Il est inadmissible qu'un habitant sur trois de l'Afrique n'ait pas aujourd'hui accès à l'eau potable. On a calculé qu'un investissement de l'ordre de 10 Mds de dollars par an, c'est-à-dire le prix d'un porte-avions équipé, suffirait pour que ce problème trouve vraiment une amélioration.
Qui peut gérer la scolarisation et l'accès à l'eau s'il y avait une ressource indépendante ? La Banque mondiale.
5) Des mesures d'allégement de la dette adéquates
Je suis favorable à la remise de la dette aux pays dont on aura vérifié qu'ils luttent vraiment contre la pauvreté et qu'ils ne détournent pas les fonds. L'effacement de la dette est à la fois une nécessité et une exigence.
6) L'exception culturelle
Si la mondialisation est justice, c'est en particulier en matière culturelle que cette justice doit se faire sentir.
Ce qui caractérise la nouvelle économie, la convergence des technologies liée au numérique, le commerce électronique, c'est que le commerce n'est plus essentiellement industriel comme au siècle mais essentiellement culturel.
La propriété intellectuelle est devenue le pétrole du XXIe siècle.
Ce n'est pas pour rien que l'on voit émerger à coups de fusions/acquisitions deux ou trois grands géants des médias dont la stratégie est de contrôler à terme à la fois le contenu (ce qui passera dans les tuyaux) et l'accès des usagers via les fichiers d'abonnés. Ces groupes expliquent qu'ils seront tout à fait capables d'assurer eux-mêmes la diversité culturelle sans que qui que ce soit d'autre sen mêle.
Cela ne suffira pas. Le rôle du politique, son devoir, c'est d'imaginer et de concrétiser les moyens techniques et juridiques pour préserver et promouvoir cette diversité : vitalité de la création, possibilité de choix et donc liberté du citoyen de construire sa propre identité.
La politique d'exception culturelle à la française a fait que cette année, on bat tous les records avec 40 % des places de cinéma vendues en France pour des films français et 60 % des chansons françaises sur les ondes et dans les ventes.
Pour ceux dont l'objectif est la liberté et l'équilibre des cultures, la régulation est un impératif.
C'est de cela qu'il est question dans le grand débat sémantique auquel personne ne comprend rien, entre exception et diversité. Pour moi l'exception c'est l'outil, c'est-à-dire la possibilité pour chaque Etat de soutenir et de promouvoir sa culture et sa langue, et la diversité c'est l'objectif.
J'indique trois volontés pour ne pas rester dans la bataille des mots :
- inscrire dans la Constitution européenne et, avant, dans le Traité de l'Union européenne le principe de la diversité culturelle, c'est-à-dire la possibilité pour les Etats de réguler les industries culturelles et soutenir la création.
- mettre en place un instrument international multilatéral chargé de la diversité culturelle, non seulement à l'UNESCO mais aussi à l'OMC.
- limiter les excès de la concentration en fixant des objectifs aux règles de concurrence qui ne soient pas seulement la protection de l'individu dans sa dimension de consommateur (le prix le plus bas) mais aussi la protection de l'individu dans sa dimension de citoyen (la qualité).
Conclusion :
La mondialisation n'est pas seulement un fait. Elle est une exigence et une chance. À une seule condition : que la politique fasse en sorte que la mondialisation porte avec elle l'idée d'une nouvelle justice pour le monde.
(source http://www.bayrou.net, le 12 février 2002)