Texte intégral
Q - Bonsoir, Hubert Védrine. Vous avez écouté notre correspondant. Est-ce que vous avez le sentiment que, un, la situation au Proche-Orient est intolérable et deuxièmement, quid de cette initiative européenne dont tout le monde attend finalement un espoir pour débloquer la situation ?
R - D'abord, la situation est effectivement intolérable pour les Israéliens qui vivent dans l'angoisse constante du terrorisme, de la violence et donc, dans l'insécurité ; et également pour les Palestiniens, qu'on fait vivre dans des conditions abominables. Il faut en sortir à tout prix. Il y a une aggravation par rapport à des aggravations récentes. On a l'impression que les choses ne cessent de se dégrader. C'est pour cela que les Européens cherchent en ce moment une façon de sortir du piège. C'est pour cela que nous avons avancé, nous les Français, mais aussi les Allemands et les Italiens, quelques idées pour en sortir.
Q - Ces idées, quelles sont-elles ? Est-ce que vous avez le sentiment que Sharon - parce que les Palestiniens vous appellent à l'aide - est prêt à les entendre, ne serait-ce qu'à les écouter ?
R - Les idées françaises, ce sont essentiellement deux choses. D'abord, reconnaître l'Etat palestinien au début du processus de négociation - qui pour le moment, d'ailleurs, n'existe pas - plutôt qu'à la fin du processus. Nous soutenons donc les idées de Shimon Peres et d'Abou Ala, le président du Conseil législatif palestinien. Et deuxièmement, nous proposons des élections dans les Territoires palestiniens, parce qu'il faut que les Palestiniens aient un autre mode d'expression que la violence et puissent sortir du désespoir.
Les Allemands ont proposé éventuellement un référendum, ce qui peut d'ailleurs se coupler à des élections, et les Italiens ont proposé de refaire une conférence internationale. Toutes ces idées, naturellement, méritent examen et approfondissement. Aucune ne peut être mise en oeuvre brusquement, dans la semaine. Mais, en tout cas, le dénominateur commun de toutes les idées européennes des derniers jours est de réveiller le volet politique qui est complètement abandonné depuis des mois, à la place de la répression militaire pure.
Q - Mais est-ce que Sharon est prêt à vous entendre, Hubert Védrine, vous et les autres ?
R - Je ne pense pas qu'il soit prêt pour le moment mais il ne faut jamais désespérer. Il n'y a pas de raison que M. Sharon ne s'interroge pas sur le fait que, au bout d'un an, sa politique n'atteigne pas les objectifs annoncés, c'est-à-dire la sécurité pour les Israéliens. Il a pu constater que même le président Bush, qui l'a quand même soutenu jusqu'ici, ne répondait pas affirmativement à toutes ses demandes puisqu'il est allé à Washington demander que les Américains coupent totalement les ponts avec l'Autorité palestinienne. Je vois différents signes au sein de la société israélienne où le débat politique et démocratique est très vif, que des questions renaissent sur "comment peut-on atteindre véritablement la sécurité ?". Nous, les Européens, nous disons que tant que l'on n'aura pas réveillé une perspective politique pour les Palestiniens, on risque de tourner en rond dans cette aggravation.
Q - Est-ce que je peux vous demander, vous qui connaissez bien la situation, quel est le moment clé ? Jack Straw est sur place. Est-ce une pression de tous les instants ou y a-t-il d'ores et déjà un rendez-vous que vous essayez d'obtenir pour les autres ?
R - Non, il n'y a pas de rendez-vous précis. En fait, nous continuons ce travail de persuasion et d'explication aussi longtemps qu'il le faudra. Aussi longtemps que l'on n'aura pas réenclenché le processus de recherche d'une solution qui avait commencé il y a une dizaine d'années à Oslo, puis à la conférence de Madrid. Pendant des années, on a vécu dans l'espérance que ces problèmes allaient être surmontés. Maintenant, c'est totalement arrêté. C'est une erreur d'avoir arrêté la recherche de la solution politique. On n'arrivera pas à extirper la violence. Il n'y a pas assez de perspectives. Nous, les Européens, avons des nuances entre nous sur le détail de telle ou telle des propositions que j'ai citées tout à l'heure, naturellement. Mais nous sommes en accord sur l'importance de ce volet politique. Et c'est cela que va dire Jack Straw, comme va le dire Joschka Fischer. Comme je le dis quand j'y suis, comme le dit Javier Solana. C'est notre apport à nous, Européens, pour tenter de sortir du piège.
Q - Deuxième grand dossier international : Milosevic. il ne reconnaît pas l'autorité du tribunal de La Haye, considère que le nouveau procureur, Carla Del Ponte, l'a condamné à l'avance et, surtout, va rappeler, dans les jours qui viennent, qu'il n'est pas le seul et que les autres, eux, ne sont pas justement convoqués devant les tribunaux, à savoir les Croates, les Kosovars, les Bosniaques... Que faut-il penser de ce procès historique ?
R - Il faut penser que c'est la première fois que la justice internationale est appelée à se prononcer sur la responsabilité d'un ancien chef d'Etat. Il faut donc penser que c'est un tournant majeur pour le droit international et la lutte contre l'impunité. Il faut se rappeler que ce tribunal a été créé par le Conseil de sécurité, c'est-à-dire d'une façon incontestable en droit international. Milosevic se trouve, aujourd'hui, inculpé de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, de génocides dans les conflits de Croatie, de Bosnie, du Kosovo. Le procès doit établir sa responsabilité personnelle dans les crimes perpétrés dans le cadre de ces conflits.
C'est donc une justice internationale qui fait ses premiers pas en attendant que la Cour pénale internationale, dont on peut espérer une entrée en vigueur cette année - il y a cinquante-deux ratifications, il en faudrait soixante -, va créer une nouvelle étape encore plus universelle. Encore que, jusqu'à maintenant, les Etats-Unis ne veuillent pas ratifier. Mais on arrivera à atteindre le chiffre même sans eux, je crois. C'est donc une étape très importante et Milosevic ne peut pas contester que ce soit exactement ce que l'on peut faire de mieux en droit international.
Q - Dernier point qui est important et qui concerne la cohabitation. Le président de la République, l'autre jour, sur TF1, a expliqué qu'entre lui et Lionel Jospin, en matière de cohabitation et notamment de politique étrangère, il n'y avait pas eu le moindre débordement concernant la défense de la France à l'étranger. Or, aujourd'hui, semble-t-il, on a vécu un Conseil des ministres un peu tendu. On a entendu, tout à l'heure, le responsable de la Coopération expliquer que lors du Conseil, Lionel Jospin avait un peu taclé le président sur l'affaire de l'Europe, le président défendant la politique Juppé, Lionel Jospin défendant son gouvernement. Que s'est-il passé ? Vous y étiez. Et puis, deuxièmement, que pensez-vous de ce début de campagne, justement, pour les deux mois qui viennent, parce qu'il faut quand même représenter la France ?
R - Ce qui s'est passé au Conseil des ministres, c'est que le Premier ministre a rappelé légitimement que c'est ce gouvernement qui a permis à la France d'aborder l'entrée dans l'euro, l'usage réel de l'euro qui a commencé cette année dans des conditions excellentes et qui ont été saluées comme telles. L'euro est un processus historique qui vient de loin, naturellement. Mais, c'est ce gouvernement, le Premier ministre, les ministres de l'Economie et des Finances et notamment dernièrement Laurent Fabius, qui ont mené ce travail de préparation qui a été fait parfaitement.
En ce qui concerne la politique étrangère, dans cette campagne, il faut distinguer deux choses. D'une part, jusqu'à la fin du mandat actuel du président, jusqu'au second tour inclus, nous continuerons à traiter les problèmes internationaux comme nous l'avons fait depuis juin 1997. C'est-à-dire que nous élaborerons, quelles que soient nos éventuelles différences, une position que nous préparerons. Nous trouverons une solution de compromis utile pour les intérêts de la France dans le monde et nous la défendrons d'une seule voix. Ce mécanisme continuera jusqu'au bout. D'autre part, en ce qui concerne l'avenir et ce qu'il faut faire pour la France sur le plan international, sur le plan européen, sur le plan du crédit de notre pays, sur le plan de ce que nous pouvons apporter par rapport aux problèmes du monde et par rapport aux crises, là c'est le débat démocratique, c'est la campagne. Et chacun, naturellement, est libre de présenter et même doit présenter au pays des options claires sur cette période 2002-2007.
Q - Merci Hubert Védrine d'avoir été en direct avec nous.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2002)
R - D'abord, la situation est effectivement intolérable pour les Israéliens qui vivent dans l'angoisse constante du terrorisme, de la violence et donc, dans l'insécurité ; et également pour les Palestiniens, qu'on fait vivre dans des conditions abominables. Il faut en sortir à tout prix. Il y a une aggravation par rapport à des aggravations récentes. On a l'impression que les choses ne cessent de se dégrader. C'est pour cela que les Européens cherchent en ce moment une façon de sortir du piège. C'est pour cela que nous avons avancé, nous les Français, mais aussi les Allemands et les Italiens, quelques idées pour en sortir.
Q - Ces idées, quelles sont-elles ? Est-ce que vous avez le sentiment que Sharon - parce que les Palestiniens vous appellent à l'aide - est prêt à les entendre, ne serait-ce qu'à les écouter ?
R - Les idées françaises, ce sont essentiellement deux choses. D'abord, reconnaître l'Etat palestinien au début du processus de négociation - qui pour le moment, d'ailleurs, n'existe pas - plutôt qu'à la fin du processus. Nous soutenons donc les idées de Shimon Peres et d'Abou Ala, le président du Conseil législatif palestinien. Et deuxièmement, nous proposons des élections dans les Territoires palestiniens, parce qu'il faut que les Palestiniens aient un autre mode d'expression que la violence et puissent sortir du désespoir.
Les Allemands ont proposé éventuellement un référendum, ce qui peut d'ailleurs se coupler à des élections, et les Italiens ont proposé de refaire une conférence internationale. Toutes ces idées, naturellement, méritent examen et approfondissement. Aucune ne peut être mise en oeuvre brusquement, dans la semaine. Mais, en tout cas, le dénominateur commun de toutes les idées européennes des derniers jours est de réveiller le volet politique qui est complètement abandonné depuis des mois, à la place de la répression militaire pure.
Q - Mais est-ce que Sharon est prêt à vous entendre, Hubert Védrine, vous et les autres ?
R - Je ne pense pas qu'il soit prêt pour le moment mais il ne faut jamais désespérer. Il n'y a pas de raison que M. Sharon ne s'interroge pas sur le fait que, au bout d'un an, sa politique n'atteigne pas les objectifs annoncés, c'est-à-dire la sécurité pour les Israéliens. Il a pu constater que même le président Bush, qui l'a quand même soutenu jusqu'ici, ne répondait pas affirmativement à toutes ses demandes puisqu'il est allé à Washington demander que les Américains coupent totalement les ponts avec l'Autorité palestinienne. Je vois différents signes au sein de la société israélienne où le débat politique et démocratique est très vif, que des questions renaissent sur "comment peut-on atteindre véritablement la sécurité ?". Nous, les Européens, nous disons que tant que l'on n'aura pas réveillé une perspective politique pour les Palestiniens, on risque de tourner en rond dans cette aggravation.
Q - Est-ce que je peux vous demander, vous qui connaissez bien la situation, quel est le moment clé ? Jack Straw est sur place. Est-ce une pression de tous les instants ou y a-t-il d'ores et déjà un rendez-vous que vous essayez d'obtenir pour les autres ?
R - Non, il n'y a pas de rendez-vous précis. En fait, nous continuons ce travail de persuasion et d'explication aussi longtemps qu'il le faudra. Aussi longtemps que l'on n'aura pas réenclenché le processus de recherche d'une solution qui avait commencé il y a une dizaine d'années à Oslo, puis à la conférence de Madrid. Pendant des années, on a vécu dans l'espérance que ces problèmes allaient être surmontés. Maintenant, c'est totalement arrêté. C'est une erreur d'avoir arrêté la recherche de la solution politique. On n'arrivera pas à extirper la violence. Il n'y a pas assez de perspectives. Nous, les Européens, avons des nuances entre nous sur le détail de telle ou telle des propositions que j'ai citées tout à l'heure, naturellement. Mais nous sommes en accord sur l'importance de ce volet politique. Et c'est cela que va dire Jack Straw, comme va le dire Joschka Fischer. Comme je le dis quand j'y suis, comme le dit Javier Solana. C'est notre apport à nous, Européens, pour tenter de sortir du piège.
Q - Deuxième grand dossier international : Milosevic. il ne reconnaît pas l'autorité du tribunal de La Haye, considère que le nouveau procureur, Carla Del Ponte, l'a condamné à l'avance et, surtout, va rappeler, dans les jours qui viennent, qu'il n'est pas le seul et que les autres, eux, ne sont pas justement convoqués devant les tribunaux, à savoir les Croates, les Kosovars, les Bosniaques... Que faut-il penser de ce procès historique ?
R - Il faut penser que c'est la première fois que la justice internationale est appelée à se prononcer sur la responsabilité d'un ancien chef d'Etat. Il faut donc penser que c'est un tournant majeur pour le droit international et la lutte contre l'impunité. Il faut se rappeler que ce tribunal a été créé par le Conseil de sécurité, c'est-à-dire d'une façon incontestable en droit international. Milosevic se trouve, aujourd'hui, inculpé de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité, de génocides dans les conflits de Croatie, de Bosnie, du Kosovo. Le procès doit établir sa responsabilité personnelle dans les crimes perpétrés dans le cadre de ces conflits.
C'est donc une justice internationale qui fait ses premiers pas en attendant que la Cour pénale internationale, dont on peut espérer une entrée en vigueur cette année - il y a cinquante-deux ratifications, il en faudrait soixante -, va créer une nouvelle étape encore plus universelle. Encore que, jusqu'à maintenant, les Etats-Unis ne veuillent pas ratifier. Mais on arrivera à atteindre le chiffre même sans eux, je crois. C'est donc une étape très importante et Milosevic ne peut pas contester que ce soit exactement ce que l'on peut faire de mieux en droit international.
Q - Dernier point qui est important et qui concerne la cohabitation. Le président de la République, l'autre jour, sur TF1, a expliqué qu'entre lui et Lionel Jospin, en matière de cohabitation et notamment de politique étrangère, il n'y avait pas eu le moindre débordement concernant la défense de la France à l'étranger. Or, aujourd'hui, semble-t-il, on a vécu un Conseil des ministres un peu tendu. On a entendu, tout à l'heure, le responsable de la Coopération expliquer que lors du Conseil, Lionel Jospin avait un peu taclé le président sur l'affaire de l'Europe, le président défendant la politique Juppé, Lionel Jospin défendant son gouvernement. Que s'est-il passé ? Vous y étiez. Et puis, deuxièmement, que pensez-vous de ce début de campagne, justement, pour les deux mois qui viennent, parce qu'il faut quand même représenter la France ?
R - Ce qui s'est passé au Conseil des ministres, c'est que le Premier ministre a rappelé légitimement que c'est ce gouvernement qui a permis à la France d'aborder l'entrée dans l'euro, l'usage réel de l'euro qui a commencé cette année dans des conditions excellentes et qui ont été saluées comme telles. L'euro est un processus historique qui vient de loin, naturellement. Mais, c'est ce gouvernement, le Premier ministre, les ministres de l'Economie et des Finances et notamment dernièrement Laurent Fabius, qui ont mené ce travail de préparation qui a été fait parfaitement.
En ce qui concerne la politique étrangère, dans cette campagne, il faut distinguer deux choses. D'une part, jusqu'à la fin du mandat actuel du président, jusqu'au second tour inclus, nous continuerons à traiter les problèmes internationaux comme nous l'avons fait depuis juin 1997. C'est-à-dire que nous élaborerons, quelles que soient nos éventuelles différences, une position que nous préparerons. Nous trouverons une solution de compromis utile pour les intérêts de la France dans le monde et nous la défendrons d'une seule voix. Ce mécanisme continuera jusqu'au bout. D'autre part, en ce qui concerne l'avenir et ce qu'il faut faire pour la France sur le plan international, sur le plan européen, sur le plan du crédit de notre pays, sur le plan de ce que nous pouvons apporter par rapport aux problèmes du monde et par rapport aux crises, là c'est le débat démocratique, c'est la campagne. Et chacun, naturellement, est libre de présenter et même doit présenter au pays des options claires sur cette période 2002-2007.
Q - Merci Hubert Védrine d'avoir été en direct avec nous.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2002)