Texte intégral
Je suis très heureux de signer aujourd'hui, avec mon collègue et ami Jean Glavany, le contrat d'objectifs qui va lier l'Institut national de la recherche agronomique et nos deux ministères pour la période 2001-2004.
Je remercie le Président Bertrand Hervieu et la directrice générale Marion Guillou d'avoir mené ce travail de réflexion et de prospective. Il tient compte de la mission même de la recherche publique, placée au service de tous. Il prend également en considération le partenariat, souvent utile, avec les autres établissements publics de recherche et les divers acteurs économiques. Il se fonde aussi sur les exigences croissantes et légitimes des consommateurs.
La triple vocation de l'INRA qui développe la recherche agronomique dans les domaines de l'agriculture durable, de l'alimentation, et de l'environnement se voit donc organisée en cinq priorités scientifiques.
Lorsque j'examine vos priorités, j'y retrouve mes propres priorités, et au-delà celles du gouvernement et celles souhaitées par nos concitoyens : prise en compte accrue de l'environnement, retour vers la physiologie intégrative pour valoriser les résultats de la génomique, développement de nouveaux outils avec la bioinformatique, et prise en compte des besoins de sécurité alimentaire et de traçabilité.
Pour accomplir ces missions, nous dotons l'INRA des moyens nécessaires.
Moyens financiers d'abord, alors que la dotation par chercheur n'avait pas varié de 1993 à 1997. Nous avons déjà augmenté les crédits de fonctionnement de 18,3% entre 1998 et 2001. Ils augmenteront de 9 % en 2002.
Moyens en ressources humaines, ensuite.
De 1993 à 1997, l'INRA avait perdu 120 postes de chercheurs et de techniciens. De 1998 à aujourd'hui, au contraire, 80 emplois de chercheurs ont été créés, et ce sont 100 emplois de chercheurs, d'ingénieurs et de techniciens qui seront créés en 2002.
Comme vous le savez, le ministère de recherche a arrêté et met en uvre un Plan décennal (2001-2010) de gestion pluriannuelle de l'emploi scientifique. Ce plan crée 1000 emplois dès les années 2001-2004 et permettra de recruter rapidement de nouveaux chercheurs et ITA de qualité.
La génomique
Parmi vos priorités de recherche, vous avez naturellement inscrit la génomique.
Le Ministère de la Recherche a engagé depuis février 1999 le programme " Génomique ", programme de 4 ans destiné à favoriser le développement et la coordination des recherches sur les génomes, avec toutes leurs applications en physiologie, pharmacologie, médecine et agroalimentaire.
Il s'agit d'un programme ambitieux auquel le gouvernement consacre des moyens importants. Ainsi les financements dédiés à ce secteur sur le seul Fonds National de la Science sont passés de 54,4 Meuros (357 MF) en 2000 à 68,6 Meuros (450 MF) en 2001 pour atteindre 76,2 Meuros (500 MF) en 2002 ; d'autres financements proviennent des organismes de recherche (INSERM, INRA, CNRS, universités), des collectivités locales, des associations caritatives, des industriels privés et des partenariats Etat-industrie.
Au sein de ce programme, les centres de ressource nationaux tel que le Centre national de séquençage (CNS), encore appelé " Génoscope ", occupent une grande place. Si une importante partie de ses activités sont naturellement consacrées au séquençage du génome humain, le CNS assure également, dans le cadre du Consortium international " Riz ", le séquençage du chromosome 12 de cette céréale, ressource de base pour plus d'un tiers de l'humanité.
Par ailleurs, il y a un an, presque jour pour jour, j'ai pu féliciter les chercheurs du Consortium international, auquel participe le CNS, qui annonçaient la fin du programme sur l'Arabidopsis Thaliana, la moutarde sauvage : il s'agissait du premier génome de plante entièrement séquencé.
Aujourd'hui, les recherches en biologie végétale et animale sont fortement concernées par le renouvellement des méthodes d'investigation. J'ai donc souhaité compléter la structuration des Très Grands Outils de la génomique que constituent à Evry le CNS et le CNG, en créant le Consortium National de Recherche en Génomique, dont l'INRA sera l'un des partenaires avec le CNRS, l'INSERM et le CEA.
Ce CNRG aura également pour tâche d'animer le réseau des génopoles, dont plusieurs, en particulier à Toulouse et Montpellier, vous intéressent plus spécifiquement, car l'INRA en assure en bonne partie la gestion. En outre, nous avons décidé d'enrichir le réseau des génopoles d'une huitième structure, la génopole Ouest, qui comporte un important volet agroalimentaire.
Les enjeux économiques de ces recherches expliquent l'engagement d'acteurs industriels dans ce secteur, où les grandes firmes de la pharmacie et de l'agrochimie se livrent une forte concurrence.
La recherche publique doit pouvoir contrebalancer le poids de monopoles, qui risqueraient de confisquer à leur profit le savoir sur des technologies ou des ressources génétiques d'intérêt général.
Elle doit également participer à la diffusion du savoir technologique vers le tissu économique. Elle a donc a mis en place des dispositifs assurant la compétitivité de la France, par le regroupement des compétences et la restructuration du partenariat public-privé sur des règles claires.
L'INRA joue un rôle essentiel dans le réseau Génoplante, qui est doté d'un budget d'1,2 milliard de francs, provenant pour un tiers de nos deux ministères, pour un tiers d'entreprises privées, pour un tiers d'organismes de recherche et en particulier de l'INRA. Présidé par Marion Guillou, animé par Michel Caboche, ce réseau renforce la position de la France en génomique végétale, et fournit aussi une expertise des risques éventuels des innovations, comme les variétés transgéniques ou les variétés résistantes.
Ce réseau conduit des recherches à caractère générique pour la connaissance et la maîtrise des génomes des principales espèces d'intérêt agronomique (blé, maïs, riz, colza, tournesol, pois, vigne). Il contribue au renforcement d'une propriété intellectuelle et industrielle garante de l'indépendance nationale, dans ce secteur très concurrentiel au plan mondial.
Ce programme dotera aussi la recherche publique d'un dispositif pour les études post-génomiques de transcriptomique et de protéomique (plates-formes), et pour la production et la distribution de ressources génétiques dédiées (centres de ressources biologiques végétales).
Le rapprochement, décidé en 2000, avec le programme allemand de génomique végétale GABI permettra d'accéder à des génomes d'intérêt agronomique qui ne sont pas actuellement traités dans Génoplante, comme l'orge et la betterave à sucre. Par ailleurs, des démarches sont entreprises pour participer à des consortiums internationaux de séquençage complet de génomes.
Le pendant animal au programme Génoplante est le programme AGENA. Mis en uvre depuis 2000, il mobilise environ 140 équivalents à temps pleins (ETP) au sein de l'INRA, auxquels s'ajoutent des chercheurs du CNRS et du CIRAD.
Ce projet vise à faire progresser la connaissance du génome des animaux d'élevage, bovins, porcins, volailles, truites.
Les résultats escomptés permettent d'envisager une amélioration génétique des animaux de rente, une régulation des grandes fonctions physiologiques d'intérêt zootechnique (comme la reproduction, la nutrition, la croissance, l'adaptation au milieu), ainsi qu'une meilleure protection de la santé animale.
Une collaboration étroite avec les professionnels français est à la base de ce projet. Un GIS impliquant les filières bovines pour le lait et la viande et les filières " truites " est actuellement en cours de formation et pourra démarrer au début de l'année 2002. Ce GIS intégrera à brève échéance les filières " volailles " et " porcs ".
La qualité et la sécurité alimentaires
Un axe important de votre contrat concerne la qualité et la sécurité des aliments. Si les premiers travaux dans ce domaine, engagés depuis plusieurs années, visaient exclusivement la santé animale, l'investissement sur les zoonoses conduit désormais à la prise en charge des problèmes de sécurité des consommateurs et des professionnels au contact des animaux. Les maladies à prions en constituent l'exemple évident.
Face à l'ampleur prise par l'épizootie d'encéphalopathie spongiforme bovine, et face à l'apparition du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le ministère de la recherche a pris, dès le mois de novembre 2000, des mesures importantes pour que la communauté scientifique se mobilise sur cette question prioritaire de santé publique. Les crédits consacrés à la recherche sur les maladies à prions ont été triplés, et j'ai installé en janvier 2001 un Groupement d'intérêt scientifique destiné à renforcer trois axes de recherche : le développement de nouveaux tests de détection ; la recherche sur la nature de l'agent infectieux et la physiologie des maladies à prions ; la recherche épidémiologique et thérapeutique.
Ce GIS " Infections à prions " regroupe tous les partenaires concernés : les ministères (Agriculture, Recherche, Santé), les organismes de recherche (CNRS, INRA, INSERM, CEA, Institut Pasteur), les agences (AFSSA, AFSSAPS, InVS) et les universités.
Deux appels d'offres ont étés lancés de février à mai 2001. Ont été retenus 13 projets d'équipements lourds, dont 9 animaleries protégées, 4 laboratoires protégés, et 107 projets de recherche. Le CEA a déjà réalisé l'un des deux projets qui ont été retenus pour lui par le GIS, un laboratoire de type L3, que j'ai inauguré en octobre à Saclay.
L'INRA sera doté à son tour d'une " étable blanche " qui sera construite à Tours-Nouzilly. Cette animalerie, mise à la disposition de la communauté nationale de recherche, permettra de mener, en conditions protégées, des expériences sur les murins, les bovins et les ovins.
Dans le domaine de la sécurité microbilogique et de la prévention des pathologies par la nutrition, je veux également confirmer la création prochaine du Réseau de recherche et d'innovation technologiques "Alimentation référence europe" (RARE). Ce réseau établira de nouveaux partenariats de recherche entre les organismes publics et les entreprises privées dans le secteur clé des industries agro-alimentaires (800 milliards de chiffre d'affaires, 4000 entreprises, 400 000 emplois).
Quatre consortiums seront créés au lancement du réseau :
- PREVIUS, pour le développement de recherches en microbiologie alimentaire prévisionnelle ;
- NUTRIALIS, pour la nutrition et la santé humaine ;
- CANAL, pour la conception assistée de nouveaux aliments ;
- LIPOTECHNIE pour de nouvelles valorisations des oléagineux et des corps gras.
Les programmes de recherche de PREVIUS ont été lancés dès 1999.
Dans les autres domaines, les premières actions incitatives ont été lancées dès la fin 2000, après installation du réseau, avec une mobilisation du FRT de 15 MF.
Les attentes des consommateurs en matière de sécurité alimentaire, d'environnement ou de biotechnologies se sont particulièrement focalisées sur les Organismes génétiquement modifiés. L'INRA se trouve en première ligne dans ce secteur, et je vous félicite d'avoir été les premiers à prendre conscience de votre mission d'information et d'explication.
Vos essais, conduits donc par la recherche publique, indépendante des intérêts privés, visent à évaluer de manière impartiale et objective les bénéfices des OGM comme les risques éventuels pour la santé et l'environnement. Si l'on veut avoir des réponses aux questions que l'on se pose légitimement, il faut bien mener ces essais, d'ailleurs peu nombreux, pourvu qu'ils soient assortis de toutes les précautions nécessaires.
Les cultures transgéniques ouvrent de nombreuses perspectives. D'une part, elles peuvent laisser envisager des cultures plus endurantes à la sécheresse et plus nutritives, qui peuvent contribuer à la lutte contre la malnutrition dans les pays du Tiers Monde, comme l'a souligné le Programme des Nations Unies pour le Développement en juillet dernier. D'autre part, elles peuvent produire certains aliments utiles à la santé, même si aujourd'hui nous n'en sommes qu'à des essais comme le riz doré, riche en vitamine A, qui peut contribuer à réduire les cas de cécité chez les enfants, et certains médicaments comme l'insuline, ou des lipases produites pour aider les enfants atteints de mucoviscidose.
Les actions d'arrachage de plantes transgéniques ne peuvent être acceptées. Face aux OGM, il faut éviter deux excès contraires : l'aventurisme et l'obscurantisme.
Pas d'aventurisme : c'est pourquoi le gouvernement est attaché au moratoire décidé en 1999 par plusieurs Etats de l'Union européenne et s'oppose à la mise en culture commerciale et à la mise sur le marché d'OGM dont les effets ne seraient pas connus avec précision.
A l'inverse, pas d'obscurantisme, car il est nécessaire de pouvoir connaître avec précision les effets des OGM et leurs risques éventuels pour la santé et l'environnement. C'est ce à quoi s'attache la recherche publique, véritable contrepoids aux grands groupes privés.
S'opposer à la recherche et aux progrès de la connaissance n'est pas une attitude progressiste. Nous souhaitons non pas la violence, mais un débat citoyen sur les OGM. En démocratie, on peut se faire entendre et faire valoir des arguments sans recourir aux actions de force. La démocratie c'est le dialogue, c'est le débat, ce n'est pas le diktat.
Je suis donc très reconnaissant à l'INRA de confirmer son engagement dans le débat social.
Une politique d'ouverture
Le contrat que nous signons aujourd'hui témoigne de la politique d'ouverture que vous souhaitez développer. Ouverture à l'égard de vos concitoyens par le débat social. Ouverture contrôlée à l'égard de nouveaux partenaires industriels, pour faciliter le transfert et l'innovation. Ouverture également à l'égard des universités, par l'augmentation du nombre d'Unités mixtes de recherche (qu'on peut aujourd'hui estimer à 130), et par une implication accrue dans les Ecoles doctorales.
Au plan géographique, enfin, vous vous dirigez vers deux horizons : l'Outre-mer, où la Convention que vous avez signée en juin 2000 avec le CIRAD, l'IFREMER et l'IRD vous permettra d'implanter des laboratoires conjoints et de mener des actions concertées ; et l'Europe, dont vous êtes le pilier principal pour la recherche agronomique.
Il y a juste un an, le 6 décembre 2000, je clôturais à Versailles, avec le Commissaire Philippe Busquin, une conférence sur " la recherche agricole dans l'Espace européen de la recherche ", conférence dont l'INRA avait été le maître d'uvre. Je soulignais que la création de réseaux d'excellence, l'installation d'infrastructures communes, la définition de nouveaux objectifs et la mise en place d'une mobilité réelle des chercheurs permettraient à la recherche européenne de s'affirmer, à parité de succès avec les Etats-Unis.
Nous mesurons encore plus aujourd'hui le rôle de contrepoids que l'Europe doit exercer au sein d'institutions internationales comme, par exemple, l'Organisation mondiale du commerce. Il y va de notre avenir d'Européens, mais aussi de notre conception d'un monde équilibré et équitable.
Votre activité de recherche, qui porte sur des secteurs qui concernent l'humanité tout entière, est essentielle à l'instauration de ce nouveau monde, qui doit réconcilier la science avec la société, et le progrès avec le partage.
(source http://www.inra.fr, le 7 janvier 2002)