Texte intégral
Madame la Vice-présidente de l'Assemblée Nationale,
Messieurs les députés,
Messieurs les coordonnateurs locaux,
Mesdames et Messieurs,
Voilà maintenant vingt années qu'en France nous avons élaboré et mis en uvre des politiques publiques concernant la prévention de la délinquance et la sécurité.
J'ai souhaité soutenir une recherche comme celle qui vous a été présentée aujourd'hui pour deux raisons essentielles :
- Je crois nécessaire de mieux connaître les politiques et les pratiques menées dans d'autres pays, pour les comparer et, le cas échéant, s'en inspirer. Nous savons par exemple combien nous devons au modèle anglais en ce qui concerne la police communautaire, dite en France, "de proximité".
- J'ai voulu également introduire dans notre débat national - fort agité sur la question - des éléments scientifiques, argumentés, discutés qui doivent nous permettre d'envisager les solutions les plus intelligentes, en refusant toute démagogie C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai également soutenu la réalisation d'un ouvrage intitulé Etat des savoirs sur le crime et la sécurité en France, qui sera publié le mois prochain.
Cette démarche s'inscrit dans une tradition historique de la politique de la ville.
C'est en effet à l'initiative de la DIV qu'ont été lancés en France, en 1989, les premiers diagnostics locaux de sécurité et les premières enquêtes de victimation.
C'est aussi pour cette raison que je soutiens vivement la création d'un observatoire de la délinquance dont l'indépendance scientifique soit garantie. Pour être crédible et utile, cette structure ne pourra se contenter de regrouper les seules administrations.
De vos analyses, je veux tirer matière pour aller de l'avant. Sans vouloir brosser un tableau complet de l'action menée en la matière, je voudrais rappeler brièvement les principaux axes qui ont guidé mon action et celle du gouvernement depuis presque cinq années.
La police de proximité a été progressivement mise en place. La justice des mineurs a diversifié largement sa palette de réponses. Les contrats locaux de sécurité ont permis de renforcer le partenariat local reposant sur les conseils communaux de prévention de la délinquance. Leurs moyens financiers ont été augmentés par mon ministère. J'ai souhaité également consolider et développer la médiation sociale pour répondre aux petits conflits de la vie quotidienne.
Enfin, il m'a semblé capital d'amener les différents acteurs de la prévention et de la sécurité, à tous les niveaux de responsabilité, à prendre conscience de la violence produite par les institutions elles mêmes.
Plus globalement, j'ai voulu renforcer le lien social et l'action générale de la politique de la ville en matière d'urbanisme, de santé ou d'éducation, pour améliorer très concrètement les conditions de vie de ceux qui en ont le plus besoin.
Aujourd'hui, je voudrais tirer les enseignements de l'expérience de ces dernières années, au regard des comparaisons européennes qui nous sont proposées, pour identifier les chantiers de l'avenir en matière de prévention et de sécurité.
J'ai bien noté l'une des conclusions de Mme BODY-GENDROT et de M.DUPREZ qui envisagent, je cite, que : "les savoirs accumulés des expériences de terrain, accompagnés par les politiques de la ville, permettent de nouveau à une politique publique volontariste de donner une alternative au discours sécuritaire".
Quel constat pouvons nous dresser de la situation aujourd'hui ?
Tout d'abord, la violence constitue une préoccupation majeure. Cette violence est multiple et je n'aime pas que certains cherchent à la réduire aux infractions de voie publique. M'appuyant sur les travaux d'autres scientifiques, et notamment ceux de Marie CHOQUET, j'avais déjà souligné combien la violence trouve ses racines dans les souffrances endurées. Il n'est pas possible d'appréhender la violence sans regarder de plus près les troubles psychiques dont souffrent de nombreux jeunes, les conduites à risque qu'ils développent, les suicides et tentatives qu'ils commettent. C'est pourquoi, nous devons accroître nos efforts en développant les moyens de proximité dans le domaine de la psychologie infantile et juvénile.
La violence produit des traumatismes profonds chez les victimes, souvent supérieurs à ceux générés par une atteinte aux biens.
Or, précisément, en matière de prévention et de traitement de la délinquance, il est frappant de constater que nous manquons de réponses aux actes violents, alors que nous avons développé des mécanismes d'assurance ou de protection plus complexes pour les vols ou les escroqueries, par exemple.
Second constat sur la situation actuelle : le lien entre délinquance et quartiers populaires. Ce lien résulte d'une certaine focalisation du débat public et médiatique autour de quelques thèmes.
La focalisation sur la petite et moyenne délinquance est normale : il s'agit de faits concernant le plus grand nombre. Mais il ne faut pas confondre cette ampleur avec la seule visibilité du phénomène. Notre action ne doit pas s'arrêter à ce qui est uniquement visible. Bien sûr, la focalisation est grande sur "les jeunes", et je répugne moi même à utiliser cette catégorie tant elle devient stigmatisante ; l'objectif se resserrant encore plus sur les enfants issus de l'immigration, ou sur les habitants des quartiers populaires.
La question n'est pas de savoir si ces catégories commettent plus de délits ou si la pression répressive à leur encontre est supérieure. Je constate avec vous que cette focalisation renforce les causes qui nourrissent la délinquance.
Dans ces quartiers, la délinquance de nombreux jeunes est liée à leur volonté d'appartenir à la société de consommation, de ressembler aux modèles stéréotypés "vus à la télé" ; mais, leur violence résulte aussi du sentiment d'être exclus et de ne pas compter pour la société. Combien d'entre eux m'ont raconté réussir leurs entretiens d'embauche jusqu'à ce qu'ils précisent qu'ils habitent telle ou telle cité mal réputée. Et dire cela, ce n'est en rien excuser les comportements individuels, c'est retrouver, loin des slogans, le chemin de la réflexion.
De ces deux constats : une société dont la violence est multiforme et une catégorie d'habitants qui se sent exclue, je voudrais tirer quelques perspectives d'avenir pouvant servir de cadre à une politique globale de prévention et de sécurité. Je retiendrais trois axes :
- renouveler la prévention
- développer les solidarités de proximité
- professionnaliser la police et réorganiser la justice pénale autour des enjeux territoriaux.
1 / RENOUVELER LA PREVENTION
Il est faux de dire que nous avons fait tout ce que nous pouvions en matière de prévention. Il est faux de dire que des moyens extrêmement importants ont été alloués à la prévention. Les efforts ont été insuffisants.
Et ce constat, à la lecture de votre étude, paraît confirmé, malheureusement, pour la grande majorité des pays européens.
Dans le domaine de la prévention, la prévention dite situationnelle a beaucoup progressé, même en France où elle n'a jamais été portée comme un objectif politique à part entière, contrairement aux pays anglo-saxons. Les digicodes et interphones se sont généralisés en France en moins de 20 ans, les caméras de surveillance se sont répandues. Ces évolutions obéissent aux lois immédiates du marché ; elles ne se préoccupent pas de leurs effets à long terme, comme le risque d'un cloisonnement excessif de la population, avec le spectre des "villes barricadées" américaines. Néanmoins, ce type de prévention peut être utile; et je souhaite par exemple, que nous mettions enfin en place un dispositif de neutralisation des téléphones portables volés, pour casser ce "second marché" de la téléphonie mobile et éviter les violences avec lesquelles ces vols sont souvent commis.
Dans le domaine de la prévention sociale générale, nous payons aujourd'hui les conséquences sociales et psychologiques de deux décennies de crise économique et de chômage de masse sur les adolescents.
Lorsque nous en avions le plus besoin, nous n'avons pas su renforcer à temps les moyens humains et matériels d'encadrement de la jeunesse dans nos villes. Centres de loisirs, maisons des jeunes et de la culture ou autres constituent des cadres collectifs structurants pour les enfants et les adolescents. Leurs méthodes doivent certainement être renouvelées.
Je propose également de les intégrer à un projet éducatif local plus global, qui permette d'assurer dans tous les quartiers une offre d'éducation, de culture ou de loisirs égale pour tous. L'enfant doit être appréhendé dans sa globalité et non découpé en tranches horaires selon l'institution qui en est responsable. C'est le sens du projet éducatif local.
Dans ce cadre, les parents doivent être davantage soutenus pour être à même d'exercer pleinement leurs responsabilités. C'est l'objectif des réseaux d'aide et d'accompagnement mis en place depuis cinq ans. Il est contre productif de mettre systématiquement en accusation les parents, lorsque l'on sait que la grande majorité d'entre eux est dépassée par les difficultés de tous les jours, et notamment éducatives.
La prévention qui me paraît requérir la plus profonde évolution est celle agissant le plus directement sur les causes de la délinquance. Les principaux facteurs favorisant la délinquance sont connus et ils concernent au premier plan le développement affectif de l'enfant, ses liens avec ses parents.
Dès lors, il me paraît nécessaire de développer une véritable prévention précoce, fondée sur une sensibilisation de tous les professionnels en contact avec des enfants - éducateurs, personnels de santé, animateurs, enseignants - afin que les difficultés d'un enfant puissent être rapidement identifiées et qu'une aide lui soit apportée. Cette prévention précoce, pour ne pas être une stigmatisation supplémentaire, doit reposer sur un dispositif d'acteurs locaux dont les règles déontologiques seraient supervisées par un magistrat de la jeunesse. Bien loin d'accentuer la judiciarisation de la protection de l'enfance, une telle demande permettrait de développer toutes les actions possibles en amont de la saisine de l'aide sociale à l'enfance ou du juge des enfants. Elle offrirait également à ces professionnels un cadre d'action à l'abri des pressions sécuritaires.
Enfin, il est nécessaire de dresser un bilan de la décentralisation en la matière : le nombre d'éducateurs de prévention spécialisée n'a pas augmenté depuis 1986. Ce chiffre est en complet décalage avec les besoins ! Je ne crois pas aux vertus de la "re-nationalisation" ; bien au contraire, ce type de politiques doit être menée à l'échelon local. C'est pourquoi, je propose que les communautés d'agglomérations et les communautés urbaines exercent les compétences jusqu'ici dévolues aux conseils généraux dans le domaine social, notamment en ce qui concerne l'aide sociale à l'enfance. Cette évolution devrait s'inscrire dans le cadre d'une nouvelle étape de la décentralisation.
2 / DEUXIEME AXE : CONTRE L'INSECURITE, DEVELOPPER LES SOLIDARITES DE PROXIMITE
Dans tous les pays européens, le sentiment d'insécurité s'est développé sur fond de crise économique et sociale, mais aussi de transformations sociologiques considérables : urbanisation croissante, individualisation grandissante des rapports sociaux, instabilité du cadre professionnel.
Pour répondre à ces enjeux essentiels, il nous faut renforcer la dimension territoriale de ces politiques, en mobilisant la communauté d'habitants pour que chacun se sente concerné par le sort de l'autre. Pour y parvenir, je vois deux types d'actions immédiates à développer.
En premier lieu, il faut considérablement développer et améliorer la médiation sociale. Elle permet de prévenir et résoudre toute une série de petits conflits qui empoisonnent réellement la vie des gens et ne justifient pas un recours à la police ou à la justice.
Bien sûr, ces expériences sont encore loin d'être parfaites. C'est dans ce sens que j'ai proposé de créer un statut de "médiateur social" dans les cadres d'emploi de la fonction publique territoriale afin de professionnaliser leurs interventions.
Mais ces médiations sociales doivent quitter le statut d'expériences et devenir, en amont de toute intervention judiciaire, une sorte de "troisième voie" entre prévention et répression.
Si ce développement est déjà très avancé aux Pays-Bas et en Belgique, ou dans certaines villes d'Angleterre et de Suède, c'est parce qu'il correspond à un besoin réel et constitue une réponse adaptée, même si elle mérite encore d'être perfectionnée. C'est en ce sens que j'ai engagé un programme de 10 000 adultes relais ; je suis persuadé que d'ici moins d'un an, il sera décidé de l'élargir encore, notamment pour relayer l'action de l'institution judiciaire.
En second lieu, les politiques locales de prévention et de sécurité doivent impliquer davantage la société dite "civile". Il s'agit de mobiliser plus largement l'ensemble des habitants, et particulièrement les adultes, au service de ces politiques.
Comment ? Par des actions très concrètes de parrainage notamment : ce parrainage doit être développé à l'école, dans les loisirs, dans la recherche d'un emploi.
Surtout, je crois possible d'organiser, autour de professionnels aguerris, garants du cadre déontologique d'intervention, une équipe de bénévoles, de membres d'associations, d'habitants, de parents d'élèves, de chefs d'entreprise, contribuant à la prise en charge d'enfants, d'adolescents ou d'adultes dans un processus de réinsertion.
Pour fédérer ces initiatives, je propose la création d'agences locales de sécurité et de médiation, sous un statut d'établissement public communal ou intercommunal, chargé de mutualiser et de coordonner les efforts au niveau d'une ou de plusieurs communes. Elles pourraient assurer le développement de toutes les formes utiles de médiation sociale, ainsi que l'organisation des parrainages et diverses prises en charge en matière d'insertion.
L'enjeu est tout aussi essentiel que celui que représentaient les moyens à donner à l'école publique au début du siècle dernier avec la création des caisses des écoles ou encore l'émergence de l'action sociale locale avec la création des bureaux d'aide sociale des communes. Aujourd'hui, il faut créer la troisième génération d'établissements publics locaux consacrés à la prévention et à la sécurité.
Ces agences seraient à même de répondre aux demandes de nos concitoyens qui se situent bien souvent à la frontière du social et du pénal.
Elles seraient notamment chargées de répondre à tous les appels parvenant aux services d'urgence (police, pompiers, hôpital) qui ne nécessitent pas leur intervention immédiate, mais qui méritent une écoute attentive et éventuellement une prise en charge sociale. L'office de la tranquillité publique mis en place à Vénissieux constitue, à cet égard, un premier exemple très encourageant.
Ces agences viendraient en appui des conseils locaux de prévention et de lutte contre la délinquance, renouvelés, dont les décisions trouveraient là un cadre d'action et de proposition plus efficace, autour d'un maire aux compétences renforcées.
3 / TROISIEME AXE : PROFESSIONNALISER LES MODES D'INTERVENTION DES SERVICES DE POLICE ET REORGANISER LA JUSTICE PENALE AUTOUR DES ENJEUX DE TERRITOIRES
Il est aujourd'hui indispensable que les forces de police de l'Etat poursuivent leur mue afin de mieux correspondre aux attentes et aux évolutions de la société.
La mise en place de la police de proximité a construit un socle de qualité à partir duquel il faut poursuivre l'adéquation entre les besoins de la population et les missions de la police.
En matière de lutte contre la délinquance de voie publique, une évolution des méthodes d'intervention qui ont parfois trop tendance à faire prendre des risques aux policiers eux-mêmes, ainsi qu' à la population locale, et qui entretiennent des mauvaises relations entre habitants et policiers, apparaît nécessaire. En ce sens, adapter une forme de police de proximité au temps de nuit semble aujourd'hui pertinent.
Pour lutter contre le sentiment d'impunité, il faut rétablir la crédibilité du droit dans tous les quartiers de France. Or, l'impression qu'ont certains habitants que des infractions, des trafics, se commettent au vu et au su de tous, mine considérablement leur confiance dans la loi. Pour y répondre, je crois peu à l'efficacité sur le long terme des opérations "coups de poing".
Ces opérations ne s'attaquent que superficiellement aux choses. Nous avons besoin d'un travail de police judiciaire en profondeur et surtout dans la durée. C'est pourquoi, il convient de renforcer considérablement les moyens d'enquêtes judiciaires disponibles pour ces affaires. Les juridictions doivent de même s'investir plus nettement dans ce domaine. C'est ce que le Gouvernement a commencé à entreprendre après les opérations ciblées de police judiciaire contre les trafics.
La lutte contre l'insécurité ne peut être réduite à la production d'un maximum de procédures judiciaires en un minimum de temps. Cette course à la productivité a entraîné une forme de confusion dans les objectifs que nous devons assigner à la justice pénale.
Comme je l'ai exposé, je crois que nombre de situations qui traduisent les frictions propres à toute vie en collectivité peuvent, avec l'accord des intéressés, être résolues dans un cadre social et non judiciaire.
Je me suis souvent opposé à l'utilisation du terme "d'incivilités". Je m'y suis opposé non pas pour nier la réalité des faits qu'il entendait recouvrir.
Au contraire, ce terme a au moins eu le mérite de nous fournir une catégorie pour rassembler tous ces petits ennuis, ces tensions qui peuvent tant perturber la vie sociale : insultes, dégradations, tapage nocturne etc et l'étymologie même de ce mot renvoie aux rapports entre les individus, à l'organisation de la société. Mais, je conteste l'utilisation abusive et mal appropriée de ce terme. Certains chercheurs, relayés par nombre de politiques, ont cherché à démontrer que ces agissements constituaient des infractions pénales et auraient dû faire l'objet de poursuites. Les incivilités représentaient donc le fameux "chiffre noir" de la délinquance que l'on accusait le gouvernement de ne pas prendre en compte.
Toutes les affaires ne relèvent pas, en opportunité, d'un traitement judiciaire, et c'est pourquoi, il faut développer les échelons de l'amont : la prévention, la médiation sociale.
S'agissant de la petite et moyenne délinquance, il me paraît indispensable de développer massivement les réponses éducatives, non pas, comme cela est trop souvent le cas, en alternative au classement d'une procédure, mais comme véritable peine. Le cadre coercitif de la peine ne me paraît pas incompatible avec toute démarche éducative. Et, à l'inverse, toutes les études prouvent qu'une action éducative évite bien mieux la récidive que les peines classiques. C'est en ce sens que j'ai proposé, avec Marylise LEBRANCHU, que nous développions des "obligations de formation civique", dans le cadre des mesures pénales existantes.
La loi offre déjà de nombreuses possibilités : réparation pour les mineurs, travail d'intérêt général ou préparation à la sortie de prison, ont grandement progressé. Mais, pour être pleinement efficaces, ces mesures ordonnées et contrôlées par la justice doivent s'inscrire pleinement dans leur contexte territorial. C'est la garantie d'une véritable réinsertion. Des initiatives de mobilisation à l'échelle locale existent depuis une vingtaine d'années, mais elles me paraissent bien trop parcellaires.
Il nous faut bâtir de véritables plates formes locales de réinsertion capables de proposer des modalités diverses d'accompagnement et d'aide, en appui des mesures de suivi et de contrôle ordonnées par l'autorité judiciaire.
Toutes ces mesures ont un coût et leur évaluation est nécessaire. Le coût de la prévention est toujours difficilement appréciable car toutes les souffrances et les délits évités seront toujours par nature inconnus. Cependant, on peut comparer aisément la charge que représente une subvention à une association de quartier ou le salaire d'un éducateur avec le lourd investissement que représente la construction d'un établissement pénitentiaire et le coût d'une journée de prison.
Enfin, il ne s'agit pas d'empiler des mesures. Même si des moyens supplémentaires sont nécessaires dans certains domaines, il faut aussi redéfinir les missions des différents acteurs de la prévention et de la sécurité au regard des évolutions et de la priorité que nous accordons à ce sujet.
Avec le recul que nous imposent les comparaisons européennes, nos politiques de prévention et de sécurité me paraissent arriver à un nouveau tournant. Nous abordons, après le mouvement de balancier connu dans les années 1990, une nouvelle étape qu'il faut construire, en évitant tant l'écueil du sécuritarisme stérile et dangereux que celui de la nostalgie d'un soi - disant âge d'or de la prévention.
Nous devons faire évoluer nos conceptions et pratiques en tenant compte des évolutions de la société, ainsi que des analyses des causes de la délinquance.
Notre objectif ne peut être d' "extraire" la violence ou de nous "débarrasser" de la délinquance, et encore moins des délinquants. Je refuse cette tentation quasi totalitaire qui vise à rejeter hors de notre société, ceux qui nous dérangent.
Je veux privilégier une vision humaine et dynamique qui cherche à intégrer, à redéfinir les règles du vivre ensemble pour faire une place à chacun. Cette vision n'est nullement idéaliste. De nombreuses expériences nous montrent que ce choix politique est réaliste, bien plus, qu'il est le seul viable immédiatement et dans l'avenir.
(source http://www.ville.gouv.fr, le 6 février 2002
Messieurs les députés,
Messieurs les coordonnateurs locaux,
Mesdames et Messieurs,
Voilà maintenant vingt années qu'en France nous avons élaboré et mis en uvre des politiques publiques concernant la prévention de la délinquance et la sécurité.
J'ai souhaité soutenir une recherche comme celle qui vous a été présentée aujourd'hui pour deux raisons essentielles :
- Je crois nécessaire de mieux connaître les politiques et les pratiques menées dans d'autres pays, pour les comparer et, le cas échéant, s'en inspirer. Nous savons par exemple combien nous devons au modèle anglais en ce qui concerne la police communautaire, dite en France, "de proximité".
- J'ai voulu également introduire dans notre débat national - fort agité sur la question - des éléments scientifiques, argumentés, discutés qui doivent nous permettre d'envisager les solutions les plus intelligentes, en refusant toute démagogie C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai également soutenu la réalisation d'un ouvrage intitulé Etat des savoirs sur le crime et la sécurité en France, qui sera publié le mois prochain.
Cette démarche s'inscrit dans une tradition historique de la politique de la ville.
C'est en effet à l'initiative de la DIV qu'ont été lancés en France, en 1989, les premiers diagnostics locaux de sécurité et les premières enquêtes de victimation.
C'est aussi pour cette raison que je soutiens vivement la création d'un observatoire de la délinquance dont l'indépendance scientifique soit garantie. Pour être crédible et utile, cette structure ne pourra se contenter de regrouper les seules administrations.
De vos analyses, je veux tirer matière pour aller de l'avant. Sans vouloir brosser un tableau complet de l'action menée en la matière, je voudrais rappeler brièvement les principaux axes qui ont guidé mon action et celle du gouvernement depuis presque cinq années.
La police de proximité a été progressivement mise en place. La justice des mineurs a diversifié largement sa palette de réponses. Les contrats locaux de sécurité ont permis de renforcer le partenariat local reposant sur les conseils communaux de prévention de la délinquance. Leurs moyens financiers ont été augmentés par mon ministère. J'ai souhaité également consolider et développer la médiation sociale pour répondre aux petits conflits de la vie quotidienne.
Enfin, il m'a semblé capital d'amener les différents acteurs de la prévention et de la sécurité, à tous les niveaux de responsabilité, à prendre conscience de la violence produite par les institutions elles mêmes.
Plus globalement, j'ai voulu renforcer le lien social et l'action générale de la politique de la ville en matière d'urbanisme, de santé ou d'éducation, pour améliorer très concrètement les conditions de vie de ceux qui en ont le plus besoin.
Aujourd'hui, je voudrais tirer les enseignements de l'expérience de ces dernières années, au regard des comparaisons européennes qui nous sont proposées, pour identifier les chantiers de l'avenir en matière de prévention et de sécurité.
J'ai bien noté l'une des conclusions de Mme BODY-GENDROT et de M.DUPREZ qui envisagent, je cite, que : "les savoirs accumulés des expériences de terrain, accompagnés par les politiques de la ville, permettent de nouveau à une politique publique volontariste de donner une alternative au discours sécuritaire".
Quel constat pouvons nous dresser de la situation aujourd'hui ?
Tout d'abord, la violence constitue une préoccupation majeure. Cette violence est multiple et je n'aime pas que certains cherchent à la réduire aux infractions de voie publique. M'appuyant sur les travaux d'autres scientifiques, et notamment ceux de Marie CHOQUET, j'avais déjà souligné combien la violence trouve ses racines dans les souffrances endurées. Il n'est pas possible d'appréhender la violence sans regarder de plus près les troubles psychiques dont souffrent de nombreux jeunes, les conduites à risque qu'ils développent, les suicides et tentatives qu'ils commettent. C'est pourquoi, nous devons accroître nos efforts en développant les moyens de proximité dans le domaine de la psychologie infantile et juvénile.
La violence produit des traumatismes profonds chez les victimes, souvent supérieurs à ceux générés par une atteinte aux biens.
Or, précisément, en matière de prévention et de traitement de la délinquance, il est frappant de constater que nous manquons de réponses aux actes violents, alors que nous avons développé des mécanismes d'assurance ou de protection plus complexes pour les vols ou les escroqueries, par exemple.
Second constat sur la situation actuelle : le lien entre délinquance et quartiers populaires. Ce lien résulte d'une certaine focalisation du débat public et médiatique autour de quelques thèmes.
La focalisation sur la petite et moyenne délinquance est normale : il s'agit de faits concernant le plus grand nombre. Mais il ne faut pas confondre cette ampleur avec la seule visibilité du phénomène. Notre action ne doit pas s'arrêter à ce qui est uniquement visible. Bien sûr, la focalisation est grande sur "les jeunes", et je répugne moi même à utiliser cette catégorie tant elle devient stigmatisante ; l'objectif se resserrant encore plus sur les enfants issus de l'immigration, ou sur les habitants des quartiers populaires.
La question n'est pas de savoir si ces catégories commettent plus de délits ou si la pression répressive à leur encontre est supérieure. Je constate avec vous que cette focalisation renforce les causes qui nourrissent la délinquance.
Dans ces quartiers, la délinquance de nombreux jeunes est liée à leur volonté d'appartenir à la société de consommation, de ressembler aux modèles stéréotypés "vus à la télé" ; mais, leur violence résulte aussi du sentiment d'être exclus et de ne pas compter pour la société. Combien d'entre eux m'ont raconté réussir leurs entretiens d'embauche jusqu'à ce qu'ils précisent qu'ils habitent telle ou telle cité mal réputée. Et dire cela, ce n'est en rien excuser les comportements individuels, c'est retrouver, loin des slogans, le chemin de la réflexion.
De ces deux constats : une société dont la violence est multiforme et une catégorie d'habitants qui se sent exclue, je voudrais tirer quelques perspectives d'avenir pouvant servir de cadre à une politique globale de prévention et de sécurité. Je retiendrais trois axes :
- renouveler la prévention
- développer les solidarités de proximité
- professionnaliser la police et réorganiser la justice pénale autour des enjeux territoriaux.
1 / RENOUVELER LA PREVENTION
Il est faux de dire que nous avons fait tout ce que nous pouvions en matière de prévention. Il est faux de dire que des moyens extrêmement importants ont été alloués à la prévention. Les efforts ont été insuffisants.
Et ce constat, à la lecture de votre étude, paraît confirmé, malheureusement, pour la grande majorité des pays européens.
Dans le domaine de la prévention, la prévention dite situationnelle a beaucoup progressé, même en France où elle n'a jamais été portée comme un objectif politique à part entière, contrairement aux pays anglo-saxons. Les digicodes et interphones se sont généralisés en France en moins de 20 ans, les caméras de surveillance se sont répandues. Ces évolutions obéissent aux lois immédiates du marché ; elles ne se préoccupent pas de leurs effets à long terme, comme le risque d'un cloisonnement excessif de la population, avec le spectre des "villes barricadées" américaines. Néanmoins, ce type de prévention peut être utile; et je souhaite par exemple, que nous mettions enfin en place un dispositif de neutralisation des téléphones portables volés, pour casser ce "second marché" de la téléphonie mobile et éviter les violences avec lesquelles ces vols sont souvent commis.
Dans le domaine de la prévention sociale générale, nous payons aujourd'hui les conséquences sociales et psychologiques de deux décennies de crise économique et de chômage de masse sur les adolescents.
Lorsque nous en avions le plus besoin, nous n'avons pas su renforcer à temps les moyens humains et matériels d'encadrement de la jeunesse dans nos villes. Centres de loisirs, maisons des jeunes et de la culture ou autres constituent des cadres collectifs structurants pour les enfants et les adolescents. Leurs méthodes doivent certainement être renouvelées.
Je propose également de les intégrer à un projet éducatif local plus global, qui permette d'assurer dans tous les quartiers une offre d'éducation, de culture ou de loisirs égale pour tous. L'enfant doit être appréhendé dans sa globalité et non découpé en tranches horaires selon l'institution qui en est responsable. C'est le sens du projet éducatif local.
Dans ce cadre, les parents doivent être davantage soutenus pour être à même d'exercer pleinement leurs responsabilités. C'est l'objectif des réseaux d'aide et d'accompagnement mis en place depuis cinq ans. Il est contre productif de mettre systématiquement en accusation les parents, lorsque l'on sait que la grande majorité d'entre eux est dépassée par les difficultés de tous les jours, et notamment éducatives.
La prévention qui me paraît requérir la plus profonde évolution est celle agissant le plus directement sur les causes de la délinquance. Les principaux facteurs favorisant la délinquance sont connus et ils concernent au premier plan le développement affectif de l'enfant, ses liens avec ses parents.
Dès lors, il me paraît nécessaire de développer une véritable prévention précoce, fondée sur une sensibilisation de tous les professionnels en contact avec des enfants - éducateurs, personnels de santé, animateurs, enseignants - afin que les difficultés d'un enfant puissent être rapidement identifiées et qu'une aide lui soit apportée. Cette prévention précoce, pour ne pas être une stigmatisation supplémentaire, doit reposer sur un dispositif d'acteurs locaux dont les règles déontologiques seraient supervisées par un magistrat de la jeunesse. Bien loin d'accentuer la judiciarisation de la protection de l'enfance, une telle demande permettrait de développer toutes les actions possibles en amont de la saisine de l'aide sociale à l'enfance ou du juge des enfants. Elle offrirait également à ces professionnels un cadre d'action à l'abri des pressions sécuritaires.
Enfin, il est nécessaire de dresser un bilan de la décentralisation en la matière : le nombre d'éducateurs de prévention spécialisée n'a pas augmenté depuis 1986. Ce chiffre est en complet décalage avec les besoins ! Je ne crois pas aux vertus de la "re-nationalisation" ; bien au contraire, ce type de politiques doit être menée à l'échelon local. C'est pourquoi, je propose que les communautés d'agglomérations et les communautés urbaines exercent les compétences jusqu'ici dévolues aux conseils généraux dans le domaine social, notamment en ce qui concerne l'aide sociale à l'enfance. Cette évolution devrait s'inscrire dans le cadre d'une nouvelle étape de la décentralisation.
2 / DEUXIEME AXE : CONTRE L'INSECURITE, DEVELOPPER LES SOLIDARITES DE PROXIMITE
Dans tous les pays européens, le sentiment d'insécurité s'est développé sur fond de crise économique et sociale, mais aussi de transformations sociologiques considérables : urbanisation croissante, individualisation grandissante des rapports sociaux, instabilité du cadre professionnel.
Pour répondre à ces enjeux essentiels, il nous faut renforcer la dimension territoriale de ces politiques, en mobilisant la communauté d'habitants pour que chacun se sente concerné par le sort de l'autre. Pour y parvenir, je vois deux types d'actions immédiates à développer.
En premier lieu, il faut considérablement développer et améliorer la médiation sociale. Elle permet de prévenir et résoudre toute une série de petits conflits qui empoisonnent réellement la vie des gens et ne justifient pas un recours à la police ou à la justice.
Bien sûr, ces expériences sont encore loin d'être parfaites. C'est dans ce sens que j'ai proposé de créer un statut de "médiateur social" dans les cadres d'emploi de la fonction publique territoriale afin de professionnaliser leurs interventions.
Mais ces médiations sociales doivent quitter le statut d'expériences et devenir, en amont de toute intervention judiciaire, une sorte de "troisième voie" entre prévention et répression.
Si ce développement est déjà très avancé aux Pays-Bas et en Belgique, ou dans certaines villes d'Angleterre et de Suède, c'est parce qu'il correspond à un besoin réel et constitue une réponse adaptée, même si elle mérite encore d'être perfectionnée. C'est en ce sens que j'ai engagé un programme de 10 000 adultes relais ; je suis persuadé que d'ici moins d'un an, il sera décidé de l'élargir encore, notamment pour relayer l'action de l'institution judiciaire.
En second lieu, les politiques locales de prévention et de sécurité doivent impliquer davantage la société dite "civile". Il s'agit de mobiliser plus largement l'ensemble des habitants, et particulièrement les adultes, au service de ces politiques.
Comment ? Par des actions très concrètes de parrainage notamment : ce parrainage doit être développé à l'école, dans les loisirs, dans la recherche d'un emploi.
Surtout, je crois possible d'organiser, autour de professionnels aguerris, garants du cadre déontologique d'intervention, une équipe de bénévoles, de membres d'associations, d'habitants, de parents d'élèves, de chefs d'entreprise, contribuant à la prise en charge d'enfants, d'adolescents ou d'adultes dans un processus de réinsertion.
Pour fédérer ces initiatives, je propose la création d'agences locales de sécurité et de médiation, sous un statut d'établissement public communal ou intercommunal, chargé de mutualiser et de coordonner les efforts au niveau d'une ou de plusieurs communes. Elles pourraient assurer le développement de toutes les formes utiles de médiation sociale, ainsi que l'organisation des parrainages et diverses prises en charge en matière d'insertion.
L'enjeu est tout aussi essentiel que celui que représentaient les moyens à donner à l'école publique au début du siècle dernier avec la création des caisses des écoles ou encore l'émergence de l'action sociale locale avec la création des bureaux d'aide sociale des communes. Aujourd'hui, il faut créer la troisième génération d'établissements publics locaux consacrés à la prévention et à la sécurité.
Ces agences seraient à même de répondre aux demandes de nos concitoyens qui se situent bien souvent à la frontière du social et du pénal.
Elles seraient notamment chargées de répondre à tous les appels parvenant aux services d'urgence (police, pompiers, hôpital) qui ne nécessitent pas leur intervention immédiate, mais qui méritent une écoute attentive et éventuellement une prise en charge sociale. L'office de la tranquillité publique mis en place à Vénissieux constitue, à cet égard, un premier exemple très encourageant.
Ces agences viendraient en appui des conseils locaux de prévention et de lutte contre la délinquance, renouvelés, dont les décisions trouveraient là un cadre d'action et de proposition plus efficace, autour d'un maire aux compétences renforcées.
3 / TROISIEME AXE : PROFESSIONNALISER LES MODES D'INTERVENTION DES SERVICES DE POLICE ET REORGANISER LA JUSTICE PENALE AUTOUR DES ENJEUX DE TERRITOIRES
Il est aujourd'hui indispensable que les forces de police de l'Etat poursuivent leur mue afin de mieux correspondre aux attentes et aux évolutions de la société.
La mise en place de la police de proximité a construit un socle de qualité à partir duquel il faut poursuivre l'adéquation entre les besoins de la population et les missions de la police.
En matière de lutte contre la délinquance de voie publique, une évolution des méthodes d'intervention qui ont parfois trop tendance à faire prendre des risques aux policiers eux-mêmes, ainsi qu' à la population locale, et qui entretiennent des mauvaises relations entre habitants et policiers, apparaît nécessaire. En ce sens, adapter une forme de police de proximité au temps de nuit semble aujourd'hui pertinent.
Pour lutter contre le sentiment d'impunité, il faut rétablir la crédibilité du droit dans tous les quartiers de France. Or, l'impression qu'ont certains habitants que des infractions, des trafics, se commettent au vu et au su de tous, mine considérablement leur confiance dans la loi. Pour y répondre, je crois peu à l'efficacité sur le long terme des opérations "coups de poing".
Ces opérations ne s'attaquent que superficiellement aux choses. Nous avons besoin d'un travail de police judiciaire en profondeur et surtout dans la durée. C'est pourquoi, il convient de renforcer considérablement les moyens d'enquêtes judiciaires disponibles pour ces affaires. Les juridictions doivent de même s'investir plus nettement dans ce domaine. C'est ce que le Gouvernement a commencé à entreprendre après les opérations ciblées de police judiciaire contre les trafics.
La lutte contre l'insécurité ne peut être réduite à la production d'un maximum de procédures judiciaires en un minimum de temps. Cette course à la productivité a entraîné une forme de confusion dans les objectifs que nous devons assigner à la justice pénale.
Comme je l'ai exposé, je crois que nombre de situations qui traduisent les frictions propres à toute vie en collectivité peuvent, avec l'accord des intéressés, être résolues dans un cadre social et non judiciaire.
Je me suis souvent opposé à l'utilisation du terme "d'incivilités". Je m'y suis opposé non pas pour nier la réalité des faits qu'il entendait recouvrir.
Au contraire, ce terme a au moins eu le mérite de nous fournir une catégorie pour rassembler tous ces petits ennuis, ces tensions qui peuvent tant perturber la vie sociale : insultes, dégradations, tapage nocturne etc et l'étymologie même de ce mot renvoie aux rapports entre les individus, à l'organisation de la société. Mais, je conteste l'utilisation abusive et mal appropriée de ce terme. Certains chercheurs, relayés par nombre de politiques, ont cherché à démontrer que ces agissements constituaient des infractions pénales et auraient dû faire l'objet de poursuites. Les incivilités représentaient donc le fameux "chiffre noir" de la délinquance que l'on accusait le gouvernement de ne pas prendre en compte.
Toutes les affaires ne relèvent pas, en opportunité, d'un traitement judiciaire, et c'est pourquoi, il faut développer les échelons de l'amont : la prévention, la médiation sociale.
S'agissant de la petite et moyenne délinquance, il me paraît indispensable de développer massivement les réponses éducatives, non pas, comme cela est trop souvent le cas, en alternative au classement d'une procédure, mais comme véritable peine. Le cadre coercitif de la peine ne me paraît pas incompatible avec toute démarche éducative. Et, à l'inverse, toutes les études prouvent qu'une action éducative évite bien mieux la récidive que les peines classiques. C'est en ce sens que j'ai proposé, avec Marylise LEBRANCHU, que nous développions des "obligations de formation civique", dans le cadre des mesures pénales existantes.
La loi offre déjà de nombreuses possibilités : réparation pour les mineurs, travail d'intérêt général ou préparation à la sortie de prison, ont grandement progressé. Mais, pour être pleinement efficaces, ces mesures ordonnées et contrôlées par la justice doivent s'inscrire pleinement dans leur contexte territorial. C'est la garantie d'une véritable réinsertion. Des initiatives de mobilisation à l'échelle locale existent depuis une vingtaine d'années, mais elles me paraissent bien trop parcellaires.
Il nous faut bâtir de véritables plates formes locales de réinsertion capables de proposer des modalités diverses d'accompagnement et d'aide, en appui des mesures de suivi et de contrôle ordonnées par l'autorité judiciaire.
Toutes ces mesures ont un coût et leur évaluation est nécessaire. Le coût de la prévention est toujours difficilement appréciable car toutes les souffrances et les délits évités seront toujours par nature inconnus. Cependant, on peut comparer aisément la charge que représente une subvention à une association de quartier ou le salaire d'un éducateur avec le lourd investissement que représente la construction d'un établissement pénitentiaire et le coût d'une journée de prison.
Enfin, il ne s'agit pas d'empiler des mesures. Même si des moyens supplémentaires sont nécessaires dans certains domaines, il faut aussi redéfinir les missions des différents acteurs de la prévention et de la sécurité au regard des évolutions et de la priorité que nous accordons à ce sujet.
Avec le recul que nous imposent les comparaisons européennes, nos politiques de prévention et de sécurité me paraissent arriver à un nouveau tournant. Nous abordons, après le mouvement de balancier connu dans les années 1990, une nouvelle étape qu'il faut construire, en évitant tant l'écueil du sécuritarisme stérile et dangereux que celui de la nostalgie d'un soi - disant âge d'or de la prévention.
Nous devons faire évoluer nos conceptions et pratiques en tenant compte des évolutions de la société, ainsi que des analyses des causes de la délinquance.
Notre objectif ne peut être d' "extraire" la violence ou de nous "débarrasser" de la délinquance, et encore moins des délinquants. Je refuse cette tentation quasi totalitaire qui vise à rejeter hors de notre société, ceux qui nous dérangent.
Je veux privilégier une vision humaine et dynamique qui cherche à intégrer, à redéfinir les règles du vivre ensemble pour faire une place à chacun. Cette vision n'est nullement idéaliste. De nombreuses expériences nous montrent que ce choix politique est réaliste, bien plus, qu'il est le seul viable immédiatement et dans l'avenir.
(source http://www.ville.gouv.fr, le 6 février 2002