Texte intégral
A. Chabot
Des chiffres, rendus publics hier par l'Insee, vont alimenter le débat de la campagne. Le premier d'abord concerne le niveau des prélèvements obligatoires. Légère baisse l'année dernière à moins 0,2 %. On arrive à peu près au niveau de 1997. Cela veut dire qu'il faut continuer à baisser les impôts ?
- "Bien sûr, mais il faut le faire d'une façon responsable et en maîtrisant les dépenses. Mais hier, l'Insee qui est un institut objectif, qui donne les chiffres, a donné des chiffres sur plusieurs grandeurs et je pense que ces chiffres à la fois sont encourageants, mais doivent nous inciter à rester quand même très prudents et à ne pas faire n'importe quoi. Il y a quatre ou cinq chiffres qui ont été publiés : le chiffre que vous indiquiez, sur les prélèvements obligatoires, qui montre une légère baisse au cours des deux dernières années - mais il y a encore des efforts à faire, indiscutablement -, le chiffre du déficit qui a diminué de deux points sur l'ensemble de mandature, c'est bien."
On y reviendra...
- "Parce que comme la croissance a été moins forte, on a laissé jouer ce qu'on appelle les stabilisateurs automatiques, et on a le même phénomène partout en Europe. Le chiffre des dépenses publiques par rapport à la richesse nationale, qui lui aussi a diminué de deux points sur la législature ; plus important sans doute, le chiffre de la dette publique qui lui aussi a diminué de deux points, et puis le chiffre des prélèvements qu'on a commentés il y a un instant. C'est au total encourageant. Cela prouve que les choses ont été bien gérées, mais cela prouve qu'il faut continuer à aller dans le même sens, c'est-à-dire du dynamisme, du sérieux et ne pas faire des promesses démagogiques, même en temps de campagne."
Sur la baisse des prélèvements obligatoires, vous avez pris des engagements pour contenir les impôts sur un plan triennal. Quand on fait l'addition, on arrive à peu près effectivement à 30 milliards. En gros, ce sont les chiffres que donne J. Chirac. Mais quand J. Chirac donne ce chiffre, vous dites "c'est démagogique", et quand vous, vous le faites, c'est normal. On a du mal à comprendre !
- "Ce n'est pas tout à fait comme cela que ça se passe. Nous, nous avons effectivement - effectivement - baissé les impôts de plusieurs dizaines de milliards d'euros au cours des dernières années. Ce n'est pas de l'abstraction. L'impôt sur le revenu a été baissé, la TVA a été baissée, la vignette a été supprimée, la taxe d'habitation a été baissée, la taxe foncière a été baissée, la prime pour l'emploi qui touche 9 millions de personnes a été créée et c'est positif. Ce sont des choses faites. Et L. Jospin, lundi prochain, proposera un projet d'ensemble pour la France et, dedans, il y aura un certain nombre de dispositions sérieuses..."
Il continuera à dire "il faut baisser l'impôt sur le revenu" ?
- "Oui, mais d'une façon sérieuse."
Pour tout le monde, toutes les tranches ?
- "Vous verrez cela."
Dites-nous un petit peu, déjà ?
- "Non, non, non. Je suis respectueux des dates. Donc, nous continuerons ce mouvement mais en étant sérieux, pour équilibrer les affaires. S'agissant de J. Chirac, c'est assez différent. D'abord, nous sommes habitués, avant les élections, à ce qu'il promette des baisses d'impôts et puis, lorsque les élections lui sourient, il fait le contraire, c'est-à-dire, il les hausse. La dernière fois, c'était en 1995, il y a eu massivement des hausses de la TVA, de la CSG, etc. En plus, les promesses qu'il fait concernant l'impôt sur le revenu sont massives et pas financées."
Il dit "réduction des dépenses" - on va en parler -, "privatisations, "réduction des dépenses". Je ne vais pas faire le programme de J. Chirac, mais c'est ce qu'il dit quand même.
- "Arrêtons-nous un instant là-dessus. Si vous dites : on va baisser massivement les impôts et que dans le même temps, vous proposez d'augmenter les crédits de la défense nationale, d'augmenter les crédits de la justice, d'augmenter les crédits de la sécurité, d'augmenter les crédits de l'agriculture, pas besoin d'avoir fait Polytechnique pour voir que cela ne colle pas. Et, dans le même temps, comme nous devons baisser nos déficits, c'est-à-dire la différence entre les dépenses et les recettes, il y a un triangle qui est impossible. Et cela conduit du coup J. Chirac à dire que nous n'allons pas respecter nos engagements européens, ce qui d'ailleurs a valu, vous l'avez lu dans les journaux, au Commissaire européen chargé des finances publiques le soin de dire que cela ne peut pas marcher comme cela."
Vous aussi, vous dites qu'il faut baisser les impôts. Je ne pense pas que lundi, dans son programme, L. Jospin ne dise pas "il faut continuer les mesures sociales, etc.". Il promet aussi davantage de crédits pour la justice ou pour la police, par exemple. On a du mal à voir la différence, en dehors de l'accusation de manque de crédibilité que vous opposez systématiquement à J. Chirac.
- "On ne peut pas dire "en dehors de l'accusation du manque de crédibilité", parce qu'elle est fondamentale. La différence entre le candidat Jospin et le candidat Chirac, est que le candidat Jospin dit : "J'ai dit, j'ai fait, vous jugez", et le candidat Chirac dit : "J'ai dit, je n'ai pas fait, vous oubliez". Ce n'est pas du tout la même chose. Et c'est là où on parle de respect. Le premier respect dans une campagne présidentielle consiste à respecter ses engagements. Je voulais ajouter, du point de la justice fiscale, que moi j'ai écouté tout cela attentivement, et encore une fois, je suis favorable à des baisses, mais à des baisses sérieuses, s'accompagnant d'une maîtrise de la dépense. Mais quand vous regardez ce que signifierait la façon dont J. Chirac proposerait ou promettrait de baisser l'impôt sur le revenu, cela veut dire concrètement que pour les 300.000 foyers qui sont les plus fortunés en France, qui gagnent plus de 100.000 euros par ans, cela veut dire que ces 300.000 foyers bénéficieraient d'un gain de 17.000 euros par an. Mais les 15 millions de foyers qui sont les moins fortunés, eux, il auraient 11 euros par an. 17.000 euros d'un côté, 11 de l'autre. Donc, je dis, un, que ce n'est pas vraisemblable, deux, que ce n'est pas crédible et trois, que ce n'est pas juste. Et à partir de là, je pense qu'il faut continuer le mouvement d'allégement des charges et d'allégement des impôts, mais le faire, je le répète, d'une façon sérieuse, parce que vous avez, quand vous regardez cette question de finance - après, on passera peut-être à autre chose - toujours à prendre en compte la recette, qu'il faut essayer d'alléger, la dépense qu'il faut maîtriser et puis le déficit qu'il faut réduire."
Je reviens justement aux engagements européens. Vous dites que J. Chirac ne pourra pas les respecter et que "si L. Jospin est élu, nous respecterons effectivement l'engagement, l'équilibre en 2004".
- "Nous sommes dans l'Europe et nous avons vocation à être parmi les artisans principaux de la construction européenne. Il y a une règle qui vaut pour tout le monde, qui veut que petit à petit, au fur et à mesure que la croissance s'améliore, on équilibre nos affaires publiques. Il ne peut pas y avoir une règle pour tout le monde et la France dire : "Moi, cela ne s'applique pas à moi. Je veux augmenter mon influence, mais vous, les Allemands, vous allez faire des efforts, les Portugais, vous allez faire des efforts, les Anglais aussi, et nous, on n'a rien à faire". Cela ne peut pas fonctionner comme cela. Vous avez vu qu'il y a quelques jours, l'Allemagne - pourtant, c'est une nation très puissante - et le Portugal ont failli être rappelés à l'ordre. On ne va pas se mettre dans une situation où on aurait une position deux fois plus dégradée qu'eux. Donc, si on est européen, il faut l'être dans les choix, et présider cela veut dire choisir et non pas additionner."
N. Beytout disait tout à l'heure qu'en cinq ans, les recettes publiques ont augmenté de 101 milliards d'euros. Et là-dedans, il remarquait une augmentation des dépenses de fonctionnement de 15 %. Selon vous, faut-il réduire les dépenses publiques ? Est-ce que c'est un sujet tabou à gauche ou pas ?
- "Ce n'est pas un sujet tabou. Je vous ai dit tout à l'heure que dans le bilan qu'on faisait de ces cinq ans, il y avait une réduction de la part des dépenses publiques par rapport à la richesse nationale. Je pense qu'il faut continuer dans le même sens."
Est-ce que par exemple le sujet de remplacement des fonctionnaires est tabou ? C'est un problème qui est mis en avant à droite, qui dit qu'on n'est pas obligé de remplacer systématiquement les fonctionnaires qui partent à la retraite.
- "Oui, sauf qu'on ne donne jamais un exemple. Lorsqu'on demande au candidat Chirac, par exemple : Vous voulez réduire tout cela, mais où est-ce que vous opéreriez ces réductions ? Il y a un grand silence."
La réforme de Bercy par exemple. Au hasard !
- "La réforme est en train d'être faite, mais une réforme qui signifie qu'il faudra un service public qui fonctionne, que ce soit Bercy, que ce soit la Défense, la Justice, la Sécurité, le nombre des moyens. Il ne faut pas dire qu'il ne doit pas y avoir de moyens, mais en même temps, il faut qu'il y ait plus d'efficacité, c'est exact."
Un engagement que devrait prendre L. Jospin - il en a déjà parlé : 900.000 emplois de plus créés en cinq ans.
Est-ce possible et comment ? Il n'y a plus les 35 heures ou les emplois-jeunes...
- "Non. Mais là aussi, il y a une grande différence entre les deux candidats. Je vais vous citer un chiffre qui va vous surprendre : au cours des cinq dernières années, les Français, auxquels il faut rendre hommage - d'abord les entreprises françaises, les salariés français, les artisans et les commerçants -, ont créé autant d'emplois en cinq ans que la France n'en a créés tout au cours du XXème siècle. C'est un chiffre absolument magnifique. Et du coup, le chômage a été réduit de 920.000 personnes. Mais il reste quand même beaucoup de chômeurs. Et donc, l'objectif c'est de faire le même effort positif dans les cinq ans qui viennent que ce qui a été fait au cours des cinq années précédentes, en particulier mais pas seulement, en mettant l'accent sur la formation, parce que les emplois qui vont être libérés par les départs en retraite sont des emplois qualifiés, les chômeurs en général n'ont pas beaucoup de qualification, et donc nous voulons ouvrir ce que nous appelons une "formation tout au long de la vie". Que vous soyez jeune, moins jeune ou d'ailleurs âgé, vous devez pouvoir vous former, vous éduquer pour changer de métier et trouver une nouvelle chance."
Est-ce que dans le programme de L. Jospin, il y aura l'ouverture du capital d'EDF, oui ou non ?
- "La formulation - vous verrez ce qui sera publié - qui n'est pas un mystère, sur laquelle d'ailleurs Lionel s'est déjà exprimé, est de dire : "Pour nous, ce qui est décisif, c'est la stratégie industrielle". EDF est une très belle entreprise, présente en France d'abord et aussi à l'étranger. Elle a besoin d'avoir des moyens supplémentaires. Si ces moyens ne peuvent pas être donnés par l'Etat, parce que cela voudrait dire des impôts en plus, il faut qu'il puisse y avoir aussi des moyens. Il y a une ouverture, le cas échéant, du capital, mais lié à la stratégie industrielle et en tout cas maintenant EDF comme une entreprise publique, c'est-à-dire à majorité publique."
L. Jospin et J. Chirac défendront en même temps, demain à Barcelone, une certaine conception du service public. C'est "non" à la concurrence, à l'ouverture totale à la concurrence des entreprises ?
- "Pas du tout, c'est bien autre chose. D'abord, il ne faut pas confondre le statut de l'entreprise EDF et puis la concurrence."
Mais cela lui permet de se développer à l'étranger.
- "La position de la France sera une position unie, bien sûr. Nous dirons que nous avons commencé déjà d'ouvrir à la concurrence au sein des industriels. Pour les consommateurs, c'est tout à fait autre chose, parce que ce qui compte, c'est que les consommateurs en profitent effectivement, que les prix baissent. Or, dans certains pays où il y a cette ouverture aux consommateurs, les prix ont plutôt augmenté, voir l'exemple de l'Angleterre. Nous, nous sommes des gens pragmatiques. Nous pensons que c'est le consommateur qui doit en profiter, nous pensons qu'EDF est une très belle entreprise qu'il faut conforter, et c'est cela la base de nos décisions."
D'un mot : vous trouverez tout à l'heure au Conseil des ministres un J. Chirac ragaillardi par la campagne ou usé, fatigué ?
- "Mes collègues le trouveront comme il sera, parce que moi-même, j'ai demandé un mot d'excuse, à la fois au président de la République et au Premier ministre, puisque je rencontre mon collègue, le ministre des Finances allemand, et les gouverneurs des deux banques centrales. Nous avons à discuter ensemble de la coopération franco-allemande. Donc, pour le première fois d'ailleurs, je ne serai pas au Conseil des ministres, mais j'y serai la semaine prochaine."
(Source :Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 mars 2002)