Déclaration de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, sur les objectifs de la télévision numérique terrestre et les nouvelles technologies, notamment les liens entre télévision, internet et télécommunications, Paris le 30 janvier 2002.

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Circonstance : Colloque sur les nouvelles télévisions au Sénat le 30 janvier 2002

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Mesdames et Messieurs,
Mon intervention arrive - et ce n'est certes pas un hasard - au moment où, autour de cette analyse prospective des télévisions de demain, vous allez aborder la question du rôle du politique. La démarche engagée dans cette journée thématique de la Commission des Affaires culturelles du Sénat s'articule autour de quelques questions. Celle du public - c'est-à-dire de ses besoins ou de ses désirs : question qui, à mon sens, précède toutes les autres. La question ensuite des conditions pour y répondre, conditions techniques, et conditions économiques. Ce sont les trois points qui vous ont occupés depuis ce matin.
Une vision strictement libérale du fonctionnement des sociétés modernes donne au marché un rôle exclusif. La télévision française, pourtant, est née de l'initiative de l'Etat, comme partout en Europe, et l'ouverture au privé est relativement récente ; elle a été voulue par François Mitterrand dès 1984. Mais plus largement, cette vision du primat du marché est contredite par les faits. Certes, il faut que se constitue un marché viable. Certes, il faut des acteurs économiques - côté offre et côté demande - qui se retrouvent pour que se développe avec succès une innovation, en l'occurrence l'arrivée de nouvelles télévisions. Mais l'on sait aussi quelles forces de résistance savent freiner - sinon empêcher - l'avènement de changements importants. Il faut donc un catalyseur pour contrebalancer ces forces conservatrices ; et un garant pour veiller à la préservation de quelques principes : c'est là le double rôle du politique. Sur la base d'analyses sérieuses et en s'appuyant sur une volonté ferme, le politique doit intervenir. Il ne peut pas créer de toute pièce un changement qui ne répondrait à aucune attente ; il ne peut non plus s'opposer à une évolution technique avérée ; mais il peut, et il doit, faire en sorte que technique, public, marché et ambition sur les contenus se combinent au profit du plus grand nombre.
Lorsque l'on parle de " nouvelles télévisions ", on pense à la télévision numérique : c'est pour maintenant ; on pense aussi à la convergence des technologies numériques et aux liens qui se développent entre télévision, internet et télécommunications : c'est en cours. A ces deux niveaux, le gouvernement de Lionel Jospin est intervenu dans le strict respect des principes que je viens d'énoncer. En ce 30 janvier 2002, nous ne savons pas dire précisément ce que sera le paysage audiovisuel en France dans les années qui viennent. Je peux en revanche, alors que vous abordez votre dernier thème de réflexion, rappeler les acquis de notre action, en termes d'objectifs, et en termes de méthode.
1. Nos objectifs sont connus : liberté, diversité, priorité aux contenus
1.1. J'évoquerai en premier lieu la télévision numérique de terre
Certains estiment que nous allons trop vite en la matière. D'autres que ce train est déjà dépassé sur le plan technologique. Je crois au contraire que nous sommes en phase avec la réalité. Nous nous situons en effet aujourd'hui encore dans un cadre de consommation classique de la télévision. La télévision sur l'internet est une perspective qu'il faut certes envisager ; mais elle n'a trouvé pour l'heure ni son économie, ni son public.
S'agissant donc de la télévision telle qu'elle est appelée à se dessiner dans un proche avenir, la loi du 1er août 2000 a fixé quelques principes fondamentaux, que j'évoque fréquemment, quitte à me répéter, parce qu'ils fixent pour tous un horizon déterminant.
Je les rappellerai rapidement : abondance et renouvellement des acteurs, car c'est un gage de pluralisme et de diversité ; renouvellement des formats, en favorisant notamment le développement des télévisions locales et des télévisions associatives ; accès du plus grand nombre à ces nouvelles télévisions - et c'est ce qui fonde l'utilisation de la technologie numérique sur le réseau hertzien - ; enfin, action en faveur de la création, sur la base des règles, évidemment aménagées, qui ont fait leurs preuves en France pour soutenir la production audiovisuelle.
1.2. Nous poursuivrons encore sur la voie des aménagements et des adaptations avec le développement de l'internet notamment ; mais ce sont nécessairement les mêmes principes qui nous guideront dans notre réflexion et dans notre action.
Je souhaite l'illustrer, pour l'internet précisément, à travers deux thèmes particulièrement essentiels : les contenus et la régulation.
a) La formation d'un espace public culturel numérique dense et accessible à chacun est au coeur de notre démarche
C'est là le pendant et le prolongement de notre politique audiovisuelle, où nous défendons par les actes et les décisions que nous prenons la présence d'un service public audiovisuel fort et la priorité aux contenus. Nous avons ainsi choisi d'offrir aux citoyens l'accès à un domaine public culturel numérique, garant d'un nouveau partage de la connaissance et de la culture. C'est l'enjeu de l'action culturelle du Programme d'Action Gouvernementale pour la Société de l'Information. A un moment où s'estompe le " mythe de la gratuité " et où les efforts menés contre le piratage des oeuvres commencent à être récompensés, la constitution d'un domaine public, grâce aux formidables gisements du patrimoine culturel national, est déterminante pour l'avenir. Le travail a été engagé - avec " le louvre.fr ", le site gallica de la BNF, la base de données de la réunion des musées nationaux, ou encore le plan de numérisation de l'INA. Il faut poursuivre.
Certes, il ne s'agit pas là encore, de nouvelles télévisions. Mais avant qu'une économie et que des usages se développent autour de la technologie de l'internet, mon objectif est de préserver, dans ce domaine nouveau, les principes que défend le gouvernement : l'accès du public, le refus du tout marchand.
b) De même - et c'est le 2è aspect que je voulais développer - il faut dès maintenant préserver les principes de régulation développés dans le secteur audiovisuel, en les adaptant aux nouveaux contenus.
Certains ont cru que ces nouveaux contenus interactifs soulevaient des problèmes entièrement nouveaux et des difficultés à ce point insurmontables que toute régulation était un mythe ou, qu'à tout le moins, il fallait une régulation d'une nature toute nouvelle. Cependant, avec le développement de l'Internet à haut débit, avec des standards nouveaux qui concernent les contenus vidéos et audios, les frontières entre les contenus sur l'Internet et l'audiovisuel classique s'estompent et continueront de s'estomper. Or, quelque soit le mode de transmission et d'accès, et malgré leur profusion, les problématiques restent les mêmes.
On le voit de plus en plus : la distribution d'offres de contenus est organisée, l'accès des producteurs indépendants à ces offres est difficile, la maîtrise des plates-formes de distribution (par exemple pour la musique en ligne) se concentre, le référencement des éditeurs pose problème. On retrouve donc les mêmes risques, les mêmes défis et le même besoin de régulation. C'est pourquoi, j'ai souhaité que le projet de loi sur la société de l'information amène le Conseil supérieur de l'audiovisuel [dont je salue ici le président] et le Conseil de la concurrence à travailler ensemble pour que le pluralisme et la diversité soient assurés. Le gouvernement est resté ferme sur ces objectifs tout en adaptant de façon pragmatique les instruments, parce que les techniques évoluent.
2. Le pragmatisme est précisément le maître mot de notre démarche
C'est cette démarche que nous avons suivie avec constance pour la mise en oeuvre de la loi du 1er août 2000 : concertation, prise en compte des arguments développés par les opérateurs et adaptation des textes en conséquence. Toutes les décisions qui ont été prises depuis la loi du 1er août en témoignent. Ce colloque intervient d'ailleurs à un moment clé, puisque le cadre réglementaire relatif à la TNT est aujourd'hui complet. Il adapte les règles relatives à la production en tenant compte des spécificités des grands types de formats de chaînes et en favorisant la dynamique de second marché attendue par tous les opérateurs. Notre dispositif prévoit aussi un mécanisme de montée en charge des obligations, afin de tenir compte de l'économie émergeante que constituera la télévision numérique de terre, et prend en considération les contraintes techniques des opérateurs du câble. Ce sont là trois aménagements, parmi les plus notables, qui ont été apportés par les décrets qui viennent d'être publiés. Une étape décisive est donc franchie.
Au cours des prochains mois, d'autres étapes nous attendent: distribution, aménagement des fréquences, mise à niveau des antennes. Jusqu'au lancement effectif de la TNT, il faudra conjuguer la volonté d'acteurs très nombreux et très variés. Le gouvernement y contribuera.
Il le fera également pour toutes les formes de " nouvelles télévisions ". Nous sommes face au développement de secteurs économiques et culturels jeunes, où se croisent de nombreux univers. Il y a là un tissu économique et créatif particulièrement innovateur et dynamique, qui a connu des déceptions - je pense notamment aux expériences anticipant le rapprochement de la télévision et de l'internet- et qui, cherche à stabiliser ses modèles économiques et juridiques. Nous devons l'y aider. C'est pour cette raison que, sur la question cruciale de l'adaptation du droit de la propriété littéraire et artistique, j'ai créé le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.
Ouvert à toutes les catégories professionnelles, il a répondu au besoin de concertation, de confrontation et de rapprochement d'intérêts divers entre les auteurs, les artistes interprètes, les producteurs, les éditeurs, les diffuseurs, les industries du logiciel, ... Ce Conseil nous aide à préparer les adaptations qui aideront à structurer les nouveaux secteurs de production. Tout comme le CNC et le CSA mènent chacun une concertation avec tous les professionnels sur la question cruciale de la définition de l'oeuvre.
C'est en particulier avec le secteur audiovisuel que les grands groupes ont fait leur entrée, avec une forte visibilité, dans le monde de la culture. Si toute activité culturelle a, de tout temps, dû conjuguer création et économie, la nature très artisanale de ce secteur avait paru le tenir à l'écart d'une approche plus industrielle.
Mais lorsque la réflexion sur les nouvelles télévisions nous amène sur le terrain, pluridisciplinaire, de la technologie numérique, c'est bien la question des industries culturelles qui est posée. Mon propos et notre action visent à n'oublier aucun des deux pôles de cette expression. Priorité aux contenus, défense de la diversité, pluralisme : ces choix passent par une politique résolue qui défend les principes, en adaptant les instruments. Nous sommes sur cette voie et je serai attentive aux apports de votre colloque.
Je vous remercie.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 1er février 2002)