Texte intégral
Monsieur le Vice-Président Ian Johnson,
Monsieur le Secrétaire général Donald Johnston,
Messieurs les Commissaires européens,
Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis de participer à la première édition de votre Forum. En associant développement durable et entreprise responsable, vous affirmez -et vous avez raison- que face aux risques qui menacent la planète et la vie, les entreprises ne peuvent pas rester indifférentes aux conséquences diverses de leurs activités.
Au cours des 25 prochaines années, le PIB mondial devrait augmenter de 75 % : il faut s'en réjouir, mais il faut aussi agir pour que les ressources naturelles ne diminuent pas d'autant. Les entrepreneurs, les pouvoirs publics, les organisations non gouvernementales, les citoyens doivent mettre en oeuvre ce que j'appelle un éco-développement, développement à la fois économique et écologique, social et culturel. De ce thème très large, je n'aborderai ici que quelques aspects, notamment cet éco-partenariat qui doit pouvoir assurer la croissance et la préservation des biens publics globaux.
Il existe toutefois un préalable : il n'y aura en effet pas de développement durable sans une forte politique d'aide au développement. La France, dont c'est la tradition, doit porter plus loin la parole et l'action de solidarité. C'est ce que nous entendons faire lors de la prochaine conférence de Monterrey sur le financement du développement. Nous devons réaliser les objectifs fixés par l'assemblée du millénaire des Nations Unies. Nous devons demander à la communauté internationale d'avancer plus rapidement sur les moyens supplémentaires de financement : nouvelle allocation de droits de tirage spéciaux du FMI en faveur des pays pauvres, recherche d'une forme de prélèvement international pour le développement. Nous devons progresser sur le terrain des annulations de dette et de la prévention des crises de surendettement. Nous devons réaliser les engagements de Doha pour le développement des pays pauvres par l'accroissement du commerce. La France annoncera prochainement à l'OMC une contribution au Fond de Doha pour le Développement accompagnant un déliement complet des concours financiers de l'Agence française de développement et d'un plan d'aide au renforcement des capacités commerciales. En ajoutant la nécessaire réforme de l'architecture des institutions internationales afin de garantir la participation des pays en développement aux organisations internationales.
Depuis le Sommet de la Terre à Rio en 1992, la donne a commencé de se modifier. Le développement durable, c'est-à-dire la prise en compte du temps long dans nos décisions immédiates, a changé de statut : d'utopie, il est devenu stratégie ; jadis préoccupation des seuls mouvements écologistes qu'il faut saluer pour leur action utile de sensibilisation, il constitue désormais un horizon, tout au moins un horizon intellectuel, pour la communauté internationale. Mais le contenu, l'efficacité et la réactivité des réponses au développement durable restent insatisfaisants.
Moins de 1% de l'eau sur terre est propre à la consommation. D'ici vingt ans, le quart des espèces animales risquent d'avoir disparu. 9 des 10 années les plus chaudes du siècle dernier se situent dans la décennie 1990. Même si, au plan européen, la France fait partie des seuls 3 pays ayant stabilisé leurs émissions de CO 2, beaucoup reste à faire pour atteindre l'objectif d'une réduction de 5 % d'ici 2012 fixé dans le protocole de Kyoto. A cet égard, et même si elle n'est pas la seule, l'énergie nucléaire fait partie des réponses au problème du réchauffement climatique. Bien entendu, il faut que nos industriels poursuivent leurs travaux pour rendre le nucléaire toujours plus sûr et toujours moins producteur de déchets et que soit donnée toute leur place aux énergies renouvelables en veillant à l'équilibre de nos sources d'approvisionnement.
Autre impératif essentiel: la protection du vivant. Avec le séquençage du génome humain nous avons le code mais il reste encore à lire le livre. Les circonstances de cette découverte indiquent les enjeux à venir : universalité de la connaissance contre confidentialité marchande du brevet, soins pour tous contre traitement de faveur pour les acheteurs. La biosécurité est indissociable d'une bioéthique qui interdit la marchandisation du corps humain.
Le droit à la santé n'est pas non plus suffisamment assuré. C'est vrai dans les pays en développement, notamment en Afrique avec une population littéralement décimée par le sida. Des jalons ont été posés pour que l'aide aux malades prime sur une logique exclusivement commerciale, pour que l'accès aux soins devienne un droit réel.
Enfin, alors même que les technologies de l'information et de la communication devraient permettre une démocratisation du savoir, beaucoup d'éléments contribuent à uniformiser la culture et à empêcher l'accès de tous à la connaissance. Scolarisation de chaque enfant, accès à l'information et à l'informatique, mise en réseau des formations et des formateurs : nous devons pouvoir offrir à chacun la condition de sa liberté et de son identité.
Dans ce contexte, en nous appuyant sur ce que les mutations en cours ont de meilleur, il s'agit de bâtir un véritable modèle d'éco-développement, générateur d'emplois et respectueux du futur. Nous disposons en ce sens de 3 niveaux d'action.
Le premier, celui de l'impulsion, requiert une coordination et une régulation réellement mondiales.
Je plaide pour une réforme du fonctionnement du FMI, de la Banque mondiale et de l'OMC qui doivent mieux rendre compte de leur action et associer à leurs travaux la société civile et les ONG. Le Gouvernement français a systématisé l'information ainsi que le dialogue avec le Parlement et les acteurs non gouvernementaux sur plusieurs enjeux d'intérêt général. C'est une méthode que nous poursuivrons.
Nous devons renforcer le rôle de l'OMS et de l'OIT. Faire monter en puissance ces agences, les doter d'un budget à la hauteur de leurs missions, leur accorder un droit de regard sur les décisions prises par les institutions financières. Le Premier ministre Jospin a récemment formulé certaines propositions : avancer sur le terrain des droits de propriété intellectuelle au-delà de l'accord intervenu à la FAO, élaborer une charte internationale et une convention cadre sur les services de l'eau, instituer une convention universelle sur la diversité des cultures.
Nous travaillons sur deux autres innovations. La création au sein de l'Organe de Règlement des Différends de l'OMC d'un mécanisme de consultation des institutions internationales compétentes dans le cas où l'application d'une norme commerciale soulèverait un problème pour l'environnement, une sorte de " question préjudicielle ". D'autre part, la création d'une Organisation mondiale de l'Environnement destinée à gérer les traités et leur application. Le protocole de Kyoto en préfigure certains aspects puisqu'il intégrera un mécanisme " d'observance " pour veiller au respect des engagements pris.
Le deuxième niveau d'action, niveau d'intensification, est bien sûr l'Europe. A Doha, les Quinze ont fait prévaloir leur attachement à la diversité culturelle et aux services publics. Nous nous sommes mobilisés en faveur d'un meilleur accès des pays du Sud aux médicaments contre le sida et nous avons obtenu que l'environnement figure au sein de la négociation multilatérale qui s'engage. C'est un progrès, mais nous sommes encore loin du compte et de " l'Europe référence " que beaucoup appellent de leurs voeux.
L'Europe doit se fixer des objectifs ambitieux. En matière de sécurité alimentaire, nous sommes aujourd'hui à l'avant-garde de la prévention et de la transparence. Alors que certains États hésitent encore à réglementer le développement des OGM, l'Union a rendu obligatoire depuis bientôt 2 ans l'étiquetage dès qu'un produit comporte plus d'1 % d'OGM. Une Agence alimentaire européenne indépendante sera prochainement opérationnelle. S'agissant de l'environnement, nous devons être actifs en défendant le principe du commerce équitable, en prônant l'examen d'une écotaxe à l'échelle européenne, en dotant l'Union d'une Autorité pour l'Environnement.
Le troisième niveau d'action est celui de l'application : il concerne précisément les entreprises et l'Etat qui doivent agir en partenaires. Cet éco-partenariat n'a de sens que sur la base d'une exigence de vérité. En matière de lutte contre les pollutions et les nuisances, les pouvoirs publics, qu'il s'agisse du Parlement, des collectivités locales ou des administrations, doivent comprendre qu'ils n'imposeront rien unilatéralement. De leur côté, les entreprises ne peuvent pas être insensibles aux effets de leurs activités sur la biosphère et sur la qualité de la vie des territoires où elles sont installées. Comment le pourraient-elles alors qu'elles sont à l'origine des émissions de gaz à effet de serre dues à la production ainsi que d'une large part de celles qui sont causées par le transport de marchandises ? Elles doivent préparer dès aujourd'hui leur participation aux mécanismes de développement propre prévus par le protocole de Kyoto.
Pour se sentir pleinement responsables, je crois que les entreprises doivent trouver avantage à la responsabilité elle-même. Les gisements possibles d'innovations et d'emplois " verts " sont considérables, qu'il s'agisse des nouveaux procédés industriels, des nouveaux matériaux comme les véhicules à carburant propre, des nouveaux emplois par exemple dans les filières de valorisation des déchets. La valorisation de l'environnement sera une composante forte de la croissance de demain et un enjeu de compétitivité entre les nations industrielles. Je compte sur les entrepreneurs français pour renforcer encore notre position dans ce domaine.
Sur ce point comme sur d'autres, nous devons avoir confiance dans la capacité de nos chercheurs et de nos entrepreneurs à trouver des réponses. Si l'air que nous respirons est bien plus propre que celui des décennies passées, ce n'est pas le cas pour la qualité de l'eau que nous buvons ou de la nourriture que nous mangeons. La différence d'effort de recherche entre l'Union européenne, les États-Unis et le Japon doit être réduite, il en va de la croissance de demain. Dans cet effort, les entreprises savent qu'elles sont aux avant-postes, puisque qu'une large part de notre retard tient au moindre poids de la recherche privée européenne dans son PIB.
Autre chemin prometteur : l'investissement appelé socialement responsable. Aux États-Unis, 10 % de l'épargne investie en actions, soit 10 Md$, s'oriente vers des placements éthiques. En France, on commence à s'intéresser de plus en plus aux fonds éthiques. La loi sur l'épargne salariale (dite loi Fabius) peut constituer un excellent levier de promotion des fonds communs de placement socialement responsables. L'accord récent des confédérations syndicales sur ce sujet est très positif et je le salue. Le critère environnemental est désormais de plus en plus pris en compte pour l'évaluation des entreprises, et pas seulement pour les entreprises dites polluantes. La Commission européenne a émis en mai dernier une recommandation pour généraliser cette démarche à l'Union. La loi française sur les nouvelles régulations économiques impose aux entreprises dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé d'indiquer chaque année leurs engagements environnementaux. A partir de ces données diverses, ma conviction est que la valorisation de l'environnement constituera de plus en plus un atout pour la compétitivité des entreprises autant qu'un moyen de conforter l'image de l'entreprise auprès de nos concitoyens.
Encore faut-il que les entreprises et les citoyens trouvent en l'Etat un partenaire. La réglementation doit prévoir les situations d'urgence, en cas de pollution circonscrite ou d'application du principe de précaution. Par exemple, les dispositifs mis en place par le Gouvernement afin de lutter contre la fièvre aphteuse ou les décisions prises pour qu'une tragédie comme celle de Toulouse ne se reproduise plus. La fiscalité demeure un instrument pertinent quand les évolutions recherchées sont structurelles : nous avons inscrit la dimension environnementale dans plus de 30 mesures législatives. Si le projet d'une taxe générale sur les activités polluantes n'a pas pu voir le jour, inciter de manière positive les principaux émetteurs de CO² à réduire leurs émissions reste notre objectif : dans cet esprit, j'ai demandé que soit examinée activement la possibilité d'accords volontaires avec les entreprises selon une démarche qui a donné par exemple en Allemagne d'excellents résultats. D'autres pistes sont à suivre, par exemple l'aide à la recherche et à l'innovation dans les activités de préservation de l'environnement, la mise en place de marchés de permis, ou encore les engagements négociés. L'essentiel est d'aboutir à un dispositif opérationnel, efficace et juridiquement satisfaisant.
De quoi s'agit-il en définitive ? Face aux pollutions ou aux altérations du climat, évitons les lignes Maginot. Il revient aux acteurs, en particulier aux entreprises et aux pouvoirs publics, de faire le choix du partenariat. Partenariat pour mieux quantifier les coûts liés à la dégradation de l'environnement en faisant converger les instruments de diagnostic. Partenariat pour faciliter les échanges de bonnes pratiques. Partenariat pour élaborer les dispositifs de prévention et de réparation, autour de la solidarité, de l'efficacité et de la durabilité.
Un dernier mot sur la notion de " développement durable ". L'une des plus grandes mutations du monde moderne est d'avoir transformé cette expression en une sorte de tautologie. Pour toutes les raisons que chacun ici connaît, le développement sera durable ou ne sera pas. Cette mutation-là doit modifier la méthode et certains choix de fond des entreprises comme des pouvoirs publics, de même qu'elle doit modifier le regard et le jugement que nous portons sur eux.
Ainsi, pour m'en tenir au seul univers des décisions publiques, les choix politiques opérés doivent être assumés désormais à la fois dans l'espace et dans le temps. Dans un monde global, on se révolte de plus en plus - et on a raison de le faire - contre des décisions (ou des absences de décision) qui emportent des conséquences négatives dans le temps sur nos voisins (ou sur nos " lointains "). Contestable - au sens de " devant être contestée " - sera toute proposition de politique financière et sociale qui ne réduirait pas l'endettement de notre pays ou qui augmenterait structurellement ses déficits, parce qu'elle reporterait la charge sur les successeurs et ne serait donc pas durable. Contestable - et devant être contestée - serait toute proposition de politique européenne qui ne réglerait pas l'amélioration du fonctionnement de l'Union européenne avant son élargissement, parce qu'elle ruinerait ce qu'elle prétend construire. Contestable - et devant être contestée - serait toute proposition de politique structurelle qui ne réformerait pas l'Etat, parce qu'elle menacerait à terme le service public qu'elle dit protéger.
Les " responsables " sont, étymologiquement, ceux qui doivent apporter des réponses. Désormais, qu'il s'agisse des entreprises ou des pouvoirs publics, ces réponses doivent prendre en compte le temps long. De même qu'il constituera de plus en plus un critère de performance et de compétitivité pour les entreprises, le caractère durable des décisions proposées doit être fondamental pour les citoyens lorsqu'il s'agit de choisir. Merci.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 6 mars 2002)
Monsieur le Secrétaire général Donald Johnston,
Messieurs les Commissaires européens,
Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis de participer à la première édition de votre Forum. En associant développement durable et entreprise responsable, vous affirmez -et vous avez raison- que face aux risques qui menacent la planète et la vie, les entreprises ne peuvent pas rester indifférentes aux conséquences diverses de leurs activités.
Au cours des 25 prochaines années, le PIB mondial devrait augmenter de 75 % : il faut s'en réjouir, mais il faut aussi agir pour que les ressources naturelles ne diminuent pas d'autant. Les entrepreneurs, les pouvoirs publics, les organisations non gouvernementales, les citoyens doivent mettre en oeuvre ce que j'appelle un éco-développement, développement à la fois économique et écologique, social et culturel. De ce thème très large, je n'aborderai ici que quelques aspects, notamment cet éco-partenariat qui doit pouvoir assurer la croissance et la préservation des biens publics globaux.
Il existe toutefois un préalable : il n'y aura en effet pas de développement durable sans une forte politique d'aide au développement. La France, dont c'est la tradition, doit porter plus loin la parole et l'action de solidarité. C'est ce que nous entendons faire lors de la prochaine conférence de Monterrey sur le financement du développement. Nous devons réaliser les objectifs fixés par l'assemblée du millénaire des Nations Unies. Nous devons demander à la communauté internationale d'avancer plus rapidement sur les moyens supplémentaires de financement : nouvelle allocation de droits de tirage spéciaux du FMI en faveur des pays pauvres, recherche d'une forme de prélèvement international pour le développement. Nous devons progresser sur le terrain des annulations de dette et de la prévention des crises de surendettement. Nous devons réaliser les engagements de Doha pour le développement des pays pauvres par l'accroissement du commerce. La France annoncera prochainement à l'OMC une contribution au Fond de Doha pour le Développement accompagnant un déliement complet des concours financiers de l'Agence française de développement et d'un plan d'aide au renforcement des capacités commerciales. En ajoutant la nécessaire réforme de l'architecture des institutions internationales afin de garantir la participation des pays en développement aux organisations internationales.
Depuis le Sommet de la Terre à Rio en 1992, la donne a commencé de se modifier. Le développement durable, c'est-à-dire la prise en compte du temps long dans nos décisions immédiates, a changé de statut : d'utopie, il est devenu stratégie ; jadis préoccupation des seuls mouvements écologistes qu'il faut saluer pour leur action utile de sensibilisation, il constitue désormais un horizon, tout au moins un horizon intellectuel, pour la communauté internationale. Mais le contenu, l'efficacité et la réactivité des réponses au développement durable restent insatisfaisants.
Moins de 1% de l'eau sur terre est propre à la consommation. D'ici vingt ans, le quart des espèces animales risquent d'avoir disparu. 9 des 10 années les plus chaudes du siècle dernier se situent dans la décennie 1990. Même si, au plan européen, la France fait partie des seuls 3 pays ayant stabilisé leurs émissions de CO 2, beaucoup reste à faire pour atteindre l'objectif d'une réduction de 5 % d'ici 2012 fixé dans le protocole de Kyoto. A cet égard, et même si elle n'est pas la seule, l'énergie nucléaire fait partie des réponses au problème du réchauffement climatique. Bien entendu, il faut que nos industriels poursuivent leurs travaux pour rendre le nucléaire toujours plus sûr et toujours moins producteur de déchets et que soit donnée toute leur place aux énergies renouvelables en veillant à l'équilibre de nos sources d'approvisionnement.
Autre impératif essentiel: la protection du vivant. Avec le séquençage du génome humain nous avons le code mais il reste encore à lire le livre. Les circonstances de cette découverte indiquent les enjeux à venir : universalité de la connaissance contre confidentialité marchande du brevet, soins pour tous contre traitement de faveur pour les acheteurs. La biosécurité est indissociable d'une bioéthique qui interdit la marchandisation du corps humain.
Le droit à la santé n'est pas non plus suffisamment assuré. C'est vrai dans les pays en développement, notamment en Afrique avec une population littéralement décimée par le sida. Des jalons ont été posés pour que l'aide aux malades prime sur une logique exclusivement commerciale, pour que l'accès aux soins devienne un droit réel.
Enfin, alors même que les technologies de l'information et de la communication devraient permettre une démocratisation du savoir, beaucoup d'éléments contribuent à uniformiser la culture et à empêcher l'accès de tous à la connaissance. Scolarisation de chaque enfant, accès à l'information et à l'informatique, mise en réseau des formations et des formateurs : nous devons pouvoir offrir à chacun la condition de sa liberté et de son identité.
Dans ce contexte, en nous appuyant sur ce que les mutations en cours ont de meilleur, il s'agit de bâtir un véritable modèle d'éco-développement, générateur d'emplois et respectueux du futur. Nous disposons en ce sens de 3 niveaux d'action.
Le premier, celui de l'impulsion, requiert une coordination et une régulation réellement mondiales.
Je plaide pour une réforme du fonctionnement du FMI, de la Banque mondiale et de l'OMC qui doivent mieux rendre compte de leur action et associer à leurs travaux la société civile et les ONG. Le Gouvernement français a systématisé l'information ainsi que le dialogue avec le Parlement et les acteurs non gouvernementaux sur plusieurs enjeux d'intérêt général. C'est une méthode que nous poursuivrons.
Nous devons renforcer le rôle de l'OMS et de l'OIT. Faire monter en puissance ces agences, les doter d'un budget à la hauteur de leurs missions, leur accorder un droit de regard sur les décisions prises par les institutions financières. Le Premier ministre Jospin a récemment formulé certaines propositions : avancer sur le terrain des droits de propriété intellectuelle au-delà de l'accord intervenu à la FAO, élaborer une charte internationale et une convention cadre sur les services de l'eau, instituer une convention universelle sur la diversité des cultures.
Nous travaillons sur deux autres innovations. La création au sein de l'Organe de Règlement des Différends de l'OMC d'un mécanisme de consultation des institutions internationales compétentes dans le cas où l'application d'une norme commerciale soulèverait un problème pour l'environnement, une sorte de " question préjudicielle ". D'autre part, la création d'une Organisation mondiale de l'Environnement destinée à gérer les traités et leur application. Le protocole de Kyoto en préfigure certains aspects puisqu'il intégrera un mécanisme " d'observance " pour veiller au respect des engagements pris.
Le deuxième niveau d'action, niveau d'intensification, est bien sûr l'Europe. A Doha, les Quinze ont fait prévaloir leur attachement à la diversité culturelle et aux services publics. Nous nous sommes mobilisés en faveur d'un meilleur accès des pays du Sud aux médicaments contre le sida et nous avons obtenu que l'environnement figure au sein de la négociation multilatérale qui s'engage. C'est un progrès, mais nous sommes encore loin du compte et de " l'Europe référence " que beaucoup appellent de leurs voeux.
L'Europe doit se fixer des objectifs ambitieux. En matière de sécurité alimentaire, nous sommes aujourd'hui à l'avant-garde de la prévention et de la transparence. Alors que certains États hésitent encore à réglementer le développement des OGM, l'Union a rendu obligatoire depuis bientôt 2 ans l'étiquetage dès qu'un produit comporte plus d'1 % d'OGM. Une Agence alimentaire européenne indépendante sera prochainement opérationnelle. S'agissant de l'environnement, nous devons être actifs en défendant le principe du commerce équitable, en prônant l'examen d'une écotaxe à l'échelle européenne, en dotant l'Union d'une Autorité pour l'Environnement.
Le troisième niveau d'action est celui de l'application : il concerne précisément les entreprises et l'Etat qui doivent agir en partenaires. Cet éco-partenariat n'a de sens que sur la base d'une exigence de vérité. En matière de lutte contre les pollutions et les nuisances, les pouvoirs publics, qu'il s'agisse du Parlement, des collectivités locales ou des administrations, doivent comprendre qu'ils n'imposeront rien unilatéralement. De leur côté, les entreprises ne peuvent pas être insensibles aux effets de leurs activités sur la biosphère et sur la qualité de la vie des territoires où elles sont installées. Comment le pourraient-elles alors qu'elles sont à l'origine des émissions de gaz à effet de serre dues à la production ainsi que d'une large part de celles qui sont causées par le transport de marchandises ? Elles doivent préparer dès aujourd'hui leur participation aux mécanismes de développement propre prévus par le protocole de Kyoto.
Pour se sentir pleinement responsables, je crois que les entreprises doivent trouver avantage à la responsabilité elle-même. Les gisements possibles d'innovations et d'emplois " verts " sont considérables, qu'il s'agisse des nouveaux procédés industriels, des nouveaux matériaux comme les véhicules à carburant propre, des nouveaux emplois par exemple dans les filières de valorisation des déchets. La valorisation de l'environnement sera une composante forte de la croissance de demain et un enjeu de compétitivité entre les nations industrielles. Je compte sur les entrepreneurs français pour renforcer encore notre position dans ce domaine.
Sur ce point comme sur d'autres, nous devons avoir confiance dans la capacité de nos chercheurs et de nos entrepreneurs à trouver des réponses. Si l'air que nous respirons est bien plus propre que celui des décennies passées, ce n'est pas le cas pour la qualité de l'eau que nous buvons ou de la nourriture que nous mangeons. La différence d'effort de recherche entre l'Union européenne, les États-Unis et le Japon doit être réduite, il en va de la croissance de demain. Dans cet effort, les entreprises savent qu'elles sont aux avant-postes, puisque qu'une large part de notre retard tient au moindre poids de la recherche privée européenne dans son PIB.
Autre chemin prometteur : l'investissement appelé socialement responsable. Aux États-Unis, 10 % de l'épargne investie en actions, soit 10 Md$, s'oriente vers des placements éthiques. En France, on commence à s'intéresser de plus en plus aux fonds éthiques. La loi sur l'épargne salariale (dite loi Fabius) peut constituer un excellent levier de promotion des fonds communs de placement socialement responsables. L'accord récent des confédérations syndicales sur ce sujet est très positif et je le salue. Le critère environnemental est désormais de plus en plus pris en compte pour l'évaluation des entreprises, et pas seulement pour les entreprises dites polluantes. La Commission européenne a émis en mai dernier une recommandation pour généraliser cette démarche à l'Union. La loi française sur les nouvelles régulations économiques impose aux entreprises dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé d'indiquer chaque année leurs engagements environnementaux. A partir de ces données diverses, ma conviction est que la valorisation de l'environnement constituera de plus en plus un atout pour la compétitivité des entreprises autant qu'un moyen de conforter l'image de l'entreprise auprès de nos concitoyens.
Encore faut-il que les entreprises et les citoyens trouvent en l'Etat un partenaire. La réglementation doit prévoir les situations d'urgence, en cas de pollution circonscrite ou d'application du principe de précaution. Par exemple, les dispositifs mis en place par le Gouvernement afin de lutter contre la fièvre aphteuse ou les décisions prises pour qu'une tragédie comme celle de Toulouse ne se reproduise plus. La fiscalité demeure un instrument pertinent quand les évolutions recherchées sont structurelles : nous avons inscrit la dimension environnementale dans plus de 30 mesures législatives. Si le projet d'une taxe générale sur les activités polluantes n'a pas pu voir le jour, inciter de manière positive les principaux émetteurs de CO² à réduire leurs émissions reste notre objectif : dans cet esprit, j'ai demandé que soit examinée activement la possibilité d'accords volontaires avec les entreprises selon une démarche qui a donné par exemple en Allemagne d'excellents résultats. D'autres pistes sont à suivre, par exemple l'aide à la recherche et à l'innovation dans les activités de préservation de l'environnement, la mise en place de marchés de permis, ou encore les engagements négociés. L'essentiel est d'aboutir à un dispositif opérationnel, efficace et juridiquement satisfaisant.
De quoi s'agit-il en définitive ? Face aux pollutions ou aux altérations du climat, évitons les lignes Maginot. Il revient aux acteurs, en particulier aux entreprises et aux pouvoirs publics, de faire le choix du partenariat. Partenariat pour mieux quantifier les coûts liés à la dégradation de l'environnement en faisant converger les instruments de diagnostic. Partenariat pour faciliter les échanges de bonnes pratiques. Partenariat pour élaborer les dispositifs de prévention et de réparation, autour de la solidarité, de l'efficacité et de la durabilité.
Un dernier mot sur la notion de " développement durable ". L'une des plus grandes mutations du monde moderne est d'avoir transformé cette expression en une sorte de tautologie. Pour toutes les raisons que chacun ici connaît, le développement sera durable ou ne sera pas. Cette mutation-là doit modifier la méthode et certains choix de fond des entreprises comme des pouvoirs publics, de même qu'elle doit modifier le regard et le jugement que nous portons sur eux.
Ainsi, pour m'en tenir au seul univers des décisions publiques, les choix politiques opérés doivent être assumés désormais à la fois dans l'espace et dans le temps. Dans un monde global, on se révolte de plus en plus - et on a raison de le faire - contre des décisions (ou des absences de décision) qui emportent des conséquences négatives dans le temps sur nos voisins (ou sur nos " lointains "). Contestable - au sens de " devant être contestée " - sera toute proposition de politique financière et sociale qui ne réduirait pas l'endettement de notre pays ou qui augmenterait structurellement ses déficits, parce qu'elle reporterait la charge sur les successeurs et ne serait donc pas durable. Contestable - et devant être contestée - serait toute proposition de politique européenne qui ne réglerait pas l'amélioration du fonctionnement de l'Union européenne avant son élargissement, parce qu'elle ruinerait ce qu'elle prétend construire. Contestable - et devant être contestée - serait toute proposition de politique structurelle qui ne réformerait pas l'Etat, parce qu'elle menacerait à terme le service public qu'elle dit protéger.
Les " responsables " sont, étymologiquement, ceux qui doivent apporter des réponses. Désormais, qu'il s'agisse des entreprises ou des pouvoirs publics, ces réponses doivent prendre en compte le temps long. De même qu'il constituera de plus en plus un critère de performance et de compétitivité pour les entreprises, le caractère durable des décisions proposées doit être fondamental pour les citoyens lorsqu'il s'agit de choisir. Merci.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 6 mars 2002)