Texte intégral
Q - En ligne de Rio de Janeiro, le ministre français de la Coopération Charles Josselin bonsoir ! Vous êtes donc au Brésil pour le Sommet entre l'Union européenne et les pays d'Amérique latine et des Caraïbes qui s'ouvre demain. C'est le premier sommet de ce type. L'organisation de ce sommet avait été proposée en mars 97 à Brasilia par le président Chirac. C'est un succès important pour la diplomatie française ?
R - Ecoutez, nous sommes heureux que cette proposition, qui avait été lancée pour éviter que le continent latino-américain soit dans un face à face exclusif avec les Etats-Unis se soit concrétisé. Elle nous permet à nous, Français - c'est en tout cas ce que nous croyons - de pouvoir nous appuyer sur l'Europe, pour avoir une relation plus soutenue avec le continent latino-américain. Cette proposition s'est concrétisée, les chefs d'Etat sont en train d'arriver. Ce matin, tous les ministres des 33 pays latino-américains et les 15 pays européens se sont réunis pour une première séance de travail. Nous pouvons être satisfaits que cette réunion intervienne et heureux aussi que l'arrangement intervenu lundi dernier à Bruxelles, sur la négociation commerciale avec le Mercosur ait permis d'éviter que ce sommet ne soit trop pollué par des négociations commerciales. Car la France voulait en faire d'abord un moment de dialogue politique entre les deux continents.
Q - A propos de politique, nous allons y revenir dans un instant, mais est-ce qu'il y a une véritable course entre l'Union européenne et les Etats-Unis pour améliorer les relations avec l'Amérique Latine ?
R - Non. Je crois que l'Europe a une raison, a une ambition justifiée d'avoir une diplomatie universelle. Si on veut peser sur le cours du monde, si on veut dans les grandes enceintes internationales réunir des majorités qui permettent de gagner la position que nous défendons, il faut être capable de trouver les alliés. Je crois que les Latino-américains ont envie de retrouver un peu leurs racines européennes. C'est eux qui nous adressent des signaux, il est tout à fait essentiel qu'on y réponde. J'observe d'ailleurs que quoi qu'on ait pu dire sur les négociations commerciales, les échanges commerciaux entre les pays de l'Amérique latine et l'Europe sont en volume plus importants que ceux qu'ils ont avec les pays américains, y compris, les produits agricoles et agro-alimentaires. Bref, c'est un très grand continent, qui compte avec des pays tout à fait essentiels, on pense au Brésil évidemment, mais l'Argentine, le Mexique, le Chili, le Venezuela, ce sont des espaces importants. Ces populations, je le répète, veulent être nos alliés dans la défense d'un monde multipolaire pour éviter l'influence, à leurs yeux souvent trop excessive, de leurs grands voisins de l'Amérique du Nord.
Q - Alors ce Sommet de Rio va jeter les bases d'une intégration économique entre les deux ensembles, l'Union européenne et le Mercosur plus le Chili. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ? Cela sera une zone de libre-échange ?
R - La négociation va commencer. A terme il s'agit en effet de s'intégrer dans une économie mondiale, dont nous savons qu'elle est à peu près incontournable. Reste à savoir avec quel rythme, avec quelle régulation publique, quel sort réservé - et la France y est très attentive - par exemple aux essences culturelles -, vous savez que nous tenons bon sur ce thème de l'exception culturelle en particulier. Ce sont donc ces discussions qui vont donc commencer. Je vous rappelle que le calendrier décidé lundi dernier prévoit que pour les produits non tarifaires, la discussion va pouvoir commencer immédiatement après le Sommet de Rio. Pour les produits tarifaires, c'est au-delà du 1er janvier 2001, que la négociation va s'engager. Etant entendu, puisque dans le même temps vous savez que l'Organisation mondiale du commerce comment un nouveau "round" comme ont dit, en bonne francophonie. Il faudra attendre que les négociations autour de l'OMC soient achevées pour conclure les négociations plus particulières entre l'Europe et le Mercosur. Mais je sens déjà que les pays andins veulent, eux, aussi une négociation avec l'Europe. Bref, nous sommes engagés dans un cycle qui va être nécessairement long, mais très complet au terme duquel la relation commerciale entre l'Europe et le continent latino-américain va être sensiblement modifié.
Q - L'Union européenne étant le premier investisseur en Amérique Latine et le premier donneur d'aides à la région, si on exclut le Mexique, est-ce qu'elle entend le rester et quelle sera la place de la France dans ces échanges ?
R - J'étais au Chili avant-hier et j'en suis revenu hier. Une délégation d'industriels français conduite par le MEDEF International était sur place et nous avons pu observer la croissance très rapide des échanges commerciaux, mais aussi l'augmentation des investissements français au Chili. Est-il besoin d'insister sur la présence importante des entreprises françaises au Brésil ? On parle beaucoup du secteur de la grande distribution, mais c'est vrai aussi sur le plan industriel, l'industrie automobile et on pourrait en trouver quelques autres. Et je pense que dans des domaines qui sont très essentiels dans ce pays, comme l'eau, la distribution, le traitement, l'électricité, le transport, la France a de bonnes raisons d'espérer gagner, comme on dit un certain nombre de places, de parts de marché. Et je suis heureux de voir que les entreprises françaises s'y emploient.
Q - Charles Josselin vous disiez, il y a instant, ce sera un sommet très politique, avec des rencontres bilatérales entre les chefs d'Etat, le président Chirac notamment et ses homologues...
R - Il y a même un aspect politique sur lequel je me permets de vous interrompre, c'est que nous allons profiter de l'occasion pour expliquer aux Latino-américains le pourquoi de notre engagement au Kosovo, par exemple. Et ce que nous attendons de la stabilité des Balkans, parce que cette question a été mal vue, mal vécue aussi par eux, parce que l'information dont ils disposaient était très incomplète, voire déformée. C'est une bonne occasion pour faire aussi cette mise au point.
Mais il est vrai, comme vous le disiez à l'instant, que c'est dans le cadre des rencontres bilatérales que des négociations politiques vont avoir lieu. Cet après-midi le président Chirac va rencontre le président Cardoso, mais aussi le président Zédilo du Mexique. Demain, il y aura certainement d'autres échanges importants et je crois que c'est tout à fait essentiel que ces échanges aient lieu pour vérifier si nous sommes d'accord, par exemple sur l'architecture financière du monde. Ce qui est un dossier important, sur le besoin de préserver la pluralité culturelle à l'échelle de la planète, ce qui renvoie au problème des langues, du français, de l'espagnol, du portugais, bref des questions qui culturellement sont également tout à fait essentielles. Sans oublier l'objectif commun, mais je crois que là-dessus on n'aura pas trop de difficultés, c'est-à-dire la démocratie, c'est-à-dire les Droits de l'Homme, c'est-à-dire la suite pour le développement contre les inégalités. Enfin réduire tout ce qui peut être tension et source de conflit et de violence dans le monde.
Q - Et dans ce débat sur la démocratie ou encore un autre débat important, en Amérique Latine, la lutte anti-drogue. Quels sont les pays qui posent encore problème ?
R - Ce matin, j'ai senti qu'il y avait un large consensus sur la déclaration commune, je vous l'ai dit, laquelle pose bien le principe d'une démocratie politique du respect des Droits de l'Homme. On peut penser que dans le dialogue avec certains pays cette question peut-être un peu plus difficile - tout le monde pense à Cuba -, mais dès lors qu'on intègre aussi des droits sociaux, je crois que Cuba a un bilan de ce point de vue, plutôt avantageux en quelque sorte. Il reste que sur le débat sur les droits politiques, les choses sont peut-être un peu plus difficiles, mais il y a je crois, un large consensus. Avec le Venezuela, par exemple, où les discussions ont commencé ce matin pour que le dialogue fasse progresser précisément partout, ce concept de démocratie et des Droits de l'Homme.
Q - Une dernière question sur le volet culturel que vous évoquiez également. Là encore concurrence entre l'Europe et les Etats-Unis, mais l'Amérique Latine est une région intellectuellement, attirée davantage par le vieux continent quand même. Avez-vous pu constater cela ?
R - Il y a une demande en tout cas de relation avec le vieux continent qui est très forte, y compris une demande de Français, d'ailleurs, dans beaucoup d'endroits et il faut que nous soyons capables d'y répondre. Pas seulement du point de vue de la langue et c'est important, mais du point de vue de la culture. A Rio où nous sommes par exemple, la référence culturelle, c'est la France, c'est incontestable. D'ailleurs nous sommes très présents dans la vie culturelle à Rio, comme plus généralement au Brésil, mais il y a, comme vous le rappeliez à l'instant c'est vrai, une volonté très affirmée par les Latino-américains de se souvenir en quelque sorte de leur propre histoire. C'est important qu'on les aide à consolider le lien - comme on dit parfois - "à défaut de savoir toujours où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient". Je crois que les Latino-américains ont envie aussi pour cela d'une relation forte à l'Europe.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juin 1999)
R - Ecoutez, nous sommes heureux que cette proposition, qui avait été lancée pour éviter que le continent latino-américain soit dans un face à face exclusif avec les Etats-Unis se soit concrétisé. Elle nous permet à nous, Français - c'est en tout cas ce que nous croyons - de pouvoir nous appuyer sur l'Europe, pour avoir une relation plus soutenue avec le continent latino-américain. Cette proposition s'est concrétisée, les chefs d'Etat sont en train d'arriver. Ce matin, tous les ministres des 33 pays latino-américains et les 15 pays européens se sont réunis pour une première séance de travail. Nous pouvons être satisfaits que cette réunion intervienne et heureux aussi que l'arrangement intervenu lundi dernier à Bruxelles, sur la négociation commerciale avec le Mercosur ait permis d'éviter que ce sommet ne soit trop pollué par des négociations commerciales. Car la France voulait en faire d'abord un moment de dialogue politique entre les deux continents.
Q - A propos de politique, nous allons y revenir dans un instant, mais est-ce qu'il y a une véritable course entre l'Union européenne et les Etats-Unis pour améliorer les relations avec l'Amérique Latine ?
R - Non. Je crois que l'Europe a une raison, a une ambition justifiée d'avoir une diplomatie universelle. Si on veut peser sur le cours du monde, si on veut dans les grandes enceintes internationales réunir des majorités qui permettent de gagner la position que nous défendons, il faut être capable de trouver les alliés. Je crois que les Latino-américains ont envie de retrouver un peu leurs racines européennes. C'est eux qui nous adressent des signaux, il est tout à fait essentiel qu'on y réponde. J'observe d'ailleurs que quoi qu'on ait pu dire sur les négociations commerciales, les échanges commerciaux entre les pays de l'Amérique latine et l'Europe sont en volume plus importants que ceux qu'ils ont avec les pays américains, y compris, les produits agricoles et agro-alimentaires. Bref, c'est un très grand continent, qui compte avec des pays tout à fait essentiels, on pense au Brésil évidemment, mais l'Argentine, le Mexique, le Chili, le Venezuela, ce sont des espaces importants. Ces populations, je le répète, veulent être nos alliés dans la défense d'un monde multipolaire pour éviter l'influence, à leurs yeux souvent trop excessive, de leurs grands voisins de l'Amérique du Nord.
Q - Alors ce Sommet de Rio va jeter les bases d'une intégration économique entre les deux ensembles, l'Union européenne et le Mercosur plus le Chili. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ? Cela sera une zone de libre-échange ?
R - La négociation va commencer. A terme il s'agit en effet de s'intégrer dans une économie mondiale, dont nous savons qu'elle est à peu près incontournable. Reste à savoir avec quel rythme, avec quelle régulation publique, quel sort réservé - et la France y est très attentive - par exemple aux essences culturelles -, vous savez que nous tenons bon sur ce thème de l'exception culturelle en particulier. Ce sont donc ces discussions qui vont donc commencer. Je vous rappelle que le calendrier décidé lundi dernier prévoit que pour les produits non tarifaires, la discussion va pouvoir commencer immédiatement après le Sommet de Rio. Pour les produits tarifaires, c'est au-delà du 1er janvier 2001, que la négociation va s'engager. Etant entendu, puisque dans le même temps vous savez que l'Organisation mondiale du commerce comment un nouveau "round" comme ont dit, en bonne francophonie. Il faudra attendre que les négociations autour de l'OMC soient achevées pour conclure les négociations plus particulières entre l'Europe et le Mercosur. Mais je sens déjà que les pays andins veulent, eux, aussi une négociation avec l'Europe. Bref, nous sommes engagés dans un cycle qui va être nécessairement long, mais très complet au terme duquel la relation commerciale entre l'Europe et le continent latino-américain va être sensiblement modifié.
Q - L'Union européenne étant le premier investisseur en Amérique Latine et le premier donneur d'aides à la région, si on exclut le Mexique, est-ce qu'elle entend le rester et quelle sera la place de la France dans ces échanges ?
R - J'étais au Chili avant-hier et j'en suis revenu hier. Une délégation d'industriels français conduite par le MEDEF International était sur place et nous avons pu observer la croissance très rapide des échanges commerciaux, mais aussi l'augmentation des investissements français au Chili. Est-il besoin d'insister sur la présence importante des entreprises françaises au Brésil ? On parle beaucoup du secteur de la grande distribution, mais c'est vrai aussi sur le plan industriel, l'industrie automobile et on pourrait en trouver quelques autres. Et je pense que dans des domaines qui sont très essentiels dans ce pays, comme l'eau, la distribution, le traitement, l'électricité, le transport, la France a de bonnes raisons d'espérer gagner, comme on dit un certain nombre de places, de parts de marché. Et je suis heureux de voir que les entreprises françaises s'y emploient.
Q - Charles Josselin vous disiez, il y a instant, ce sera un sommet très politique, avec des rencontres bilatérales entre les chefs d'Etat, le président Chirac notamment et ses homologues...
R - Il y a même un aspect politique sur lequel je me permets de vous interrompre, c'est que nous allons profiter de l'occasion pour expliquer aux Latino-américains le pourquoi de notre engagement au Kosovo, par exemple. Et ce que nous attendons de la stabilité des Balkans, parce que cette question a été mal vue, mal vécue aussi par eux, parce que l'information dont ils disposaient était très incomplète, voire déformée. C'est une bonne occasion pour faire aussi cette mise au point.
Mais il est vrai, comme vous le disiez à l'instant, que c'est dans le cadre des rencontres bilatérales que des négociations politiques vont avoir lieu. Cet après-midi le président Chirac va rencontre le président Cardoso, mais aussi le président Zédilo du Mexique. Demain, il y aura certainement d'autres échanges importants et je crois que c'est tout à fait essentiel que ces échanges aient lieu pour vérifier si nous sommes d'accord, par exemple sur l'architecture financière du monde. Ce qui est un dossier important, sur le besoin de préserver la pluralité culturelle à l'échelle de la planète, ce qui renvoie au problème des langues, du français, de l'espagnol, du portugais, bref des questions qui culturellement sont également tout à fait essentielles. Sans oublier l'objectif commun, mais je crois que là-dessus on n'aura pas trop de difficultés, c'est-à-dire la démocratie, c'est-à-dire les Droits de l'Homme, c'est-à-dire la suite pour le développement contre les inégalités. Enfin réduire tout ce qui peut être tension et source de conflit et de violence dans le monde.
Q - Et dans ce débat sur la démocratie ou encore un autre débat important, en Amérique Latine, la lutte anti-drogue. Quels sont les pays qui posent encore problème ?
R - Ce matin, j'ai senti qu'il y avait un large consensus sur la déclaration commune, je vous l'ai dit, laquelle pose bien le principe d'une démocratie politique du respect des Droits de l'Homme. On peut penser que dans le dialogue avec certains pays cette question peut-être un peu plus difficile - tout le monde pense à Cuba -, mais dès lors qu'on intègre aussi des droits sociaux, je crois que Cuba a un bilan de ce point de vue, plutôt avantageux en quelque sorte. Il reste que sur le débat sur les droits politiques, les choses sont peut-être un peu plus difficiles, mais il y a je crois, un large consensus. Avec le Venezuela, par exemple, où les discussions ont commencé ce matin pour que le dialogue fasse progresser précisément partout, ce concept de démocratie et des Droits de l'Homme.
Q - Une dernière question sur le volet culturel que vous évoquiez également. Là encore concurrence entre l'Europe et les Etats-Unis, mais l'Amérique Latine est une région intellectuellement, attirée davantage par le vieux continent quand même. Avez-vous pu constater cela ?
R - Il y a une demande en tout cas de relation avec le vieux continent qui est très forte, y compris une demande de Français, d'ailleurs, dans beaucoup d'endroits et il faut que nous soyons capables d'y répondre. Pas seulement du point de vue de la langue et c'est important, mais du point de vue de la culture. A Rio où nous sommes par exemple, la référence culturelle, c'est la France, c'est incontestable. D'ailleurs nous sommes très présents dans la vie culturelle à Rio, comme plus généralement au Brésil, mais il y a, comme vous le rappeliez à l'instant c'est vrai, une volonté très affirmée par les Latino-américains de se souvenir en quelque sorte de leur propre histoire. C'est important qu'on les aide à consolider le lien - comme on dit parfois - "à défaut de savoir toujours où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient". Je crois que les Latino-américains ont envie aussi pour cela d'une relation forte à l'Europe.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juin 1999)