Interview de M. Lionel Jospin, Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle, dans "Le Monde" du 2 mars 2002, sur la parution de son livre "Le temps de répondre", le socialisme, la difficulté de faire des réformes en France et les relations entre le Président de la République et le Premier ministre.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Vous avez déclaré votre candidature dans une lettre adressée aux Français. Vous en avez expliqué les raisons à la télévision. Aujourd'hui, vous publiez un livre d'entretiens qui n'est pas un livre-programme.
Quel est le statut de cet ouvrage dans votre campagne présidentielle ?
J'avais envie d'être au clair avec moi-même avant que la campagne ne s'ouvre. A la fois pour mener une sorte de réflexion à voix haute et pour rendre compte. La formule d'un entretien en toute liberté avec un journaliste reconnu et indépendant d'esprit était la plus aisée. D'ailleurs, n'était-elle pas aussi une préparation au dialogue que je vais maintenant avoir avec l'ensemble des Français ?
François Hollande a dit récemment : "Il faut donner un successeur à François Mitterrand." Est-ce à dire que vous vous inscrivez dans une tradition, une lignée mitterrandiste ?
Si cette phrase de François Hollande signifie qu'il souhaite qu'il y ait à nouveau un président socialiste après les deux septennats de François Mitterrand, mon espoir est de ne pas le contrarier. Si cela veut dire reprendre le fil d'une histoire liée à François Mitterrand lui-même, mon livre montre bien que j'appartiens à cette histoire ; j'ai été son successeur à la tête du Parti socialiste, j'ai été à mon tour candidat à l'élection présidentielle en 1995. Cela ne signifie pas pour autant que ma vision de la politique et ma conception de la présidence soient en tous points identiques à celles de François Mitterrand.
Cela ne veut pas dire non plus que le temps du "devoir d'inventaire" est à présent révolu ?
Les inventaires ont lieu en permanence. Quand j'ai utilisé cette expression, j'ai dit qu'il s'agissait d'une façon collective d'inventorier, de revisiter notre action passée. On l'a réduite à une formule sommaire, d'une personne portant un jugement sur une autre. Or je n'ai jamais dit : "Moi, Lionel Jospin, je fais l'inventaire de François Mitterrand ". Je souhaitais que, tous ensemble, les socialistes fassent l'inventaire de ce que nous avions fait, tous ensemble. Je l'ai dit : il y a les choses dont nous sommes fiers ; celles que nous avons dû faire et que j'assume, comme le tournant de la rigueur en 1983 ; et puis celles dont je pense qu'il aurait mieux valu les faire autrement ou qu'il vaudrait mieux ne pas les recommencer. Pour ma part, ayant agi pendant cinq ans, je sais que, naturellement, l'action menée est objet d'inventaire. C'est la loi de la démocratie.
Dans Le Temps de répondre, vous faites à plusieurs reprises l'éloge du pragmatisme. Est-ce une manière de renoncer aux idéaux en politique ?
Le pragmatisme que j'évoque n'est pas, dans mon esprit, une philosophie en soi, une approche du monde, mais une façon d'être qui s'applique à l'exercice des responsabilités. Pour moi, le pragmatisme, c'est la transcription dans les actes d'une pensée ou de projets qui s'inspirent d'idées générales et parfois même d'utopies. C'est le passage au réel. C'est gouverner.
J'ai été frappé, au cours de mes deux expériences de gouvernement - comme ministre puis comme premier ministre - par le fait que les difficultés surviennent d'une façon qui est rarement conforme à ce qui avait pu être anticipé. Lorsqu'on exerce le pouvoir, on est donc conduit à s'adapter et parfois à changer d'approche pour atteindre son but.
Avec des références à des idées, qui restent des fondements ?
Il faut reconnaître que le paysage politique et idéologique français a évolué extraordinairement en vingt ans. D'abord, le marxisme a cessé d'être une référence centrale dans la vie intellectuelle. D'autre part, la réalité historique majeure qu'étaient la création de l'URSS et la césure du monde qui en est résultée se sont littéralement dissoutes. On a vu, pendant des années, le régime soviétique se nécroser, et nous étions nombreux à penser qu'il ne durerait pas. Mais je n'imaginais pas que ce serait aussi rapide, et, surtout, je pensais que quelque chose en subsisterait et que se produirait une forme de compromis économique, social et politique. Or, de cela, il ne reste rien. Comment s'étonner, dès lors, des modifications profondes de la façon dont nous formons notre pensée, ici et aujourd'hui, d'autant plus que, pour sa part, la gauche française a gouverné au total pendant quinze ans et a été façonnée par son expérience du pouvoir ? Ce qui n'a pas changé, ce qui nous inspire toujours, c'est le désir du progrès, la volonté de transformation sociale, la réduction des inégalités, l'épanouissement culturel, la formation pour tous. Notre vision de la société continue d'être guidée par de grands idéaux, mais les instruments pour agir et les références idéologiques ont beaucoup changé.
Outre ces références passées, y en a-t-il de nouvelles qui se soient imposées ? Des nouveaux modèles économiques, politiques ?
L'école de la régulation, bien sûr, nous aide à penser les problèmes économiques d'aujourd'hui. Quant aux "modèles", je suis frappé par leur diversité - et leur relativité. C'est pourquoi j'ai du mal à entrer dans les logiques comparatives avec Tony Blair ou Gerhard Schröder. Tony Blair est plus typique, en ce qu'il est marqué par la très ancienne tradition libérale britannique. Gerhard Schröder éprouve moins le besoin de théoriser ou d'incarner un modèle. Avoir travaillé, en France, à une approche équilibrée mais nettement orientée à gauche des questions économiques et sociales est pour moi un sujet de fierté. Ce qui m'importe, c'est qu'une large partie de la gauche européenne et internationale s'intéresse à ce que fait la gauche plurielle en France et estime qu'il s'agit d'une expérience originale et féconde.
Dans votre livre, vous n'abordez que brièvement votre passé de militant trotskiste ? Est-ce parce que vous avez encore du mal à aborder publiquement cette période ou parce qu'au fond vous n'y accordez qu'une place mineure dans votre parcours politique ?
Je crois que cet engagement a été, comme c'est souvent le cas dans la vie, l'effet de rencontres personnelles marquées par une réelle séduction intellectuelle. La gauche souffrait alors d'une vraie crise. Les conditions de l'indépendance algérienne avaient douché mes rêves. Mais si j'en parle peu à présent, c'est parce que, quelle que soit l'importance que cela a pu avoir dans ma vie, cela n'en a plus maintenant. Je suis entré au Parti socialiste en 1971, j'y ai pris des responsabilités dès 1973. Nous sommes en 2002. Depuis trente ans, je suis un responsable socialiste. Chacun choisit son rapport au passé ; pour ma part, j'ai donné à cette période dans mon livre la place qu'elle devait avoir.
Mais pourquoi ne pas l'avoir dit d'emblée ?
J'ai pensé que cela viendrait perturber ce que j'étais en train de faire. En 1995, lorsque Le Monde m'a posé la question, j'ai hésité. Plus tard, quand j'ai vu la part que cela a prise, j'ai pensé que j'avais eu raison d'estimer que cela aurait rendu plus difficile la construction politique que je m'attachais à élaborer.
Avez-vous été simultanément un militant de l'OCI et un membre, puis un dirigeant, du PS ?
Quand j'ai pris des responsabilités au PS, je n'ai eu qu'un militantisme : socialiste.
Une campagne présidentielle est un moment de vérité. Que répondrez-vous à ceux qui vous accuseront - certains ont commencé - d'avoir menti ?
J'ai tenu à exposer en toute clarté, dans ce livre, mes idées, mes convictions, mes projets, en m'adressant aux Français. Dans cette campagne, je pense me tenir plus près de la vérité que d'autres.
Vous avez dit à la télévision : "Le projet que je propose au pays n'est pas un projet socialiste. " Un sondage récent témoigne de la difficulté des Français à distinguer les deux principaux candidats à la présidentielle. Comment définissez-vous une candidature de gauche, sinon socialiste ?
Je suis un candidat socialiste. C'est Le Monde qui a tiré cette phrase vers le centrisme, mais cela n'en était pas le sens. Je n'ai pas évoqué le centrisme et je ne crois pas avoir la réputation d'être, parmi les hommes de gauche, de ceux qui se sont interrogés sur une alliance politique avec les centristes. Pour ma part, si je me suis situé au centre, c'est au centre de la majorité plurielle et c'est dans ce sens que vous auriez dû chercher à interpréter ma phrase. Pour illustrer mon propos : je ne pense pas que Robert Hue soumette aux Français un projet communiste, au sens où il leur proposerait le communisme ; eh bien moi, je ne leur propose pas le socialisme, mais un projet inspiré par la volonté d'une plus grande justice sociale, d'une Europe renforcée et d'une meilleure organisation du monde, d'un exercice rénové des responsabilités publiques et de la fonction présidentielle.
Le message s'adresse-t-il aussi à Jean-Pierre Chevènement ?
Je ne désespère pas de Jean-Pierre Chevènement. Je n'oublie pas qu'il a fait partie de la majorité plurielle et que nous avons très souvent cheminé côte à côte.
Mais il en est sorti.
Ce qui importe, c'est la majorité que permettra de construire l'élection présidentielle.
Comment ?
Gagner la présidentielle, c'est constituer une majorité. En s'appuyant sur le peuple.
L'expérience de la dissolution manquée de Jacques Chirac montre cependant que, deux ans après l'élection, le président peut perdre sa majorité.
Bien sûr ! Mais, normalement, vous avez plus de chances de constituer une majorité dans le mois qui suit la présidentielle que de la perdre deux ans après. Sauf, bien sûr, si pendant ces deux ans, vous avez fait le contraire de ce que vous aviez promis aux Français. A partir de 1997, c'est paradoxalement la réussite du gouvernement qui a aidé Jacques Chirac à redresser son image. Dans notre action, nous avons redonné de la stabilité à la vie politique française, par le respect des engagements pris et la mise en uvre de projets positifs. Nous avons pris en charge les problèmes du pays, et le climat de confiance restauré a profité à tous.
N'est-ce pas le propre de la cohabitation ?
D'une certaine manière ; mais, normalement, les cohabitations ne sont pas faites pour durer cinq ans. Nous n'avons en réalité qu'un seul véritable exemple de cohabitation : 1986-1988. Une tension entre deux hommes, deux politiques, deux façons d'exercer le pouvoir qui s'affrontent. La cohabitation de 1993-1995 n'en était pas vraiment une ; c'était la fin d'un second septennat. François Mitterrand ne se représentait pas et la gauche ne pouvait éviter la défaite. En 1988, on sait comment l'opposition s'est dénouée : au profit de François Mitterrand, qui a recréé immédiatement une majorité parlementaire. Mais après 1997 il s'est produit autre chose. Un président gaulliste n'aurait jamais accepté de présider cinq ans, placé dans une telle situation.
Si vous étiez élu président et que vous n'obteniez pas de majorité au Parlement, resteriez-vous en fonction ?
Je n'ai pas à me projeter dans ce cas de figure. Les Français décideront. Ce que je dois faire, c'est créer, par ma conviction, par mes propositions, par l'action de ceux qui m'entourent et de tous ceux qui me soutiendront dans cette campagne, une situation différente.
Mais la cohabitation est-elle compatible avec la vision que vous avez des institutions ?
Le principe est que le vote des Français doit être respecté.
Mais lorsque les votes successifs sont contradictoires ?
Un nouveau recours aux Français est toujours possible, selon nos institutions...
Plaçons-nous dans l'éventualité contraire, celle d'une défaite à l'élection présidentielle ; vous avez souvent dit : "Il y a une vie en dehors de la politique"...
Je le confirme...
Pourriez-vous envisager de continuer en politique ? De redevenir député ?
Un article de Paris-Match de cette semaine est intitulé : "L'Elysée ou l'île de Ré." C'est une jolie formule. Mais je n'ai pas à occuper les Français de mon sort personnel. Je mène une campagne pour la gagner. Je pense profondément qu'il n'est pas souhaitable pour notre pays que le mandat de Jacques Chirac soit prolongé pour cinq années. Je veux gagner pour des idées, pour un projet, pour mon pays.
Après cinq ans d'expérience à la tête du gouvernement, avez-vous encore l'envie de mener des réformes et, dans ce cas, sur quelles forces sociales pensez-vous vous appuyer pour les engager ?
Il n'est pas aisé de faire des réformes en France. Il y a un esprit égalitaire - qui est une vertu, à mon sens -, un goût affirmé de la revendication et, dans la société d'aujourd'hui, des penchants à l'individualisme et à un certain corporatisme. Malgré cela, je pense qu'on peut réussir des réformes et, d'ailleurs, nous l'avons fait. A condition de prendre le temps du dialogue.
Je suis de tradition républicaine : je crois à la supériorité de la Constitution sur la loi, et de la loi sur le contrat. Mais, contrairement à ce que certains pensent, je n'ai pas la religion de la loi contre le contrat.
Vous avez néanmoins donné ce sentiment à propos des 35 heures...
Deux données de contexte ont joué. Pour rompre avec les pratiques de nos prédécesseurs et montrer que ce gouvernement tenait ses engagements, nous avions besoin de les inscrire rapidement dans des textes qui leur donnaient force de loi. L'autre raison, c'est que nous n'avons pas eu en face de nous un patronat disposé à négocier, notamment pour les 35 heures. Si nous n'avions pas fait preuve d'un volontarisme législatif, cette réforme se serait enlisée. Or elle a été, à mon sens, extrêmement utile, non seulement pour l'emploi mais pour la vie quotidienne de nos concitoyens. J'espère bien que nous aurons, dans la campagne, un débat sur ce sujet ; ce sera un bon point de clivage. Si nous étaient confiées à nouveau les responsabilités, nous devrions disposer plus largement du temps nécessaire à la conviction. Alors, puisque plusieurs acteurs sociaux se disent désireux d'être plus étroitement associés aux décisions, nous leur en donnerons l'occasion.
De ce point de vue, les retraites constitueront un dossier-clé. Les diagnostics sont faits, l'heure est venue de la prise de responsabilité. Je suis prêt à examiner ce que les partenaires sociaux sont disposés à proposer, ensemble et avec l'Etat. Ce sera l'une de nos priorités.
Redoutez-vous néanmoins une campagne de la droite contre votre méthode sur les 35 heures ?
Je mènerai ce débat. La droite a combattu les 35 heures. Aujourd'hui, elle n'ose pas dire qu'elle les remettrait en cause. Mais je ne crois pas un mot de la thèse de l'"assouplissement " des 35 heures qu'évoque Jacques Chirac. Parce qu'il n'y aura pas d'interlocuteurs syndicaux pour revenir sur les repos compensateurs, les plafonds d'heures supplémentaires... Donc, la seule voie qui subsiste pour l'opposition - et c'est à mon sens son projet -, c'est la remise en cause des 35 heures.
En 1997, vous étiez présenté comme le tenant d'une certaine orthodoxie socialiste en matière économique. Vous étiez notamment hostile à l'ouverture du capital des entreprises publiques. Dans votre livre, vous adoptez une position inverse à propos d'EDF. Est-ce là encore la marque d'un "pragmatisme" ?
C'est certainement, en effet, l'un des points sur lesquels j'ai le plus évolué. Je me suis rendu compte que les nécessités de la compétition industrielle, l'intérêt des salariés et de l'économie française impliquaient des stratégies d'alliance pouvant justifier, dans certains cas, des ouvertures du capital. D'ailleurs, ce que nous avons fait dans le secteur industriel n'a pas soulevé de contestation à l'intérieur des entreprises concernées, ni à France Télécom, ni à l'Aerospatiale, ni à Air France.
Quelle est aujourd'hui votre position sur la taxe Tobin ?
Je continue d'être favorable à une régulation des flux financiers internationaux, lorsqu'ils sont spéculatifs. Encore faut-il trouver les instruments adéquats. Mais nous devons faire partager cette conviction, d'abord par les Européens, puis dans les enceintes du FMI.
Vous évoquez plusieurs fois la nécessité de préparer l'opinion aux réformes. N'y a-t-il pas de moments où les politiques doivent aller de l'avant, quitte à imposer des réformes contre ce qui paraît être un sentiment dominant ? François Mitterrand, en 1981, n'a-t-il pas imposé l'abrogation de la peine de mort, à un moment où les Français n'y étaient pas majoritairement favorables ?
Rares sont dans une démocratie les sujets qui appellent une telle contradiction. J'en vois un peut-être : le vote des étrangers aux élections locales. Je le préconise. Je souhaite que les étrangers vivant en France depuis dix ans dans des conditions régulières puissent être des "citoyens de la cité", des acteurs de la vie municipale.
Certaines réformes institutionnelles pourraient-elles aussi s'y prêter, comme la réforme du Sénat ?
Si j'ai parlé d'"anomalie" en évoquant le Sénat, ce n'était pas à propos de son existence, qui fait partie de notre histoire, mais de son mode d'élection et de son fonctionnement, qui en font une assemblée d'élus totalement exemptée d'alternance. Or l'alternance est une loi essentielle de la démocratie. Je ne souhaite pas la suppression du Sénat. Mais je pense que sa place, son mode d'élection et, peut-être, son rôle pourraient être modifiés. Puisqu'il revendique d'être l'assemblée des collectivités locales, peut-être faut-il aller dans le sens de cette logique et lui donner des pouvoirs différents de ceux de l'Assemblée nationale.
Plusieurs personnalités du PS - son porte-parole, Vincent Peillon, votre ancien ministre Dominique Strauss-Kahn, le député Arnaud Montebourg - se prononcent ouvertement en faveur d'une "VIe République" dont ils ont chacun une idée différente. Peut-on "présider autrement", comme vous le voulez, dans le même cadre constitutionnel ?
Les changements de République, en France, ont toujours été liés à des bouleversements. Aujourd'hui, les Français sont attachés aux institutions, même s'il peuvent souhaiter les voir évoluer, comme ils l'ont fait pour l'adoption du quinquennat. Je n'imagine pas, en particulier, que l'on puisse priver nos concitoyens, comme certains le suggèrent, du droit d'élire directement leur président. Elire un homme ou une femme en votant dans une seule circonscription qui s'appelle la France, c'est un choix très fort et c'est donc un pouvoir. L'idée qu'on pourrait en priver les Français susciterait leur hostilité. Je n'y suis, pour ma part, pas favorable. Cela ne veut pas dire que l'institution présidentielle est au-delà de toute réforme. J'entends en particulier modifier le statut juridictionnel du président de la République. L'idée que le chef de l'Etat doive rendre compte de ses actes antérieurs ou extérieurs à sa fonction me paraît profondément juste. L'"impunité zéro" , c'est cela aussi ! Mais cette proposition ne concerne pas Jacques Chirac, puisque, assurément, s'il était réélu, il ne la mettrait pas en uvre. C'est donc à moi, si je suis élu, et à ceux qui me succéderont, que s'appliquerait ce principe.
Vous écrivez dans votre livre que vous n'aimez pas parler des "affaires" et que pour vous, "la vie politique se joue ailleurs". La question de l'intégrité des responsables publics n'a-t-elle pas sa place dans le débat politique ?
Si bien sûr. Ce que je tiens à dire, c'est que je ne suis jamais intervenu, ni personne de mon gouvernement, dans le travail de la justice. Ce travail, les juges le font - et j'observe à ce propos que le RPR est redevenu hostile à l'indépendance du parquet. Dès lors que la justice, et la presse par ailleurs, remplissent leur rôle, les Français sont en mesure de se faire leur opinion, sans que les politiques s'en mêlent.
Dans "L'invention du possible", vous prôniez la suppression du premier ministre. Vous n'y êtes plus favorable aujourd'hui. "Présider autrement ", est-ce définir une autre relation entre le président et le premier ministre ?
Vous reconnaîtrez avec moi, en souriant, qu'il ne serait pas élégant de proposer la suppression de la fonction de premier ministre, au moment où je vais la quitter et après l'avoir exercée cinq ans... Plus sérieusement, l'introduction d'un régime présidentiel romprait avec une tradition de parlementarisme à laquelle les Français sont, je crois, attachés. A ce stade, ce que je me propose de faire, c'est de donner sa pleine portée au quinquennat : le président, qui a défini dans la campagne de grandes orientations, doit en garantir la mise en uvre et aider, appuyer le gouvernement dans sa tâche. Pendant les cinq ans qui viennent de s'écouler, nous avons vécu une situation inverse. Soyons juste : le président n'a pas toujours fait obstacle à notre action, mais jamais il n'a été en appui du gouvernement. Ce n'est pas comme cela que nos institutions doivent fonctionner. Il faut un premier ministre responsable, mais qui soit épaulé par le président de la République.
Nous avons évoqué tout à l'heure vos relations avec Jean-Pierre Chevènement. Alors que cette campagne semble vous éloigner, un rapprochement entre vous est-il encore possible entre les deux tours de l'élection ?
Jean-Pierre Chevènement a appartenu à mon gouvernement pendant trois ans et demi. Nous avons été ensemble au Parti socialiste pendant près de 25 ans. J'ai pour lui de l'amitié, même si je suis un peu surpris de la façon dont il s'exprime dans cette campagne. Mais je fais la part des choses et celle des mots ; je sais qu'il y a chez lui autant d'humour que d'emphase. Pour le moment, nous faisons campagne pour le premier tour. Nous verrons bien quand viendra le temps du second tour qui est celui du rassemblement...
Cela peut-il inclure un candidat se réclamant du souverainisme ?
Je ne suis comptable que de mes propres engagements et vous savez que je ne suis pas souverainiste.
A-t-il été un bon ministre de l'intérieur ?
La droite a dit que non, jusqu'à la fin. Moi, je trouve que oui. Son successeur, Daniel Vaillant, est lui aussi un excellent ministre de l'intérieur.
Mais les résultats dans la lutte contre la délinquance sont médiocres.
Nous sommes face à des problèmes de grande ampleur et qui viennent de loin. Pour faire reculer la délinquance - c'est possible et indispensable - il faut certes de bons ministres, mais évidemment, cela ne suffit pas. Il faut une mobilisation d'ensemble de la société. Pour combattre la délinquance, il y a une action claire et nette à mener contre la violence, qui est l'affaire de l'Etat. Et puis il y a un engagement nécessaire de la part de tous. Ne pas imposer des règles et des sanctions, notamment à l'égard des jeunes qui peuvent se laisser entraîner à la violence, c'est, d'une certaine façon, les condamner à la fatalité de la violence et au fond faire preuve à leur égard d'indifférence. Nous devrons encore intensifier notre action, car la lutte contre l'insécurité est un objectif primordial. Il y a des actes indispensables de sanction. Il y a la nécessité de politiques de prévention. Je l'ai dit souvent : l'insécurité est la première des injustices. Et nous devons tous uvrer pour une France plus juste, plus harmonieuse, où la jeunesse puisse prendre toute sa place.
Propos recueillis par Ariane Chemin, Hervé Gattegno et Anne-Line Roccati
(source http://www.lioneljospin.net, le 4 mars 2002)