Texte intégral
R. Sicard - Je voudrais revenir sur la tuerie de Nanterre qui s'est déroulée hier. Beaucoup d'hommes politiques ont réagi à cet événement. Pensez-vous que c'est un événement dont on peut tirer des conclusions ? B. Mégret, par exemple, disait hier que cela montrait bien qu'on était en train de basculer dans le chaos. Peut-on tirer des conclusions, selon vous ?
- "La première conclusion qu'il faut tirer, c'est d'abord la retenue dans un moment de deuil, de recueillement, d'émotion, après un acte de cette nature, une folie meurtrière. La deuxième conclusion, c'est que ce n'est pas parce que nous sommes en campagne électorale, avec la nécessité de dire sa vérité, qu'il faudrait exploiter un phénomène, un drame, une tragédie de cette importance. Je crois qu'il faut aussi tirer une troisième conclusion : c'est que les élus locaux - je suis maire moi-même - dans ce pays sont pleins de dévouement, pleins de courage. On l'a vu aussi dans ce conseil municipal de Nanterre où des hommes, des femmes payaient de leur vie, d'abord leur participation à la vie civique, et ont essayé de maîtriser un forcené, avec beaucoup de courage et de conscience, et quelquefois ont payé de leur propre vie ou souffrent encore de blessures. En ces moments, il faut peut-être faire retour sur la démocratie elle-même. Et la démocratie suppose des hommes et des femmes qui se dévouent pour elle, elle suppose qu'il y ait un dévouement bien sûr, mais aussi qu'il y ait une retenue de la part de celles et de ceux qui s'expriment en son nom. Et enfin, la démocratie, elle suppose qu'il y ait une prise de conscience pour que chaque citoyen soit un acteur de la vie publique, et donc participe peut-être de façon différente qu'il l'imaginait, à l'avenir de notre pays y compris en période électorale. Finalement, nous sommes tous dépositaires de la démocratie."
Venons-en maintenant à la campagne électorale. L. Jospin avait commencé très fort après son entrée en campagne. Depuis, on a l'impression que ça stagne un petit peu : les sondages sont moins bons. Est-ce qu'il continue à payer sa bourde sur l'âge de J. Chirac ou est-ce qu'il y a d'autres raisons, selon vous ?
- "C'est d'abord des sondages qui le placent, au pire à égalité avec le candidat sortant, au mieux victorieux - on pourrait les prendre dès à présent, mais je crois que là on n'est pas là aux sondages. L. Jospin, chacun l'a admis, a parfaitement réussi le passage - ce qui n'était pas facile - de Premier ministre à candidat. Il fallait démontrer, à partir de son bilan, pourquoi il voulait être candidat à la présidence de la République. Là, je pense que chacun a regardé comme un succès ce passage et d'ailleurs, les sondages l'ont parfaitement enregistré. Ensuite, il y a eu le temps de la confrontation et maintenant, vient le temps du projet. Et nous devons, et L. Jospin en premier lieu, marquer pourquoi il faut une nouvelle étape de droits sociaux, d'avancées, de progrès, de modernité. Il a avancé des propositions tout à fait significatives : le droit à la formation sur toute la vie, le contrat de retour à l'emploi pour les plus de 50 ans, le contrat autonomie-jeune pour justement donner à cette jeunesse des moyens d'être autonome. Il s'agit de démontrer que ce que nous avons fait depuis cinq ans - ce qu'il a fait depuis cinq ans à la tête du Gouvernement - avec des réformes importantes, il peut le faire à un autre niveau comme président de la République. La question de la crédibilité et du contenu du projet, c'est la question essentielle."
Justement, est-ce qu'il n'y a pas un problème de crédibilité sur ce point dans la mesure où les Français peuvent se dire : "Il promet beaucoup de choses, il dit qu'il va faire beaucoup de choses, pourquoi il ne les a pas faites pendant cinq ans" ?
- "Parce qu'il en a fait déjà beaucoup, on peut être d'accord ou pas d'accord. Mais avoir fait en cinq ans diminuer d'abord le chômage de près d'un million, la couverture maladie universelle, les 35 heures, les emplois-jeunes, l'allocation personnalisée à l'autonomie, des progrès dans la démocratie avec la parité, ou dans les moeurs avec le Pacs, c'est déjà beaucoup."
Et sur l'insécurité ?
- "L'insécurité : les contrats locaux de sécurité, la police de proximité, et puis là, il y a beaucoup à faire. Si tout avait été réglé en cinq ans, il n'y aurait plus besoin d'organiser d'élections. Chacun comprend la limite de ce raisonnement. Donc, maintenant, il y a des nouveaux défis. Le défi, c'est le plein emploi. Il y a encore plus de 2 millions de chômeurs et combien de précaires. Le défi, c'est la sécurité pour tous, parce qu'on voit bien qu'il y a maintenant des phénomènes de violence qu'on ne connaissait pas, ou qu'on connaissait ailleurs, aux Etats-Unis notamment. Il faut qu'on se prenne maintenant pendant cinq ans la responsabilité qui doit être la nôtre, collectivement et celle du chef de l'Etat. On ne peut avoir été chef de l'Etat et considérer qu'il y a une diminution de l'autorité de l'Etat. Chacun doit prendre sa responsabilité. Et L. Jospin ne fuira pas sa responsabilité, s'il est président de la République."
Autre problème de crédibilité, c'est la majorité plurielle. La campagne est quand même assez dure. On entend N. Mamère virulent, un R. Hue virulent aussi. Comment allez-vous réussir à mettre tout le monde d'accord pour le second tour ? La Français peuvent s'inquiéter là-dessus.
- "Les Français savent bien ce qu'est une campagne de premier tour. Ils se doutent que si R. Hue, N. Mamère sont candidats, c'est pour exprimer leurs propres convictions, leur identité, leur façon de faire de la politique."
Et vous pourrez les remettre d'accord après ?
- "Nous avons l'idée commune - N. Mamère, R. Hue, le PS, Taubira-Delanon pour les Radicaux de gauche, et sans doute J.-P. Chevènement - l'idée simple qui est - mais on peut ne pas être d'accord sur tout, et heureusement, sinon où serait la démocratie et où serait la "majorité dite plurielle"... Mais on se mettra d'accord sur l'essentiel, c'est-à-dire des réformes sociales, la modernisation économique, des progrès dans la démocratie, et puis le refus de la droite qui reviendrait remettre en cause ce qui a été fait pour les Français, aussi bien pour les retraites que pour la santé, que pour l'éducation, que pour les droits fondamentaux."
Le ton de la gauche a beaucoup durci, notamment à l'égard de J. Chirac que vous attaquez souvent sur les affaires. Du coup, les chiraquiens disent : ils nous attaquent là-dessus parce que, finalement, ils n'ont pas de projet sur le fond ?
- "Ai-je parlé des affaires ce matin ? Je pense que c'est la justice qui doit en être le seul débouché. C'est elle qui a les dossiers depuis très longtemps, de la ville de Paris ou d'autres. Donc, c'est à elle de faire le clair, de faire la vérité et de prononcer les sanctions, le moment venu, si elle est en mesure de prononcer ces sanctions. Moi, je n'ai pas envie de mettre cette question-là dans le début public. Ce sont les Français et ils sont suffisamment éclairés sur les comportements des uns et des autres."
Mais sur le fond, quand la droite dit que vous n'avez pas véritablement de projet, qu'est-ce que vous répondez ?
- "Ce que je dis, c'est que la différence entre la droite et la gauche, ce n'est pas un problème d'honnêteté - on a connu cet argument en Italie, entre Berlusconi et la gauche, puis on voit le résultat, un an après. Le problème d'honnêteté n'a pas changé, mais il y a des mobilisations de 3 millions de personnes pour protéger leurs droits sociaux, notamment par rapport aux licenciements, par rapport aux retraites. Les projets sont très différents, et je crois que c'est l'honneur de la démocratie, quelles que soient nos sensibilités, de le reconnaître. Sur la fiscalité, N. Sarkozy et A. Juppé font encore des propositions de baisse d'impôts des plus favorisés, et d'augmentation sans doute des impôts de tous les Français. Sur la retraite, nous n'avons pas la même vision : retraite par répartition d'un côté, fonds de pension de l'autre. Nous n'avons pas non plus les mêmes conceptions en matière d'emploi. C'est toujours le Smic-jeunes ou des formules analogues pour la droite. Nous, nous essayons de proposer des parcours d'insertion [un] contrat l'autonomie pour les jeunes. Même chose sur la formation professionnelle qui est l'élément essentiel d'une lutte contre le chômage."
Donc, il n'y a rien de bon dans le projet de J. Chirac ?
- "C'est aux Français de le dire ce qui est bon et ce qui n'est pas bon. Mais je veux marquer ici les différences. Et puis, à chacun, après, selon ses convictions, selon ses sensibilités, de dire ce qu'il préfère. Moi, ce que je veux, c'est que l'élection présidentielle ne soit pas un choix de personnes, j'allais dire un choix de costume ou un choix de style. C'est un choix d'avenir pour les Français et même plus que pour les Français, pour les Européens parce qu'il faut construire l'Europe pour les cinq ans qui viennent. Cela mérite gravité et sérieux."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 mars 2002)
- "La première conclusion qu'il faut tirer, c'est d'abord la retenue dans un moment de deuil, de recueillement, d'émotion, après un acte de cette nature, une folie meurtrière. La deuxième conclusion, c'est que ce n'est pas parce que nous sommes en campagne électorale, avec la nécessité de dire sa vérité, qu'il faudrait exploiter un phénomène, un drame, une tragédie de cette importance. Je crois qu'il faut aussi tirer une troisième conclusion : c'est que les élus locaux - je suis maire moi-même - dans ce pays sont pleins de dévouement, pleins de courage. On l'a vu aussi dans ce conseil municipal de Nanterre où des hommes, des femmes payaient de leur vie, d'abord leur participation à la vie civique, et ont essayé de maîtriser un forcené, avec beaucoup de courage et de conscience, et quelquefois ont payé de leur propre vie ou souffrent encore de blessures. En ces moments, il faut peut-être faire retour sur la démocratie elle-même. Et la démocratie suppose des hommes et des femmes qui se dévouent pour elle, elle suppose qu'il y ait un dévouement bien sûr, mais aussi qu'il y ait une retenue de la part de celles et de ceux qui s'expriment en son nom. Et enfin, la démocratie, elle suppose qu'il y ait une prise de conscience pour que chaque citoyen soit un acteur de la vie publique, et donc participe peut-être de façon différente qu'il l'imaginait, à l'avenir de notre pays y compris en période électorale. Finalement, nous sommes tous dépositaires de la démocratie."
Venons-en maintenant à la campagne électorale. L. Jospin avait commencé très fort après son entrée en campagne. Depuis, on a l'impression que ça stagne un petit peu : les sondages sont moins bons. Est-ce qu'il continue à payer sa bourde sur l'âge de J. Chirac ou est-ce qu'il y a d'autres raisons, selon vous ?
- "C'est d'abord des sondages qui le placent, au pire à égalité avec le candidat sortant, au mieux victorieux - on pourrait les prendre dès à présent, mais je crois que là on n'est pas là aux sondages. L. Jospin, chacun l'a admis, a parfaitement réussi le passage - ce qui n'était pas facile - de Premier ministre à candidat. Il fallait démontrer, à partir de son bilan, pourquoi il voulait être candidat à la présidence de la République. Là, je pense que chacun a regardé comme un succès ce passage et d'ailleurs, les sondages l'ont parfaitement enregistré. Ensuite, il y a eu le temps de la confrontation et maintenant, vient le temps du projet. Et nous devons, et L. Jospin en premier lieu, marquer pourquoi il faut une nouvelle étape de droits sociaux, d'avancées, de progrès, de modernité. Il a avancé des propositions tout à fait significatives : le droit à la formation sur toute la vie, le contrat de retour à l'emploi pour les plus de 50 ans, le contrat autonomie-jeune pour justement donner à cette jeunesse des moyens d'être autonome. Il s'agit de démontrer que ce que nous avons fait depuis cinq ans - ce qu'il a fait depuis cinq ans à la tête du Gouvernement - avec des réformes importantes, il peut le faire à un autre niveau comme président de la République. La question de la crédibilité et du contenu du projet, c'est la question essentielle."
Justement, est-ce qu'il n'y a pas un problème de crédibilité sur ce point dans la mesure où les Français peuvent se dire : "Il promet beaucoup de choses, il dit qu'il va faire beaucoup de choses, pourquoi il ne les a pas faites pendant cinq ans" ?
- "Parce qu'il en a fait déjà beaucoup, on peut être d'accord ou pas d'accord. Mais avoir fait en cinq ans diminuer d'abord le chômage de près d'un million, la couverture maladie universelle, les 35 heures, les emplois-jeunes, l'allocation personnalisée à l'autonomie, des progrès dans la démocratie avec la parité, ou dans les moeurs avec le Pacs, c'est déjà beaucoup."
Et sur l'insécurité ?
- "L'insécurité : les contrats locaux de sécurité, la police de proximité, et puis là, il y a beaucoup à faire. Si tout avait été réglé en cinq ans, il n'y aurait plus besoin d'organiser d'élections. Chacun comprend la limite de ce raisonnement. Donc, maintenant, il y a des nouveaux défis. Le défi, c'est le plein emploi. Il y a encore plus de 2 millions de chômeurs et combien de précaires. Le défi, c'est la sécurité pour tous, parce qu'on voit bien qu'il y a maintenant des phénomènes de violence qu'on ne connaissait pas, ou qu'on connaissait ailleurs, aux Etats-Unis notamment. Il faut qu'on se prenne maintenant pendant cinq ans la responsabilité qui doit être la nôtre, collectivement et celle du chef de l'Etat. On ne peut avoir été chef de l'Etat et considérer qu'il y a une diminution de l'autorité de l'Etat. Chacun doit prendre sa responsabilité. Et L. Jospin ne fuira pas sa responsabilité, s'il est président de la République."
Autre problème de crédibilité, c'est la majorité plurielle. La campagne est quand même assez dure. On entend N. Mamère virulent, un R. Hue virulent aussi. Comment allez-vous réussir à mettre tout le monde d'accord pour le second tour ? La Français peuvent s'inquiéter là-dessus.
- "Les Français savent bien ce qu'est une campagne de premier tour. Ils se doutent que si R. Hue, N. Mamère sont candidats, c'est pour exprimer leurs propres convictions, leur identité, leur façon de faire de la politique."
Et vous pourrez les remettre d'accord après ?
- "Nous avons l'idée commune - N. Mamère, R. Hue, le PS, Taubira-Delanon pour les Radicaux de gauche, et sans doute J.-P. Chevènement - l'idée simple qui est - mais on peut ne pas être d'accord sur tout, et heureusement, sinon où serait la démocratie et où serait la "majorité dite plurielle"... Mais on se mettra d'accord sur l'essentiel, c'est-à-dire des réformes sociales, la modernisation économique, des progrès dans la démocratie, et puis le refus de la droite qui reviendrait remettre en cause ce qui a été fait pour les Français, aussi bien pour les retraites que pour la santé, que pour l'éducation, que pour les droits fondamentaux."
Le ton de la gauche a beaucoup durci, notamment à l'égard de J. Chirac que vous attaquez souvent sur les affaires. Du coup, les chiraquiens disent : ils nous attaquent là-dessus parce que, finalement, ils n'ont pas de projet sur le fond ?
- "Ai-je parlé des affaires ce matin ? Je pense que c'est la justice qui doit en être le seul débouché. C'est elle qui a les dossiers depuis très longtemps, de la ville de Paris ou d'autres. Donc, c'est à elle de faire le clair, de faire la vérité et de prononcer les sanctions, le moment venu, si elle est en mesure de prononcer ces sanctions. Moi, je n'ai pas envie de mettre cette question-là dans le début public. Ce sont les Français et ils sont suffisamment éclairés sur les comportements des uns et des autres."
Mais sur le fond, quand la droite dit que vous n'avez pas véritablement de projet, qu'est-ce que vous répondez ?
- "Ce que je dis, c'est que la différence entre la droite et la gauche, ce n'est pas un problème d'honnêteté - on a connu cet argument en Italie, entre Berlusconi et la gauche, puis on voit le résultat, un an après. Le problème d'honnêteté n'a pas changé, mais il y a des mobilisations de 3 millions de personnes pour protéger leurs droits sociaux, notamment par rapport aux licenciements, par rapport aux retraites. Les projets sont très différents, et je crois que c'est l'honneur de la démocratie, quelles que soient nos sensibilités, de le reconnaître. Sur la fiscalité, N. Sarkozy et A. Juppé font encore des propositions de baisse d'impôts des plus favorisés, et d'augmentation sans doute des impôts de tous les Français. Sur la retraite, nous n'avons pas la même vision : retraite par répartition d'un côté, fonds de pension de l'autre. Nous n'avons pas non plus les mêmes conceptions en matière d'emploi. C'est toujours le Smic-jeunes ou des formules analogues pour la droite. Nous, nous essayons de proposer des parcours d'insertion [un] contrat l'autonomie pour les jeunes. Même chose sur la formation professionnelle qui est l'élément essentiel d'une lutte contre le chômage."
Donc, il n'y a rien de bon dans le projet de J. Chirac ?
- "C'est aux Français de le dire ce qui est bon et ce qui n'est pas bon. Mais je veux marquer ici les différences. Et puis, à chacun, après, selon ses convictions, selon ses sensibilités, de dire ce qu'il préfère. Moi, ce que je veux, c'est que l'élection présidentielle ne soit pas un choix de personnes, j'allais dire un choix de costume ou un choix de style. C'est un choix d'avenir pour les Français et même plus que pour les Français, pour les Européens parce qu'il faut construire l'Europe pour les cinq ans qui viennent. Cela mérite gravité et sérieux."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 mars 2002)