Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les relations entre la Russie d'une part, l'Union européenne et le Conseil de l'Europe d'autre part, dans le contexte du conflit tchétchéne, Luxembourg le 10 avril 2000.

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Circonstance : Conseil affaires générales à Luxembourg le 10 avril 2000

Texte intégral

La Russie était le sujet essentiel de ce Conseil. Il y a également eu un échange entre la Grèce et la Turquie, un double point sur les Balkans occidentaux qui est assez important, une intervention de Joschka Fischer sur la dette, une discussion sur la Birmanie et un petit commentaire sur l'état des choses en ce qui concerne la Chine à Genève. Les points les plus longs, les plus importants, étaient les Balkans et la Russie, y compris la Tchétchénie.
Sur la Birmanie, on s'est mis d'accord sur un renforcement du régime de sanctions, qui existe déjà et que vous connaissez, mais j'y ai fait introduire le fait que nous devions être capables de relancer le dialogue avec 1'ASEAN qui était bloqué jusqu'ici par notre position sur la Birmanie. Il a semblé à tout le monde que c'était devenu contre-productif. Nous confirmons donc ce que nous avons dit mais nous acceptons le principe d'exceptions, notamment pour le ministre birman pour que le fil du dialogue puisse être repris, puisque c'est cela que nous demande l'ASEAN. Si on refusait cela, on ne pourrait pas relancer le dialogue avec l'ASEAN et la Birmanie. Je vous le signale simplement car c'est un élément de sophistication, un petit peu d'intelligence politique dans la mécanique des sanctions, qui est souvent un peu lourde.
Q - Donc il n'y aurait plus d'interdiction de visa ?
R - Si, le principe reste le même. Nous avons introduit la possibilité de faire des dérogations à l'interdiction de visa si c'est dans l'intérêt du dialogue entre l'Union européenne et l'ASEAN. C'est ce que j'appelle l'élément de sophistication dans cette approche.
Q - Pouvez-vous nous indiquer ce qui a été décidé sur la Russie ?
R - Sur la Russie, le tour de table a fait apparaître un certain nombre de choses que vous connaissez mais qu'il est utile de confirmer. Il y a un accord général sur l'intérêt absolu de maintenir un dialogue avec la Russie sur le long terme, c'est le sens du rendez-vous, de la venue de M. Ivanov ici. Nous avons une stratégie à long terme. Nous voulons continuer à la développer, à l'améliorer mais il y a la Tchétchénie et toutes les difficultés politiques, aujourd'hui, sont dans la façon dont on articule ces deux choses. Vous savez que depuis plusieurs mois la France est plus nette que les autres, plus ferme, mais qu'en même temps nous disons sans arrêt que la crise tchétchène ne doit pas être un prétexte pour ne plus entretenir de contact avec les politiques russes. Cela serait absurde et même contre-productif. Nous essayons de faire une synthèse dynamique et utile de ces différents éléments à cet égard, nous avons noté ce qui s'est passé au Conseil de l'Europe. Ce n'est pas tellement étonnant car le Conseil de l'Europe a exprimé une protestation que l'on sentait monter dans l'opinion française en premier lieu puis, petit à petit, dans les opinions des autres pays. Il y a, à travers la recommandation exprimée par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, une sorte de signal politique que nous constatons puisque c'est une enceinte parlementaire, mais qui a valeur de signal aussi pour les Russes, nous semble-t-il. D'un autre côté, on peut faire valoir que les Russes ont commencé à répondre sur certains points, c'est d'ailleurs ce qu'a dit le ministre irlandais, qui est président du Comité des ministres en Conseil de l'Europe. Ces réponses sont partielles, fragiles et insuffisantes. Nous sommes dans une phase d'attente malgré tout. Nos attentes sont toujours là. Nos critiques, notre réprobation, mais surtout nos attentes, car on espère bien que les Russes vont bouger. On annonce certaines choses de la part du président Poutine, certaines mesures politiques, certaines initiatives sont annoncées mais pas confirmées, parfois même démenties. On voit bien qu'ils vont faire quelque chose, mais le démenti porte sur la nature exacte de cette initiative. Il y a cette expression politique du Conseil de l'Europe, dont les Russes, et nous, devons tenir compte. Et puis, il y a ce dialogue, que nous voulons poursuivre, mais, encore une fois, on ne peut pas faire comme si l'affaire tchétchène n'existait pas. Toutefois, cela ne nous dispense pas d'avoir une stratégie à long terme. J'ai donc eu l'occasion de dire quelques mots sur la lettre, qu'avec Laurent Fabius, nous avons adressée à nos homologues, pour en redonner l'esprit. Ce n'est pas quelque chose qui est lié à la conjoncture. C'est quelque chose sur quoi j'ai commencé à travailler il y a plusieurs mois, avant même l'affaire tchétchène, qui est fondée sur l'idée qu'au moment du changement de dirigeants en Russie, c'est l'occasion, pour nous, de faire un bilan de ce qui a été fait ces dernières années. Il est clair que nous continuerons à coopérer avec la Russie mais comment et dans quel but ? C'est une réflexion sur ce point. Il ne faut pas la lire comme étant liée à l'actualité immédiate de ce qui se passe au Conseil de l'Europe, ou à l'OSCE, ou à Genève. Nous allons continuer à coopérer. Quel bilan tire-t-on de ce que nous avons fait ? Est-ce que nos positions étaient les bonnes ? Est-ce qu'il n'y a pas à corriger certaines de nos positions ? Certaines de nos conditions ? En même temps, il faudra être vigilant mais on aura d'autant plus de légitimité à être plus exigeants que nos propositions seront mieux adaptées. L'accueil a été très bon. Il y aura peut-être des réserves mais, aujourd'hui, il n'y en a pas eu. Il n'y a eu que des réactions disant que c'est tout à fait le genre de réflexions et de contributions dont on avait besoin pour avoir une vision à long terme. Mais la discussion ne fait que commencer.
Q - Vous attendez une réaction des Quinze ?
R - Bien sûr, mais il faut bien voir qu'on a posé la question globalement. Le suivi, ce n'est pas une simple déclaration du Conseil Affaires générales. Nous avons vocation à nous en occuper puisque l'Europe est centrale dans cette affaire parce que nous avons une vocation globale au Conseil Affaires générales, mais c'est une question qui est très économique et financière et c'est une question qui est aussi au centre du G8. Donc, il faut qu'on ait la bonne approche dans chacune des enceintes. Notre démarche consiste à dire : essayons d'unifier nos pensées et de clarifier, d'actualiser nos convictions et nos objectifs, donc c'est quelque chose qui se fait en quelques semaines, dans différentes réunions, à différentes occasions. Le moment a été choisi pour plusieurs raisons, dont l'arrivée du président Poutine, et un calendrier diplomatique qui fait que M. Poutine va rencontrer beaucoup de dirigeants occidentaux dans les semaines qui viennent jusqu'au G8 . Le Sommet du G8 sera dominé par cela ainsi que les réunions des ministres du G8, que ce soient les ministres des Finances ou des Affaires étrangères. Les questions russes vont former, à chaque fois, la moitié du sujet. Voilà le pourquoi de la date.
Q - Le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe n'a donc pas 1'intention de suivre la recommandation de l'Assemblée parlementaire ?
R - D'abord le Conseil des ministres, le Conseil de l'Europe c'est plus vaste que les Quinze, donc on va voir. Dans la recommandation de l'assemblée parlementaire, il y a des attentes et on est dans une phase où les Russes peuvent répondre à certaines choses. Ils disent qu'ils ont commencé à répondre sur certains points, le président irlandais du Conseil dit qu'ils ont répondu sur certains points, pas sur d'autres. On ne peut donc pas arrêter le raisonnement. On va en parler avec M. Ivanov tout à l'heure. Une discussion va se poursuivre au dîner. La tendance est de considérer que les parlementaires ont tout à fait le droit de prendre leur responsabilité sur ce point. Nous ne voulons ni les suivre, ni les empêcher, mais considérer qu'il y a une sorte de dynamique en soi. L'analyse ne peut pas s'arrêter maintenant. M. Ivanov est là et je pense que s'il est venu à Luxembourg, c'est qu'il a aussi des choses à nous dire. Il a accepté, tout en protestant à chaque fois sur la présentation occidentale et européenne dont il dit qu'elle est erronée et mal informée. A chaque fois, cependant, les Russes acceptent de maintenir le dialogue. La discussion à quinze c'est donc une chose par rapport au Conseil de l'Europe qui est une enceinte plus vaste. Et la discussion à quinze plus M Ivanov, c'est encore autre chose.
Q - Mais le Conseil des ministres de l'Europe se réunit seulement fin mai, donc cela veut-il dire que vous voudriez encore un Conseil Affaires étrangères à quinze ?
R - On ne se donne pas d'échéance particulière. Mais il se pourrait que le calendrier se présente en effet comme cela. C'est un processus. La recommandation de l'assemblée parlementaire est une " recommandation " et cela ne prend pas effet brusquement. Il y a un processus entre les deux. Elle a créé une conjoncture politique dans laquelle les Russes devraient être obligés de tenir compte de ces signaux. Ils ne peuvent pas dire simplement qu'ils discutent avec les gouvernements occidentaux comme si de rien n'était.
Q - Qu'allez-vous dire à M. Ivanov ?
R - Avec M. Ivanov il y a plusieurs choses. Il y a la discussion normale entre l'Union européenne et la Russie, dans le cadre de notre stratégie et puis un ensemble de questions techniques mais ils connaissent suffisamment les messages généraux. On va reposer les mêmes questions à M. Ivanov : qu'est ce que vous répondez à une série de points ? Cela fait plusieurs fois qu'on le dit. Je rappelais tout à l'heure que la France avait été la première à le dire avec fermeté, il me semble que les Européens sont un peu plus fermes dans leurs demandes, donc on lui redit, où en êtes-vous ? Qu'allez-vous faire ? Puis on va décliner toutes les demandes qui ont été exprimées. Toutes les exigences.
Q - Est-ce que vous avez le sentiment que la décision de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe complique d'une certaine façon le dialogue avec la Russie. Et qu'en quelque sorte elle serait presque contre-productive ?
R - C'est un fait, cela fait partie de la réalité européenne d'aujourd'hui. La réalité politique c'est que nous voulons à la fois, naturellement, poursuivre le dialogue avec la Russie, c'est essentiel dans notre intérêt même, y compris dans l'intérêt d'une bonne solution interne de l'affaire tchétchène, et en même temps il y a une émotion, une indignation, une interrogation. Les deux approches sont vraies, cela fait partie de la réalité politique. Les Russes veulent poursuivre et intensifier leur relation avec l'Occident, puis avec l'Europe. M. Poutine le redit quand il parle modernisation. Il faut qu'il analyse cette réalité européenne aujourd'hui. On ne peut pas opposer l'un à l'autre. C'est un fait.
Q - Sur votre lettre commune avec M Fabius, est-ce que M. Ivanov était au courant de votre démarche et comment a-t-il pris cela ?
R - C'était une approche d'ensemble qui récapitule tous les aspects. Cela se veut une stratégie à long terme. Ce n'est pas une initiative pour la semaine, pour modifier la façon dont on parle aux Russes pendant quelques jours. C'est une réflexion sur le long terme qui part du fait que nous avons intérêt à aider à l'émergence d'une Russie moderne, la plus démocratique possible, la plus pacifique possible. Cela part du changement de dirigeants, d'une nouvelle occasion, des rencontres au Sommet : comment allons-nous coopérer avec la Russie ? Au départ, ce n'est pas une pression et il n'y a aucune raison que cela soit reçu comme agressif puisque cela part de l'idée que nous allons continuer à coopérer. Mais je le disais : dans quel but et comment ?
D'un autre côté, il y a dans notre lettre, une réflexion, une remise en cause d'une approche passée de certaines conditions que nous avons posées ou que nous n'avons pas posées. Cela vaut pour tout le monde. C'est un chapitre qui vient après un autre. Il ne s'agit pas de critiquer pour le plaisir de critiquer mais c'est vrai que nous considérons dans cette lettre que peut-être nous avons sous-estimé la nécessité pour eux, comme pour nous, d'aide à l'émergence en Russie d'un Etat moderne. Cela ne peut pas être perçu comme une critique par le président Poutine ou par M. Ivanov. Ils ne sont pas responsables de la façon dont nous avons conçu nos relations avec la Russie en 1991, 92, 93 et 94. Mais cela n'empêche pas de réfléchir aujourd'hui. C'est une question qui me préoccupe depuis un an et demi. J'ai vu se développer le débat sur le détournement de l'aide à la Russie. C'est évidemment un problème, mais il me semble que c'est un peu l'arbre qui cache la forêt et on sait bien qu'en terme financier les sommes dont on pense qu'elles ont été détournées représenteraient trois fois l'aide du FMI. J'ai eu l'occasion d'en parler avec quasiment tous mes interlocuteurs européens ou occidentaux et avec M. Ivanov, parce que c'est une affaire sur laquelle il y a une réflexion depuis un an et demi, essentiellement Affaires Etrangères mais qui devenu une réflexion Affaires Etrangères/Finances afin d'être plus efficace pour couvrir l'ensemble du sujet. I1 n'y a pas de raison que cela soit mal pris ou mal interprété de façon conjoncturelle ou partielle, si cela consiste à dire clarifions les bases sur lesquelles nous allons coopérer dans notre intérêt, si on admet que les Russes eux mêmes ont besoin d'un Etat qui est à constituer encore une fois, car il n'y a jamais eu d'Etat fort et démocratique. L'Etat totalitaire était, en même temps, à la fois trop puissant et trop faible. A partir de la transition de l'effondrement de l'URSS, on se retrouve dans une Russie dans laquelle il n'y a plus rien et les seuls pouvoirs de régulation qui existaient et qui fonctionnent de façon officielle étaient les pouvoirs du parti communiste. A partir du moment où celui-ci éclate, il n'y a plus rien de ce que nous appelons l'Etat. Et à ce moment-là, les organisations financières internationales imposent à la Russie de l'époque, qui le demande d'ailleurs, qui fait de la surenchère, imposent à la Russie une position maximaliste que nous n'avons commencé à appliquer, nous, dans nos économies extraordinairement puissantes, extraordinairement enracinées historiquement capables et sophistiquées de la fin des années 70 (après 30 ou 40 ans d'après guerre où le développement est très encadré). Nous avons appliqué cette idéologie du moment aux ruines de l'URSS. Il y a eu manifestement quelque part des conseils un peu erronés. Mais on ne va pas jusqu'à dire que nous avons eu tort d'avoir aidé la Russie. C'était un choix stratégique justifié et ce choix va continuer et personne ne sera assez irresponsable pour dire qu'en raison de la tragédie tchétchène il faut interrompre notre coopération qui est fondamentalement dans notre intérêt. A condition qu'elle soit bien ciblée. Notre approche vise quand même à tenir tous les fils du raisonnement en même temps.
Q - L'opération mains propres peut aussi déstabiliser ?
R - Ce n'est pas une opération mains propres que nous voulons faire, ni une opération consistant à faire du moralisme sur le dos de la Russie. On voudrait essayer de rassembler l'ensemble de ces demandes ou de ces exigences un peu partielles en un ensemble qui formerait une politique, une stratégie.
Q - Est-ce que vous ne craignez pas que l'opinion publique comprenne mal le message de l'Europe, car je ne suis pas sûr que les gens fassent la différence entre le Conseil de l'Europe et le Conseil des Ministres ? Ils vont se poser des questions.
R - Il est toujours souhaitable que la politique soit comprise par l'opinion publique, mais là ce n'est pas une opération de communication dont il s'agit. C'est une opération de fond, une stratégie de fond, cela regroupe tous les aspects de la politique par rapport à la Russie et nous avons de bons arguments pour faire comprendre cette politique à ceux qui, dans un premier temps, ne l'auraient pas compris car ils l'interpréteraient d'une façon ou d'une autre. I1 y a des gens qui disent qu'il ne faut pas isoler la Russie. C'est ce qu'on entend dans les pays en dehors de la France. Cela n'empêche pas d'être fermes sur certains points. Ou alors d'autres vont dire qu'il faut couper toutes relations. I1 faut expliquer à ces gens que c'est contre-productif et que, dans la plupart des cas, il faut voir notre intérêt à long-terme. On peut expliquer qu'il y ait plusieurs organes qui ont des rôles différents, il n'y a pas de raison que la politique commune que nous aurons peu à peu soit totalement simpliste.
Q - Jusqu'à présent on avait une vision de la construction, de la restructuration russe plutôt libérale. Vous considérez qu'il faut plutôt maintenant aider une reconstruction de structure, en une sorte de plan quinquennal même si pour l'occasion ce n'est pas le bon terme ?
R - Je pense que c'est une vis on qui n'est pas bonne s'il n'y a que cela. Elle doit être complétée par autre chose. Même aujourd'hui, dans les économies les plus libérales, il y a des Etats qui jouent des rôles centraux de régulation sur les points clés et même il y a peu d'ultra libéraux qui vont jusqu'à rejoindre complètement la pensée anarchiste historique.
Les Russes demandaient quelque chose et on trouvait cela très bien. Il y avait une sorte de pensée unique occidentale puis le consensus de Washington, tout cela. Nous posons un large problème qui déborde de très loin le fait de savoir comment il faut traiter la tragédie tchétchène à un moment donné. Mais cette tragédie ne nous dispense pas d'avoir une pensée à long terme. Mais ceci n'est qu'un partie du débat d'aujourd'hui. L'harmonisation des Quinze consiste à dire, à Quinze, quelle est notre position commune au Conseil de l'Europe, à Genève, comment est-ce qu'on réagit à la lettre. Après, on peut un peu diverger dans l'analyse de cette lettre. Peut-être qu'on en fera plus en communication quand on aura eu l'occasion de parler et que tous nos partenaires auront reçu la lettre.
Q - Vous avez dit que les Russes commençaient à répondre et après la visite de la troïka à Moscou, on avait l'impression que cette réponse était l'annonce précisément de cette initiative politique en Tchétchénie. Cela a-t-il été démenti ?
R - Cela fait plusieurs fois que les Russes disent qu'ils vont faire quelque chose à propos du statut de la Tchétchénie. Cela pourrait être un peu le premier pas prudent dans le sens de la solution politique que nous appelons de nos vux, depuis, en tous cas, le mois d'octobre. Mais certains des autres Européens disent que la nomination de M. Kalamanov, que l'accord avec le CICR sont des petits progrès déjà. Sur l'orientation politique, c'est la question que je vais poser à M. Ivanov. Qu'y a-t-il de vrai dans l'annonce d'un statut ? On a parlé d'un statut de la Tchétchénie sous contrôle direct du Kremlin, ce qui voudrait dire désaisir les autorités politiques et militaires de leur responsabilité. Ensuite, on nous a dit " non, ce n'est pas le cas ", puis " oui peut-être ", il faut voir.
Q - Et la visite de l'ambassadeur en Tchétchénie a été évoquée aussi ?
R - Oui, le principe est acquis pour les ambassadeurs de la Troïka en Tchétchénie.
Q - Le voyage de votre collègue autrichienne en Tchétchénie en tant que présidente de l'OSCE, cela vous gêne que ce soit l'Autriche qui soit président ?
R - Dans l'affaire de l'Autriche, tout le monde connaît notre position. Cela concerne les relations bilatérales et gouvernementales et cela ne concerne pas le reste. Cela ne concerne pas le fonctionnement de l'Union européenne ou une action multilatérale avec l'OSCE dont l'Autriche est Présidente. Ce que nous souhaitons c'est que l'Autriche, dans la mesure du possible, n'agisse pas seule en tant que président et qu'elle puisse utiliser la troïka de l'OSCE, mais nous n'allons pas contester, pour des raisons de principe, le travail que pourrait faire l'OSCE. Nous n'allons pas prendre l'OSCE en otage à cause de cette affaire. L'OSCE peut rendre service et cela s'ajoute aux organisations qui font pression, qui sont là pour présenter des exigences. Comme cela, millimètre après millimètre on peut grignoter des améliorations de la situation. Espérons.
Q - S'agissant des Balkans, est-ce que vous savez de quel chapeau sortaient les 5,5 milliards d'euros de M. Patten ?
R - Sur les Balkans occidentaux, tout d'abord nous avons eu une réaction ferme du Conseil Affaires générales sur l'application des conclusions de Lisbonne. Nous avons également lu un texte, une lettre de M. Patten qui est intéressante sur l'affaire du dégagement du Danube et nous avons entendu M. Solana sur la mise en uvre de la stratégie consistant à développer les contacts avec l'ensemble des forces en Serbie. Tout cela constituait la mise en uvre de Lisbonne.
Sur les 5,5 milliards d'euros, j'ai 1'impression qu'ils ont disparu en cours de route. C'est une affaire embarrassante parce qu'il est clair que c'est mieux de pouvoir annoncer des chiffres et des chiffres ambitieux c'est mobilisateur. Mais en même temps, on ne peut pas renoncer à notre effort de rigueur budgétaire, on ne peut pas additionner les chiffres qui sortent de l'enveloppe et qui ne correspondent à aucune évaluation sérieuse. Donc il faut faire attention. Car il est clair que ce qui a été dit à la conférence des donateurs ne tenait pas compte des avertissements du Conseil européen de Lisbonne. C'est pour cela que les chiffres qui allaient trop loin ont été retirés. Mais ce n'est pas un signe de blocage de notre part. Il est certain que nous voulons avancer. De plus, on n'a pas besoin d'annoncer un chiffre mirobolant sur plusieurs années. L'urgence, aujourd'hui, c'est d'avancer concrètement, projet par projet, de faire mieux marcher le pacte. En tous cas, je trouve que par rapport où on était, trois semaines avant, au Conseil européen de Lisbonne, on sent que cela va mieux. On sent que MM. Solana et Patten sont vraiment bien investis dans l'affaire, qu'ils ont bougé, que l'approche est plus synthétique, que dans les discussions on va plus vite, parce qu'il y a moins d'interventions, c'est plus opérationnel. C'est un travail qui ne peut se faire qu'en deux ou trois mois. Il y a beaucoup d'organes, beaucoup de niveaux. Il faut serrer les boulons partout. Je trouve que cela marche mieux, que le consensus se solidifie. Comme, dans le même temps, nous avons bien confirmé notre accord sur des élections locales au Kosovo, que nous avons aussi confirmé notre accord sur la nécessité d'élections soigneusement préparées, il y a beaucoup moins de dissonances qu'il y a trois ou quatre mois. Le pacte de stabilité c'est une affaire un peu plus compliquée. Mais à partir du moment ou des représentants de l'Union européenne dans le pacte ont des idées claires et bien coordonnées, je pense que de proche en proche cela va bénéficier au pacte dans son ensemble. En tous cas j'ai une bonne impression.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr,le 14 avril 2000)