Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur le projet de loi de bioéthique, notamment les inquiétudes et les préoccupations d'ordre éthique et le dispositif de veille scientifique, Paris le 25 mars 2002.

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Circonstance : Colloque "Cellules souches et thérapie cellulaire"à Paris le 25 mars 2002

Texte intégral

Le 14 mars 2001, j'ouvrais ici même un premier colloque franco-britannique consacré aux encéphalopathies spongiformes transmissibles, organisé conjointement par l'Académie des sciences de l'Institut de France, l'Académie nationale de médecine et l'Academy of Medical sciences du Royaume-Uni.
Puis le 19 octobre dernier, j'avais le plaisir d'ouvrir votre second colloque conjoint, consacré cette fois aux "Aspects scientifiques, médicaux et sociaux de la longévité et du vieillissement".
C'est donc aujourd'hui un grand plaisir d'être de nouveau parmi vous pour ce troisième rendez-vous, consacré au thème des cellules souches et des nouvelles possibilités qu'elles ouvrent en thérapeutique.
LE PROJET DE LOI DE BIOETHIQUE
Le 22 janvier 2002, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture - à une très large majorité (325 voix pour, 21 contre) le nouveau projet de loi de bioéthique.
Il s'agit, et vos travaux peuvent y contribuer, de rechercher ensemble les règles éthiques conformes aux valeurs fondamentales de notre société et aux attentes de notre temps.
Il s'agit ensuite de traduire ces normes éthiques en règles juridiques. Avec la conviction que l'éthique et la loi doivent être intimement liés dans une civilisation comme la nôtre, fondée sur tout un patrimoine spirituel et moral. Bref, il s'agit de conjuguer éthique et droit.
Cette tâche est naturellement complexe et difficile. Ces questions essentielles concernent directement la conception de la personne et le devenir humain. Elles interrogent chacune et chacun de nous au plus profond de ses convictions morales, philosophiques ou spirituelles. Toutes les opinions doivent donc être écoutées avec attention et entendues avec respect.
LES CELLULES SOUCHES
Les cellules souches peuvent se différencier, se transformer en cellules de différents types.
Cette capacité de différenciation est inégale selon qu'il s'agit de cellules adultes ou de cellules embryonnaires.
Les cellules souches adultes
Les cellules souches adultes peuvent donner plusieurs types cellulaires, elle sont dites "multipotentes" : mais elles ne peuvent donner que quelques types de cellules prédéterminés.
L'utilisation des cellules souches adultes ne pose évidemment pas les mêmes problèmes éthiques que celle des cellules souches embryonnaires.
J'ai donc souhaité qu'on développe très activement les recherches sur les cellules souches adultes. En effet, des résultats récents mettent déjà en lumière l'intérêt réel des cellules adultes. Je ne citerai qu'un exemple : un résultat obtenu par une chercheuse de grand talent, Ketty Schwartz, qui est aujourd'hui Directrice de la Recherche à mon ministère, et par Philippe Ménasché (Hôpital Bichat) en octobre 2000. Ceux-ci ont prélevé des cellules précurseur du muscle squelettique dans la cuisse d'un patient victime d'un infarctus et les ont greffées dans son cur. Les cellules musculaires ainsi greffées se sont comportées comme des cellules cardiaques. Les résultats obtenus sur 10 patients sont maintenant étendus à une étude européenne multicentrique qui inclura 100 patients.
Le ministère de la Recherche veille donc à renforcer l'effort de recherche sur les cellules souches adultes.
Ainsi, dès l'année 2000, l'INSERM, l'AFM et le Ministère ont lancé un appel d'offres conjoint de 6 MF, sur les cellules souches thérapeutiques. 63 équipes de recherche y ont répondu. La grande majorité des projets présentés concernent l'étude des cellules souches adultes. De même, l'ACI "Biologie du développement ", lancée par mon ministère, inclut des recherches sur les cellules souches adultes et embryonnaires.
Dès le printemps 2000, j'ai demandé au Professeur Gros de constituer sur ce sujet un groupe de travail. Ce groupe m'a remis le 6 novembre 2000 son rapport, intitulé "Les cellules souches adultes et leurs potentialités d'utilisation en recherche et en thérapeutique - Comparaison avec les cellules souches embryonnaires". Un rapport que vous trouverez sur le site web du ministère.
Dans l'état actuel de nos connaissances, deux facteurs semblent limiter l'utilisation des cellules souches adultes.
- D'une part, "elles ne sont pas considérées comme pluripotentes et sont généralement programmées pour un tissu donné".
- D'autre part, poursuit le rapport Gros, les cellules souches adultes "ne se multiplient pas à l'infini à l'état indifférencié". Leur capacité de multiplication est très variable selon le tissu d'origine.
Ce rapport le confirme : les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes n'ont pas, a priori, les mêmes capacités de différenciation et de multiplication.
Aux Etats-Unis, le rapport du NIH, publié en juin 2001, aboutit aux mêmes conclusions. La revue Nature du 14 mars 2002 a également publié deux articles, l'un du Pr Austin Smith, l'autre du Pr Nahoiro Terada, mettant en évidence les nouvelles limites du potentiel thérapeutique des cellules souches adultes. Ces études soulignent par exemple que ces cellules n'ont pas la polyvalence des cellules embryonnaires. Par ailleurs, elles ne parviendraient pas à se "reprogrammer" et seraient seulement amalgamées aux cellules embryonnaires. Le Pr Smith conclut donc à "la nécessité de rester prudents quant à l'utilisation thérapeutique des cellules souches adultes".
Vu l'état actuel des connaissances, le groupe de travail présidé par F. Gros jugeait " urgent " " le développement de travaux fondamentaux sur les cellules souches embryonnaires."
Les cellules souches embryonnaires
Les cellules souches embryonnaires (ES) sont dites "pluripotentes", car elles peuvent se différencier dans tous les lignages cellulaires: cellules du sang, de la peau, des muscles, du cerveau, du foie, du pancréas, etc.
Cependant, leur utilisation pose des problèmes éthiques. A cet égard, l'éthique nous invite à prendre en compte deux séries de considérations.
D'une part, l'attention à accorder à l'embryon humain, qui ne peut être réifié.
D'autre part, le droit des malades à être soignés. Le droit des personnes atteintes d'affections graves et le plus souvent incurables, à voir les recherches progresser et développer de nouvelles thérapeutiques, susceptibles de soulager leurs souffrances et de leur offrir des chances de guérison.
L'impératif de solidarité impose de ne pas refuser aux malades une chance de guérison ou une possibilité de soulager leur souffrance. Toute société se doit de contribuer à faire reculer la souffrance et la mort.
Ces deux impératifs éthiques doivent être pris en compte l'un et l'autre. Sans omettre ni l'un ni l'autre.
Médecine régénératrice et thérapie cellulaire
L'enjeu, c'est la médecine régénératrice, remplaçant un jour cellules et organes défaillants.
Beaucoup de maladies humaines sont liées à la dégénérescence cellulaire et à la destruction de tissus qu'on n'a pas aujourd'hui les moyens de remplacer.
La solution actuelle est la transplantation d'organes. Mais le nombre de donneurs d'organes est limité. Et il importe donc de pallier le manque d'organes à greffer.
En effet, la pénurie d'organes va en s'aggravant et, chaque année, des gens meurent, parce qu'ils n'ont pas reçu d'organes.
Les chiffres fournis par l'Etablissement français des greffes sont éloquents. Le nombre de patients restant en attente de greffe d'organes est passé de 4903 à 6036 entre fin 1996 et fin 2000. Depuis 1996, environ 4000 nouveaux patients s'inscrivent chaque année. Et l'on a compté en 2000 234 décès de personnes en attente de greffe.
La thérapie cellulaire pourrait donc pallier le manque d'organes à greffer.
Celle-ci vise, en effet, à remplacer des cellules malades ou en nombre insuffisant par des greffes de cellules. Elle vise à traiter les affections qui nécessitent une régénérescence des cellules :
Les maladies neuro-dégénératives : c'est le cas de la maladie d'Alzheimer et de la maladie de Parkinson. De même, on peut espérer traiter par des cellules nerveuses spécialisées la sclérose latérale amyotrophique et la sclérose en plaques.
Les maladies cardiaques : la transplantation de cellules musculaires cardiaques pourrait aider les malades en insuffisance cardiaque chronique et repeupler le tissu cardiaque.
Les hépatites : la culture de cellules hépatiques pourrait repeupler le foie et remplacer les cellules défectueuses.
Le diabète de type I : la production d'insuline par les cellules spécialisées réunies dans les îlots de Langerhans est abolie dans le diabète de type I. La transplantation d'îlots isolés est susceptible de guérir cette maladie.
Les lésions de la moelle épinière, consécutives à des accidents, pourraient elles aussi être traitées par les thérapies cellulaires. Ainsi, l'acteur Christopher Reeve, devenu tétraplégique après une chute de cheval, a lancé en juillet 2001 un appel pour la poursuite de recherches susceptibles de sauver des "millions de gens qui souffrent ".
Bref, les cellules souches embryonnaires peuvent pratiquement se transformer en cellules de n'importe quel type d'organe.
Les cellules souches embryonnaires peuvent être obtenues à partir d'un embryon qui peut provenir soit d'une fécondation in vitro (FIV), soit du transfert d'un noyau adulte dans un ovocyte énucléé (transfert de noyau de cellule somatique).
Les embryons surnuméraires sans projet parental
Quel peut être le devenir des embryons humains conçus dans les centres d'AMP (assistance médicale à la procréation) qui, ne faisant plus l'objet d'un projet parental, sont conservés depuis par congélation ? Le nombre de ces embryons, dits "surnuméraires" demeure mal connu : il se situerait autour de 40 000 en France.
L'existence de ces embryons "surnuméraires", conçus par FIV chez des couples consultant pour stérilité, tient à deux causes.
D'une part, pour prévenir les risques d'échecs, de fausses couches, on constitue plus d'embryons que nécessaire : d'où la présence d'embryons "surnuméraires" pour les parents qui ont déjà satisfait leur désir d'enfant à l'occasion d'une FIV réussie.
D'autre part, à l'opposé, certains couples ont abandonné leur projet parental, à la suite d'échecs répétés ou en raison d'un changement de leur situation familiale.
La loi de bioéthique de 1994 disposait que ces embryons qui ne font plus l'objet d'un projet parental et qui ne peuvent pas être accueillis par un autre couple cesseraient d'être conservés au-delà d'un délai de 5 ans.
Plutôt que de détruire ces embryons conservés par congélation, ne faut-il pas permettre leur utilisation à des fins de recherche ?
Le Comité consultatif national d'éthique a répondu positivement dès son avis du 11 mars 1997, de même que la Commission nationale consultative des droits de l'homme, l'UNAF, ainsi que le Conseil d'Etat dès son rapport du 25 novembre 1999.
De même, comme elle l'avait déjà fait dès 1996, l'Académie nationale de médecine s'est prononcé favorablement, le 10 janvier dernier, en déclarant : "Une telle recherche s'impose. Elle constitue un devoir médical."
L'article 19 du projet de loi voté le 22 janvier autorise donc la recherche sur "les embryons conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l'objet d'un projet parental."
Un dispositif d'encadrement très strict
Cette recherche est régie par un dispositif d'encadrement très strict, qui repose sur les principes de libre contentement, de transparence et de publicité.
"Elle ne peut être effectuée, après un délai de réflexion, qu'avec le consentement écrit préalable des deux membres du couple dont ils sont issus, ou du membre survivant de ce couple, informés des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation."
Cette exigence d'un consentement des membres du couple constitue une garantie éthique importante. Elle assure que ceux-ci pourront s'opposer à cette utilisation à des fins de recherche s'il la jugent contraire à leurs propres convictions morales ou spirituelles.
Cette recherche ne peut avoir qu'une "fin médicale" : "aucune recherche ne peut être menée sur l'embryon humain si elle n'a pas une fin médicale ou si, ayant cette fin, elle peut être poursuivie par une méthode alternative d'efficacité comparable".
"Cette recherche ne peut être entreprise que si son protocole a fait l'objet d'une autorisation préalable par l'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines (APEGH), qui comporte en son sein un Haut Conseil, composé de parlementaires, de magistrats, de scientifiques et de représentants des associations de malades. La décision d'autorisation est prise en fonction de la pertinence scientifique du projet de recherche, de ses conditions de mise en uvre au regard des principes éthiques et de son intérêt pour la santé publique."
Enfin, "les décisions du Haut Conseil sont rendus publiques".
Bref, nous veillons à mettre en place un dispositif de régulation très précis, pour évaluer et encadrer très rigoureusement les recherches.
Par ailleurs, en pratique, cette recherche n'aura lieu que sur des embryons n'ayant pas atteint le stade de la différenciation tissulaire intervenant vers le 6ème ou le 7ème jour.
Au Royaume-Uni, la recherche peut intervenir sur des embryons pendant les 14 premiers jours après la fécondation, les scientifiques britanniques dénommant souvent " pré-embryons " ces embryons qui ne comportent encore aucune ébauche du système nerveux.
En tout cas, au 6ème ou 7ème jour après la fécondation, le blastocyte ne comporte que 125 à 250 cellules encore indifférenciées.
Le transfert de noyaux de cellules somatiques
Une seconde voie permettrait la constitution de lignées de cellules souches embryonnaires : le transfert de noyaux de cellules somatiques, le transfert dans un ovocyte énucléé du noyau d'une cellule adulte du patient qu'on désire traiter.
Cette seconde technique présenterait un avantage : éviter les problèmes immunologiques qui peuvent faire suite à une transplantation, éviter le rejet immunologique, éviter le rejet du transplant.
Même s'il juge actuellement "prématuré" le recours au transfert nucléaire, le Groupe européen d'éthique écrit dans son rapport du 14 novembre 2000 (page 33) :
"Cette technique est peut-être la manière la plus efficace d'obtenir des cellules souches pluripotentes génétiquement identiques à celles du patient et, dès lors, des tissus parfaitement histocompatibles, le but étant d'éviter le rejet de tissus après leur transplantation".
Au vu de ces données, le gouvernement avait donc inscrit le transfert nucléaire dans son avant-projet de loi de bioéthique.
Cependant, la phase de consultation a donné lieu à des avis discordants sur ce sujet.
Les arguments des opposants au transfert nucléaire
Les opposants au transfert nucléaire, souvent dénommé "clonage thérapeutique", font valoir trois arguments principaux.
En premier lieu, si l'on peut admettre les recherches sur les embryons surnuméraires qui existent déjà et qui n'ont pas été créés à des fins de recherche, créer des embryons en vue de mener des recherches ne serait pas éthiquement admissible.
Cela constituerait une instrumentalisation du vivant et une réification de l'embryon, qui, vu sa nature singulière, ne peut être traité comme un matériau de recherche.
On ne peut pas créer la vie à des fins utilitaires, pour servir d'instrument. Dès son commencement, la vie humaine a un caractère sacré : on ne peut pas l'instrumentaliser.
Il est impossible de répondre par des arguments rationnels à cette objection, qui dépend de la vision éthique, philosophique ou religieuse de chacun sur la nature de l'embryon.
Pour certains, l'embryon est déjà un être humain. Pour d'autres, c'est une personne humaine potentielle. Pour d'autres, enfin, c'est un amas de cellules indifférenciées.
Dans une République laïque, le législateur doit-il privilégier telle conception philosophique ou religieuse par rapport à telle autre, au risque d'imposer une vision, estimable mais particulière, à l'ensemble de la société ?
Le législateur a déjà rencontré ce type de problème quand il a autorisé l'IVG, qui heurte cependant les convictions de certains.
Certains scientifiques font d'ailleurs valoir qu'il serait contradictoire de ne pas envisager la recherche sur des embryons de 6-7 jours au plus, alors que le législateur a récemment autorisé l'IVG jusqu'à 12 semaines.
Deuxième argument : autoriser le clonage thérapeutique, c'est risquer d'ouvrir la porte au clonage reproductif. En effet, l'un et l'autre reposent sur la même technique initiale, même si la finalité poursuivie est essentiellement différente.
Au départ, la technique est la même -transférer un noyau somatique dans un ovocyte énucléé-, même si, à partir de là, l'objectif est dans un cas, de fabriquer des lignées de cellules et, dans l'autre, de faire naître un enfant.
Une fois que cet embryon existe, rien n'empêcherait matériellement de le réimplanter dans l'utérus d'une femme et d'avoir, neuf mois après, la naissance d'un bébé cloné.
A partir du moment où on se serait engagé dans cet engrenage, on risquerait de ne plus pouvoir l'arrêter.
C'est la théorie de la pente, du dérapage, de la dérive dangereuse. Pour ses opposants, le clonage thérapeutique serait la première étape qui risquerait de conduire au clonage reproductif.
Bien entendu, le clonage reproductif est inadmissible au regard de l'éthique et de nos valeurs fondamentales. Il est, à l'évidence, gravement attentatoire à la dignité humaine.
Mais ce risque de dérive peut recevoir une réponse juridique adaptée par l'interdiction du clonage reproductif, sous sanctions pénales, tant au plan interne qu'au plan international.
Au plan interne, le projet de loi de bioéthique rappelle l'alinéa 3 de l'article 16-4 du code civil : "Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant, ou de développer un embryon humain, qui ne seraient pas directement issus des gamètes d'un homme et d'une femme".
En outre, le projet de loi complète ainsi le code pénal : "Est puni de 20 ans de réclusion criminelle le fait de procéder à une intervention en vue de faire naître un enfant qui ne serait pas directement issu des gamètes d'un homme et d'une femme."
Mais il importe aussi d'établir cette interdiction au plan international. Certes, dans la très grande majorité des Etats, les législations ou les pratiques nationales interdisent le clonage reproductif. Mais quelques Etats, au comportement aventureux, pourraient accueillir de telles expériences sur leur territoire national.
Il faut donc établir une interdiction internationale du clonage reproductif, qui engage tous les Etats. Dans ce but, la France et l'Allemagne ont déposé auprès de l'ONU un projet de résolution visant à préparer "une convention internationale contre le clonage d'êtres humains à des fins de reproduction".
Ce projet de résolution a été adopté le 19 novembre 2001 par la 6ème Commission. La prochaine étape sera le vote de l'Assemblée générale de l'ONU sur ce texte, qui donnera mandat à celle-ci pour négocier cette convention internationale, qui devra être assortie de sanctions pénales.
Je souhaite que ce processus soit conduit à son terme le plus rapidement possible.
Une première audition d'experts par une commission de l'ONU s'est tenue à New York du 26 février au 1er mars 2002. Une seconde est prévue pour septembre.
La commission élaborera un projet de mandat, qui une fois adopté par l'Assemblée générale, permettra de mettre en chantier le texte de la convention internationale.
Troisième argument : le risque d'instrumentalisation, voire de commercialisation du corps de la femme pour obtenir les ovocytes nécessaires au clonage thérapeutique.
Cette thérapie nécessite une grande quantité d'ovocytes. On risquerait donc de passer des donneuses d'ovocytes volontaires aux donneuses rémunérées. On ouvrirait alors la porte à un commerce, voire à un trafic des ovocytes et à la marchandisation du corps humain.
Le risque d'un commerce d'ovocytes existe en effet dans certains pays. Mais non en France où la loi impose la gratuité du don. L'article L 665-13 dispose ainsi :
"Aucun paiement, quelle qu'en soit la forme, ne peut être alloué à celui qui se prête au prélèvement d'éléments de son corps ou à la collecte de ses produits. Seul peut intervenir le cas échéant le remboursement des frais engagés."
Toute transaction commerciale est donc interdite, puisqu'aucun paiement ne peut être alloué à celui qui se prête au prélèvement.
Les arguments des partisans du transfert nucléaire
A l'opposé, les partisans du transfert nucléaire font valoir d'autres arguments tenant aux droits des malades et à ceux des chercheurs.
Les droits des malades
Dans son avis du 18 janvier 2001, le CCNE déclare : "Le devoir de solidarité envers les personnes qui souffrent de maladies interdit en ce domaine d'entraver la recherche, au risque de pénaliser irrémédiablement les malades."
On l'a dit : les thérapies cellulaires, les greffes de cellules, pourraient en particulier pallier le manque d'organes à greffer.
Le Pr Bernard Debré écrivait le 4 juillet 2001 dans "Libération" : "Qui de nous, médecins, n'a pas été angoissé devant cet insuffisant cardiaque qui attendait, pathétique et terrorisé, un cur à greffer et qui pressentait que, si ce nouveau cur n'était pas trouvé rapidement, il allait mourir ? Toutes ces femmes, tous ces hommes, insuffisants rénaux, pulmonaires, hépatiques, cardiaques en attente d'organes disponibles constituent des cohortes aux portes de la mort ".
Le droit des chercheurs
Ne pas autoriser le transfert nucléaire, ce serait aussi limiter les droits des chercheurs français.
Alors que cette recherche va se développer dans d'autres pays, dont le Royaume-Uni, les chercheurs français risqueraient de se trouver distanciés et dépassés dans la compétition scientifique internationale, à une période de forte mondialisation de la recherche.
Les freins imposés aux chercheurs français risqueraient d'inciter certains d'entre eux à s'expatrier pour mener leurs recherches ailleurs qu'en France, dans des pays où celles-ci sont ou seront autorisées.
Dans 8 des 15 pays de l'Union européenne, le clonage thérapeutique serait aujourd'hui légalement possible, soit que la loi l'ait expressément autorisé (Royaume-Uni), soit qu'elle reste silencieuse sur ce point : Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Suède, Danemark, Finlande et Portugal.
Aux Etats-Unis, en août 2001, le président Bush a autorisé le financement par des fonds fédéraux seulement pour la recherche sur des lignées de cellules souches existantes à partir d'embryons déjà détruits et créés jusqu'ici par le secteur privé. Aucune recherche sur des cellules souches provenant de nouveaux embryons ne sera financée sur fonds publics.
En revanche, les recherches privées ne sont pas concernées par cette décision présidentielle.
Cependant, un texte de loi adopté le 31 juillet 2001 par la Chambre des représentants vise à interdire toute forme de clonage, reproductif ou thérapeutique (Human Cloning Prohibition Act). Toutefois, ce texte n'a pas encore été examiné par le Sénat, où les démocrates, majoritaires, seraient plutôt favorables au clonage thérapeutique.
Dès lors, actuellement, aux Etats-Unis, la recherche privée peut intervenir sur des cellules souches provenant tant d'embryons surnuméraires, même nouveaux, que d'un clonage thérapeutique.
Le risque existerait d'un départ de certains de nos spécialistes vers des pays étrangers où les chercheurs ne seraient pas entravés par des dispositions législatives ou réglementaires aussi restrictives.
Ce qui est en jeu, ce serait non seulement les progrès de la santé humaine, mais aussi des intérêts économiques importants.
Faut-il accepter ce risque de retard de la recherche française ?
Dans son avis du 18 janvier 2001, le CCNE se déclare favorable au transfert nucléaire "également en raison de la mondialisation de la recherche, de la sévérité de la compétition scientifique internationale et des intérêts économiques qui sont en jeu." Il poursuit :
"Le fait de renoncer au clonage thérapeutique rendrait la société française dépendante des recherches poursuivies à l'étranger."
Le vote en première lecture de la loi ne retient pas le clonage thérapeutique
On le voit : il existe des arguments importants en faveur de l'autorisation des recherches sur le transfert nucléaire. C'est pourquoi, dans son avant-projet, le gouvernement avait choisi de ne pas écarter a priori cette perspective, si cela s'avérait un jour nécessaire et en cas d'échec des autres techniques, au sein de protocoles strictement définis et encadrés.
Cependant, la phase de consultation a donné lieu à des avis discordants sur ce sujet. Si le Comité consultatif national d'éthique a émis, à une courte majorité, un avis favorable au transfert nucléaire le 18 janvier 2001, en revanche, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, puis le Conseil d'Etat se sont prononcé contre. Un débat de très haute tenue c'est déroulé à l'Assemblée Nationale suite à un amendement déposé par Henri Emmanuelli.
Sur une question aussi sensible touchant au devenir humain, le gouvernement a choisi de déposer un texte de consensus, susceptible de recueillir un large assentiment au Parlement. Le projet de loi ne retient donc pas la possibilité du transfert nucléaire.
La question du rejet immunologique
La décision du gouvernement repose aussi sur une seconde raison, d'ordre scientifique. Et je sais que vous consacrerez vos travaux à cette question demain. J'y serait bien entendu très attentif.
L'argument principal souvent invoqué en faveur du transfert nucléaire, c'est que celui-ci supprimerait le rejet lié aux greffes puisqu'il utilise des cellules de la personne que l'on veut soigner.
Les cellules souches issues d'embryons surnuméraires sont par définition hétérologues et pourraient donner lieu à un rejet de greffe, tandis que les cellules souches obtenues par transfert nucléaire seraient parfaitement homologues.
Or, aujourd'hui, cet argument semble n'être plus aussi net qu'il pouvait le paraître au moment de la rédaction initiale du projet de loi. Je sais que cette question a été évoquée en conclusion d'une réunion le 5 novembre 2001 à Londres, réunion à laquelle participaient plusieurs d'entre vous. Et je serai très heureux de connaître votre avis aujourd'hui. D'une part, est-il exact que les cellules souches embryonnaires issues d'une FIV démontrent leur faible, voire très faible, immunogénicité, et pourrait induire un phénomène de tolérance ?
D'autre part, pour les cellules obtenues par transfert nucléaire, persiste t-il la possibilité d'une immunogénicité, faible mais réelle, liée à la pérennité de l'ADN mitochondrial issu des ovocytes utilisés pour le transfert. De nouvelles données ont-elles été obtenues depuis novembre dernier ?
A ma connaissance, à l'heure actuelle, aucun argument fondé sur des faits expérimentaux ne permet de prouver que le transfert nucléaire serait plus efficace que l'utilisation de cellules hétérologues.
Par ailleurs, le transfert nucléaire reste une technique à l'efficacité très aléatoire. Chez l'animal, le taux de réussite est de l'ordre de 1 pour 100 tentatives.
Le gouvernement n'est pas opposé au transfert nucléaire, mais son autorisation paraît aujourd'hui prématurée dans la mesure où demeurent d'importantes incertitudes scientifiques.
Un dispositif de veille scientifique
Il convient donc de laisser la réflexion scientifique se poursuivre, en restant très attentif à l'évolution des connaissances.
L'Agence de la procréation, de l'embryologie et de la génétique humaines comporte un Haut Conseil dont l'une des missions sera d'"assurer une veille sur le développement des connaissances et des techniques et de proposer au gouvernement les orientations et les mesures qu'elles appellent."
En outre, il sera chargé d'établir "un rapport scientifique annuel transmis au Parlement, au ministre de la justice et aux ministres chargés de la santé et de la recherche, ainsi qu'au Comité consultatif national d'éthique."
Le projet de loi comporte donc, en son sein même, un dispositif susceptible de proposer à terme de nouvelles évolutions aux pouvoirs publics.
Il est probable que ce Haut Conseil prendra en compte le développement des connaissances et des perspectives thérapeutiques qui sera intervenu dans d'autres pays (dont le Royaume-Uni) ayant déjà choisi d'autoriser les recherches sur le transfert nucléaire.
Si cette technique s'avérait plus sûre et plus efficace, l'Agence de la procréation, exerçant sa mission de veille scientifique, proposerait très probablement au gouvernement les évolutions nécessaires. Et celui-ci en saisirait alors le Parlement.
Il est donc possible qu'à l'avenir la France choisisse d'autoriser le transfert nucléaire. Mais tel n'est pas le cas aujourd'hui, vu les incertitudes scientifiques qui existent.
La science doit progresser, mais cette progression doit être évaluée et encadrée. Pour, à terme, éventuellement élargir le périmètre de la recherche autorisée.
En tout cas, ayons confiance dans une recherche qui soit à la fois porteuse de connaissances nouvelles et fidèle aux impératifs éthiques. Dans une recherche qui conjugue science et conscience.
Et surtout ayons confiance dans la démocratie, dans le peuple et dans ses représentants élus, qui ont seuls la légitimité nécessaire pour procéder aux grands choix qui engagent le présent et l'avenir.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 26 mars 2002)