Texte intégral
Monsieur le Président,
mesdames et messieurs,
Deux années se sont écoulées depuis le Congrès de Dijon où nous avions dressé ensemble un état du secteur de l'exploitation, et recensé les chantiers à venir. En deux ans la situation du cinéma en France a connu des évolutions importantes, en particulier dans votre secteur.
Beaucoup de ces évolutions sont positives et je ne peux que m'en réjouir : au premier rang d'entre elles, croyez bien que je ne suis pas indifférente à l'événement que constitue l'embellie de la fréquentation, amorcée depuis 1996, mais qui s'est confirmée en 1997 et surtout en 1998. Et je sais combien l'industrie du cinéma dans son ensemble est redevable aux exploitants, à leur esprit d'initiative, à leurs efforts et à leur ténacité, d'avoir pu connaître ce redressement.
Il est trop tôt pour faire des prévisions fiables pour l'année 1999, mais j'espère que, sans peut-être atteindre les sommets que nous avons connus l'an passé, les chiffres de la fréquentation de l'année en cours confirmeront que la progression des entrées est durable. Si j'en juge par les excellents résultats de la fête du cinéma pour son édition 99, grâce à vous, avec 4,3 millions d'entrées, je crois que nous pouvons être optimistes.
Cette tendance rompt définitivement avec les années noires que nous avons connues il y a une décennie - lorsque certains prévoyaient le déclin irréversible de la fréquentation cinématographique.
L'effort soutenu des pouvoirs publics, conjugué au dynamisme des exploitants, a porté ses fruits et permis de redonner au public le goût du spectacle cinématographique. Notre système d'aide à l'investissement, en particulier, a permis, même dans les périodes les plus noires de crise de la fréquentation, le maintien et la modernisation d'un parc de salles qui reste le premier d'Europe.
La France reste aussi, de tous les pays d'Europe, celui où la fréquentation est la plus élevée, où la diversité des films offerts au public est la plus grande, qui peut s'enorgueillir d'avoir le meilleur réseau de salles d'art et d'essai, et où la part de marché du film national - quoiqu'à mes yeux insuffisante - est la plus haute.
Je suis cependant loin de me satisfaire de ce type de comparaisons rassurantes, car d'autres défis attendent le cinéma français, au vu d'évolutions récentes ou à venir.
I - Le premier pilier de ma politique : mieux réguler l'implantation des multiplexes
Depuis notre dernière rencontre à Dijon, c'est évidemment l'implantation des " multiplexes " qui suscite de légitimes interrogations et retient l'attention de tous, avec des préoccupations et des attentes parfois différentes.
A. C'est un phénomène auquel je suis attentive et qui suscite des interrogations légitimes
Croyez- bien que je n'ai méconnu ni l'ampleur de ce phénomène, ni ses implications. Depuis plusieurs mois déjà, les conséquences liées à l'implantation de ces nouveaux équipements m'ont amenée, à de nombreuses reprises, à demander aux Préfets d'exercer un recours à l'encontre des autorisations délivrées par les Commissions départementales d'équipement cinématographique, afin d'éviter des risques de suréquipement, ou de situations de concurrence à l'évidence insupportables pour des petites exploitations indépendantes.
Je n'exagérerais pas en vous disant que j'ai consacré beaucoup de mon temps à l'étude de ce dossier, je devrais dire d'ailleurs, de ces dossiers, tant le phénomène des multiplexes relève autant d'une analyse au cas par cas, que de considérations d'ordre général. Je crois d'ailleurs qu'il faut se garder en cette matière de toute attitude manichéenne et écarter toute vision exclusivement négative des multiplexes.
Le développement rapide de ce nouveau type d'équipement révèle, en premier lieu, qu'une réelle capacité d'investissement s'est mobilisée en faveur de l'exploitation cinématographique - ce qui est un signe de santé évident. Je ne peux que me réjouir de ces évolutions. Les multiplexes ont aussi contribué à l'augmentation de la fréquentation. Peut-être même - des études sont en cours sur ce sujet - ont-ils attiré de nouveaux publics vers leurs salles, sans doute séduits par une qualité de projection qui rend hommage aux oeuvres et par des espaces d'accueil.
Mais d'un autre côté, l'on ne doit pas feindre d'ignorer les risques de déséquilibres dans la composition du parc français, qui peuvent à terme, être engendrés par l'accroissement rapide du nombre des multiplexes. Si le rythme de création de ces établissements (12 en moyenne par an) a été régulier ces trois dernières années, il a connu une accélération sensible, et peut être excessive cette année avec 9 ouvertures sur le seul premier semestre 1999 et 31 projets examinés en CDEC sur la même période.
Enfin, s'ils ne représentent que 12 % des écrans et des fauteuils, leur poids dans l'économie de l'exploitation connaît également une progression très rapide, puisque leur part de la recette guichet s'élève maintenant à 25 %.
Il y a là matière à de nombreuses interrogations, et sur plusieurs plans :
· tout d'abord en termes d'aménagement du territoire : peut-on estimer que les implantations de multiplexes qui ont été décidées jusqu'à ce jour, répondent à un véritable souci d'aménagement du territoire, ou - ce qui constitue un objectif prioritaire - d'aménagement des centres urbains, souci qui, faut-il le rappeler, a guidé, des années durant, la patiente construction de notre parc de salles ?
·
· ensuite, en termes d'investissement : bien que les principaux opérateurs de multiplexes affichent un optimisme certain, le risque d'un surinvestissement dans ce secteur n'est-il pas à craindre, avec son corollaire obligé : une situation de suréquipement, que l'on redoute déjà sur certains sites ?
·
· - enfin en termes de concurrence et de concentration : il faut absolument mesurer les effets de l'ouverture des multiplexes sur la répartition de la fréquentation, mesurer son impact sur les conditions de la concurrence, et sur les conditions de diffusions des films, notamment, dans certains cas, des films français.
·
B. D'où la nécessité, me semble-t-il, de réfléchir à une évolution raisonnée et cohérente de l'implantation de ces nouveaux équipements, conforme à l'intérêt général.
J'ai pris plusieurs initiatives consistant a réguler ces implantations dans le cadre des procédures actuellement en vigueur - ou à corriger les éventuels déséquilibres qui pourraient en résulter. La réforme du barème du soutien automatique à l'exploitation est entrée en vigueur à l'automne 98 : elle vise à rééquilibrer le soutien en fonction de la taille des établissements et de leur chiffre d'affaires, pour favoriser les établissements de taille petite et moyenne par rapport aux grands équipements. Cette mesure est conforme à l'équité et tient compte de la nouvelle physionomie du parc de salles.
S'agissant plus directement de la procédure d'autorisation des multiplexes, j'ai adressé il y quelques mois aux Préfets une circulaire dans laquelle j'ai rappelé que l'instruction des dossiers en CDEC devait être faite au regard de trois critères fondamentaux : concurrence, concentration et aménagement du territoire.
A chaque fois que l'un ou plusieurs de ces critères m'a semblé être méconnu par une décision de CDEC, j'ai usé de mon pouvoir de recours et renvoyé le dossier devant la Commission nationale ( j'ai ainsi usé de ce pouvoir à 19 reprises en un an).
Par ailleurs, un décret paru au début de ce mois a pour vocation d'encadrer à l'avenir les conditions de la concurrence entre les multiplexes et l'exploitation locale. Ce texte étend en effet aux propriétaires de salles qui réalisent 0,5 % des entrées sur le territoire métropolitain l'obligation de souscrire des engagements de programmation pour leurs salles qui recueillent plus de 25 % des entrées ou des recettes dans leur zone d'attraction (ce pourcentage étant abaissé à 8% pour la région parisienne). Le Comité consultatif de la diffusion, dans ses travaux préparatoires à cette nouvelle réglementation a défini deux types d'engagements de nature à atténuer les effets d'une concurrence trop vive des multiplexes dans certaines zones, à savoir :
· la limitation de la pratique de multidiffusion d'un film dans plusieurs salles d'un même établissement ;
·
· une codification des relations entre les exploitants art et essai et les multiplexes concernant l'accès à certains films ;
·
Ce nouveau décret permet aussi d'augmenter l'effectif des magistrats siégeant au Comité consultatif de la diffusion afin que celui-ci puisse exercer de manière satisfaisante son droit de vote dans les CDEC au sein desquelles un de ses représentants siège de droit.
Toutefois ces mesures ne suffisent pas à répondre aux problèmes soulevés par la procédure d'autorisation des multiplexes telle qu'elle résulte de la loi de juillet 1996, modifiée en 1998.
Au fond, ce qui manque dans le dispositif législatif actuel, c'est la reconnaissance claire de la spécificité culturelle de ces équipements, dont la vocation est distincte d'autres types d'équipements commerciaux.
Un multiplexe n'est pas un hypermarché ! Le processus de décision qui conduit les membres des commissions départementales d'équipement cinématographique à autoriser un équipement de ce type, voire plusieurs, dans une zone d'attraction donnée, peut certes répondre à des préoccupations légitimes et respectables d'équipement local : création d'emplois, rentrées de taxe professionnelle, aménagement de zones d'activités. Mais ces préoccupations entrent parfois en contradiction avec d'autres exigences qui m'apparaissent essentielles : maintien de l'exploitation de proximité, animation des centres ville, protection des salles classées d'art et essai, etc.
Ces dysfonctionnements, et pour mieux dire, l'inadaptation du système actuel qui ne permet pas une véritable régulation du développement des multiplexes, m'amènent à penser qu'il convient sans doute de procéder à des aménagements au dispositif légal et réglementaire actuellement en vigueur.
Faut-il pour autant s'engager dans la voie d'un moratoire, demandé par certains ? Je ne le crois pas. Il est aisé pour un maire de déclarer un moratoire qui implique qu'il ne délivrera plus de permis de construire pendant une période donnée. Mais un moratoire national ne pourrait être décidé que par la loi, après de longs débats. Dans ce délai, on pourrait craindre une multiplication des demandes d'autorisation de la part des investisseurs.
C'est pourquoi j'ai fait le choix - et c'est à votre assemblée que j'ai souhaité réserver la primeur de cette annonce - de confier à une personnalité indépendante et qualifiée, le conseiller d'Etat Francis Delon, qui préside la Commission de classification des oeuvres cinématographiques, une mission d'expertise et d'analyse sur l'implantation des multiplexes, qui devrait conduire, en concertation avec tous les acteurs concernés, à des propositions de modification ou d'aménagement du cadre légal actuellement en vigueur. Dans l'attente de ces évolutions, je continuerai à user avec vigilance des pouvoirs de régulations dont je dispose.
L'action des pouvoirs publics dans le domaine de l'exploitation cinématographique ne saurait toutefois se borner à la seule préoccupation de mieux contrôler le développement des multiplexes. Ma politique dans le domaine de l'exploitation comprend en effet deux piliers complémentaires : une meilleure maîtrise de l'implantation des multiplexes et un renforcement des aides en faveur de l'exploitation de proximité.
II - Le second pilier de ma politique : renforcer les aides en faveur de l'exploitation de proximité
A - C'est ainsi qu'un certain nombre d'initiatives doivent être entreprises en faveur de l'exploitation indépendante et de sa modernisation.
Les conclusions du groupe de travail animé par Mme Francine Mariani-Ducray et M. Didier Motchane, que j'avais mis en place il y a quelques mois pour mener une réflexion sur la réforme de l'aide sélective aux salles et l'ensemble des aides destinées au secteur de l'art et essai, m'ont amenée à envisager les axes de réforme suivants :
· d'abord il convient de mieux définir les priorités et les destinataires de l'aide sélective aux salles en la réservant clairement aux exploitants indépendants, ce qui n'est pas juridiquement le cas aujourd'hui ;
·
· ensuite, je crois indispensable de permettre à l'aide sélective d'apporter son concours à des projets de modernisation ambitieux, en dépassant le plafond de 3 MF limitant les possibilités d'intervention en faveur de projets de modernisation ou de création de salles. Toutefois, ce déplafonnement de l'aide ne pourra bénéficier qu'à des projets répondant à certaines caractéristiques (notamment les projets de centre ville) et sous réserve que les bénéficiaires prennent des engagements fermes en matière de programmation. L'enveloppe de l'aide sélective à l'exploitation sera adaptée à ce nouveau besoin qui fait à l'heure actuelle l'objet d'une expertise par le CNC ;
·
· - enfin je vais demander au Directeur général du Centre national de la cinématographie d'ouvrir des discussions avec les collectivités locales afin d'encourager une meilleure implication de celles-ci et notamment des grandes villes, dans le financement de projets de qualité, ce qu'interdit actuellement la Loi Sueur, qui a fixé il y a plusieurs années un seuil (exprimé en nombre d'entrées hebdomadaires) au delà duquel une collectivité locale n'est plus autorisée à soutenir la modernisation d'un établissement cinématographique. Il convient que ce seuil soit révisé, afin de permettre un véritable concours des collectivités locales à l'effort de modernisation de notre parc de salles.
·
B - L'importance des secteurs art et essai
S'agissant du secteur de l'art et essai, qui demeure aujourd'hui - on l'oublie trop souvent - le premier réseau de salles en France, je suis favorable à ce que l'on réexamine les conditions d'attribution de l'aide, en les simplifiant et en les rendant plus prévisibles pour les bénéficiaires. Il faut mettre à l'étude un classement par établissement et revoir à la lumière du dernier recensement et d'une mise à jour de la géographie du parc de salles, le zonage du territoire tel qu'il avait été défini en 1991 pour la fixation du montant des aides. C'est un chantier long et important qui s'ouvre devant nous, dont le CNC et l'AFCAE ont déjà tracé les contours. Je suis en effet convaincue que les salles d'art et d'essai ont un rôle primordial à jouer dans les années qui viennent, pour promouvoir un cinéma différent, exigeant, par des pratiques qui font leur spécificité et dans lesquelles elles excellent : l'animation, la fidélisation du public
L'intérêt général commande en effet qu'à l'avenir notre parc de salles continue de se distinguer par les valeurs qui sont les siennes : le pluralisme des opérateurs, la diversité des salles et de la programmation, la proximité. Et ces valeurs, il appartient à la communauté des professionnels de l'exploitation de les défendre et de les illustrer, et aux pouvoirs publics d'en faire leur priorité à travers les mécanismes de soutien qui caractérisent leur intervention dans ce secteur.
C - Permettez - moi maintenant de vous faire part de certaines préoccupations qu'il me semble important aujourd'hui de vous exposer, même si vous êtes enclins à penser qu'elles ne concernent qu'indirectement votre rôle d'exploitants.
Tout à l'heure, j'ai évoqué la hausse de la fréquentation en vous remerciant de la part qui vous revient de ce succès, puisque c'est l'exploitant qui est au contact du public et qui a le pouvoir de l'inciter à fréquenter les salles. Cet engagement est capital pour l'avenir du cinéma comme spectacle public : c'est en effet sur vos efforts personnels que repose en grande partie l'avenir du spectacle cinématographique, et non seulement sur les progrès de la technologie qui croit pouvoir réduire le cinéma à la seule dimension du "Home Theater" : il n'existe pas d'équivalent en français de ce terme, et c'est peut être rassurant.
Or j'observe, et c'est un vrai sujet de préoccupation, que l'augmentation de la fréquentation des salles ne s'est pas faite au bénéfice du cinéma français, dont la part de marché a été médiocre en 1998.
Quand bien même il serait permis d'espérer un mieux pour l'année en cours, cet état de fait a permis de révéler la fragilité économique des distributeurs de films français. Je sais que vous avez eu une très fructueuse journée de travail et d'échanges avec les distributeurs mardi dernier, et je me réjouis de la coopération qui peut s'instaurer entre vos deux secteurs d'activité. J'ai, comme vous le savez, confié à Daniel Goudineau, Directeur général adjoint du CNC, une mission d'analyse et de proposition sur la distribution qui m'apparaît comme un maillon faible du cinéma français, pourtant vital pour l'avenir de nos films.
Je tiens donc à vous demander de mobiliser toute votre énergie en faveur des films français qui, bien souvent, luttent à armes inégales avec les productions américaines au budget démesuré, et dont la promotion est massive.
Je sais que certains suggèrent aujourd'hui de rétablir des quotas pour les films en salles, comme il en existait dans les années cinquante, ou de proportionner le soutien automatique au nombre de films européens programmés par chaque exploitant. Je préfère pour ma part éviter les systèmes contraignants et faire appel à la responsabilité de chacun. L'industrie du cinéma dans son ensemble doit, par vocation, être solidaire, et c'est pourquoi je vous demande de défendre la production française comme elle le mérite.
J'ai la conviction que la bataille permanente que nous devons mener pour préserver notre identité culturelle passe par le désir du public lui-même d'avoir accès à une offre cinématographique riche et diversifiée. Or, vous le savez, un public cela se construit, cela s'entretient, cela se forme, et l'une des missions de mon ministère est de former le public de demain. C'est la priorité que j'accorde actuellement à l'éducation à l'image. Votre collaboration à cette initiative est bien entendue précieuse, à travers des opérations comme " Lycéens au cinéma ", " Collège au cinéma ", " Ecole et cinéma " que j'ai l'intention d'étendre à terme, à l'ensemble des régions. Vous êtes les partenaires naturels de ce dispositif, ainsi que des opérations de démocratisation culturelle du type " un été au ciné ", qui a rencontré un réel succès cette année dans plus de 300 villes. Je souhaite que notre collaboration s'intensifie sur ces projets selon des modalités qu'il nous appartient de définir en commun.
Voilà, monsieur le président, mesdames et messieurs, l'essentiel du message que je souhaitais vous adresser aujourd'hui.
Comme vous le savez, la France va, dans les mois qui viennent, à l'approche d'un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, devoir défendre son système d'aide et de protection du cinéma.
Mon dernier mot sera donc un appel à l'unité de tous les professionnels du secteur : car pour défendre nos acquis et notre exception culturelle, j'ai besoin de la mobilisation de l'ensemble des métiers du cinéma, afin qu'ils manifestent le plus visiblement possible leur solidarité et leur union autour de la défense des principes qui nous sont les plus précieux. Je suis convaincue que vous entendrez cet appel et que vous y répondrez positivement.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 1er octobre 1999)
mesdames et messieurs,
Deux années se sont écoulées depuis le Congrès de Dijon où nous avions dressé ensemble un état du secteur de l'exploitation, et recensé les chantiers à venir. En deux ans la situation du cinéma en France a connu des évolutions importantes, en particulier dans votre secteur.
Beaucoup de ces évolutions sont positives et je ne peux que m'en réjouir : au premier rang d'entre elles, croyez bien que je ne suis pas indifférente à l'événement que constitue l'embellie de la fréquentation, amorcée depuis 1996, mais qui s'est confirmée en 1997 et surtout en 1998. Et je sais combien l'industrie du cinéma dans son ensemble est redevable aux exploitants, à leur esprit d'initiative, à leurs efforts et à leur ténacité, d'avoir pu connaître ce redressement.
Il est trop tôt pour faire des prévisions fiables pour l'année 1999, mais j'espère que, sans peut-être atteindre les sommets que nous avons connus l'an passé, les chiffres de la fréquentation de l'année en cours confirmeront que la progression des entrées est durable. Si j'en juge par les excellents résultats de la fête du cinéma pour son édition 99, grâce à vous, avec 4,3 millions d'entrées, je crois que nous pouvons être optimistes.
Cette tendance rompt définitivement avec les années noires que nous avons connues il y a une décennie - lorsque certains prévoyaient le déclin irréversible de la fréquentation cinématographique.
L'effort soutenu des pouvoirs publics, conjugué au dynamisme des exploitants, a porté ses fruits et permis de redonner au public le goût du spectacle cinématographique. Notre système d'aide à l'investissement, en particulier, a permis, même dans les périodes les plus noires de crise de la fréquentation, le maintien et la modernisation d'un parc de salles qui reste le premier d'Europe.
La France reste aussi, de tous les pays d'Europe, celui où la fréquentation est la plus élevée, où la diversité des films offerts au public est la plus grande, qui peut s'enorgueillir d'avoir le meilleur réseau de salles d'art et d'essai, et où la part de marché du film national - quoiqu'à mes yeux insuffisante - est la plus haute.
Je suis cependant loin de me satisfaire de ce type de comparaisons rassurantes, car d'autres défis attendent le cinéma français, au vu d'évolutions récentes ou à venir.
I - Le premier pilier de ma politique : mieux réguler l'implantation des multiplexes
Depuis notre dernière rencontre à Dijon, c'est évidemment l'implantation des " multiplexes " qui suscite de légitimes interrogations et retient l'attention de tous, avec des préoccupations et des attentes parfois différentes.
A. C'est un phénomène auquel je suis attentive et qui suscite des interrogations légitimes
Croyez- bien que je n'ai méconnu ni l'ampleur de ce phénomène, ni ses implications. Depuis plusieurs mois déjà, les conséquences liées à l'implantation de ces nouveaux équipements m'ont amenée, à de nombreuses reprises, à demander aux Préfets d'exercer un recours à l'encontre des autorisations délivrées par les Commissions départementales d'équipement cinématographique, afin d'éviter des risques de suréquipement, ou de situations de concurrence à l'évidence insupportables pour des petites exploitations indépendantes.
Je n'exagérerais pas en vous disant que j'ai consacré beaucoup de mon temps à l'étude de ce dossier, je devrais dire d'ailleurs, de ces dossiers, tant le phénomène des multiplexes relève autant d'une analyse au cas par cas, que de considérations d'ordre général. Je crois d'ailleurs qu'il faut se garder en cette matière de toute attitude manichéenne et écarter toute vision exclusivement négative des multiplexes.
Le développement rapide de ce nouveau type d'équipement révèle, en premier lieu, qu'une réelle capacité d'investissement s'est mobilisée en faveur de l'exploitation cinématographique - ce qui est un signe de santé évident. Je ne peux que me réjouir de ces évolutions. Les multiplexes ont aussi contribué à l'augmentation de la fréquentation. Peut-être même - des études sont en cours sur ce sujet - ont-ils attiré de nouveaux publics vers leurs salles, sans doute séduits par une qualité de projection qui rend hommage aux oeuvres et par des espaces d'accueil.
Mais d'un autre côté, l'on ne doit pas feindre d'ignorer les risques de déséquilibres dans la composition du parc français, qui peuvent à terme, être engendrés par l'accroissement rapide du nombre des multiplexes. Si le rythme de création de ces établissements (12 en moyenne par an) a été régulier ces trois dernières années, il a connu une accélération sensible, et peut être excessive cette année avec 9 ouvertures sur le seul premier semestre 1999 et 31 projets examinés en CDEC sur la même période.
Enfin, s'ils ne représentent que 12 % des écrans et des fauteuils, leur poids dans l'économie de l'exploitation connaît également une progression très rapide, puisque leur part de la recette guichet s'élève maintenant à 25 %.
Il y a là matière à de nombreuses interrogations, et sur plusieurs plans :
· tout d'abord en termes d'aménagement du territoire : peut-on estimer que les implantations de multiplexes qui ont été décidées jusqu'à ce jour, répondent à un véritable souci d'aménagement du territoire, ou - ce qui constitue un objectif prioritaire - d'aménagement des centres urbains, souci qui, faut-il le rappeler, a guidé, des années durant, la patiente construction de notre parc de salles ?
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· ensuite, en termes d'investissement : bien que les principaux opérateurs de multiplexes affichent un optimisme certain, le risque d'un surinvestissement dans ce secteur n'est-il pas à craindre, avec son corollaire obligé : une situation de suréquipement, que l'on redoute déjà sur certains sites ?
·
· - enfin en termes de concurrence et de concentration : il faut absolument mesurer les effets de l'ouverture des multiplexes sur la répartition de la fréquentation, mesurer son impact sur les conditions de la concurrence, et sur les conditions de diffusions des films, notamment, dans certains cas, des films français.
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B. D'où la nécessité, me semble-t-il, de réfléchir à une évolution raisonnée et cohérente de l'implantation de ces nouveaux équipements, conforme à l'intérêt général.
J'ai pris plusieurs initiatives consistant a réguler ces implantations dans le cadre des procédures actuellement en vigueur - ou à corriger les éventuels déséquilibres qui pourraient en résulter. La réforme du barème du soutien automatique à l'exploitation est entrée en vigueur à l'automne 98 : elle vise à rééquilibrer le soutien en fonction de la taille des établissements et de leur chiffre d'affaires, pour favoriser les établissements de taille petite et moyenne par rapport aux grands équipements. Cette mesure est conforme à l'équité et tient compte de la nouvelle physionomie du parc de salles.
S'agissant plus directement de la procédure d'autorisation des multiplexes, j'ai adressé il y quelques mois aux Préfets une circulaire dans laquelle j'ai rappelé que l'instruction des dossiers en CDEC devait être faite au regard de trois critères fondamentaux : concurrence, concentration et aménagement du territoire.
A chaque fois que l'un ou plusieurs de ces critères m'a semblé être méconnu par une décision de CDEC, j'ai usé de mon pouvoir de recours et renvoyé le dossier devant la Commission nationale ( j'ai ainsi usé de ce pouvoir à 19 reprises en un an).
Par ailleurs, un décret paru au début de ce mois a pour vocation d'encadrer à l'avenir les conditions de la concurrence entre les multiplexes et l'exploitation locale. Ce texte étend en effet aux propriétaires de salles qui réalisent 0,5 % des entrées sur le territoire métropolitain l'obligation de souscrire des engagements de programmation pour leurs salles qui recueillent plus de 25 % des entrées ou des recettes dans leur zone d'attraction (ce pourcentage étant abaissé à 8% pour la région parisienne). Le Comité consultatif de la diffusion, dans ses travaux préparatoires à cette nouvelle réglementation a défini deux types d'engagements de nature à atténuer les effets d'une concurrence trop vive des multiplexes dans certaines zones, à savoir :
· la limitation de la pratique de multidiffusion d'un film dans plusieurs salles d'un même établissement ;
·
· une codification des relations entre les exploitants art et essai et les multiplexes concernant l'accès à certains films ;
·
Ce nouveau décret permet aussi d'augmenter l'effectif des magistrats siégeant au Comité consultatif de la diffusion afin que celui-ci puisse exercer de manière satisfaisante son droit de vote dans les CDEC au sein desquelles un de ses représentants siège de droit.
Toutefois ces mesures ne suffisent pas à répondre aux problèmes soulevés par la procédure d'autorisation des multiplexes telle qu'elle résulte de la loi de juillet 1996, modifiée en 1998.
Au fond, ce qui manque dans le dispositif législatif actuel, c'est la reconnaissance claire de la spécificité culturelle de ces équipements, dont la vocation est distincte d'autres types d'équipements commerciaux.
Un multiplexe n'est pas un hypermarché ! Le processus de décision qui conduit les membres des commissions départementales d'équipement cinématographique à autoriser un équipement de ce type, voire plusieurs, dans une zone d'attraction donnée, peut certes répondre à des préoccupations légitimes et respectables d'équipement local : création d'emplois, rentrées de taxe professionnelle, aménagement de zones d'activités. Mais ces préoccupations entrent parfois en contradiction avec d'autres exigences qui m'apparaissent essentielles : maintien de l'exploitation de proximité, animation des centres ville, protection des salles classées d'art et essai, etc.
Ces dysfonctionnements, et pour mieux dire, l'inadaptation du système actuel qui ne permet pas une véritable régulation du développement des multiplexes, m'amènent à penser qu'il convient sans doute de procéder à des aménagements au dispositif légal et réglementaire actuellement en vigueur.
Faut-il pour autant s'engager dans la voie d'un moratoire, demandé par certains ? Je ne le crois pas. Il est aisé pour un maire de déclarer un moratoire qui implique qu'il ne délivrera plus de permis de construire pendant une période donnée. Mais un moratoire national ne pourrait être décidé que par la loi, après de longs débats. Dans ce délai, on pourrait craindre une multiplication des demandes d'autorisation de la part des investisseurs.
C'est pourquoi j'ai fait le choix - et c'est à votre assemblée que j'ai souhaité réserver la primeur de cette annonce - de confier à une personnalité indépendante et qualifiée, le conseiller d'Etat Francis Delon, qui préside la Commission de classification des oeuvres cinématographiques, une mission d'expertise et d'analyse sur l'implantation des multiplexes, qui devrait conduire, en concertation avec tous les acteurs concernés, à des propositions de modification ou d'aménagement du cadre légal actuellement en vigueur. Dans l'attente de ces évolutions, je continuerai à user avec vigilance des pouvoirs de régulations dont je dispose.
L'action des pouvoirs publics dans le domaine de l'exploitation cinématographique ne saurait toutefois se borner à la seule préoccupation de mieux contrôler le développement des multiplexes. Ma politique dans le domaine de l'exploitation comprend en effet deux piliers complémentaires : une meilleure maîtrise de l'implantation des multiplexes et un renforcement des aides en faveur de l'exploitation de proximité.
II - Le second pilier de ma politique : renforcer les aides en faveur de l'exploitation de proximité
A - C'est ainsi qu'un certain nombre d'initiatives doivent être entreprises en faveur de l'exploitation indépendante et de sa modernisation.
Les conclusions du groupe de travail animé par Mme Francine Mariani-Ducray et M. Didier Motchane, que j'avais mis en place il y a quelques mois pour mener une réflexion sur la réforme de l'aide sélective aux salles et l'ensemble des aides destinées au secteur de l'art et essai, m'ont amenée à envisager les axes de réforme suivants :
· d'abord il convient de mieux définir les priorités et les destinataires de l'aide sélective aux salles en la réservant clairement aux exploitants indépendants, ce qui n'est pas juridiquement le cas aujourd'hui ;
·
· ensuite, je crois indispensable de permettre à l'aide sélective d'apporter son concours à des projets de modernisation ambitieux, en dépassant le plafond de 3 MF limitant les possibilités d'intervention en faveur de projets de modernisation ou de création de salles. Toutefois, ce déplafonnement de l'aide ne pourra bénéficier qu'à des projets répondant à certaines caractéristiques (notamment les projets de centre ville) et sous réserve que les bénéficiaires prennent des engagements fermes en matière de programmation. L'enveloppe de l'aide sélective à l'exploitation sera adaptée à ce nouveau besoin qui fait à l'heure actuelle l'objet d'une expertise par le CNC ;
·
· - enfin je vais demander au Directeur général du Centre national de la cinématographie d'ouvrir des discussions avec les collectivités locales afin d'encourager une meilleure implication de celles-ci et notamment des grandes villes, dans le financement de projets de qualité, ce qu'interdit actuellement la Loi Sueur, qui a fixé il y a plusieurs années un seuil (exprimé en nombre d'entrées hebdomadaires) au delà duquel une collectivité locale n'est plus autorisée à soutenir la modernisation d'un établissement cinématographique. Il convient que ce seuil soit révisé, afin de permettre un véritable concours des collectivités locales à l'effort de modernisation de notre parc de salles.
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B - L'importance des secteurs art et essai
S'agissant du secteur de l'art et essai, qui demeure aujourd'hui - on l'oublie trop souvent - le premier réseau de salles en France, je suis favorable à ce que l'on réexamine les conditions d'attribution de l'aide, en les simplifiant et en les rendant plus prévisibles pour les bénéficiaires. Il faut mettre à l'étude un classement par établissement et revoir à la lumière du dernier recensement et d'une mise à jour de la géographie du parc de salles, le zonage du territoire tel qu'il avait été défini en 1991 pour la fixation du montant des aides. C'est un chantier long et important qui s'ouvre devant nous, dont le CNC et l'AFCAE ont déjà tracé les contours. Je suis en effet convaincue que les salles d'art et d'essai ont un rôle primordial à jouer dans les années qui viennent, pour promouvoir un cinéma différent, exigeant, par des pratiques qui font leur spécificité et dans lesquelles elles excellent : l'animation, la fidélisation du public
L'intérêt général commande en effet qu'à l'avenir notre parc de salles continue de se distinguer par les valeurs qui sont les siennes : le pluralisme des opérateurs, la diversité des salles et de la programmation, la proximité. Et ces valeurs, il appartient à la communauté des professionnels de l'exploitation de les défendre et de les illustrer, et aux pouvoirs publics d'en faire leur priorité à travers les mécanismes de soutien qui caractérisent leur intervention dans ce secteur.
C - Permettez - moi maintenant de vous faire part de certaines préoccupations qu'il me semble important aujourd'hui de vous exposer, même si vous êtes enclins à penser qu'elles ne concernent qu'indirectement votre rôle d'exploitants.
Tout à l'heure, j'ai évoqué la hausse de la fréquentation en vous remerciant de la part qui vous revient de ce succès, puisque c'est l'exploitant qui est au contact du public et qui a le pouvoir de l'inciter à fréquenter les salles. Cet engagement est capital pour l'avenir du cinéma comme spectacle public : c'est en effet sur vos efforts personnels que repose en grande partie l'avenir du spectacle cinématographique, et non seulement sur les progrès de la technologie qui croit pouvoir réduire le cinéma à la seule dimension du "Home Theater" : il n'existe pas d'équivalent en français de ce terme, et c'est peut être rassurant.
Or j'observe, et c'est un vrai sujet de préoccupation, que l'augmentation de la fréquentation des salles ne s'est pas faite au bénéfice du cinéma français, dont la part de marché a été médiocre en 1998.
Quand bien même il serait permis d'espérer un mieux pour l'année en cours, cet état de fait a permis de révéler la fragilité économique des distributeurs de films français. Je sais que vous avez eu une très fructueuse journée de travail et d'échanges avec les distributeurs mardi dernier, et je me réjouis de la coopération qui peut s'instaurer entre vos deux secteurs d'activité. J'ai, comme vous le savez, confié à Daniel Goudineau, Directeur général adjoint du CNC, une mission d'analyse et de proposition sur la distribution qui m'apparaît comme un maillon faible du cinéma français, pourtant vital pour l'avenir de nos films.
Je tiens donc à vous demander de mobiliser toute votre énergie en faveur des films français qui, bien souvent, luttent à armes inégales avec les productions américaines au budget démesuré, et dont la promotion est massive.
Je sais que certains suggèrent aujourd'hui de rétablir des quotas pour les films en salles, comme il en existait dans les années cinquante, ou de proportionner le soutien automatique au nombre de films européens programmés par chaque exploitant. Je préfère pour ma part éviter les systèmes contraignants et faire appel à la responsabilité de chacun. L'industrie du cinéma dans son ensemble doit, par vocation, être solidaire, et c'est pourquoi je vous demande de défendre la production française comme elle le mérite.
J'ai la conviction que la bataille permanente que nous devons mener pour préserver notre identité culturelle passe par le désir du public lui-même d'avoir accès à une offre cinématographique riche et diversifiée. Or, vous le savez, un public cela se construit, cela s'entretient, cela se forme, et l'une des missions de mon ministère est de former le public de demain. C'est la priorité que j'accorde actuellement à l'éducation à l'image. Votre collaboration à cette initiative est bien entendue précieuse, à travers des opérations comme " Lycéens au cinéma ", " Collège au cinéma ", " Ecole et cinéma " que j'ai l'intention d'étendre à terme, à l'ensemble des régions. Vous êtes les partenaires naturels de ce dispositif, ainsi que des opérations de démocratisation culturelle du type " un été au ciné ", qui a rencontré un réel succès cette année dans plus de 300 villes. Je souhaite que notre collaboration s'intensifie sur ces projets selon des modalités qu'il nous appartient de définir en commun.
Voilà, monsieur le président, mesdames et messieurs, l'essentiel du message que je souhaitais vous adresser aujourd'hui.
Comme vous le savez, la France va, dans les mois qui viennent, à l'approche d'un nouveau cycle de négociations commerciales multilatérales, devoir défendre son système d'aide et de protection du cinéma.
Mon dernier mot sera donc un appel à l'unité de tous les professionnels du secteur : car pour défendre nos acquis et notre exception culturelle, j'ai besoin de la mobilisation de l'ensemble des métiers du cinéma, afin qu'ils manifestent le plus visiblement possible leur solidarité et leur union autour de la défense des principes qui nous sont les plus précieux. Je suis convaincue que vous entendrez cet appel et que vous y répondrez positivement.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 1er octobre 1999)