Déclaration de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur la crise des filières bovine et viticole, le développement rural, la réduction du temps de travail et les négociations internationales, Versailles le 14 mars 2002.

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Circonstance : Discours de clôture du 56ème congrès de la FNSEA à Versailles les 13 et 14 mars 2002

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur le représentant du Président de la République,
Madame la représentante du Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames ; Messieurs,
Chers Amis,
Monsieur le Ministre, Soyez le bienvenu devant le 56ème congrès de la FNSEA. Vous y arrivez dans un état quasi virginal.
En effet, vous n'êtes en poste que depuis 15 jours. C'est trop peu pour avoir un bilan. Pas assez pour encourir nos critiques.
Cependant vous n'êtes pas un inconnu. Votre action au Parlement en qualité de rapporteur de la loi d'orientation, la mission à haut risque que vous avez effectuée sur la chasse : tout cela a laissé de vous l'image d'un homme de dialogue, ouvert et responsable. Vous voyez que je vous accueille avec un préjugé favorable. Dépêchez-vous d'en profiter ; ça ne durera peut-être pas !
Monsieur le Ministre, autant le dire d'emblée, l'exercice auquel nous allons nous livrer l'un et l'autre soulève une difficulté particulière : c'est celle de votre longévité ministérielle.
Une chose est à peu près sûre : vous allez occuper votre poste pendant au moins 2 mois. Après, c'est la glorieuse incertitude de la démocratie : votre CDD peut très bien déboucher sur un CDI. Mais vous n'en savez rien, et moi non plus. C'est la dure loi du travail précaire !
Mon propos sera donc divisé en 2 parties.
La première est plutôt tournée vers le court terme. Deux mois, c'est court, mais en s'y prenant bien, on peut faire beaucoup de choses en 60 jours. Nous avons quelques idées à vous proposer.
La seconde partie est consacrée à notre vision de l'agriculture et aux solutions que nous préconisons pour relever les défis qui l'attendent. Elle s'adresse au responsable politique à qui nous demandons, quel que soit le poste qu'il occupera demain, de défendre l'agriculture française, sur la scène européenne comme au niveau international.
Pour occuper les deux mois qui viennent, nous avons mitonné un petit programme de travail à votre intention.
Le premier dossier concerne deux secteurs qui souffrent particulièrement en ce moment : viande bovine et viticulture.
Le Gouvernement avait promis aux éleveurs un plan d'accompagnement au début de l'année. C'est peu dire qu'ils ont été déçus par le dispositif annoncé le 7 janvier. Je le dis tout net : ce plan n'est pas à la hauteur du désastre subi par les producteurs de viande bovine. Avec les critères qui ont été fixés, bon nombre d'éleveurs ne vont rien obtenir ou si peu. Pour ceux-là, Monsieur le Ministre, nous réclamons un geste de solidarité. Et pour tous, la mise en uvre rapide de ce plan. On nous a demandé de remplir nos demandes en 10 jours. Ne nous dites pas qu'il faudra 10 mois à vos services pour y donner suite !
Pour ceux qui ont été touchés par un cas d'ESB, faites preuve d'équité. La rigidité de l'administration sur le montant des indemnités conduit à des situations intenables. Notamment quand il s'agit d'un troupeau à haute valeur génétique. Les éleveurs font déjà d'énormes sacrifices au nom du principe de précaution. Ne rajoutons pas l'injustice au traumatisme!
En ce qui concerne la viticulture, notre patience est à bout.
Vous avez annoncé hier de nouvelles mesures. Ce dispositif, il ressemble étrangement au plan que votre prédécesseur avait mis au point au début de l'année pour, soit disant, venir en aide aux éleveurs bovins. Vous ne serez donc pas étonné d'apprendre qu'il ne nous satisfait pas. Ni ses critères d'éligibilité qui sont trop restrictifs. Ni ses aides qui sont d'un montant dérisoire au regard des pertes subies. Sans parler des producteurs en caves particulières qui sont complètement oubliés.
Tout est à revoir ; à commencer par les critères d'attribution des aides qui doivent, notamment, donner priorité à ceux qui feront l'effort de contribuer à l'assainissement du marché par la distillation.
Et puis, pour tout vous avouer, quelque chose nous étonne. La semaine dernière vous avez tenu une réunion sur la crise viticole sans y convier la FNSEA. Hier, vous étiez à Montpellier alors que nous étions en Congrès. Monsieur le Ministre, croyez-vous pouvoir vous passer de l'avis de la FNSEA ?
Deuxième point - et non des moindres : le développement rural.
Nous n'avons rien contre les CTE. Bien au contraire. Ces instruments peuvent utilement accompagner l'évolution d'une exploitation, qu'il s'agisse de développer de nouvelles activités ou de protéger l'environnement.
Mais ne pêchons pas par dogmatisme ! Certaines mesures agri-environnementales doivent pouvoir être mises en uvre hors CTE, comme on nous l'a promis pour la prime rotationnelle. Une mesure pour laquelle, je vous le rappelle, nous attendons toujours la circulaire d'application.
Pour ce qui est de la prime à l'herbe, on nous parle d'un CTE simplifié. Pourquoi pas ! La simplification des CTE, vous le savez, nous l'attendons impatiemment. Les agriculteurs et le personnel de vos DDA vous en sauront gré.
L'agriculture raisonnée sera mon troisième point. Vous nous avez promis que les décrets seraient signés avant les élections. Dont acte.
Le décret sur le référentiel ne devrait pas poser de problème. Celui sur l'étiquetage nous inquiète plus. Que se passera-t-il si un de nos partenaires européens, à qui vous l'avez soumis, le récuse ? Notre engagement en faveur de l'agriculture raisonnée est sans ambiguïté mais il n'est pas inconditionnel. Les agriculteurs doivent pouvoir obtenir une juste valorisation de leurs efforts ; ce qui passe par l'étiquetage des produits. Ce décret, il nous le faut à tout prix.
Et puisque l'agriculture raisonnée était une des dispositions de la loi dite " NRE ", je me permets de vous faire remarquer que nous attendons toujours un certain nombre de décrets d'application ; en particulier ceux relatifs au référence des modes de production et à l'étiquetage des produits sous signe de qualité. Il ne faudrait pas que la grande distribution récupère, grâce à l'inertie réglementaire, ce qu'elle a perdu sur le plan législatif.
Mon quatrième point est relatif aux 35 heures. Cette loi soulève des problèmes dans toutes les productions, problèmes résolus plus ou moins bien, ou plus ou moins mal. Mais s'il est un secteur où ils ne sont pas résolus du tout, c'est celui des productions qui ont recours à une abondante main d'uvre saisonnière.
Monsieur le Ministre, ce n'est pas à vous que je vais apprendre que les vendanges ne s'étalent pas sur 6 mois, que les chrysanthèmes se vendent à la Toussaint, et qu'il faut cueillir les cerises quand elles sont mûres. Avant c'est trop tôt, et après c'est trop tard.
Avec cette loi sur les 35 heures, les employeurs de main d'uvre saisonnière sont aujourd'hui dans la nasse.
Nous avons engagé des discussions avec nos partenaires sociaux, et nous envisagerons avec eux tous les aspects de l'emploi saisonnier, qui ne doit plus être synonyme de travail dévalorisé.
Mais certaines solutions relèvent de la réglementation et non de la négociation. Nous comptons sur vous pour réduire le coût du travail, en généralisant les exonérations de charges et en supprimant l'effet couperet du recours aux heures supplémentaires.
Et puisqu'il est question d'emploi, je vous avoue que j'ai été surpris de lire votre déclaration selon laquelle la coopération ne serait plus un secteur porteur dans ce domaine. Pour nous, au contraire, l'agriculture et tous ses partenaires, en premier lieu les coopératives, représentent un gisement d'emplois qu'il faut conforter.
Cinquième point : l'environnement. Je ne vais pas vous redire tout le mal que nous pensons du PMPOA " nouvelle formule ". N'aggravez pas la situation avec les zones à excédents structurels. L'arrêté publié ne nous satisfait pas : il est bien trop rigide. Soyez pragmatique. Demandez à vos services d'appliquer ce dispositif intelligemment ; c'est à dire avec suffisamment de souplesse pour qu'il n'entraîne pas la fermeture d'ateliers de production dont on déplorerait ensuite la disparition.
Enfin, un mot sur les prêts bonifiés. Ils jouent un rôle essentiel dans l'installation et la modernisation des exploitations. Ne les mettons pas en danger.
Monsieur le Ministre, j'ai mentionné en introduction votre responsabilité de rapporteur de la loi d'orientation de juillet 1999. Aussi, je ne vous ferai pas l'offense de vous rappeler la disposition dont vous êtes co-auteur concernant le Fonds de Communication. Nous attendons sa mise en place et je ne doute pas que le Ministre de l'Agriculture que vous êtes aura à cur de réaliser les engagements du rapporteur que vous étiez.
Bien d'autres sujets d'actualité pourraient être développés. J'ai tenu à vous exposer ceux qui nous paraissent les plus importants.
Venons-en aux sujets de long terme. A notre projet pour redonner espoir et perspectives aux agriculteurs français.
Notre vision de l'agriculture, elle est sortie confirmée et renforcée des travaux de notre congrès : c'est celle d'une agriculture qui participe à la création d'emplois et qui contribue à la richesse nationale ; une agriculture ouverte sur la société et contribuant à la vitalité des territoires ruraux. Bref, une agriculture qui assure l'équilibre entre les hommes, les produits et les territoires.
Cette agriculture, c'est celle qu'attendent nos concitoyens. Nous sommes prêts à en relever le défi. C'est notre contribution au nouveau contrat entre l'agriculture et la Nation que nous appelons de nos vux. En retour, nous demandons deux choses très simples - ou plutôt deux choses qui devraient être très simples tant elles semblent évidentes.
La première, c'est de la considération pour les efforts que nous faisons ; pour le travail que nous réalisons afin de répondre aux attentes de nos concitoyens et notamment, à la première de leur exigence : consommer des aliments de qualité en toute sécurité.
La deuxième chose que nous réclamons, c'est tout simplement de pouvoir vivre de notre travail. Car s'il n'y a " pas de pays sans paysans " comme disait Raymond Lacombe, il n'y aura pas non plus de paysans sans revenu. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement.
Vivre de notre métier, cela dépend d'abord de nous, de notre capacité à tirer parti de toutes les opportunités que nous offre le marché. Mais pour porter leurs fruits, nos efforts et nos initiatives ont aussi besoin d'un engagement résolu des Pouvoirs publics, français et européens, en faveur de l'agriculture et des agriculteurs.
Que reste-t-il de notre politique agricole ? Elle s'est effilochée au fil des ans sous le travail de sape d'un ultra libéralisme qui entend régenter la planète. La logique qui casse les OCM et affaiblit la préférence communautaire, nous savons où elle conduit : à une succession sans fin de crises de marché ; à la baisse des prix, à la chute du revenu et donc la diminution du nombre d'agriculteurs.
Oui ! nous l'affirmons : notre métier a un prix. Et ce prix, ce n'est pas celui du moins disant mondial. C'est celui de nos terroirs et de nos savoir-faire ; de nos campagnes et de nos paysages.
Il nous faut une politique agricole digne de ce nom. Une préférence communautaire qui ne ressemble pas à une passoire et des OCM qui veulent bien dire Organisations Communes de Marché et non Organisations Carrément Mondialisées !
On parle beaucoup de renforcer le second pilier de la PAC. Nous sommes, bien sûr, favorables au renforcement de la politique de développement rural. Mais à condition qu'elle vienne en complément - et pas au détriment - de la politique de gestion et de régulation des marchés.
Même chose pour l'élargissement. Nous en sommes bien entendu partisans. Mais pas au prix d'un démantèlement de la PAC. Les paysans des pays candidats à l'adhésion ont besoin, eux aussi, d'une politique agricole ambitieuse.
Et le " rendez-vous à mi-parcours des accords de Berlin ", c'est bien un " rendez-vous " et non pas une révision. Pas question de réformer la PAC de façon anticipée ! Surtout si c'est pour faire des économies budgétaires sur le dos des OCM.
Et puisque l'avenir de la PAC se joue aussi à l'OMC, soyons actifs dans les négociations qui s'y déroulent actuellement.
A Doha, le pire a pu être évité. Cependant, s'il ne compromet pas l'avenir, cet accord ne nous donne aucune garantie non plus. Tout reste à faire.
Nous comprenons les positions défendues par les différents groupes qui négocient aujourd'hui à l'OMC. Nous devons continuer à échanger comme nous l'avons fait ce matin. Mais le modèle agricole européen doit être préservé coûte que coûte. Nous devrons nous battre sur tous les volets, commerciaux et non commerciaux. En commençant par celui de l'accès au marché, clef de voûte de la négociation. Et n'ayons pas de complexe à défendre notre place sur les marchés mondiaux : nos exportations font vivre des milliers d'agriculteurs français. Elles permettent, aussi, d'éviter que l'arme alimentaire ne soit confisquée par un seul pays.
Battons-nous, ensemble, pour une mondialisation maîtrisée et régulée. Une mondialisation qui reconnaisse le droit à la souveraineté alimentaire et participe à la régulation de l'offre mondiale de produits agricoles. Nous ne pouvons pas être les seuls au monde à faire de la maîtrise de la production !
L'évolution de la PAC, les négociations OMC : c'est essentiel. Mais notre revenu et notre avenir se construisent aussi, ici, en France.
Au sein des filières, tout d'abord, où les agriculteurs ont su se prendre en main et développer des partenariats pour un juste partage de la valeur ajoutée. Cette responsabilité, elle nous appartient et nous n'entendons pas la céder à quiconque.
Ce que nous demandons aux Pouvoirs publics, c'est d'accompagner nos efforts et non de les entraver. De mettre un terme aux pratiques commerciales abusives et non de nous laisser seuls face au rouleau compresseur de la distribution. De conforter les interprofessions sur le plan juridique et financier et non de les paralyser au nom du pluralisme syndical. Une interprofession, Monsieur le Ministre, ce n'est pas un office ! Quand on en fait partie, il faut savoir prendre ses responsabilités et les assumer. Il ne s'agit pas de donner simplement son avis et encore moins se contenter de critiquer ce que proposent les autres.
Nous ne demandons pas la lune. Seulement la possibilité de nous organiser pour défendre nos intérêts, valoriser nos produits et instaurer des relations plus équilibrées au sein de la filière agroalimentaire. Et qu'on ne vienne pas nous mettre des bâtons dans les roues quand, après plus d'un an de crise bovine, nous obtenons des abatteurs une modeste revalorisation du prix payé pour nos animaux ! Monsieur le Ministre, vous qui aviez quelques responsabilités à la DGCCRF il y a seulement trois semaines, vous devez savoir de quoi je parle !
Et dites à Mario Monti, le commissaire chargé de la concurrence, qui a fait perquisitionner la FNSEA pour y trouver les traces d'un accord tellement secret que nous l'avions présenté à la presse ; dites-lui que le droit syndical est aussi respectable que le droit de la concurrence. Dites-lui aussi qu'en traitant comme des malfaiteurs des gens qui luttent pour défendre leur existence, il rend un bien mauvais service à la cause européenne.
Des marchés régulés et des filières organisées : voilà la clef du succès. Voilà comment redonner du prix à notre métier. Mais nos revendications ne s'arrêtent pas là.
Un double carcan étouffe notre agriculture. Celui des charges et celui de la sur-administration. Il grève nos revenus et bride notre capacité d'initiative. Ampute nos capacités d'investissement et lamine notre sens des responsabilités. Taxes, impôts, charges sociales, redevances, normes, déclarations, agrément, contrôle... Nous croulons sous les charges et la paperasse. Il serait temps de faire voter une loi contre le harcèlement textuel !
Monsieur le Ministre,
Voilà notre vision de l'agriculture. Voilà ce que nous proposons pour lui donner un nouvel élan. Voilà ce que nous proposons à tous les candidats aux prochaines échéances politiques.
L'agriculture doit rester une grande ambition pour la France. Et pas seulement pendant le salon de l'agriculture ! Sinon, on pourrait croire que les candidats n'étaient là que pour pêcher des voix ! Notre agriculture vaut mieux que cela. Notre vie politique aussi.
Monsieur le Ministre, vous connaissez la FNSEA. Elle est ferme et déterminée dans ses revendications, loyale dans ses appréciations. Vous avez en nous un vrai partenaire : ne négligez pas notre volonté de travailler et de faire avancer les dossiers.
Il ne pourra pas y avoir en France de politique agricole sans l'implication des agriculteurs.
Oui, nous sommes fiers de notre métier. Et cette fierté, nous entendons qu'elle soit partagée par l'ensemble de nos concitoyens, responsables politiques en tête. De la considération pour les efforts que nous réalisons et du revenu pour le travail que nous fournissons : voilà tout ce que nous demandons.
Dignité sociale, pérennité économique : voilà notre programme. Ce programme, c'est celui des 5300 responsables réunis au Palais des Sports il y a 15 jours. Pour rappeler que l'agriculture est au cur de l'emploi, au cur de l'économie, au cur des territoires, au cur du pays !
(Source http://www.fnsea.fr, le 22 mars 2002)