Interview de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, dans "Espace rural" de février 2002, sur la place de l'agriculture dans la recomposition des terriotires ruraux.

Prononcé le 1er février 2002

Média : Espace rural

Texte intégral

Le monde rural évolue, de nouveaux habitants s'y installent, les villes s'étendent et l'agriculteur se retranche parfois dans son pré carré. Quelle place doit occuper l'agriculture dans cette recomposition des territoires ruraux ?
Jean-Michel Lemétayer : La contribution de l'agriculture à la vitalité des territoires ruraux n'est contestée par personne. En revanche on oublie souvent l'existence d'une complémentarité entre les fonctions territoriale et économique de notre métier. L'agriculteur est un acteur économique soucieux de la pérennité de son entreprise mais il est aussi un gestionnaire des territoires, attaché à préserver la qualité des paysages et l'animation des espaces ruraux. On aurait tort de vouloir opposer ou dissocier ces fonctions. L'acte de production demeure le support de notre contribution à la gestion des territoires ruraux. De plus, à cette diversité des fonctions de notre métier, s'ajoute celle des productions agricoles et des terroirs, ce qui nous fait dire qu'il y a de la place pour toutes les formes d'agriculture en France. Et puis cette diversité touche également le revenu des agriculteurs. L'agriculteur doit, bien entendu, vivre avant tout du marché. Affirmer cela, ce n'est pas rejeter les aides directes ; bien au contraire. Lorsque ces soutiens compensent des handicaps naturels ou rémunèrent des fonctions non marchandes de l'agriculture, ils ne sont que la contrepartie de la mise en valeur du territoire que nous assurons pour la collectivité. Enfin, tant que les prix des produits agricoles resteront à un niveau sans rapport avec nos coûts de production, les soutiens directs à la production resteront indispensables.
Vous opposez volontiers une attitude d'ouverture des agriculteurs et de leurs organisations professionnelles à la tentation du repli corporatiste.
J.-M. L. : En effet, nous avons clairement fait le choix de l'ouverture. Cela signifie que les consommateurs peuvent compter sur nous pour leur offrir des produits de qualité, dans le respect des règles de sécurité alimentaire, et que nos concitoyens peuvent nous faire confiance pour protéger l'environnement et les paysages. De nos jours, être ouvert est une nécessité absolue, même à l'intérieur du monde rural. Le temps où agriculture et ruralité se confondaient est révolu. Les agriculteurs doivent apprendre à partager l'espace entre les usages agricoles et non agricoles, et à écouter les demandes des autres acteurs du monde rural, élus locaux, artisans, commerçants, résidents.
Comment comptez-vous traduire dans les faits cette obligation de partage de l'espace et d'ouverture du monde agricole ?
J.-M. L. : En premier lieu, il faut renforcer la cohésion du monde rural, c'est ce que nous faisons depuis plus de dix ans dans le Groupe monde rural (1). Il faut aussi des lieux de dialogue. J'observe que de nombreuses instances agricoles ont ouvert leurs portes aux consommateurs, aux écologistes et aux citoyens-contribuables. C'est le cas des Safer qui sont de véritables instruments de la démocratie foncière. Mais nous ne pourrons pas continuer dans cette voie si nous sommes seuls à le faire. L'ouverture doit être réciproque. Nous demandons d'être associés aux débats et aux décisions concernant l'aménagement du territoire prises dans les instances intercommunales, comme les conseils de pays et d'agglomération. Les agriculteurs n'y sont pas assez présents, quand ils n'en sont pas écartés. Nous voulons être intégrés au mouvement actuel de recomposition des territoires.
Vous demandez en quelque sorte le droit d'être acteur de cette recomposition des territoires ruraux, mais selon quelles règles précises ?
J.-M. L. : Nous réclamons pour le territoire le même principe de régulation que nous voulons pour les marchés des produits agricoles. Dans l'agriculture, cette régulation est assurée par une politique agricole commune que l'on veut cohérente pour nous protéger des pratiques ultra-libérales prêtes à nous engloutir. En ce qui concerne le territoire, les succès de la politique des structures depuis les années 60 montrent combien nous avons raison de dire qu'il faut des règles. Si nos campagnes ne ressemblent pas à celles d'Argentine, d'Australie ou des Etats-Unis, c'est grâce au rôle régulateur de cette politique. Cependant, rien n'est acquis. Nous devons être vigilants et continuer de défendre une politique des structures ambitieuse. On voit bien comment le ralentissement du rythme des départs à la retraite, l'agrandissement des exploitations agricoles et la demande d'espace rural par des citadins accroissent la pression foncière.
Le travail des Safer a été déterminant dans l'application de la politique des structures mais, à entendre certaines voix, cela ne les met pas à l'abri d'une remise en cause de leur droit de préemption.
J.-M. L. : Les Safer jouent un rôle essentiel dans la mise en oeuvre de la politique des structures et elles doivent être confortées dans leur mission, notamment en direction des jeunes agriculteurs. Leur droit de préemption est un élément clé de cette politique puisqu'il contribue à la transparence du marché foncier et en corrige les anomalies les plus flagrantes. Je ne vois donc pas pourquoi on devrait leur retirer cette prérogative.
Globalement quelle politique d'aménagement du territoire défendez-vous ?
J.-M. L. : Nous voulons une politique territoriale qui encourage un développement harmonieux des territoires urbains et ruraux et répartisse de manière équilibrée les activités économiques sur tout le territoire, et en conséquence dans les zones rurales. Cela nécessite un effort accru dans les zones périurbaines où il y a des tensions entre les mondes urbains et ruraux en raison, notamment, des convoitises que fait naître le foncier agricole. Il faut donner aux agriculteurs les garanties dont ils ont besoin pour s'installer ou investir. Pour cela il est grand temps d'assurer un zonage pérenne de l'espace agricole. Les Safer ont d'ailleurs un rôle à jouer dans l'élaboration de ces zonages.
Quel type de relation est à privilégier, selon vous, pour que les agriculteurs puissent traiter d'égal à égal dans les lieux de discussion et de décision avec les acteurs du monde rural et les représentants de la société en général ?
J.-M. L. : La démarche contractuelle est, à bien des égards, une approche prometteuse pour conforter et développer ce type de relations. Le contrat paraît préférable. Sur le plan économique, il a fait ses preuves. Dans le secteur laitier, que je connais bien, producteurs, industriels et distributeurs se comportent en véritables partenaires. Nos relations avec le citoyen-contribuable à propos du territoire et de l'environnement doivent également être placées sous le signe du contrat. Le contrat est à la fois un état d'esprit - le contrat entre la Nation et l'agriculture - et un accord formel. C'est le cas du contrat territorial d'exploitation qui peut accompagner l'évolution des exploitations agricoles s'il n'avait été qu'un simple outil environnemental, il aurait fait des agriculteurs des gardiens de la nature. Avec son volet économique, il peut produire de la valeur ajoutée, créer des emplois et maintenir de la vitalité dans les territoires ruraux. Nous avons aussi tout intérêt à passer contrat avec les collectivités locales pour trouver les moyens d'offrir aux habitants et à leurs élus, notamment des zones périurbaines, ce qu'ils recherchent : la protection des espaces, des lieux de loisirs, du tourisme vert, des possibilités d'éducation et de réinsertion.
Propos recueillis par Dominique Lefebvre
(Source http://www.fnsea.fr, le 7 mai 2002)