Interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur LCI le 22 septembre 1999, sur la perspective de la présidence française de l'Union européenne (réforme des institutions communautaires, abandon de la règle de vote à l'unanimité notamment pour l'harmonisation fiscale) et sur l'équilibre des pouvoirs entre le Parlement, le Conseil de l'Union et la Commission européenne.

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Q - Quel sera le grand dessein de la présidence française ?
R - J'ai envie de dire, même si je vais décevoir, que il n'en faut pas forcement un, parce que nous venons après d'autres, l'Europe est une continuité et nous venons avant d'autres et nous sommes là pour six mois et donc cela serait contre-productif que les Français se disent voilà on est là pour six mois, on va changer l'Europe. Mais nous avons toute une série de grands dossiers à traiter, reformer les institutions européennes, donner plus de citoyenneté aux Européens...
Q - Il y a longtemps qu'on en parle.
R - Oui, mais il faut le faire maintenant parce que cela a été décidé, c'est à la France qu'il revient de reformer ces institutions pour les rendre à la fois plus efficaces, plus transparentes, plus démocratiques.
Q - Il y aura moins de blocages, parce que finalement il s'agit d'abandons de pouvoir.
R - Ce n'est pas la même problématique. En matière d'abandons de pouvoir, il s'agit de décider par exemple qu'on vote à la majorité sur les décisions européennes et qu'on n'applique plus la règle de l'unanimité, c'est extrêmement important. Prenons l'exemple de la fiscalité, si on veut en finir avec les paradis fiscaux, au Luxembourg, en Grande-Bretagne, pourquoi pas plus près de chez nous encore, au Liechtenstein, il faut absolument avancer vers l'harmonisation fiscale. Nous avons eu des difficultés à obtenir le taux de TVA réduit, qui est quand même une bonne mesure, en matière de bâtiment. Cela a été très dur, il faut que ce genre de décision puisse se prendre à l'unanimité, voilà un exemple, il faut avancer sur l'élargissement...
Q - A la majorité.
R - A la majorité sur l'élargissement. Il faut avancer aussi sur tout ce qui concerne l'emploi encore une fois, donner plus de chair, plus de contenu, et donc moi j'ai envie de dire faire en sorte que l'Europe soit une Europe plus populaire, une Europe plus citoyenne, une Europe plus sociale, une Europe plus politique...
Q - La semaine dernière quand Romano Prodi a été investi, il a dit : moi je veux un calendrier pour l'élargissement, je veux savoir à quel moment on passera de 15 à 20, de 20 à 25 et de 25 à 30. Vous dites : ne nous pressons pas.
R - L'Europe, ce n'est pas uniquement le président de la Commission, même si son rôle est de plus en plus important. L'Europe, c'est trois institutions, le Parlement européen, qui monte, même si peu de gens ont voté...
Q - Il monte beaucoup.
R - Il monte beaucoup, et en même temps c'est paradoxal parce que son pouvoir monte alors que les citoyens sont moins intéressés par les élections européennes. Mais, c'est une réalité, il va falloir le rendre encore plus légitime.
Q - Il y a un risque de régime d'Assemblée non ?
R - Je suis un chaud partisan du Parlement européen, j'en ai été membre, je le connais, je l'apprécie, mais ne tombons pas dans le parlementarisme européen...
Q - C'est quand même ce qui le guette hein.
R - Je crois qu'il faut trouver un équilibre entre trois institutions, ce Parlement qui monte, la Commission, qui sort de l'épreuve plus solide, plus politique, avec un président qui la dirige, et le Conseil des ministres et le Conseil européen. Et quand je dis la France va présider le Conseil, cela veut dire que cette instance, composée des ministres, des chefs d'Etat et de gouvernement, est une instance politique, qui représente les peuples, les gouvernements, les Etats et c'est la France qui va avoir cette présidence, au deuxième semestre 2000. Et quand on parle de reformer les institutions, c'est une référence intergouvernementale, comme son nom l'indique, ce sont les gouvernements qui sont à la manoeuvre et sur l'élargissement, il faudra donner une date à un moment donné . Ce que j'ai dit, et je le maintiens, c'est que c'est peut-être un petit peu tôt maintenant.
Ce n'est pas un désaccord avec M. Prodi, il dit des choses, on peut en dire d'autres et encore une fois je crois que cela marche plutôt bien entre le gouvernement et M. Prodi, que nous avons soutenu à la présidence de la Commission, c'est un bon candidat. Et en plus, c'est un Italien, donc un homme du Sud.
Q - Vous ne craignez pas quelques frottements entre la Commission, parce qu'il y a aussi quelques fortes personnalités au sein de cette Commission, le Conseil des ministres, je veux dire.
R - Non, je crois qu'il faut que les choses s'articulent, que les rapports entre les trois institutions se stabilisent. Mais moi, je ne suis pas souverainiste, je ne suis pas attaché comme d'autres à la souveraineté nationale au dessus de tout, même si elle est très importante, mais je ne veux pas non plus que les Etats disparaissent dans l'Europe. Et donc je pense que les institutions européennes de demain ne peuvent pas être uniquement le binôme Commission/Parlement. Le rôle des gouvernements, du Conseil des ministres, du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement doit rester primordial, selon moi, mais je dirais qu'il est vraiment à sa place, parmi les autres.
Q - C'est un peu factice quand même...
R - Non c'est réel.
Q - Parce que avant un Conseil européen, il y a les propositions d'untel, de la présidence, et puis il y a les propositions de la Commission et en général ce sont les propositions de la Commission qui passent. Très souvent.
R - Non j'en suis maintenant à six ou sept...
Q - Et cela ne se passe pas comme cela ?
R - Ah non, dans le Conseil européen ce sont les propositions du Conseil qui passent, parfois la Commission s'en plaint. J'ai un souvenir qui est de l'actualité, c'est l'agenda 2000, c'est-à-dire la réforme de la Politique agricole commune et la réforme des fonds structurels...
Q - C'était tellement sensible...
R - Il y a eu un Conseil européen spécial, et je peux vous dire que les Commissaires, notamment le Commissaire à l'Agriculture - c'était la Commission Santer - se souviennent encore des propositions françaises, des propositions du président de la République française, des propositions du gouvernement français, qui n'ont pas été dans le sens des reformes libérales qu'il proposait. La Commission ne peut pas s'imposer au Conseil, et en même temps il ne serait pas raisonnable qu'il y ait un conflit entre le Conseil et la Commission, donc il faut travailler ensemble et je pense que M. Prodi a des idées. Parlons-nous sans hypocrisie, mais parlons-nous en même temps avec amitié et franchise, et cela va marcher. Je préfère travailler avec des fortes personnalités, honnêtement, qu'avec une Commission qui ne joue pas son rôle d'aiguillon et de propositions, mais la décision c'est le Conseil qui doit la mener...
(...)
R - Moi j'ai un jugement plutôt positif sur la Commission, à la fois sur les personnalités qui la composent, beaucoup sont des amis, ce sont des gens qui connaissent bien l'Europe, et leurs Etats. Ce sont des poids plus lourds dans leurs pays que les sortants, ils ont un esprit collégial qui me parait plus fort et puis ils ont un président dont les pouvoirs sont renforcés. C'est un ancien Premier ministre.
Q - Le Premier ministre en Italie ne dure pas très longtemps.
R - Mais, M. Prodi a aussi fait entrer l'Italie dans la zone euro ce qui quand même n'est pas rien, puisqu'on disait à l'époque que ce pays était incapable d'être gouverné, il l'a fait et donc je dirais que la Commission honnêtement s'est rehaussée. Il est bien que le Parlement soit plus fort et plus démocratique, c'est bien que la Commission soit plus forte, mais n'imaginons pas que ces deux instances puissent se passer des Etats, des gouvernements, et je rappelle le rôle du Conseil et du Conseil européen, et nous y serons extraordinairement vigilants quand nous serons à la présidence, comme toujours, peut-être encore plus vigilants..
Q - Plus vigilants que les autres ? Parce que le courant souverainiste est plus fort en France.
R - Pas le courant souverainiste, parce que la tradition d'attachement à l'Etat, à la nation, est peut-être plus forte qu'ailleurs parce que la France est un Etat fondateur de l'Union européenne, parce que la France continue d'avoir une politique étrangère indépendante, elle ne veut pas se diluer parmi d'autres, nous avons notre voix, nous sommes un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, nous sommes aussi une puissance nucléaire, nous avons une réelle puissance militaire, tout ça cela nous confère un rôle un peu particulier et cela fait que nous avons le souhait d'être écouté pour ce que nous sommes, nous ne souhaitons pas nous diluer dans l'Europe. Nous sommes très européens, nous essayons d'entraîner l'Europe, ou de l'accompagner avec d'autres, nous sommes des fondateurs, mais nous restons des Français en même temps. C'est ainsi.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 septembre 1999)