Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la technologie des circuits intégrés, la politique de recherche et de développement des nouvelles technologies, la formation des ingénieurs et l'annonce de la création d'une Grande école de l'internet, Rousset le 15 mai 2000.

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Circonstance : Inauguration de l'usine ST-Microelectronics à Rousset (Bouches-du-Rhône) le 15 mai 2000

Texte intégral

Madame et Messieurs les ministres,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Nous sommes réunis au coeur d'une région qui n'est pas seulement belle mais aussi moderne et entreprenante : Provence-Alpes-Côte d'Azur. Si la montagne Sainte-Victoire, si le cours Mirabeau, ses hôtels particuliers, l'ombre de ses platanes ne sont pas loin ; si Rousset peut renvoyer à l'image idéale du village provençal, cette région est pour ceux qui y travaillent, qui y vivent, en nombre d'ailleurs croissant, beaucoup plus que la Provence des cartes postales. Vous voulez être, Monsieur le Président, un champion du développement de cette région.
Et, en effet, cette nouvelle usine de l'entreprise "ST-MICROELECTRONICS ", qui nous accueille aujourd'hui, représente en matière de technologie des circuits intégrés une forme d'excellence. "ST-MICROELECTRONICS" s'est durant les dix dernières années, hissée au premier rang dans la bataille économique et technologique mondiale.
C'est le succès d'une entreprise que je veux d'abord saluer.
C'est d'abord un succès industriel. Celui d'hommes et de femmes -au premier rang desquels M. Pasquale PISTORIO. Les chercheurs, les ingénieurs, les cadres, les techniciens qui l'entourent ont démontré que l'innovation, l'esprit d'entreprise sont bien vivants dans notre pays. La France -et l'Europe- étaient hier en retard dans le secteur stratégique de la micro-électronique. Aujourd'hui, "ST-MICROELECTRONICS "se place dans les 10 premiers fabricants mondiaux de circuits intégrés. La grande qualité de ses produits est très largement reconnue.
Votre entreprise est ainsi au coeur de la révolution technologique qui transforme si rapidement le paysage mondial. Les circuits intégrés -les "puces"- s'introduisent dans un nombre croissant d'usages courants : les ordinateurs bien sûr, mais aussi les cartes de paiement, les téléphones, les télévisions et magnétoscopes, les jeux électroniques, l'automobile. Dans cinq ans, un tiers de la valeur d'une voiture sera constitué de micro-électronique. Dès aujourd'hui, le chiffre d'affaire mondial de cette industrie est quatre fois supérieur à celui de l'aéronautique civile. La puce est donc bien le moteur de la nouvelle révolution industrielle, au même titre que l'ont été, en leur temps, la machine à vapeur puis le moteur à explosion.
Ce succès est aussi le fruit d'une volonté publique. Sans jamais renoncer au rôle structurant de l'Etat dans les secteurs stratégiques, tout en privilégiant l'intérêt des entreprises dans la compétition mondiale, mon Gouvernement a voulu, avec ses ministres de l'économie et des finances et le Secrétaire d'Etat à l'industrie, Christian PIERRET, favoriser le développement des entreprises et notamment des entreprises du secteur public. FRANCE TELECOM, THOMSON MULTIMEDIA, RENAULT, ST-MICROELECTRONICS, EADS ont appartenu ou appartiennent encore à ce secteur. Ce sont autant d'entreprises de pointe qui ont su trouver ou retrouver, depuis trois ans, le rang mondial que -nous en avions du moins la conviction- elles devaient occuper. Lorsqu'une vision de long terme guident ses décisions, l'Etat peut être un actionnaire intelligent, surtout s'il sait adapter son action au contexte économique et international des entreprises. Nous en avons, je crois, apporté la preuve.
L'action publique a engagé ici un cercle vertueux, durable et prometteur, qui est un modèle de développement économique régional. Le site de ROUSSET bénéficie depuis vingt ans de politiques actives de reconversion et d'aménagement du territoire, avec l'appui des collectivités locales. Ce site peut ainsi accueillir aujourd'hui plusieurs entreprises de très haute technologie. Il fait bénéficier de leurs atouts l'ensemble de votre région : la création de 4000 emplois, un réseau local de sous-traitants de pointe, au contact de centres universitaires de haut niveau, tant pour la formation initiale que continue. Nous poursuivrons ces politiques. Car elles font de notre pays un territoire attractif pour les investissements les plus innovants.
Ce succès enfin est une réussite européenne. Il s'est fondé sur l'engagement durable de deux Etats, -la France et l'Italie- porteurs d'une vision d'actionnaires de long terme, assurant un soutien constant à la recherche publique. Ce site de ROUSSET a notamment bénéficié de fonds communautaires. Et pour des entreprises de pointe, l'Europe peut être une force.
Parce qu'elle offre au développement des nouvelles technologies un cadre commun. Ainsi, dans le domaine voisin de la téléphonie mobile, l'élaboration d'une cadre législatif harmonisé et de normes communes a doté l'Europe d'une avance de plusieurs années sur ses principaux partenaires et concurrents mondiaux. La norme européenne se répand et s'affirme aujourd'hui dans le monde. Les opérateurs de télécommunications et les fournisseurs de matériels européens sont parmi les plus compétitifs. Et le passage à la troisième génération de téléphonie mobile, qui permettra dans quelques mois de disposer sur son téléphone portable de services internet à haut débit, sera l'occasion d'accroître encore cette avance collective.
L'Europe est aussi un échelon efficace pour instaurer de nouvelles régulations. En ce moment même se tient à Paris une importante conférence du G8 sur la cybercriminalité. Celle-ci doit permettre de faire prendre conscience à chacun de l'importance de renforcer la coopération entre pouvoirs publics et industriels dans la lutte contre ces nouvelles formes de criminalité. Nous partageons en effet le même souci de la sécurité des communications transitant par les réseaux. Pour cela, il est bien sûr nécessaire d'agir à l'échelle mondiale. Le Gouvernement propose, dans le cadre de cette conférence, une série d'actions concrètes en ce sens. Et c'est d'abord avec nos partenaires de l'Union européenne que nous souhaitons les mettre en oeuvre.
Pour être efficace, l'action publique doit donc jouer à la fois des leviers nationaux et européens.
C'est ainsi que nous voulons stimuler l'innovation, l'esprit d'entreprise, la compétitivité de nos industries de pointe.
Il nous faut pour cela soutenir la recherche. Alors que les Etats-Unis consacrent près de 20 % de leurs crédits publics de recherche aux technologies de l'information, la France ne leur alloue que 5 % de ses crédits et de ses effectifs scientifiques. A long terme, nous ne pouvons laisser subsister ce déséquilibre. Car dans ces chiffres se joue notamment la place de notre pays dans l'économie de demain. C'est pourquoi le Gouvernement, à l'initiative de Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, a décidé d'engager un effort significatif en faveur de la recherche sur les technologies de l'information et de la communication. Je sais que le Commissariat à l'Energie Atomique -dont la contribution fut déterminante dans le succès de " ST-MICROELECTRONICS "- projette d'accroître encore les moyens qu'il consacre à la recherche dans ce secteur. Nous entendons en outre doubler à moyen terme les capacités de l'Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique, l'INRIA. Le CNRS sera doté dès cette année d'une structure consacrée à ces domaines scientifiques et technologiques.
C'est aussi à l'échelle européenne que nous devons favoriser la recherche et le développement dans ces domaines clefs pour les services de demain. Il faut en particulier renforcer la coopération entre les laboratoires de recherche, les producteurs et les industries utilisatrices de puces. C'est pourquoi lors de la prochaine conférence ministérielle européenne EUREKA, le 23 juin prochain, notre pays proposera de lancer sans délai le nouveau programme de recherche " MEDEA PLUS ". Ce programme pourrait représenter un effort global des Etats et des entreprises de plus de 25 milliards de francs sur 8 ans. Vous pouvez à cet égard compter sur l'engagement du Gouvernement. "MEDEA PLUS "devra être consacré aux domaines d'application dans lesquels l'Europe occupe une position de leader : l'internet de nouvelle génération à haut débit, les terminaux internet intégrés, les systèmes de sécurité fondés sur la carte à puce et l'électronique automobile.
Dans une économie de la connaissance, la formation est un investissement décisif. L'industrie, comme la recherche, ont avant tout besoin de femmes et d'hommes compétents et qualifiés. Pour cela nos établissements de formation doivent être capables d'attirer les plus jeunes pour les former et d'offrir au plus grand nombre la possibilité de s'initier tout au long de la vie à ces nouvelles technologies. A cet égard, la région où nous nous trouvons offre un potentiel unique en France puisqu'elle regroupe à Aix et Marseille des Universités et des écoles d'ingénieurs de grande qualité, ainsi que des pôles technologiques et scientifiques dynamiques -à SOPHIA ANTIPOLIS et Château-Gombert- réunissant laboratoires publics et entreprises.
Le Comité d'Aménagement et de Développement du Territoire que je présiderai le 18 mai sera l'occasion de renforcer encore ce potentiel scientifique de premier plan. Une grande Ecole de l'internet sera ainsi créée près de Marseille. S'appuyant sur les écoles d'ingénieurs et les universités de la région, elle offrira la première formation supérieure spécifiquement consacrée à ces nouvelles technologies. Elle permettra d'enseigner leurs applications et de diffuser plus largement leur usage. Je souhaite qu'elle soit ouverte tant aux étudiants les plus jeunes qu'à ceux qui veulent se reconvertir et se former aux nouveaux métiers de l'internet. De même, une formation supérieure en micro-électronique sera mise en place, près d'ici, à Gardanne, pour renforcer les moyens existants en ce domaine.
Ces mesures contribueront au dynamisme de notre économie. Mais nous devons également être attentifs aux évolutions qu'imprime à notre société le progrès technologique.
C'est tous ensemble que nous voulons entrer dans la société de l'information.
L'information devient une richesse : y accéder ne doit pas être un privilège. Nous ne pouvons laisser une " fracture numérique " s'instaurer entre ceux qui disposent de l'information, des nouvelles technologies, et des matériels qui les véhiculent et d'autre part ceux qui en seraient exclus. C'est évidemment une exigence de justice et de solidarité. C'est aussi une des conditions de notre efficacité collective : un moyen de mieux assurer notre développement futur en diffusant l'innovation.
A cet effet nous avons accompli d'importants efforts. La résorption de cette fracture est depuis bientôt trois ans au coeur de l'action de mon Gouvernement pour la société de l'information. D'abord à l'école. Le nombre d'ordinateurs par élève a plus que doublé depuis 1997. En moyenne, chaque jour, 40 nouveaux établissements se relient à internet. En trois ans, nous aurons élevé le taux de connexion de 40 à 100 %. Et à la rentrée 2000, tous les lycées et collèges seront connectés au réseau. Il faut désormais achever ce raccordement pour toutes les écoles en 2001.
Nous avons également agi pour l'accès de tous à l'internet. Ainsi, la mise en place d'un accès gratuit au réseau dans les 800 agences locales pour l'emploi sera achevée au début de 2001. Dans le même esprit, j'ai annoncé vendredi dernier lors de la Rencontre nationale des jeunes l'ouverture, dans les prochains mois, de 600 points d'accès gratuit à l'internet destinés aux jeunes.
Cette politique, nous allons l'amplifier. Car aujourd'hui, le taux d'équipement des ménages français en micro-ordinateurs est inférieur à la moyenne européenne. L'objectif que nous nous fixons est de rattraper rapidement ce retard. Cet objectif devra concerner en priorité les jeunes et les moins favorisés de nos concitoyens. J'ai demandé à Laurent FABIUS, en liaison avec Jack LANG, de me faire des propositions en ce sens. Le Gouvernement présentera l'ensemble de ces nouvelles mesures lors du prochain Comité interministériel pour la société de l'information, que je réunirai au mois de juin.
Mesdames, Messieurs,
Les nouvelles technologies ne portent pas seulement la promesse d'une croissance plus rapide, d'emplois plus nombreux, d'une transformation profonde du développement de notre économie. A mesure qu'elles se diffusent, que les réseaux s'étendent, que les connaissances et l'information deviennent accessibles au plus grand nombre, c'est aussi le fonctionnement même de notre démocratie qui peut être progressivement modifié.
C'est pourquoi il est essentiel que nous maîtrisions ensemble ces changements en élaborant collectivement des règles nouvelles. Si nous savons en partager équitablement les fruits, ces richesses nouvelles tiendront toutes leurs promesses de liberté.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 16 mai 2000).